Savoir être et compétences (2/2)

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Savoir être et compétences (2/2)
Charlaine Durand, Janvier 2008
Descriptif : Après avoir vu ce que n’était pas le savoir-être, l’auteur vous
propose une façon de concevoir le "savoir être" comme une réalité dans la
compétence professionnelle chez les infirmiers.
Savoir être dépendant de la définition de compétence utilisée
SULZER constate : « On observe ainsi dans la plupart des cas, que le savoir-faire est
décrit en termes de réalisation d’une action dans un contexte donné, tandis que le
savoir-être se présente plutôt comme une caractéristique générique décontextualisée
(être serviable) .»1 …
Il tente alors d’apporter un début d’explication à la situation de ce « savoir être » :
« La question de la validité des « savoirs-être », dans leur acception courante en
tant qu’éléments pertinents de description des compétences, impose de reposer ici le
problème de la diversité des définitions de la compétence, et la place variable que
peuvent y tenir les genres de savoirs ... »"2
Ainsi, le savoir être peut, selon la définition de la compétence retenue, être
irrecevable dans le cadre d’une compétence contextualisée, comme le définit LE
BOTERF3 par exemple, comme être {a contrario} pour d’autres auteurs, plus «
qualifiée» que le savoir-faire pour contenir les compétences nécessaires à répondre
aux situations inconnues « là où l’application de savoirs faire ne va pas toujours de
soi »4.
La confusion serait donc d’origine méthodologique si l’on en croit l’auteur. Le savoirêtre serait différent de ces types de savoirs identifiés dans des situations
contextualisées. En fait le savoir-être contiendrait tous ces types de savoirs. Il se
tiendrait dans la façon de mettre en œuvre ces compétences professionnelles.
Il ne suffit donc pas de savoir faire mais de « savoir quand, comment et jusqu'où agir
»… on en reviendrait presque à ce qu’en dit LE BOTERF plus haut…
Prenons donc une autre définition de la compétence pour éprouver ce que dit
SULZER.
ZARAFIAN5 définit la compétence comme à la fois personnelle et collective : « La
compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des
1
SULZER (E) 1999 p 55
Ibid p 55
3
« La compétence est la mobilisation ou l'activation de plusieurs savoirs, dans une situation et un
contexte donnés LE BOTERF 1995
4
SULZER (E) 1999 p 55
5
ZARAFIAN (P) 1994 2e édition réactualisée, p 82-84
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"Toute reproduction partielle ou totale de la présente publication est interdite sans l'autorisation de l'auteur et de son éditeur"
Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992
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connaissances acquises et les transforme avec d’autant plus de force que la diversité
des situations augmente…
La compétence est la faculté de mobiliser des réseaux d’acteurs autour des mêmes
situations, partager des enjeux, assumer des domaines de responsabilités. »
La professionnalité définie par BLIN6 est ici intrinsèque.
Mais il précise7 « Chaque individu a des aspirations, des capacités de jugements qui
lui sont propres, singulières, qui ne peuvent être niées, étouffée et dissoute dans
l'affirmation directe d'un intérêt collectif ».
« Il doit s'impliquer subjectivement dans son travail »8 car Il doit « assumer une
responsabilité locale, en situation, savoir prendre la bonne décision dans un temps
court, face à un évènement, qui est lui-même une expression condensée de
l'incertitude. »9.
Il développe alors le principe de responsabilité ( déjà soulevé par SCALLON) et la
présence de référents moraux qui se posent en termes d’éthique professionnelle
(appelé aussi « idéal ou normes » par Perrenoud).
Le savoir-être : De la notion intrinsèque de l'éthique de responsabilité...
Nous introduisons ici la notion d’éthique de responsabilité 10: « La responsabilité
relève d’une éthique professionnelle et non d’une morale. »11 12.
Cet élément est des plus importants car sans l’éthique de responsabilité, le
harcèlement moral pour arriver à des fins managériales aurait encore de beaux jours
devant lui… la maltraitance soignante aussi.
ZARAFIAN13 définit cette éthique de responsabilité ainsi :
« Assumer une responsabilité, c’est
- répondre de. C’est aller jusqu’au bout de sa prise d’initiative, c’est inscrire ce qu’on
appelle dans les métiers, la conscience professionnelle. C’est une question pratique et
non morale. C’est assumer la plénitude de son action face aux autres, mais aussi (et
d’abord) face à soi-même [ … ] Je réponds de mon initiative.
