Annie Barthélémy
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humaine du temps, du temps humain qui est d’une autre nature que le temps
cosmologique dans lequel pourtant il s’inscrit. Dans l’ouvrage, en particulier
lorsqu’il traite du récit de fiction, Ricœur démontre que le récit dont la
caractéristique est de parler des événements, des actions et des personnes, en
construisant une trame qui donne un sens (une direction et une signification) à
ce qui est raconté, peut enrichir la manière de vivre notre existence temporelle.
III. Retour au premier plan de la philosophie de l’action
Il se concrétise dans l’ouvrage majeur Soi-même comme un autre (1990). Voici les
propos que tient Ricœur en 2001 à Barcelone sur les circonstances qui ont
conduit à la publication de cet ouvrage qui reprend dix des conférences qu’il
avait données à l’université d’Edimbourg en 1986.
L’université l’avait invité en
lui demandant de faire une synthèse de ses travaux, Ricœur a dû pour présenter
cette synthèse se faire violence:
D’une certaine façon je crois à un certain éparpillement du champ de la
réflexion philosophique en fonction d’une pluralité de questions déterminées
appelant chaque fois un traitement distinct en vue de conclusions limitées mais
précises… C’était donc à contre-courant de mes préférences avérées que je
devais proposer une clef de lecture à mon auditoire. C’est de cette mise à
l’épreuve qu’est né Soi-même comme un autre (1990) (Ricoeur 2001, 80-81).
Il lui est apparu alors que les questions multiples qui l’avaient occupé dans
le passé pouvaient être regroupées autour d’une question centrale, celle des
significations du verbe « je peux ». Soi-même comme un autre, développe une
anthropologie de l’homme capable, c’est-à-dire une anthropologie des pouvoirs
qui caractérisent l’homme et en particulier ce pouvoir fondamental de se
désigner lui-même comme l’auteur de ses paroles et de ses actes et de se tenir
responsable de sa vie. Pour Ricœur, le sens du mot self renvoie aux emplois du
pronom réfléchi (ex. : je m’engage) et désigne donc la capacité des personnes
humaines à associer le soi à un je. Nous allons montrer que, partant de ces
emplois du pronom réfléchi, le philosophe apporte une conception du self qui n’a
rien d’un retour contemplatif sur soi, encore moins d’une mise en scène de soi
comme cela se généralise avec la mode du « selfie » pris d’un téléphone portable
au bout d’une perche. Le self n’est ni narcissique, ni autosatisfaction, ni repli sur
ce qui serait le noyau intime de la personne, le self est attestation de soi, une
attestation fragile mais confiante.
Je termine cette section en présentant le plan de notre article qui va suivre
les trois intentions qui ont guidé Ricœur pour l’élaboration de son ouvrage et
qu’il précise dans la Préface de Soi-même comme un autre.
Gifford Lectures: On Selfhood, the Question of Personal Identity.
« Par le titre Soi-même comme un autre, j’ai voulu désigner le point de convergence entre les
trois intentions philosophiques majeures qui ont présidé à l’élaboration des études qui
composent cet ouvrage » (Ricœur 1990, 11).