lady macbeth de mzensk

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d i re c t i o n g é n é ra l e j e a n - m a r i e b l a n c h a rd
fondation subventionnée par la ville de genève
b o u l e v a rd d u t h é â t re 1 1 c h 1 2 1 1 g e n è v e 1 1
t+41 22 418 30 00 f+41 22 418 30 01
w w w. g e n e v e o p e ra . c h
g ra n d t h é â t re d e g e n è v e o p é ra
lady
macbeth
de
mzensk
d i m i t r i c h o s t a ko v i t c h
Dossier pédagogique
L e s j e u n e s a u c œ u r d u G ra n d T h é â t re
P ro g ra m m e p é d a g o g i q u e r é a l i s é g r â c e a u s o u t i e n
d e l a Fo n d a t i o n Ju l i u s B a e r
et du Département de l'instruction publique du Canton de Genève
Lady Macbeth de Mzensk
Ledi Makbet Mtsenskovo Uyezda
Opéra en quatre actes et neuf tableaux (Op.29)
Musique de Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
Livret d’Alexander Preis et Dimitri Chostakovitch
d’après la nouvelle de Nikolaï Leskov Lady Macbeth au village (1865)
Créé au Théâtre Maly de Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg),
le 22 janvier 1934
Parce qu’elle s’ennuie à mener la médiocre vie des marchands de province,
Katerina Ismaïlova prend un amant. Parce qu’elle ne veut pas d’un mari veule
et d’un beau-père tyrannique, Katerina Ismaïlova brasse la mort-aux-rats. Parce
qu’elle ne peut supporter de voir son Sergueï se détourner d’elle, Katerina
Ismaïlova se jette dans la rivière en entraînant sa rivale.
Programme pédagogique du Grand Théâtre de Genéve
Dossier réalisé par Christopher Park
Décembre 2006 – Janvier 2007
Table des matières
Introduction
p. 3
La distribution
p. 4
L'ESSENTIEL POUR TOUT LE MONDE
p. 6
Qu'est-ce qui se passe dans l'opéra?
Qui sont les principaux personnages?
Quels sont leurs types de voix?
p. 6
p. 10
UN PEU PLUS LOIN
p. 13
NIVEAU BASIQUE
Quelques vignettes autour de Lady Macbeth de Mzensk
Connaissances et activités
Dimitri Chostakovitch
Le bagne en Sibérie
La « vraie » Lady Macbeth
NIVEAU AVANCÉ
Le livret de Lady Macbeth de Mzensk selon Chostakovitch (1934)
L’article de la Pravda (1936)
Extraits de la nouvelle de Nikolaï Leskov Lady Macbeth au village (1864)
Quatre aspects de l'orchestre dans Lady Macbeth de Mzensk
ANNEXES
CD d’accompagnement : liste du contenu
Transcription de textes russes du livret et traduction française
Questionnaires d’évaluation pour les élèves et l’enseignant
2
Introduction
Ce dossier pédagogique est destiné aux enseignants qui participent au parcours
pédagogique de Lady Macbeth de Mzensk, dans le cadre du programme « Les
jeunes au cœur du Grand Théâtre ». Son contenu vise le cycle d'orientation et
l’enseignement post-obligatoire ; nous avons fait tout notre possible pour que tous
puissent en tirer profit, des plus jeunes aux plus âgés.
Le dossier est divisé en deux parties: la première présente les aspects essentiels de
l'oeuvre à intégrer en amont du parcours pédagogique et du spectacle. Les
enseignants qui ne disposent pas de beaucoup de temps pour aborder l'œuvre
pourraient trouver avantage à se limiter à cette partie afin de familiariser leurs élèves
avec :
L'argument
Les personnages et les voix
Les « moments-clé » musicaux et dramatiques de l'opéra en lien avec ces voix ()
Une bonne connaissance de ces trois aspects garantira un maximum de profit et de
plaisir pour les élèves prenant part aux ateliers et venant au Grand Théâtre pour
découvrir l'œuvre lyrique ou chorégraphique choisie.
La deuxième partie du dossier permet d'aller un peu plus loin que l'essentiel dans la
découverte de l'oeuvre.
Elle se divise en deux volets : le premier, de niveau basique, permet d'aborder
l'oeuvre par le biais de thématiques culturelles, historiques, géographiques, etc.
Le deuxième volet propose des connaissances plus approfondies, des activités et
des thèmes de recherche ou de débat destinés aux groupes de niveau plus avancé.
Nous encourageons les enseignants à sélectionner ou à adapter le contenu selon
leurs besoins. Pour encourager vos élèves à utiliser eux-mêmes le dossier
pédagogique, il peut être consulté en ligne (sans la sélection musicale) sur le lien
suivant : http://www.geneveopera.ch/dossierpedagogique.php
D'avance merci pour votre collaboration et nous vous souhaitons, à vos classes et
vous-mêmes, un parcours pédagogique des plus passionnants au coeur du Grand
Théâtre !
Les responsables du programme pédagogique
« Les jeunes au cœur du Grand Théâtre »
Kathereen Abhervé
Christopher Park
3
La distribution
et les rôles de la production du Grand Théâtre
Boris Timofeïevitch Ismaïlov, un marchand
Vladimir Matorin, baryton
Zinovi Borisovitch Ismaïlov, son fils
Gordon Gietz, ténor
Katerina Lvovna Ismaïlova, femme de Zinovi Borisovitch
Stephanie Friede, soprano
Serguei, un ouvrier chez les Ismaïlov
Nikolaï Schukoff, ténor
Aksinia, une ouvrière chez les Ismaïlov
Elena Gabouri, soprano
Le Balourd miteux, ouvrier chez les Ismaïlov
Alexandre Kravets, ténor
Le Pope
Alexandre Vassiliev, basse
Sonietka, une prisonnière
Nora Sourouzian, contralto
Le Vieux Prisonnier
Feodor Kuznetsov, basse
Le Boutiquier
Romaric Braun, basse
L’Instituteur nihiliste
Bisser Terziyski, ténor
Le Meunier
Nicolas Carré, basse
L’Agent de police
Harry Draganov, basse
Premier Ouvrier
Omar Garrido, ténor
Le Sergent
Aleksandar Chaveev, basse
Deuxième Ouvrier
Bisser Terziyski, ténor
La Sentinelle
Dimitri Tikhonov, basse
L’Inspecteur de police
NN, basse
Une Prisonnière
Viktoria Martynenko, soprano
Ouvriers et ouvrières chez les Ismaïlov, invités de la noce, agents de police,
prisonniers et prisonnières en convoi vers le bagne.
4
Choeur d'hommes Orpheus de Sofia
Choeur du Grand Théâtre
Direction: Ching-lien Wu
Dir : Krum Maximov
Orchestre de la Suisse romande
Direction: Alexander Lazarev
Mise en scène : Nicolas Brieger
Décors : Mathias Fischer-Dieskau
Costumes : Bettina Walter
Lumières : Wolfgang Goebbel
Reprise de la production originale (septembre-octobre 2001)
5
L'ESSENTIEL POUR TOUT LE MONDE
Qu'est-ce qui se passe dans l'opéra?
Premier Acte
Premier tableau
Seule dans sa chambre, Katerina Ismaïlova ne sait comment tuer le temps. Jadis,
elle était pauvre mais se sentait libre ; aujourd’hui elle est l’épouse de Zinovi
Ismaïlov, riche marchand du district de Mzensk, et elle s'ennuie à mourir. Boris
Ismaïlov, son beau-père tyrannique, entre et lui réclame des champignons pour
dîner, en lui reprochant de ne pas avoir donné d’enfant à son mari. Zinovi survient à
son tour et leur annonce qu’il doit se rendre au moulin où une digue a cédé. Il vient
d’engager un ouvrier du nom de Sergueï, qu’il désigne à son père. Boris contraint
Katerina à dire au revoir à son mari puis à jurer qu’elle lui restera fidèle. Après le
départ de Zinovi, il accable sa belle-fille : elle n’a même pas pleuré en voyant son
époux s’en aller.
Deuxième tableau
La cour des Ismaïlov est remplie d’ouvriers qui ont enfermé la cuisinière Aksinia dans
un tonneau et la harcèlent. Mais Katerina les arrête. D’un air bravache, Sergueï lui
propose une lutte au corps à corps. Il la renverse au moment où paraît Boris. « J’ai
trébuché, Sergueï a voulu me relever », explique Katerina, soutenue par un paysan
en haillons qui travaille chez les Ismaïlov, le Balourd miteux. Boris renvoie ses
employés et promet de tout rapporter à Zinovi dès son retour.
Troisième tableau
Dans sa chambre à la nuit tombante, Katerina tarde à se coucher. Après avoir
essuyé les reproches de son beau-père, elle reste seule et se plaint de la solitude.
Au moment où elle glisse sous les draps, quelqu’un frappe à sa porte. C’est Sergueï,
qui vient lui demander un livre, lui faire part de son désoeuvrement, puis lui suggérer
de prendre un amant. Elle tente de le repousser, mais il se fait toujours plus pressant
et l’embrasse de force. Katerina prévient le jeune homme que les portes seront
bientôt fermées... Qu’importe, il repartira par la fenêtre. Katerina s’abandonne à lui.
Deuxième acte
Quatrième tableau
Au cours de la nuit, Boris arpente la cour et peste en apercevant de la lumière dans
la chambre de sa belle-fille. S’il était plus jeune, il irait la réchauffer... Mais voici
qu’une silhouette s’échappe par la fenêtre. C’est Sergueï. Boris l’attrape par le collet
et réveille ses gens. Il appelle aussi Katerina afin qu’elle le voie fouetter son amant.
Enfermée dans la maison, la jeune femme insulte son beau-père avant de descendre
dans la cour en passant par la gouttière. Fatigué, Boris arrête de fouetter Sergueï,
qu’on enferme dans l’entrepôt et tout le monde se disperse. Boris réclame à manger.
sa bru lui apporte des champignons sur lesquels elle a versé de la mort-aux-rats.
Tandis que le vieil homme s’effondre en réclamant de l’eau, Katerina lui arrache la
clef de l’entrepôt et le laisse agoniser. Entre deux râles, Boris réclame un prêtre aux
ouvriers qui entrent dans la cour. On fait venir un pope. Katerina gémit et pleure la
perte de son beau-père : on meurt parfois d’ingérer trop de champignons... Le pope
acquiesce et bénit le mort.
6
Cinquième tableau
Katerina est au lit avec Sergueï. Elle le réveille pour qu’il l’embrasse, mais il se plaint
du retour prochain de Zinovi : faudra-t-il continuer à se rencontrer dans la
clandestinité ? Katerina promet de faire de lui un riche marchand. Alors que Sergueï
s’est rendormi, elle voit apparaître le fantôme de Boris qui la maudit. Puis elle entend
des bruits de pas. Les chiens n’ayant pas aboyé, c’est certainement son mari !