- Manifester le souci d’autrui : C’est une posture préalable à l’action [ … ] C’est le
souci d’autrui qui guide mon action. Et je peux avoir ce souci parce que j’ai pouvoir
6
" L'insertion dans un réseau de socialisation professionnelle enseigne des manières de voir, de
penser et d'agir qui deviennent particulièrement actives dans l'exercice du travail" déjà cité dans la
première partie. BLIN, 1997, p 81
7
ZARAFIAN (P) 1994 2e édition réactualisée, p 25
8
Op. Cit., p 44
9
Op. Cit., p 29
10
L’éthique de responsabilité selon la classique distinction de Max Weber, en opposition avec
l’éthique de conviction. Max WEBER, Le savant et le politique, Plon, Paris 1995.
11
ZARAFIAN (P) 1994 2e édition réactualisée, p 82
12
Nous retiendrons ici des définitions un peu simplistes pour la morale et l'éthique : Morale = "ce que
tu dois faire", Ethique = "ce que tu peux faire, compte tenu précisément des valeurs référencées, du
contexte particulier à la situation".
13
Ibid, p 82-84
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sur autrui. ». Le pouvoir ici étant l’action exercée14 . « [ … ] La responsabilité est la
prise de conscience et la prise en compte de ce pouvoir sur autrui ».
- Exercer dans « un certain champ de responsabilité. Le champ est celui qu’il doit
couvrir par ses initiatives et la manière dont il les assume avec l’appui de la
structure organisationnelle. »
Responsabilité et Ethique de responsabilité, Valeurs, normes professionnelles, tels
sont les éléments qui se dégagent en filigrane tout au long de cet exposé.
... à celle de l'excellence professionnelle.
HARDY15 propose une autre grille de lecture de l’exercice professionnel en
considérant la finalité poursuivie dans chaque activité.
Le concept de métier articule trois types d’excellence cumulatifs :
- l’excellence technique se définit par une mise en conformité avec une règle ou
un règlement. L’imitation gestuelle ou l’exécution d’une pratique manuelle
procède de l’excellence technique. La fonction d’expertise génère la pratique
technique dont la caractéristique est la norme. La norme est réalisée ou
atteinte par la répétition dans l’apprentissage d’une technique irréprochable.
Le taylorisme sollicite l’excellence technique ;
- l’excellence d’entreprise se caractérise par l’esprit et la culture d’entreprise.
Elle constitue la raison sociale de la mise en œuvre de l’excellence technique.
L’excellence d’entreprise sollicite une dimension humaine circonscrite au
périmètre de l’entreprise. La concurrence densifie l’excellence d’entreprise et
développe le corporatisme, voire le communautarisme jusqu’à générer ce qu'il
est convenu de nommer la discrimination économique. Ne parle-t-on pas de
secteurs d’activités ?
Les balances économiques et financières sont des indicateurs de l’excellence
d’entreprise qui se concrétise avec la réalisation d’objectifs compilés dans un
projet de l’entreprise. Tous les groupes sociaux cherchent à développer
l’excellence d’entreprise et pas seulement les entreprises de production : les
équipes sportives, les groupes socioprofessionnels, les services ministériels,
etc. L’état de mercenaire illustre, par exemple, ce que peut être l’excellence
d’entreprise ;
- l’excellence professionnelle fait de l’humanité une finalité. Elle constitue une
sorte de manifeste pour une technologie au service de l’homme.16 L’excellence
professionnelle vise à l’épanouissement de l’homme tout en assurant le
fonctionnement social des entreprises. Elle cherche à développer la
responsabilité personnelle tout en préservant la promotion de la liberté
individuelle inscrite dans un collectif social.
14
NDLR
HARDY (J.) 2006 p23
16
Manifeste pour une technologie au service de l’homme est le titre d’un opuscule rédigé au début du
siècle par l’INPG (institut national polytechnique de Grenoble) à l’intention des élèves ingénieurs
15
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Si l’excellence d’entreprise porte en germe la guerre économique, l’excellence
professionnelle vise à la paix sociale qui ne peut être appréciée que comme une
utopie jamais complètement et définitivement réalisée. En ce sens, l’excellence
professionnelle présente une dimension universelle qui régule la mise en
œuvre de l’excellence technique dans l’espace d’une excellence d’entreprise.
Cette grille sort de la triologie de KATZ voire de la quadriologie17 : savoirs, savoirs
faire, savoir être et savoir devenir.
