Soins palliatifs,
douleur et éthique
Dominique Lossignol, Médecin interniste (Institut Jules Bordet), spécialiste en soins palliatifs, Coordinateur
du Forum EOL (End-of Life)
Naissance d’un territoire
L’ avènement des soins palliatifs a lieu historiquement en Grande Bretagne au
cours des années soixante et entraîne dans son sillage un développement
majeur au Canada, aux Etats Unis, pour gagner ensuite l’Europe, surtout
la France dans un premier temps avant de s’étendre à la plupart des pays
occidentaux. La Belgique est actuellement un des pays les plus actifs et les mieux
représentés dans le domaine1.
C et état de fait ne s’est pas produit par hasard
mais s’articule d’emblée autour d’une nouvelle
manière d’appréhender la n de vie dans le cadre
des soins de santé et de permettre par delà de
donner une meilleure visibilité sociale de la mort,
rompant avec la situation de solitude dans laquelle
se trouvaient un grand nombre de mourants. Les
attitudes contemporaines face à la mort dans les
sociétés occidentales avaient progressivement
conduit à un sentiment de gêne, voire de honte
et de peur face à la mort, entraînant de la sorte
une mise à l’écart et un isolement des malades
mourants. Ce faisant, les soins palliatifs vont
progressivement occuper une place intermédiaire
entre la phase curative et le décès. Cela ne se
fera pas sans peine, les soins palliatifs étant
la «démonstration» ou la matérialisation de
l’échec de la médecine curative. Ils vont
devenir une nouvelle forme de médecine,
conduisant à une médicalisation de la
n de vie, tout en instituant un segment
professionnel distinct et en devenant un
monde social à part entière. Les travaux
d’E. Kübler-Ross, psychiatre américaine
vont avoir un impact capital. Elle avance
l’idée d’une compétence psychologique
et émotionnelle, permettant de décrypter
le «langage symbolique» des mourants,
et par delà de donner un sens à leur
mort. Cette notion de sens donné à la
mort est devenue un des archétypes de
la philosophie palliative. La n de vie devient
une entité, une catégorie spécique qu’E. Kübler-
Ross va littéralement théoriser en décrivant
les cinq étapes du mourir: sidération ou choc,
colère et révolte, marchandage, dépression et
acceptation. Par ses présupposés, cette théorie va
«naturaliser» les besoins du mourant, comme si
ceux-ci se devaient d’être homogènes, conduisant
à des cheminements intérieurs récurrents, faisant
implicitement état d’une mort typique, universelle.
Le traitement de la douleur
C ela étant, il faut reconnaître aux soins palliatifs
l’apport inestimable qu’ils ont contribué
à développer dans le cadre du traitement de
la douleur en considérant d’une part, qu’il était
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possible de soulager la sourance des mourants
et que d’autre part, la morphine et ses dérivés
devaient occuper une place essentielle dans le
cadre de soins. Le chemin a été long et dicile
pour faire reconnaître par le «segment curatif»
l’importance du contrôle de la douleur au-delà du
simple symptôme, en tant qu’entité nosologique
particulière, comme une maladie en tant que telle.
C omme le disait Leriche en 1937 dans «La
chirurgie de la douleur», «la douleur n’est
pas dans le plan de la nature (…) tout en elle est
anormal, rebelle à la loi», ou encore, que la douleur
est «un phénomène individuel monstrueux et
non une loi de l’espèce. Un fait de maladie».
Georges Canguilhem quant à lui, dans son ouvrage
remarquable «Le normal et le pathologique»
(1943), précisera que «ce n’est plus par la douleur
que la maladie est dénie, c’est comme maladie
que la douleur est présentée». La douleur est donc
bien plus qu’une exacerbation des sens et sa valeur
«normale» n’est pas une valeur théorique.
Quand on réalise à quel point la biochimie de
la douleur est complexe, que sa perception fait
intervenir tant de structures neuroanatomiques,
il est évident que ce phénomène va au-delà
d’un simple symptôme, et qu’il en devient une
expérience humaine qui dépasse le champ de la
médecine.
Les accès douloureux paroxystiques
I l existe de nombreuses et excellentes
publications sur le sujet et il n’est pas possible de
reprendre ici les diérents syndromes décrits, les
diérents traitements- éprouvés, en cours d’étude
et même en cours d‘élaboration, les diérentes
techniques non-médicamenteuses. Toutefois, je
souhaite attirer l’attention sur un problème majeur
et cependant sous estimé que sont les accès
douloureux paroxystiques (ADP), ou Breakthrough
pain syndrome. Ces ADP sont caractérisés
cliniquement de la façon suivante:
Episodes douloureux aigus de survenue rapide,
inattendue ou non dont la durée peut aller de
quelques secondes à plusieurs heures avec une
moyenne de 30 minutes.
Facteurs déclenchants identiables:
mouvements divers, toux, déglutition, inspiration
profonde, miction, défécation ou non: douleur
«en éclair», caractéristique des certaines douleurs
neuropathiques.
Co-existence avec un syndrome douloureux
chronique par ailleurs sous contrôle par un
traitement adéquat.
La pathologie sous jacente est le plus souvent une
aection oncologique, indépendamment de son
stade clinique.
B ien que de courte durée, les ADP altèrent de
façon majeure la qualité de vie des patients et
conduisent même à une aggravation de la douleur
de fond.
Cette entité a déjà été décrite dans les années
1990 par Russel Portnoy, mais il faut reconnaître
qu’elle est mal connue parce que sous-évaluée,
sous-estimée. Certains la confondent même avec
des douleurs «banales» exacerbées, d’autres la
compare à des eets de «n de dose».
Actuellement, il n’existe pour ainsi dire aucun
traitement spécique pour ce type de
douleur et jusqu’à présent, il est nécessaire de
recourir à des associations médicamenteuses
parfois complexes pour soulager les patients
sourants d’ADP.
Il existe pourtant des spécialités reconnues au
niveau mondial et la plupart sont disponibles
de longue date. Citons, l’Abstral®, l’Actiq®,
l’Instanyl®, l’Eentora®.
1 C’est aussi un des rares pays au monde à s’être doté de lois spécique dès 2002, Droits des patients (22 août 2002), Soins palliatifs (14 juin
2002) et Euthanasie (28 mai 2002) qui ont considérablement modié le paysage médical et ouvert un dialogue jusqu’alors muselé.
Avec les compliments de
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