Sergueï se cache. Zinovi survient en effet et pose des questions sur un ton
inquisiteur : pourquoi le lit est-il préparé pour deux personnes ? Et à qui appartient la
ceinture qui traîne par terre ? Zinovi s’en empare et commence à battre sa femme en
la traitant de putain. Sergueï sort aussitôt de sa cachette et se jette sur Zinovi.
Katerina l’étrangle avant que Sergueï ne lui porte un coup fatal. Les deux amants
cachent le cadavre dans la cave et tombent dans les bras l’un de l’autre.
Troisième acte
Sixième tableau
C’est jour de noces chez les Ismaïlov. Katerina, rongée par la culpabilité, regarde
fixement la porte de la cave. Mais Sergueï l’entraîne au dehors, afin que leurs invités
ne se doutent de quelque chose. Complètement ivre, le Balourd miteux survient
alors, en quête de bonnes bouteilles. Malgré la puanteur, il entre dans la cave.
Septième tableau
Au commissariat, les policiers oisifs se plaignent d’être mal payés et clament que « si
l’on veut gagner sa vie, il faut pêcher en eau trouble ». Un sergent amène un
instituteur nihiliste qu’on accuse de ne pas croire en l’existence de Dieu. On l’arrête.
Entre alors le Balourd miteux, qui déclare avoir trouvé un cadavre dans la cave des
Ismaïlov. Les policiers se réjouissent d’avoir enfin un prétexte pour rejoindre une fête
à laquelle ils n’ont pas été invités.
Huitième tableau
Dans le jardin des Ismaïlov, au milieu des convives gagnés par l’ivresse, Katerina
s’aperçoit que la serrure du cellier a été forcée. Il faut s’enfuir. Une fois les invités
assoupis, Sergueï court chercher son argent dans la maison, mais il est trop tard. La
police pénètre dans le domaine. Katerina se rend sans opposer de résistance. Puis
elle se précipite pour défendre Sergueï. En vain. On les emmène.
Quatrième acte
Neuvième tableau
Sur le chemin de la Sibérie, un groupe de bagnards fait halte pour la nuit. Les
femmes sont séparées des hommes. Mais l’une d’entre elles soudoie un garde pour
se faufiler jusqu’à son mari. C’est Katerina. Sergueï l’accable de reproches : il a
gâché sa vie pour elle. Mais elle le supplie de lui pardonner. Sergueï soudoie à son
tour un garde avec l’argent de sa femme et se rend près d’une autre prisonnière,
Sonietka. Cette dernière veut bien se donner à lui, mais elle exige des bas en
échange. Sergueï retourne donc vers sa femme pour lui annoncer qu’ils doivent se
séparer, car ses pieds le font souffrir ; on doit l’emmener à l’hôpital. Désespérée,
Katerina est prête à tout pour le garder près d’elle. Il lui demande ses bas de laine
qui, seuls, pourraient lui permettre de continuer la route. Puis il s’empresse de les
7
remettre à Sonietka. Katerina a tout vu. La bagnards la retiennent et la raillent.
Lorsque Sonietka revient au bras de Sergueï et qu’elle adresse des remerciements
ironiques à Katerina, celle-ci se précipite sur Sonietka, la pousse dans la rivière et se
jette à sa suite. Emportées par le courant, toutes deux disparaissent dans les flots.
Les bagnards reprennent leur route.
Les bagnards au bord du fleuve
Lady Macbeth de Mzensk, acte 2, neuvième tableau
Production du Grand Théâtre (2001)
8
Qui sont les principaux personnages?
Quels sont leurs types de voix?
LES QUATRE RÔLES PRINCIPAUX
Katerina
Katerina Lvovna Ismailova est le personnage principal de l’opéra. Elle a épousé
l’héritier d’une famille de riches marchands de province, dans le district de Mzensk,
une région administrative située très près des frontières actuelles de la Russie, de
l’Ukraine et du Belarus. Sa vie de femme mariée la déçoit : son mari ne peut (ou ne
veut ?) pas lui faire d’enfants, son beau-père est un tyran brutal, et elle s’ennuie
profondément dans sa maison. Ecoutez comment elle se plaint d'être délaissée par
son mari ( CD piste 1, texte russe en annexe). Voici ce que dit Dimitri
Chostakovitch au sujet de ce personnage : " Katerina Lvovna est un personnage
positif, digne de la sympathie du spectateur. (...) C’est une femme intelligente,
talentueuse et intéressante ; mais suite aux conditions pénibles,
cauchemardesques dans lesquelles elle doit vivre, suite à son enfermement
dans un milieu marchand cruel, avide et mesquin, sa vie devient triste,
inintéressante, morne. (...) Elle commet une série de crimes pour s’attacher
Sergueï et en faire son mari. (...) Ivre d’amour, Katerina Lvovna se sacrifie toute
entière à Sergueï."
Le rôle de Katerina est tenu par une soprano dramatique. La voix de la chanteuse
doit être suffisamment puissante pour s’affirmer comme instrument à part entière
par-dessus un orchestre symphonique d’au moins 80 instruments. Selon
Chostakovitch : « Sa langue musicale, la musique qui la décrit, part tout entière
de l’idée qu’elle doit éveiller chez l’auditeur la sympathie sous toutes ses
formes. (...) On pourrait dire d’elle qu’elle est un « rayon de soleil dans les
ténèbres. »
Boris
Boris Timofeïevitch Ismailov est un homme âgé, de condition sociale assez aisée. Il
est koulak, c'est-à-dire paysan suffisamment riche pour faire du commerce. Il
possède des exploitations agricoles (dont un moulin) et commande à un nombre
important de domestiques et d’ouvriers. Malgré son âge, il a de l’énergie à revendre.
Voici ce qu'il chante en pensant à sa bru ( CD piste 2, texte russe en annexe) :
"Eh! Si j'étais plus jeune, ne serait-ce que d'une dizaine d'années... Alors, je la
réchaufferais, pardieu! Elle est tellement bien portante, et elle n'a pas
d'homme. Une femme s'ennuie sans homme. Je vais la voir, allons!".
Du rôle de Boris, tenu par un baryton, voix qui évoque la virilité, voire la brutalité du
personnage, Chostakovitch disait: "Boris Timofeïevitch – le beau-père de Katerina
– est un solide et sain vieillard, un vrai maître koulak, qui ne s'arrête devant
rien pour atteindre ses objectifs. Cet homme sévère est irritable et haineux: il
ne parle à Katerina Lvovna qu'en criant."
9
Zinovi
Zinovi Borisovitch Ismailov, le mari de Katerina, est l'héritier du domaine des Ismailov
et il est, en théorie, le maître de la place. En réalité, il est encore soumis à l'autorité
de son père et ne fait qu'exécuter ses ordres. En tant que mari de Katerina, il est
encore plus inefficace à imposer son autorité. Avant de la quitter pour s'occuper du
moulin familial, c'est Boris et non Zinovi qui exige de Katerina un serment de fidélité
sur les saintes icônes. On pourrait même croire que Zinovi est impuissant, bien que
Boris affirme que si le couple n'a pas d'enfants, c'est de la faute de Katerina qui
n'éprouve pas assez de désir pour Zinovi.
La voix aiguë de ténor est d'habitude réservée aux jeunes héros romantiques:
princes, héros et amants. Ici, elle sert un anti-héros et un anti-amant : Zinovi est
écrasé par l'autorité de son père et Chostakovitch nous montre, avec sa musique,
que le couple soprano-ténor Katerina-Zinovi est profondément dysfonctionnel.
Quand Zinovi fait irruption dans la chambre, à la recherche du moindre indice
pouvant prouver que Katerina l'a trompé, sa voix, à la limite de l'hystérie, soutenue
par un air de polka accentuant l'aspect ridicule du personnage, au lieu de s'imposer
par-dessus celle de sa femme, finit en un dialogue de sourds et une scène de
violence conjugale. ( CD piste 3, texte russe en annexe). Selon Chostakotvitch :
"La musique fait apparaître Zinovi Borisovitch comme un homme qui voudrait
régner et commander mais qui, à cet égard, ne peut rivaliser avec son père. Il
lui arrive souvent de commencer à parler avec énergie, comme s'il voulait
prouver qu'il est le maître chez lui; mais la musique le démasque et nous le fait
apparaître comme un petit marchand dégénéré, pitoyable."
Serguei
Serguei est un ouvrier qui vient de se faire virer d’une ferme voisine pour avoir pris
trop de libertés avec la patronne. En arrivant chez les Ismailov, il ne perd pas de
temps à séduire la femme de son patron qui lui tombe entre les mains comme un fruit
mûr. "C’est un gredin de basse espèce, flatté que l’épouse d’un marchand –
une jeune dame inexpérimentée – tourne vers lui son attention. C’est à cause
de lui seulement que Katerina tue son beau-père et son mari. Mais quand la
riche marchande est déchue au rang de simple bagnarde, il n’hésite pas à la
laisser tomber, ayant trouvé un autre « objet » plus intéressant à ses yeux – la
bagnarde Sonietka. C’est un commis qui a déjà un mince vernis de « culture » ;
il lit des livres et s’exprime dans une langue recherchée – mais il voit tout à
travers le prisme de la « servilité » ; sa conception du monde est celle d’un
commis. "
Le "héros" romantique de l’opéra, c’est Serguei, c’est lui qui formera le duo
amoureux "classique" soprano-ténor avec Katerina et Chostakovitch fait chanter
Serguei comme un véritable ténor lyrique. À ceci près que Chostakovitch fait tout
pour que l’accompagnement musical sonne faux contre les envolées amoureuses du
personnage. À témoin, sa déclaration d’amour pour Katerina ( CD piste 4) : "La
musique met Serguei à nu. En tant que compositeur, je me dois aussi de
révéler l’essence de mes héros. Le lyrisme de Serguei est dissimulé, livresque,
théâtral ; sa souffrance est affectée ; son air vénérable et ses manières
galantes trahissent le futur koulak ; et, s’il n’avait pas échoué au bagne, il
10
serait devenu un marchand, exploitant son prochain. (...) Ce n’est même pas un
petit Don Juan de l’époque, mais bien un criminel ignoble, cruel, qui tire
habilement parti de sa beauté physique et enjôle Katerina Lvovna par ses
« charmes ». S’il ne devient pas un riche marchand, mais finit au bagne, c’est
que le crime est découvert. Mais même au bagne, il reste un être médiocre et
grossier. "
LES RÔLES SECONDAIRES
Dans Lady Macbeth de Mzensk, des rôles importants sont joués par les personnages
secondaires, tels qu’Aksinia, le Pope, le Balourd miteux et Sonietka. Leurs
interventions sur scène ne durent que peu de temps, mais l’interprétation de ces
rôles est difficile et ardue, notamment parce qu’ils exigent des interprètes
d’excellentes qualités dramatiques, en plus de voix capables de se détacher de
l’ensemble instrumental et vocal.