On voit de façon précise comment se définit l’excellence technique dans le métier
hautement technique qu’est celui de l’infirmière.
On peut aussi considérer que cette professionnelle puisse développer un sentiment
d’appartenance à l’entreprise publique ou privée dans laquelle elle s’est engagée, au
point de pouvoir accepter de représenter cette dernière (et sa culture d’entreprise)
lors de travaux professionnels impliquant plusieurs établissements. Mais nous
pouvons tout autant imaginer que cette excellence d’entreprise vise le développement
de sa profession, la promotion de ses connaissances et l’évolution de ses savoirs faire.
Notre propos sur le savoir être s’inscrit définitivement dans l’excellence
professionnelle puisqu’elle fait de l’humanité non seulement une finalité mais aussi sa
valeur première.
Pour conclure rapidement cette première partie
« Le sujet pour s’affirmer professionnel et être reconnu comme tel par les autres
catégories sociales, devra se construire et faire reconnaître une place d’ « acteurauteur » dans son contexte de travail » 18. Il ne suffit pas de savoir faire, il faut aussi
intégrer les « normes » des comportements professionnels admis.
Et les normes des professionnels du soin sont avant tout dictées par des valeurs. Le
respect ou non des valeurs dans ses activités professionnelles quotidiennes peut
intégrer comme exclure avec autant de force, le professionnel dans la communauté de
ses pairs.19
Nous l’avons vu, la définition des savoirs être dépend étroitement de la définition de
la compétence à laquelle elle se réfère.
Deux types de conception de la compétence s'opposent pour Marc de
ROMAINVILLE20: "
-
celle béhavioriste, qui est "synonyme de conduite, de comportements
structurés en fonction d'un but, action, tâche spécifique, observable" et qui
repose plus sur des savoirs et contenus de programme
17
DE KETELE (J.-M.), 1986- ROEGIERS (X.) 2000
BLIN, 1997, p 210
19
Le lecteur peut approfondir la notion de l’implication des valeurs en lisant l’article “Le rôle des
valeurs dans l’activité de soins.” (lien à mettre dès parution)
20
ROMAINVILLE (M. de), 1988
18
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- celle qui est synonyme "d’une potentialité intérieure, invisible, une capacité
générative susceptible d'engendrer une infinité de conduites adéquates à une
infinité de situations nouvelles". Cette notion de compétence traduit dans les
politiques éducatives le choix de mettre l'accent sur les actions du sujet, voire
sur son fonctionnement cognitif interne plus que sur les savoirs et les contenus
de programme."
Il est tout autant important d’apprendre à apprendre ou à transférer des
connaissances théoriques en situation de soin, que d’apprendre des connaissances
dites de culture générale à la profession. L’action ne prend vraiment son sens que
dans le contexte où elle se situe.
Nous sommes en accord avec BLIN qui considère que « La professionnalité repose
sur la capacité à identifier et résoudre des problèmes en situation d’incertitude, de
stress et de forte implication personnelle » [22]. Nous nous devons donc de
construire et/ou développer un potentiel de cette professionnalité dans le cadre de la
formation initiale des infirmiers.
Nous ne retiendrons donc pas le courant béhavioriste et sa vision taylorienne du
travail pour les prochains exposés, mais ceux du constructivisme, du cognitivisme et
de la phénoménologie.
Ce serait sinon oublier que la compétence individuelle de l’infirmière se développe
immanquablement avec l’acquisition de compétences collectives indispensables à son
exercice professionnel, que ce soit en hospitalier ou en extra-hospitalier, sur un mode
salarial ou libéral.
Former les étudiants en soins infirmiers au savoir être, c’est leur apprendre à mieux
se connaître pour les aider à prendre conscience du transfert et contre-transfert qui
se jouent dans la relation soignant soigné. C’est aussi les former à gérer leurs
émotions afin de faciliter le diagnostic et la prise de décisions dans des situations
d’incertitude et d’urgence, situations fréquentes dans l’activité du soin.
Le savoir être ainsi conçu ne se situe pas à côté des autres savoirs parce qu’il les
transcende. À la fois présent dans les pré-requis recherchés lors des concours
d’entrée, il constitue des objectifs d’apprentissage. Il fait l’objet d’un
accompagnement en formation en soins infirmiers.
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ISBN 2-12-465052-1.
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SCALLON, Georges, “L’évaluation des apprentissages dans une approche par
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