Aksinia
Aksinia est la cuisinière chez les Ismailov, elle est l’unique confidente de Katerina et
elle l’avertit dès la première scène de l’opéra (CD piste 5) de se méfier du bellâtre
Serguei. Katerina viendra d’ailleurs au secours d’Aksinia, que les ouvriers ont
immobilisée pour la soumettre à leurs sévices sexuels
Le rôle d’Aksinia est tenu par une soprano, ce qui crée une certaine résonance avec
le rôle de Katerina. Aksinia sera d’ailleurs le premier objet des avances sexuelles de
Serguei chez les Ismailov dans la scène de harcèlement du deuxième tableau au
premier acte. Cette scène où une voix de femme crie son impuissance devant la
brutalité quotidienne de la maison Ismailov préfigure celle du deuxième acte,
quatrième tableau où Serguei se fait fouetter par Boris sous les yeux horrifiés de
Katerina.
Le Balourd miteux
Le nom russe de ce personnage évoque un paysan grossier en vêtements déchirés
et couverts de boue. Il traîne dans la cour des Ismailov, à la recherche de petits
boulots. Il a beau être ivre la plupart du temps, il est toujours à l’affût de ce qui
pourrait servir à améliorer sa piètre condition. Chostakovitch disait de lui qu’il était
"l’exemple même de l’ivrogne russe invétéré, dénué de tout principe moral.
Tantôt il prend le parti de Katerina Lvovna, tantôt il se retourne contre elle."
Le rôle du Balourd miteux est confié à un ténor. Tout comme Aksinia est le pendant
vocal de Katerina dans le monde des domestiques des Ismaïlov, le Balourd est la
caricature musicale de Zinovi, venant à la défense de Katerina, tout en la
soupçonnant et finissant par la dénoncer quand il découvre le cadavre du fils
Ismailov dans le cellier. Ce moment de l’opéra permet à Chostakovitch d’illustrer le
personnage du Balourd avec une mélodie au rythme endiablé et des accents de
beuverie villageoise. (CD piste 6, texte russe en annexe)
11
Le Pope
Dans le jeu des correspondances musicales et dramatiques entre les personnages
de la maison des Ismailov et le petit peuple, il est tout naturel qu’à la figure de
l’autorité paternelle incarnée par Boris Timofeïevitch fasse écho la figure du prêtre
qui apparaît deux fois dans l’opéra, la première fois pour confesser Boris mourant, et
la deuxième pour marier Katerina et Serguei.
Comme Boris, le rôle du Pope est tenu par une basse. Dans la tradition musicale de
l’Eglise orthodoxe russe, ceux qui entonnent les chants d’église ont souvent des
voix très graves, pour rappeler aux fidèles le sérieux de leurs propos et de leur
fonction ! Tout comme Boris, le Pope n’est pas non plus insensible aux charmes de
Katerina, comme on le voit dans le toast qu’il lui porte pendant le banquet de noces,
en dialogue avec le choeur des invités (CD piste 7, texte russe en annexe).
Sonietka
Sonietka est une condamnée, dans le même convoi de prisonniers que Katerina et
Serguei, en route vers le bagne, quelque part en Sibérie. Elle a tapé dans l’oeil de
Serguei qui ne supporte plus la compagnie de Katerina, à cause de laquelle il a été
condamné aux travaux forcés. Mais elle ne se laissera pas avoir si facilement : le prix
de son étreinte sera une paire de bas de laine, que Serguei, grâce à un chantage
mensonger, obtiendra sans peine de Katerina. Les remerciements ironiques de
Sonietka à l’égard de sa « généreuse bienfaitrice » feront sa perte (CD piste 8,
texte russe en annexe).: ivre de rage jalouse, Katerina poussera Sonietka dans le
fleuve et la suivra dans la mort.
Il est intéressant de noter que Chostakovitch a voulu que le rôle de Sonietka soit
chanté par une contralto, la plus grave des voix de femmes. Les rôles de contralto
ne sont pas fréquents dans les opéras et sont en général réservés à des
personnages de femmes d’un certain âge, sorcières, nourrices ou grand-mères, pas
à des séductrices. Mais Sonietka est sans doute « prématurément vieillie » par sa
condition de prisonnière, et le ton grave d’une voix de femme n’est pas sans un
certain sex-appeal !
LES CHOEURS
Dimitri Chostakovitch : « Dans l’opéra, un rôle important est dévolu au choeur.
Contrairement à ce qui se passe dans un nombre d’opéras, les choristes ne
sont nullement des figurants, loin s’en faut : ils jouent un rôle actif. Les artistes du
choeur doivent savoir bien chanter, bien jouer, bien évoluer sur scène, car ils
prennent une part importante à l’action. »
Deux scènes illustrent les exigences très différentes que Chostakovitch va poser aux
choristes de son opéra.
D’abord, la scène des adieux ironiques des employés des Ismailov à leur « cher
maître », Zinovi qui part réparer la brèche du moulin familial (CD 9, texte russe en
annexe). Le choeur des ouvriers est utilisé dans un style comique : la "tristesse" (en
fait une joie débridée) de voir le maître s'en aller est un commentaire acerbe sur la
condition du petit peuple russe, soumis corps et âme à ses maîtres et seigneurs. Les
12
répliques, lancées entre les hommes et les femmes, et l’accompagnement orchestral
évoquent à la fois le folklore russe et une valse de bal populaire.
Le chant des bagnards au dernier acte est un bon exemple de l’utilisation d’un
choeur aux dimensions tragiques (CD 10, texte russe en annexe). Ces grandes
scènes chorales populaires sont fréquentes non seulement dans les opéras, mais
aussi dans le cinéma russes. On pense notamment aux scènes de procession avec
des milliers de figurants dans les films de Serge Eisenstein Alexandre Nevski ou
Ivan le Terrible, sur la musique de choeurs écrits par Serge Prokoviev, où le peuple
des paysans russes vient au secours de la patrie en danger. Ici, les condamnés
reprennent leur marche interminable vers la Sibérie, avec un chant aussi lent et
solennel qu’un hymne processionnel de l’église orthodoxe russe.
Pozegnanie Europy
(Adieu à l’Europe)
Dans ce tableau du Polonais Aleksander Sochakzewski (1843-1923), le convoi de
bagnards fait une halte à la borne qui marque la limite entre l’Europe et l’Asie, dans
les monts Oural. Dès le milieu du XIXe siècle, les ressortissants nationalistes de
parties de l’Empire Russe aujourd’hui indépendantes (p.ex. Pologne, Lithuanie,
Estonie, Finlande, etc.) étaient envoyés à la katorga. Pour des peuples très attachés
à leur identité européene (notamment à cause de leur religion luthérienne ou
catholique), le moment où ils « quittaient » l’Europe pour se perdre dans les steppes
asiatiques de la Sibérie était certainement chargé d’une profonde tristesse.
13
UN PEU PLUS LOIN
NIVEAU BASIQUE
Quelques vignettes autour de Lady Macbeth de Mzensk
Connaissances et activités
Dimitri Chostakovitch
Le bagne en Sibérie
La « vraie » Lady Macbeth
14
Dimitri Chostakovitch
Dmitri Dmitrievitch
Chostakovitch
né le 25 septembre 1906 à Saint-Pétersbourg
mort le 9 août 1975 à Moscou
Dimitri Chostakovitch était un compositeur russe de la période soviétique. Malgré
d’importantes difficultés avec les autorités soviétiques (dont deux dénonciations
officielles et plusieurs interdictions d’interpréter sa musique) il a été le compositeur le
plus populaire de sa génération en Union soviétique et sans doute le compositeur le
plus connu de musique classique du milieu du XXe siècle.
LA VIE DE CHOSTAKOVITCH
Né dans une famille politiquement libérale et tolérante, le jeune Dimitri était un
enfant prodige, autant comme pianiste que comme compositeur. A 13 ans, il entre
au conservatoire de sa ville natale et souffre déjà de problèmes avec les autorités :
on lui reproche son manque d’intérêt politique et en 1926, il rate son examen de
méthodologie marxiste, tout en dirigeant la même année, comme travail de diplôme
du conservatoire, sa Première Symphonie.
Après le conservatoire, Chostakovitch commence une double carrière de pianiste de
concert et de compositeur. Il obtient en 1927 une « mention honorable » au concours
international de piano de Varsovie, où il rencontre le grand chef d’orchestre Bruno
Walter, qui fut si impressionné par la première symphonie du jeune soviétique qu’il
en dirigea la première à Berlin la même année. Après cette rencontre, Chostakovitch
fera de la composition sa principale activité, terminant sa Deuxième Symphonie
« dédiée à (la Révolution d’) Octobre et son premier opéra, Le Nez, d’après la
nouvelle de Gogol.
15
C’est avec Le Nez que ses problèmes politiques vont vraiment commencer. L’année
avant sa création, une association politique de musiciens staliniens reproche à
l’oeuvre son « formalisme », en d’autres termes, que la musique du compositeur
ne serait pas accessible au peuple. La création du Nez, en 1930, a donc connu un
succès assez mitigé.
En 1932, Chostakovitch épouse Nina Varzar, un mariage souvent houleux, secoué
par les infidélités des deux côtés du couple. Pendant cette période, Chostakovitch
travaille dans un théâtre de la jeunesse ouvrière, ce qui le protège un peu des
critiques politiques. C’est aussi à cette époque qu’il commence la composition de
Lady Macbeth de Mzensk.
En 1934, Lady Macbeth de Mzensk est créé à Leningrad (l’actuelle SaintPétersbourg), à Moscou puis dès l’année suivante dans de nombreuses villes du
monde entier. C’est un succès retentissant, tant au niveau populaire que critique et
politique : « un opéra comme seul peut l’écrire un compositeur soviétique élevé dans
la meilleure tradition culturelle soviétique. »
Mais en 1936, le dirigeant soviétique lui-même, Joseph Staline assiste à une
représentation de Lady Macbeth. Le lendemain, un article anonyme intitulé « Le
Chaos remplace la Musique » est publié dans le journal du parti communiste
soviétique, Pravda, attaquant violemment le compositeur et le taxant à nouveau de
« formalisme ». L’oeuvre est retirée de l’affiche et Chostakovitch connait une période
de graves diffiucltés financières et personnelles. C’est l’époque de la « Grande
Terreur » des purges staliniennes, et de nombreux amis et parents du compositeur
sont emprisonnés ou exécutés. Seule consolation pendant ces années noires, la
naissance de sa fille Galina en 1936 et son fils Maxim en 1938.
La composition de la Cinquième Symphonie, au style musical plus conservateur et
au contenu moins politique, permet à Chostakovitch de faire amende honorable et
d’être nommé professeur au Conservatoire de Leningrad. Mais la guerre entre
l’Allemagne et l’URSS éclate en 1941 et Leningrad est assiégée. Pendant les
premiers mois du siège, Chostakovitch compose les trois premiers mouvements de
sa Septième Symphonie (dite « Leningrad »), symbolisant la résistance du
peuple soviétique à l’invasion nazie, puis il est évacué avec sa famille à Samara,
loin du front.
Les problèmes politiques du compositeur recommencent en 1948, avec une nouvelle
accusation de « formalisme » dans le Rapport Jdanov. Ses oeuvres sont à
nouveau interdites, il doit faire une auto-critique publique et on retire ses privilèges
à sa famille. A cette époque, un ami de la famille raconte que « Chostakovitch
passait la nuit sur le palier à coté de l’ascenseur à attendre qu’on vienne
l’arrêter, comme ça au moins sa famille ne serait pas dérangée. » Le
compositeur paye son loyer en écrivant de la musique de film, des oeuvres
« officielles » pour se faire réhabiliter et des oeuvres « sérieuses », réservées « au
tiroir du bureau ». Parmi ces oeuvres secrètes, écrites pour son propre plaisir, le
Concerto pour violon no. 1 et les Vingt-quatre préludes et fugues pour piano.
La mort de Staline en 1953 atténue les effets du Rapport Jdanov. Déjà le
compositeur était revenu en état de grâce, participant à une délégation de notables
16
soviétiques aux Etats-Unis en 1949. La Dixième Symphonie brosse d’ailleurs un
portrait musical de Staline dans son deuxième mouvement, féroce et sauvage. Les
oeuvres du « tiroir du bureau » sont créées les unes après les autres.
Nina Varzar meurt en 1954. Chostakovitch se remarie avec Margarita Kainova, mais
le mariage finira en divorce trois ans plus tard. En 1960, pour des motifs encore
obscurs (conviction personnelle ? pression politique ? manque de courage ?) , il
devient membre du Parti communiste soviétique. En 1962, il épouse sa troisième
femme, Irina Supinskaya. En 1963, une version remaniée de Lady Macbeth est
créée à Moscou sous le titre Katerina Ismailova.
La santé de Chostakovitch se dégrade fortement. Sa préoccupation au sujet de sa
propre mortalité est présente dans ses oeuvres tardives, dont la Quinzième
Symphonie (1969). Il meurt d’un cancer du poumon en 1975, à Moscou. La
nécrologie officielle n’apparaît dans Pravda que trois jours après son décès,
apparemment parce que le texte devait être approuvé au plus haut niveau par
Brejnev et le reste du Politburo.
LA MUSIQUE DE CHOSTAKOVICH
Pressé par les exigences contradictoires de l’appareil politique, la souffrance
généralisée de ses compatriotes, et ses propres idéaux humanitaires et de service
public, (Chostakovitch) a réussi à forger un langage musical d’une puissance
d’émotions colossale.
David Fanning, Grove Dictionary of Music (1980)
Après avoir fait d’abord partie de l’avant-garde, Chostakovitch a principalement écrit
de la musique de style romantique, fortement influencée par Gustav Mahler, en y
intégrant toutefois la musique atonale et parfois même sérielle. Sa musique utilise
souvent des effets de contrastes abrupts et de grotesque. Parmi ses chefs-d’oeuvre :
ses symphonies, ses quatuors pour cordes, six concertos, des opéras, dont
Lady Macbeth de Mzensk, et de nombreuses musiques de film.
La musique de Chostakovitch révèle l’influence des compositeurs qu’il admirait le
plus : les fugues et les passacailles de Jean-Sébastien Bach, les quatuors tardifs de
Ludwig van Beethoven, les symphonies de Gustav Mahler... Parmi les compositeurs
russes, il admirait surtout Modeste Moussorgsy, dont le style de composition se fait
entendre dans les dernières scènes de Lady Macbeth. Chostakovitch nourissait une
certaine ambivalence à l’égard de son grand contemporain, Igor Stravinsky : « Je
vénère Stravinsky en tant que compositeur, mais en tant que penseur, je le
méprise. » Leur rencontre en 1962 ne fut pas un succès, malgré la version piano de
la Symphonie des psaumes que Chostakovitch avait réalisée en hommage à son
collègue.
L’année 1936 (celle de la condamnation de Lady Macbeth par Staline) est une sorte
de ligne de partage des eaux dans l’oeuvre de Chostakovitch. Avant 1936 ses
17
oeuvres (Le Nez, Lady Macbeth, la Quatrième Symphonie) sont plus avantgardistes et expérimentales, après cette date, elles sont plus conservatrices et
« officielles ». Ce n’est que dans ses oeuvres de musique de chambre ou vocales
que le compositeur se sentait libre de composer sans entraves politiques et
d’exprimer le côté sombre et mélancolique que l’ésthétique officielle désapprouvait.
On a parfois reproché à Chostakovitch que ses oeuvres, surtout les symphonies,
sont peu originales, vides de contenu, voire recyclées. Le compositeur
contemporain français Pierre Boulez disait « Pour moi, Chostakovitch n’est que la
deuxième ou troisième pression de Mahler. » Un contemporain soviétique le qualifiait
d’« écrivassier en délire ». De Lady Macbeth, Stravinsky disait que c’était un
« martèlement brutal et monotone ». Et la critique la plus dévastatrice fut
certainement celle de Lady Macbeth dans la Pravda : « Tout cela est grossier,
primitif, vulgaire. La musique glousse, vrombit, halète et souffle. »
Il est vrai que Chostakovitch ne s’est pas gêné pour emprunter au contenu et aux
styles de compositeurs qui l’ont précédé, ainsi qu’à la musique populaire et au
jazz. Sans doute a-t-il été influencé sa vie durant par ses jeunes années au sein de
l’avant-garde soviétique, pour qui le pastiche, la citation et le goût pour les
musiques populaires, voire de « bas étage », faisaient partie intégrante de
l’esthétique musicale.
Le kaleïdoscope des styles qu’on entend dans Lady Macbeth, depuis les grandes
scènes chorales de l’opéra classique russe, aux rythmes de polka ou de tango qui
soulignent les déclamations des chanteurs, le recours à l’ironie (les ouvriers qui
déclarent à leur patron « Sans maître, la vie est ennuyeuse, triste, sans joie ! »),
l’insolence de ce compositeur qui fut le premier au monde à représenter une
relation sexuelle dans un opéra, sont peut-être les traces indélébiles de l’avantgarde soviétique des années de formation de Chostakovitch, pour qui l’éclectisme
et la provocation étaient les valeurs essentielles de l’art du futur. Des valeurs qui
ont accompagné le compositeur tout au long de sa vie, et qui lui ont tant coûté au
niveau politique, social et personnel.
18
Le bagne en Sibérie
Fouille d’un bagnard sibérien par un garde en 1953.
Le prisonnier qui se fait fouiller est l’écrivain et futur Prix Nobel de littérature
Alexandre Soljénytsine.
La Sibérie, vaste région s’étendant depuis les Monts Oural jusqu’à l’Océan pacifique,
a été colonisée par l’Empire russe dès le début du XVIIe siècle. Le climat rigoureux
et l’isolement des centres de population ont fait que le nombre de colons disposés
à s’établir en Sibérie de leur propre volonté a toujours été très faible.
C’est pourquoi le gouvernement impérial russe (aussi appelé tsariste) a très vite eu
recours, pour coloniser la Sibérie, à un système de servitude pénale, où les
criminels de droit commun, au lieu de servir leurs peines en prison, étaient
condamnés à se rendre en Sibérie dans des sortes de fermes-prison, véritables
camps de travaux forcés. Cela permettait aussi de réaliser d’importantes
économies sur l’administration des prisons, puisque le travail des bagnards servait
aussi la colonisation et l’exploitation du territoire.
Du XVIIe siècle jusqu’à la Révolution russe de 1917, les bagnes sibériens étaient
connus, en Russie, sous le nom de katorga, du mot grec katergon, « galère ».
Quand les communistes bolchéviques ont pris le gouvernement de la Russie en main
en 1917, le bagne sibérien passa sous l’administration soviétique et acquit le nom
19
tristement célèbre de goulag, mot qui est passé dans le langage courant pour
désigner les camps de travaux forcés en général, quels que soient l’époque et le lieu.
Le mot goulag est en fait l’acronyme de Glavnoye OUpravlenyie Ispravitelnotrudovikh LAGerei i kolonii, « Direction administrative principale des camps et
colonies de travail de correction pénale ». Le terme se refère donc à l’origine à
l’entité administrative qui supervise les colonies pénitentiaires, et par la suite, sert à
désigner les bagnes eux-mêmes : camps de travail, camps de punition, camps pour
détenus criminels ou politiques, camps de femmes, camps pour jeunes, camps de
transit.
« Le goulag » signifie enfin tout l’appareil répressif d’un régime autoritaire,
comme celui de l’Union soviétique : les arrestations arbitraires, les interrogatoires
brutaux, le transport vers les camps à pied ou dans des wagons à bestiaux sans
chauffage, les travaux forcés, les procédures bureaucratiques absurdes, la
séparation des familles, les années d’exil, la maladie et la mort prématurées.
A l’époque où la nouvelle de Leskov situe l’histoire de Katerina Lvovna Ismailova
(autour de 1860), le code pénal russe a été modifié (en 1847) pour inclure dans les
prisonniers envoyés en Sibérie les participants aux soulèvements nationalistes
au sein de l’Empire russe. C’est ainsi qu’un grand nombre de Polonais ont été
condamnés à la katorga, et qu’une minorité importante de Polonais se trouve encore
en Sibérie de nos jours.
Dans les katorga, les principales activités consistaient en des travaux miniers, de
déforestation, ou d’infrastructure, comme la route carrossable le long du fleuve
Amour, qui fut la principale voie d’accès à l’Extrême-Orient sibérien avant la
construction de la voie ferrée du Transsibérien.
Le bagne occupe une place importante dans la littérature russe. Anton Chekhov
visita en 1891 les katorga de l’île de Sakhaline dans l’Extrême-Orient sibérien et
décrivit les misérables conditions d’existence et l’incompétence des officiers en
charge des camps dans son livre L’Île de Sakhaline. L’archipel du goulag
d’Alexandre Soljénytsine cite fréquemment le livre de Chekov pour souligner la
détérioration massive des conditions d’existence des bagnards de l’époque
soviétique, par rapport à leur prédécesseurs des katorgas de l’ère tsariste.
Plusieurs figures importantes de l’histoire russe et soviétique sont passées par la
katorga ou le goulag. Parmi elles, on trouve :
L’écrivain Féodor Dostoïevski (1821-1881) fut envoyé au bagne de 1849 à 1854,
pour des activités révolutionnaires contre le Tsar Nicolas Ier. Le séjour en katorga
marqua profondément le jeune Dostoïevski : il y abandonna ses principes gauchistes
pour devenir profondément conservateur et intensément religieux.
Le fondateur de l’Union soviétique, Lénine (Vladimir Oulianov 1870-1924), arrêté par
la police impériale pour activités révolutionnaires, fut mis en prison pour 14 mois en
1897 puis exilé trois ans au village sibérien de Chouchenskoïe.
20
Le scientifique et anarchiste Pierre Kropotkine, ainsi que Félix Dzerjinski,
fondateur de la première police secrète soviétique, la Tchéka (qui devint plus tard le
KGB), furent aussi exilés au bagne en Sibérie entre 1897 et 1900.
ACTIVITE
Le goulag dans le monde et dans l’histoire
Les camps de concentration, les travaux forcés et les colonies pénitentiaires ne sont
pas l’exclusivité de la Russie tsariste ou soviétique. Parmi les pays qui ont
interné des détenus dans des colonies pénitentiaires et profité économiquement de
leurs travaux forcés, les camps de concentration de l’Allemagne nazie, l’Espagne
franquiste, l’Italie fasciste sont les plus connus. Mais d’autres pays ont pratiqué, et
continuent à pratiquer la détention en colonie pénitentiaire.Voici une liste de
pays ; à l’aide d’Internet ou de livres de référence, identifiez le passé et le présent
des colonies pénitentiaires dans ces pays.
Essayez de distinguer les époques historiques et les pays qui ont utilisé les
colonies pénitentiaires comme lieu de détention de prisonniers de droit commun
(bagnes, galères, katorga, colonies pénitentiaires), ceux qui ont exilé et interné des
prisonniers politiques ou des prisonniers de guerre (goulag, stalag,
laogai/laojiao), et ceux qui ont pratiqué l'internement de groupes ethniques ou
sociaux spécifiques, parfois dans le but de les exterminer (camps de
concentration).
PAYS
Australie
Bagnes
Japon
Goulag
Stalag
Chine
Bagnes
Royame-Uni
PASSÉ
PRÉSENT
La colonisation de l’Australie s’est faite de la fin du
XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle par des
prisonniers de droit commun britanniques, qui
avaient le « choix » de croupir dans les prisons
anglaises, ou d’aller défricher une terre sauvage à
l’autre bout du monde.
Pendant la deuxième guerre mondiale, non
seulement les prisonniers de guerre alliés mais
aussi des populations civiles (comme, par exemple,
les colons anglais en Malaisie ou de Hong Kong)
ont été soumis aux travaux forcés par l’armée
japopnaise, tout en vivant dans des conditions
atroces dans des camps d’internement. Deux
grands films Le pont sur la rivière Kwai (David Lean,
1957) et L’empire du soleil (Steven Spielberg, 1987)
évoquent cette période.
Depuis 1949, les prisonniers de droit commun et les prisonniers
politiques chinois sont envoyés dans des camps situés au Tibet, au
Qinghai et dans le Xinjiang, loin des grandes villes côtières. Ces
camps de « réforme par le travail » (laogai) ou de « rééducation par
le travail » (laojiao) sont organisés comme des usines, avec un
système de production qui contribue, de manière relativement
insignifiante, aux produits d’exportation du pays.
Le terme de camp de concentration a été inventé
bien avant la 2e Guerre Mondiale. Il désignait les
camps où les populations civiles sud-africaines
étaient rassemblées par les troupes britanniques
pendant la Guerre des Boers (1899-1902).
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bien avant la 2e Guerre Mondiale. Il désignait les
Camps de
camps où les populations civiles sud-africaines
concentration étaient rassemblées par les troupes britanniques
pendant la Guerre des Boers (1899-1902).
Bagnes
Les travaux forcés ont fait partie du régime
pénitentiaire anglais jusqu’en 1925. Condamné aux
travaux forcés pour ses moeurs, l’écrivain Oscar
Wilde en a fait une descritption émouvante dans La
Ballade de la Geôle de Reading (1897).
Etats-Unis
d’Amérique
Jusqu’en 1950 un peu partout aux Etats-Unis, et depuis 1995 dans
les états de l’Alabama et de l’Arizona, le système pénitentiaire
exploite le travail des détenus par le biais des chain gangs.
Bagnes
Les détenus doivent quitter leurs prisons pendant la journée pour
Camps de
travailler, enchaînés les uns aux autres, sur des chantiers de route,
concentration ou dans des exploitations agricoles. Dans le comté de Maricopa, où
se trouve la grande ville de Phoenix dans l’Arizona, le travail des
prisonniers contribue effectivement aux revenus du service
correctionnel de l’état. Les détenus doivent travailler dans la chaleur
d’un climat désertique, ne recoivent que deux repas par jour, sans
café, cigarettes ou condiments alimentaires. S’ils souffrent
d’insolation, ils doivent payer dix dollars pour le droit de consulter un
médecin. Le département correctionnel du comté dépense plus par
individu pour l’alimentation des chiens policiers que sur celle des
détenus. La plupart de ces détenus ont été condamnés pour des
délits et non des crimes, puisqu’ils relèvent des prisons du comté et
non de l’état.
La prison militaire de la base étasunienne de Guantanamo à Cuba
est probablement le meilleur exemple contemporain d’un camp de
concentration pour la détention arbitraire des personnes (bien qu’on
n’y exploite pas les détenus par des travaux forcés).
France
Bagnes
Jusqu’à la Révolution française, on déchargeait les
prisons en envoyant les détenus ramer aux galères.
Ces grands bateaux, où les condamnés étaient
enchaînés à leur banc et leur rame, servaient au
transport de troupes ou de denrées.
Jusqu’en 1938, le gouvernement français a exploité
des colonies pénitentiaires sur le territoire français
(bagnes de Brest, Toulon, Tatihou, etc.) et outremer (Guyane française, Nouvelle-Calédonie,
Indochine). Le bagne de l’Ile du Diable, près de
Cayenne, en Guyane française est sans doute le
plus réputé, à cause du séjour injuste qu’y fit le
capitaine Alfred Dreyfus en 1898, et un autre détenu
Henri Charrière (en 1938) dont les multiples
tentatives d’évasion ont été le sujet du livre et du
film Papillion.
22
tentatives d’évasion ont été le sujet du livre et du
film Papillion.
Il est aussi intéressant de noter que le système
pénitentiaire français, jusqu’en 1872, envoyait aussi
au bagne les jeunes délinquants mineurs, souvent
pour des délits de moindre gravité (larcins,
vandalisme, vagabondage). L’île du Levant, sur
l’actuelle Côte d’Azur, a été le site d’un de ces
bagnes pour enfants, et a été immortalisé par
l’opéra d’Isabelle Aboulker, Les Enfants du Levant,
représenté en février 2005 au Grand Théâtre de
Genève.
Pour approfondir le sujet d’étude, une visite au Musée International de la CroixRouge et du Croissant-Rouge peut être intéressante :
Musée International de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge
Cambodge 1975-1979 ; chroniques d’un génocide
du 13 septembre 2006 au 28 janvier 2007
Ouvert de 10h à 17h sauf le mardi
Accueil des écoles
Pistes pédagogiques
www.micr.org/edu
Information et réservation
+41 22 748 95 06
23
La « vraie » Lady Macbeth
A gauche, L’actrice Ellen Terry en Lady
Macbeth, tableau de John Singer Sargent
(1898)
Au-dessus, Francesca Annis joue Lady
Macbeth dans le film Macbeth de Roman
Polanski (1971)
Out, damned spot ! Out, I say ! (...) Here's the
smell of the blood still; all the perfumes of
Arabia will not sweeten this little hand. O, O,
O.
(William Shakespeare Macbeth, Act 5, Scene 1)
Va-t'en, maudite tache...; va-t'en, te dis-je ! (...)
Il y a toujours là une odeur de sang. Tous les
parfums de l'Arabie ne peuvent purifier cette
petite main!—Oh! oh! oh!
(William Shakespeare Macbeth, Acte V, scène 1)
Lady Macbeth est un personnage de la pièce Macbeth du grand dramaturge anglais
William Shakespeare (1564-1616). Elle est l’épouse d’un noble écossais, Macbeth, et
elle va manipuler les sentiments de son mari, de manière à le pousser au meutre de
Duncan, le roi d’Ecosse, et usurper le trône. Cela entraînera Macbeth à commettre
d’autres meurtres et une série d’atrocités, qui le mèneront, lui et sa femme, droit à leur
chute. À la fin de la pièce, Malcolm, le fils de Duncan, reprendra le pouvoir.
Lady Macbeth est considérée par beaucoup comme l'un des rôles les plus difficiles
pour une femme dans le théâtre occidental. Elle devient folle en raison de sa
participation au meurtre du roi, et meurt hors de scène à l'acte final.
24
Le personnage de Lady Macbeth et les événements dans la pièce de Shakespeare
sont basés, très faiblement, sur une figure et des événements historiques.
Gruoch fille de Boite, fils de Kenneth MacDuff fut reine d’Ecosse au XIe siècle. Elle
épousa en premières noces le comte de Moray, Kevin MacMalberty, de qui elle eut
un fils, Lulach. MacMalberty mourut avec cinquante de ses hommes dans l’incendie
d’une salle de banquet en 1032.
Elle se remaria avec MacBeth, fils de Finlay, mais on ne sait pas s’ils eurent
d’enfants. À part ces quelques détails, tout ce que l’on sait de Gruoch, c’est qu’elle et
MacBeth dotèrent le monastère celtique de Loch Leven. Les dates précises sont
inconnues.
Dans la pièce de Shakespeare
Lady Macbeth, avertie par une lettre de son mari Macbeth, le comte de Glamis, qu’il
voit l’occasion d’usurper le trône d’Ecosse, se dit que le tempérament de son mari
est « trop plein du lait de la tendresse humaine » pour assassiner le roi Duncan afin
d’arriver à ses fins. Elle fait appel aux puissances infernales de venir « changer son
sexe » et la remplir de « la plus atroce cruauté » pour aider son mari à accomplir sa
triste besogne. A son retour, Macbeth hésite à passer aux actes mais Lady Macbeth,
à force de raisonnements habiles, va le manipuler : elle questionne sa virilité et lui
dit de se fier entièrement à elle.
Peu après, Macbeth assassine Duncan dans son sommeil. Lady Macbeth cache
les poignards ensanglantés dans les habits des serviteurs endormis de Duncan, mais
son mari, étourdi par la violence de son crime, les reprend avec lui, forçant Lady
Macbeth à retourner sur les lieux du crime pour les cacher à nouveau. Le lendemain
matin, une foule de courtisans entoure le cadavre du roi assassiné. Macbeth est au
bord de l’hystérie, et Lady Macbeth (pour faire diversion ?) s’évanouit.
Dans la foulée du meurtre de Duncan, Macbeth est nommé roi d’Ecosse. Mais il y a
du changement dans son mariage. Macbeth s’émancipe de la tutelle de sa femme et
ne la met pas toujours au courant de ses projets, comme, par exemple l’assassinat
de son meilleur ami Banquo, pour conjurer la prophétie faite à ce dernier lui
révêlant que sa descendance règnera sur l’Ecosse, bien que lui-même n’’accède
jamais au le trône. Au cours d’un banquet, le fantôme ensanglanté de Banquo
apparaît à Macbeth qui, dans un monologue terrifié, en arrive presque à confesser
son crime. Lady Macbeth vient à son secours, expliquant aux convives médusés que
son mari souffre depuis l’enfance de crises de délire. Plus tard, Macbeth réalise que
son ancien compagnon Macduff s’est enfui en Angleterre pour y rejoindre le camp
des fils de Duncan, contre l’usurpation. Macbeth fait alors égorger la femme et les
enfants de Macduff.
La conscience de Lady Macbeth commence à la troubler sérieusement : elle a des
crises de somnambulisme et des hallucinations, des taches du sang innocent
qu’elle a poussé son mari à verser, qu’elle n’arrive pas à enlever de ses mains.
Torturée par la culpabilité, elle va en perdre la raison. Elle en arrive même à
s’accuser des actes que Macbeth a commis de son propre chef (le meurtre de la
femme et des enfants de Macduff) puisque c’est sur son initiative qu’il est devenu un
tyran. Peu avant le dénouement de la pièce, la bataille entre Macbeth et Macduff,
elle se donne apparemment la mort, bien que le texte de la pièce ne cite pas
explicitement la cause de sa disparition.
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Lady Macbeth : la femme au bord de la crise de nerfs
Sans scrupule, manipulatrice, déterminée, la figure de Lady Macbeth est aux
antipodes de l’idéal féminin traditionnel de l’époque de Shakespeare : soumise,
aimante et obéissante. Le personnage de Lady Macbeth est devenu l’archétype de
la femme qui harcèle son mari pour qu’il améliore leur condition sociale.
Le contraste est puissant, dans le texte de Shakespeare, entre un Macbeth hanté par
ses scrupules et ses visions terrifiantes et les conseils simplistes de Lady Macbeth,
pleins d’images de la vie quotidienne :
Lady Macbeth : « Aspireras-tu à (...) vivre en lâche à tes propres yeux,
laissant, comme le pauvre chat du proverbe, le je n'ose pas se placer sans
cesse auprès du je voudrais bien ». (Macbeth, Acte I, Scène 7)
Le « pauvre chat du proverbe » est celui qui aimait les poissons, mais qui ne voulait
pas se mouiller la patte.
Une fois que Macbeth vient à bout de tous ses scrupules et se met à commettre
meurtres et atrocités de son propre chef, le personnage de Lady Macbeth comme
« pousse-au-crime » devient inutile, et Shakespeare s’en débarasse.
Le personnage de Lady Macbeth n’est cependant pas simplement « l’infernale
compagne » d’un « boucher défunt », comme le dit Malcolm, le fils et légitime
successeur de Duncan à la fin de la pièce. Par exemple, au moment de commettre le
meurtre de Duncan, elle témoigne d’un reste du « lait de la tendresse humaine » :
« S'il n'eût pas ressemblé à mon père endormi, je m'en serais chargée. »
ACTIVITES
Comparer les personnages de Katerina Lvovna Ismailova (La « Lady
Macbeth » de Mzensk), dans l’opéra de Chostakovitch et la Lady Macbeth de la
pièce de Shakespeare. Est-ce que l’analogie des noms des deux
personnages est pertinente ?
Pour vous aider, vous pouvez vous aider des textes de Chostakovitch et de
Nicolai Leskov dans la partie Niveau avancé de ce dossier pédagogique.
Pour la classe d’anglais
Lecture comparée d’extraits célèbres du texte de Lady Macbeth dans le texte
original de Shakespeare et dans l’une de ses premières traductions françaises,
celle de l’homme politique français François Guizot (1821).
La dernière scène citée, celle du somnambulisme de Lady Macbeth, est l’un
des moments les plus célèbres de la pièce. Une mise en espace simple, réalisée
en classe avec trois lecteurs, peut être aussi une activité intéressante.
26
Act I , Scene V
Acte I, Scène 5
LADY MACBETH
The raven himself is hoarse
That croaks the fatal entrance of Duncan
Under my battlements. Come, you spirits
That tend on mortal thoughts, unsex me
here;
And fill me, from the crown to the toe, topfull
Of direst cruelty! make thick my blood,
Stop up the access and passage to
remorse,
That no compunctious visitings of nature
Shake my fell purpose, nor keep peace
between
The effect and it! Come to my woman's
breasts,
And take my milk for gall, your murdering
ministers,
Wherever in your sightless substances
You wait on nature's mischief! Come, thick
night,
And pall thee in the dunnest smoke of hell
That my keen knife see not the wound it
makes
Nor heaven peep through the blanket of the
dark
To cry, "Hold, hold!"
LADY MACBETH
La voix est près de manquer au
corbeau lui-même, dont les
croassements annoncent l'entrée fatale
de Duncan sous mes remparts.—
Venez, venez, esprits qui excitez les
pensées homicides; changez à l'instant
mon sexe, et remplissez-moi jusqu'au
bord, du sommet de la tête jusqu'à la
plante des pieds, de la plus atroce
cruauté.
Épaississez mon sang; fermez tout
accès, tout passage aux remords; et
que la nature, par aucun retour de
componction, ne vienne ébranler mon
cruel projet, ou faire trêve à son
exécution.
Venez dans mes mamelles changer
mon lait en fiel, ministres du meurtre,
quelque part que vous soyez,
substances invisibles, prêtes à nuire
au genre humain.—
Viens, épaisse nuit; enveloppe-toi des
plus noires fumées de l'enfer, afin que
mon poignard acéré ne voie pas la
blessure qu'il va faire, et que le ciel ne
puisse, perçant d'un regard ta
ténébreuse couverture, me crier:
Arrête! Arrête!—
ACT II, Scene II
Acte II, Scène 2
LADY MACBETH.
That which hath made them drunk hath
made me bold:
What hath quench'd them hath given me
fire.—Hark!—Peace!
It was the owl that shriek'd, the fatal
bellman,
Which gives the stern'st good night. He is
about it:
The doors are open; and the surfeited
grooms
Do mock their charge with snores: I have
drugg'd their possets
That death and nature do contend about
them,
LADY MACBETH
Ce qui les a enivrés m'a enhardie, ce
qui les a éteints m'a remplie de
flamme.—Écoutons; silence! C'est le
cri du hibou, fatal sonneur qui donne
le plus funeste bonsoir.—Il est à
l'oeuvre; les portes sont ouvertes, et
les serviteurs, pleins de vin, se
moquent, en ronflant, de leurs
devoirs. J'ai préparé leur boisson du
soir, de telle sorte que la Nature et la
Mort débattent entre elles s'ils vivent
ou meurent. (...)
Hélas! je tremble qu'ils ne se soient
éveillés et que ce ne soit pas fait. La
tentative sans l'action nous perd.
27
Écoutons.—J'avais apprêté leurs
poignards, il ne pouvait manquer de
les voir.—S'il n'eût pas ressemblé à
mon père endormi, je m'en serais
Whether they live or die. (...)
Alack! I am afraid they have awak'd,
And 'tis not done: the attempt, and not the
deed,
Confounds us.—Hark!—I laid their daggers
ready;
He could not miss 'em.—Had he not
resembled
My father as he slept, I had done't.— (...)
MACBETH.
One cried, "God bless us!" and, "Amen," the
other;
As they had seen me with these hangman's
hands.
Listening their fear, I could not say "Amen,"
When they did say, "God bless us."
LADY MACBETH.
Consider it not so deeply.
MACBETH.
But wherefore could not I pronounce
"Amen"?
I had most need of blessing, and "Amen"
Stuck in my throat.
LADY MACBETH.
These deeds must not be thought
After these ways; so, it will make us mad.
tentative sans l'action nous perd.
Écoutons.—J'avais apprêté leurs
poignards, il ne pouvait manquer de
les voir.—S'il n'eût pas ressemblé à
mon père endormi, je m'en serais
chargée.—(...)
MACBETH
L'un s'est écrié: Dieu nous
bénisse! et l'autre, amen, comme s'ils
m'avaient vu, avec ces mains de
bourreau, écoutant leurs terreurs; je
n'ai pu répondre amen lorsqu'ils ont
dit Dieu nous bénisse!
LADY MACBETH
N'y pensez pas si sérieusement.
MACBETH
Mais pourquoi n'ai-je pu
prononcer amen? J'avais grand
besoin d'une bénédiction, et amen
s'est arrêté dans mon gosier.
LADY MACBETH
Il ne faut pas penser ainsi à ces
sortes d'actions, on en deviendrait
fou.
ACT III, SCENE II
Acte III, Scène 2
LADY MACBETH
LADY MACBETH
Naught's had, all's spent,
Where our desire is got without content:
Tis safer to be that which we destroy,
Than, by destruction, dwell in doubtful joy.
On n'a rien gagné, et tout dépensé,
quand on a obtenu son désir sans être
plus heureux: il vaut mieux être celui
que nous détruisons, que de vivre par
sa destruction dans une joie troublée.
[Enter Macbeth.]
(Macbeth entre.)
—Qu'avez-vous, mon seigneur?
How now, my lord! why do you keep alone, pourquoi restez-vous seul, ne
Of sorriest fancies your companions making; cherchant pour compagnie que les
Using those thoughts which should indeed
images les plus funestes, toujours
have died
appliqué à des pensées qui, en vérité,
With them they think on? Things without all devraient être mortes avec ceux dont
remedy
elles vous occupent? On ne devrait
Should be without regard: what's done is
pas penser aux choses sans remède,
done.
ce qui est fait est fait.
28
ACT V SCENE I. Dunsinane. Ante-room in
the castle.
Acte V, Scène 1 A Dunsinane.—Un
appartement du château.
[Enter a Doctor of Physic and a WaitingGentlewoman.]
Entrent UN MÉDECIN ET UNE DAME
suivante de la reine.
DOCTOR.
LE MÉDECIN
I have two nights watched with you, but can
perceive no
truth in your report. When was it she last
walked?
Voilà deux nuits que je veille avec
vous, et rien ne m'a confirmé la vérité
de votre rapport. Quand lui est-il arrivé
la dernière fois de se promener ainsi?
GENTLEWOMAN.
LA DAME SUIVANTE
Since his majesty went into the field, I have
seen her
rise from her bed, throw her nightgown upon
her, unlock her
closet, take forth paper, fold it, write upon it,
read it,
afterwards seal it, and again return to bed;
yet all this
while in a most fast sleep.
C'est depuis que Sa Majesté est entrée
en campagne: je l'ai vue se lever de
son lit, jeter sur elle sa robe de nuit,
ouvrir son cabinet, prendre du papier,
le plier, écrire dessus, le lire, le
cacheter ensuite, puis retourner se
mettre au lit; et pendant tout ce tempslà demeurer dans le plus profond
sommeil.
DOCTOR.
LE MÉDECIN
A great perturbation in nature,—to receive at
once the
benefit of sleep, and do the effects of
watching— In this
slumbery agitation, besides her walking and
other actual
performances, what, at any time, have you
heard her say?
Il faut qu'il existe un grand désordre
dans les fonctions naturelles, pour
qu'on puisse à la fois jouir des bienfaits
du sommeil et agir comme si l'on était
éveillé. Dites-moi, dans cette agitation
endormie, outre sa promenade et les
autres actions dont vous parlez, que lui
avez-vous jamais entendu dire?
GENTLEWOMAN.
LA DAME SUIVANTE
That, sir, which I will not report after her.
Ce que je ne veux pas répéter après
elle, monsieur.
DOCTOR.
LE MÉDECIN
You may to me; and 'tis most meet you
should.
Vous pouvez me le dire à moi, et cela
est même très-nécessaire.
GENTLEWOMAN.
LA DAME SUIVANTE
Neither to you nor any one; having no
witness to confirm my
Ni à vous, ni à personne, puisque je
n'ai aucun témoin pour confirmer mon
29
récit.
speech. Lo you, here she comes!
n'ai aucun témoin pour confirmer mon
récit.
[Enter Lady Macbeth, with a taper.]
(Entre Lady Macbeth, avec un
flambeau.)
This is her very guise; and, upon my life, fast Tenez, la voilà qui vient absolument
asleep. Observe
comme à l'ordinaire; et, sur ma vie, elle
her; stand close.
est profondément endormie. Observezla; demeurez à l'écart.
DOCTOR.
LE MÉDECIN
How came she by that light?
Comment a-t-elle eu cette lumière?
GENTLEWOMAN.
LA DAME SUIVANTE
Why, it stood by her: she has light by her
continually; 'tis her
Ah! elle était près d'elle: elle a toujours
command.
de la lumière près d'elle; c'est son
ordre.
DOCTOR.
LE MÉDECIN
You see, her eyes are open.
Vous voyez que ses yeux sont ouverts.
GENTLEWOMAN.
LA DAME SUIVANTE
Ay, but their sense is shut.
Oui, mais ils sont fermés à toute
DOCTOR.
impression.
What is it she does now? Look how she rubs LE MÉDECIN
her hands.
Que fait-elle donc là? Voyez comme
GENTLEWOMAN.
elle se frotte les mains.
It is an accustomed action with her, to seem LA DAME SUIVANTE
thus washing her
hands: I have known her continue in this a
C'est un geste qui lui est ordinaire: elle
quarter of an hour.
a toujours l'air de se laver les mains; je
l'ai vue le faire sans relâche un quart
LADY MACBETH.
d'heure de suite.
Yet here's a spot.
LADY MACBETH
DOCTOR.
Il y a toujours une tache.
Hark, she speaks: I will set down what
comes from her, to
satisfy my remembrance the more strongly.
LE MÉDECIN
Écoutez; elle parle. Je veux écrire ce
qu'elle dira, afin d'en conserver plus
nettement le souvenir.
30
LADY MACBETH.
LADY MACBETH
Out, damned spot! out, I say!— One; two;
why, then 'tis
time to do't ;—Hell is murky!—Fie, my lord,
fie! a soldier,
and afeard? What need we fear who knows
it, when none can call
our power to account?—Yet who would
have thought the old man to
have had so much blood in him?
Va-t'en, maudite tache...; va-t'en, te
dis-je.—Une, deux heures.—Allons, il
est temps de le faire.—L'enfer est
sombre!—Fi! mon seigneur, fi! un
soldat avoir peur! Qu'avons-nous
besoin de nous inquiéter, qui le saura,
quand personne ne pourra demander
de comptes à notre puissance?—Mais
qui aurait cru que ce vieillard eut
encore tant de sang dans le corps?
DOCTOR.
Do you mark that?
LE MÉDECIN
Remarquez-vous cela?
LADY MACBETH.
LADY MACBETH
The Thane of Fife had a wife; where is she
now?—What,
will these hands ne'er be clean? No more o'
that, my lord, no
more o' that: you mar all with this starting.
Le thane de Fife avait une femme: où
est-elle maintenant?—Quoi! ces mains
ne seront-elles jamais propres?—Plus
de cela, mon seigneur, plus de cela:
vous gâtez tout par ces
tressaillements.
DOCTOR.
LE MÉDECIN
Go to, go to; you have known what you
should not.
GENTLEWOMAN.
Allez-vous-en, allez-vous-en; vous
avez appris ce que vous ne deviez pas
savoir.
She has spoke what she should not, I am
sure of that:
heaven knows what she has known.
LA DAME SUIVANTE
LADY MACBETH.
LADY MACBETH
Here's the smell of the blood still: all the
perfumes
of Arabia will not sweeten this little hand.
Oh, oh, oh!
Il y a toujours là une odeur de sang.
Tous les parfums de l'Arabie ne
peuvent purifier cette petite main!—Oh!
oh! oh!
DOCTOR.
LE MÉDECIN
What a sigh is there! The heart is sorely
charged.
Quel profond soupir! Le coeur est
cruellement chargé.
Elle a dit ce qu'elle ne devait pas dire,
j'en suis sûre. Dieu sait tout ce qu'elle
a su!
31
GENTLEWOMAN.
LA DAME SUIVANTE
I would not have such a heart in my bosom
for the
dignity of the whole body.
Je ne voudrais pas avoir un pareil
coeur dans mon sein, pour les
grandeurs de tout ce corps.
DOCTOR.
LE MÉDECIN
Well, well, well,—
Bien, bien, bien.
GENTLEWOMAN.
LA DAME SUIVANTE
Pray God it be, sir.
Je prie Dieu qu'il en soit ainsi, docteur.
DOCTOR.
LE MÉDECIN
This disease is beyond my practice: yet I
have known those
which have walked in their sleep who have
died holily in
their beds.
Cette maladie est au-dessus de mon
art: cependant j'ai connu des
personnes qui se promenaient durant
leur sommeil, et qui sont mortes
saintement dans leur lit.
LADY MACBETH.
LADY MACBETH
Wash your hands, put on your nightgown;
look not so
pale:—I tell you yet again, Banquo's buried;
he cannot come
out on's grave.
Lavez vos mains, mettez votre robe de
nuit, ne soyez pas si pâle. Je vous le
répète, Banquo est enterré, il ne peut
pas sortir de son tombeau.
LE MÉDECIN
DOCTOR.
Et cela encore?
Even so?
LADY MACBETH
LADY MACBETH.
To bed, to bed; there's knocking at the gate:
come, come, come,
come, give me your hand: what's done
cannot be undone: to bed, to
bed, to bed.
Au lit, au lit: on frappe à la porte;
venez, venez, venez, donnez-moi votre
main. Ce qui est fait ne peut se défaire.
Au lit, au lit, au lit!
(Elle sort.)
[Exit.]
LE MÉDECIN
DOCTOR.
Va-t-elle retourner à son lit?
Will she go now to bed?
LA DAME SUIVANTE
GENTLEWOMAN.
Tout droit.
32
Directly.
DOCTOR.
LE MÉDECIN
Foul whisperings are abroad: unnatural
deeds
Do breed unnatural troubles: infected minds
To their deaf pillows will discharge their
secrets.
More needs she the divine than the
physician.—
God, God, forgive us all!—Look after her;
Remove from her the means of all
annoyance,
And still keep eyes upon her:—so, goodnight:
My mind she has mated, and amaz'd my
sight:
I think, but dare not speak.
Il a été murmuré d'horribles
secrets.—Des actions contre nature
produisent des désordres contre
nature. Le sourd oreiller recevra les
confidences des consciences
souillées.—Elle a plus besoin d'un
prêtre que d'un médecin. Dieu! Dieu!
pardonne-nous à tous.—Suivez-la;
écartez d'elle tout ce qui pourrait la
déranger, et ayez toujours les yeux sur
elle; bonne nuit, donc. Elle a rendu
mon esprit perplexe et étonné mon
regard. Je pense, mais je n'ose parler.
GENTLEWOMAN.
LA DAME SUIVANTE
Good-night, good doctor.
Bonne nuit, cher docteur.
[Exeunt.]
(Ils sortent.)
Lady Macbeth en somnambule,
tableau de Henry Fuseli (Johann Heinrich Füseli) 1741-1825
33
NIVEAU AVANCE
Les passages suivants sont extraits du dossier pédagogique d’Alain Perroux
sur Lady Macbeth de Mzensk (GTG, 2001)
Le livret de Lady Macbeth de Mzensk et la nouvelle de Nikolaï
Leskov
C’est en 1930, à une époque de sa vie où il entretient une liaison passionnelle avec
Nina Varzar, sa future femme, que Chostakovitch commence à composer un opéra
d’après Lady Macbeth au village, nouvelle de Nicolaï Leskov publiée en 1864. A
l’origine, il devait s’agir du premier volet d’une trilogie, voire d’une tétralogie, dédiée à
différentes figures féminines de la Russie (ce projet restera inabouti).
Pourquoi Chostakovitch a-t-il choisi la nouvelle de Leskov, intense et violente ? Sans
doute parce que le personnage principal prend son destin en main et incarne ainsi la
liberté. Lui même s’en est expliqué officiellement, dans le programme du Théâtre
Nemirovitch-Dantchenko, lors de la création de l’ouvrage à Moscou en janvier 1934.
Laissons-lui la parole :
Pourquoi ai-je précisément choisi ce sujet pour écrire un opéra ?
D’abord parce que l’héritage classique de la littérature russe n’a encore été que fort
peu utilisé dans le développement de l’opéra soviétique ; mais avant tout parce que
la nouvelle de Leskov a un contenu dramatique et social d’une richesse inouïe. Peutêtre n’y a-t-il dans la littérature russe aucune oeuvre qui caractérise de manière aussi
expressive la condition de la femme dans la Russie pré-révolutionnaire.
Je traite Lady Macbeth du district de Mzensk sur un plan différent de celui de Leskov.
Comme le montre le titre même de la nouvelle, l’auteur adopte un point de vue
ironique pour décrire les événements. Le titre renvoie à un territoire insignifiant – un
petit district – où les héros se présentent comme des personnages minables avec
des passions et des intérêts plus médiocres que ceux des héros shakespeariens.
Cependant Leskov, en tant que brillant représentant de la littérature prérévolutionnaire, ne pouvait interpréter correctement les événements qui se déroulent
dans sa nouvelle.
C’est pourquoi mon rôle, en tant que compositeur soviétique, consistait en ceci que
je devais, tout en sauvegardant la force du récit de Leskov, le traiter d’un oeil critique
et expliquer les événements qui s’y déroulent de notre point de vue soviétique.
Aussi le sujet lui-même a-t-il été quelque peu modifié. Souvenons-nous du récit de
Leskov : Katerine Ismaïlova – son héroïne – commet trois meurtres avant son départ
pour le bagne (elle tue son beau-père, son mari et un neveu en bas âge). Sachant
que je m’étais donné pour tâche de justifier, par tous les moyens, Katerina Lvovna
afin que l’auditeur et le spectateur éprouvent pour elle de la sympathie et la
considèrent comme un personnage positif, j’ai laissé tomber le meurtre du neveu
qu’elle commet par cupidité – pour recevoir l’héritage laissé après la mort de son
mari. Je m’efforce de traiter Katerina Lvovna comme un personnage positif, digne de
34
la sympathie du spectateur. Il n’est pas facile d’éveiller cette sympathie : Katerina
Lvovna accomplit une série d’actions incompatibles avec la moral et l’éthique. C’est
ici que je m’écarte fondamentalement de Leskov. Celui-ci décrit Katerina Lvovna
comme une femme très cruelle : prise d’une « folie de riche désoeuvrée », elle va
jusqu’à assassiner des personnes que Leskov considère comme innocentes. Pour
ma part, j’aimerais expliquer ces événements de la façon suivante : Katerina Lvovna
est une femme intelligente, talentueuse et intéressante ; mais suite aux conditions
pénibles, cauchemardesques dans lesquelles elle doit vivre, suite à son
enfermement dans un milieu marchand cruel, avide et mesquin, sa vie devient triste,
inintéressante, morne. Elle n’aime pas son mari : elle n’a pas la moindre joie ni la
moindre consolation. Or voici qu’apparaît Sergueï, le commis que Zinovi
Borissovitch, son mari, a engagé à son service. Et la voici qui s’éprend de ce commis
– personnage indigne et négatif, et c’est dans cet amour qu’elle trouve la joie et le
but de son existence. Elle commet une série de crimes pour s’attacher Sergueï, pour
en faire son mari. Lorsque Boris Timofeïevitch – son beau-père – surprend Sergueï
au sortir de sa chambre et ordonne sa flagellation, Katerina Lvovna éprouve le désir
de se venger du tourment amoureux que son beau-père lui a infligé et elle
l’empoisonne. Puis le jour où Sergueï lui dit qu’il ne veut pas rester son amant secret,
mais qu’il rêve de devenir son époux, Katerina Lvovna lui répond qu’il en sera ainsi.
Et lorsque Zinovi Borissovitch rentre chez lui au terme d’un long voyage, elle
l’étrangle avec l’aide de Sergueï, pour que rien ne fasse plus obstacle à son
bonheur.
Je pourrais m’étendre longtemps sur la façon dont je justifie toutes ces actions, mais
cela n’en vaut pas la peine : le matériel musical les jusitifie bien mieux, car dans un
opéra, je considère que la musique joue le rôle principal, conducteur, décisif.
Ivre d’amour, Katerina Lvovna se sacrifie tout entière à Sergueï. En dehors de son
amour pour lui, rien n’existe plus pour elle. Lorsqu’après la découverte du crime, elle
est envoyée au bagne en même temps que Sergueï, elle doit se rendre à l’évidence :
Sergueï s’est détaché d’elle et s’est épris de Sonietka, une bagnarde. Après avoir
connu les affres du désespoir, elle pousse Sonietka dans la rivière et s’y jette ellemême, car la vie sans l’amour de Sergueï a perdu son attrait et son intérêt.
(Traduction : Evelyne Sznycer)
35
L’article de la Pravda
Le lendemain du jour où Staline assista à une représentation de Lady Macbeth de
Mzensk, un article au ton violent et accusateur paraissait dans la Pravda. Cet article
devait rester comme une pierre angulaire dans la carrière de Chostakovitch.
Désormais, le compositeur allait passer son temps à redouter d’éventuelles
rétorsions (...) à balancer entre la réhabilitation et la mise au ban par le pouvoir
durant toute sa vie. Voici, in extenso, ce fameux article, qui dénote le durcissement
de la politique stalinienne au début des années 30.
Le chaos remplace la musique
Article anonyme paru dans la Pravda du 28 janvier 1936
Avec le développement culturel de notre pays s’affirme aussi le besoin d’une
musique de qualité. Jamais et nulle part les compositeurs n’ont eu affaire à un public
aussi réceptif. Les masses populaires veulent entendre de bonnes chansons, mais
aussi de bonnes compositions instrumentales, de bons opéras.
Ils sont quelques théâtres à présenter comme une nouveauté, comme une réussite,
l’opéra de Chostakovitch Lady Macbeth de Mzensk à ce public soviétique, qui est à
la fois neuf et culturellement avancé. Une critique musicale complaisante porte aux
nues et glorifie bruyamment cette oeuvre. Le jeune compositeur n’entend que
compliments enthousiastes là où une critique sérieuse et professionnelle pourrait
l’assister en vue de son travail futur.
L’auditeur de cet opéra se trouve d’emblée étourdi par un flot de sons
intentionnellement discordants et confus. Un lambeau de mélodie, une ébauche de
phrase musicale, se noie dans la masse, s’échappent, se perdent à nouveau dans le
tintamarre, les grincements, les glapissements. Il est difficile de suivre cette
« musique » ; il est impossible de la mémoriser.
Il en est ainsi pendant presque tout l'opéra. Sur scène, le chant est supplanté par les
cris. Si le compositeur se trouve soudain sur la voie d'une mélodie simple et
compréhensible, il s'empresse, comme effrayé d'un tel accident, de repartir dans le
dédale de ce chaos musical qui par moments touche à la cacophonie. L'expressivité
que chercherait l'auditeur est remplacée par un rythme infernal. C'est le bruit musical
qui est appelé à exprimer la passion.
Tout cela, il ne faut pas l'imputer au manque de talent du compositeur, à son
incapacité à dire en musique les sentiments simples et forts. Cette musique est mise
intentionnellement sens dessus dessous afin que rien n'y vienne rappeler la musique
d'opéra classique, les sonorités symphoniques, le discours musical simple et
accessible à tous. Cette musique se fonde pour l'opéra sur le principe même de
négation que l'art des gauchistes pour le théâtre quand ils nient la simplicité, le
réalisme, les personnages accessibles, les mots aux sonorités naturelles. Il s'agit,
dans le domaine de l'opéra, de la musique, d'un transfert et d'une amplification des
caractéristiques les plus négatives des "meyerholdiens". Il s'agit d'un chaos
gauchiste remplaçant une musique naturelle, humaine. La faculté qu'à la bonne
musique de captiver les masses est sacrifiée sur l'autel des vains labeurs petit36
bourgeois, où l'on fait l'original en pensant créer l'originalité, où l'on joue à
l'hermétisme – un jeu qui peut fort mal finir.
Le danger d'une telle orientation pour la musique soviétique est patent. La
déformation gauchiste dans la peinture, la poésie, la pédagogie, la science. L'"esprit
d'innovation" petit-bourgeois mène à une cassure dans l'art véritable, la littérature
véritable.
L'auteur de Lady Macbeth de Mzensk a emprunté au jazz sa musique nerveuse,
fébrile, spasmodique, pour conférer la "passion" à ses héros.
Tandis que notre critique, notamment musicale, met en exergue le réalisme
socialiste, l'oeuvre de Chostakovitch nous montre sur scène le naturalisme le plus
grossier. Tant les marchands que le peuple sont présentés sous un jour
uniformément bestial. La marchande rapace qui s'approprie le pouvoir et les biens
par le meurtre est représentée comme une sorte de "victime" de la société
bourgeoise. L'histoire de moeurs de Leskov se trouve affublée d'un sens qui lui est
étranger. Et tout cela est grossier, primitif, vulgaire. La musique glousse, vrombit,
halète, souffle, pour représenter les scènes d'amour. Et l'oeuvre est toute barbouillée
d'"amour" sous sa forme la plus vulgaire. Le lit à deux places du riche marchand
occupe une place centrale dans la réalisation; c'est là que se résolvent tous les
"problèmes". Le même style bassement naturaliste est employé pour la scène de
mort par empoisonnement, pour la scène du fouet qui se déroule pratiquement sous
nos yeux.
Le compositeur ne s'est manifestement pas fixé pour tâche de donner ce que le
public soviétique attend et recherche dans la musique. Il a fait comme exprès une
musique à clefs en mélangeant toutes les sonorités pour que sa musique ne puisse
atteindre que les esthètes-formalistes au goût malsain. Il est passé à côté de ce
qu'exige la musique soviétique. Certains critiques nomment "satire" cette célébration
de la lubricité d'une riche marchande. Mais il ne peut être question de satire ici. C'est
par tous les moyens d'une expressivité musicale et dramatique que l'auteur cherche
à gagner le public aux aspirations et aux actes grossiers et vulgaires de la riche
Katerina Ismaïlova.
Ce Lady Macbeth est apprécié des publics bourgeois à l'étranger. Si le public
bourgeois l'applaudit, n'est-ce pas parce que cet opéra est absolument apolitique et
confus? Parce qu'il flatte les goûts dénaturés des bourgeois par sa musique criarde,
contorsionnée, neurasthénique? Nos théâtres ont beaucoup fait pour réaliser
soigneusement l'opéra de Chostakovitch. Les acteurs ont déployé bien du talent pour
surmonter les bruits, les cris, les grincements de l'orchestre. Par la richesse de leur
jeu, ils ont tenté de compenser l'indigence mélodique de l'oeuvre. Malheureusement
celle-ci n'en dévoile que mieux ses traits grossièrement naturalistes. Le talent des
artistes mérite reconnaissance, et les efforts déployés, la commisération.
(Traduction: Hélène Trottier)
37
Extraits de la nouvelle de Nikolaï Leskov Lady Macbeth au village
(1864)
Katerina Lvona elle aussi aurait bien voulu avoir un enfant. L’ennui qui régnait dans
la maison silencieuse, entourée d’une haute palissade et gardée par des chiens
féroces, plongeait la jeune femme dans une sorte d’angoisse, elle en devenait
souvent presque hébétée, et Dieu sait combien elle eut été heureuse d’avoir à
s’occuper d’un petit enfant ! D’autre part, elle en avait assez des reproches
continuels qu’on lui faisait à ce sujet : « Qu’avais-tu besoin de l’épouser, pourquoi astu fait son malheur, femme stérile ? ». Comme si vraiment elle avait commis un
crime, comme si elle était coupable vis-à-vis de son mari, de son beau-père, de toute
leur honorable famille de marchands.
Malgré le bien-être qui l’entourait et la fortune de son mari, Katerina Lvovna menait
donc une existence très monotone dans la maison de son beau-père. On ne sortait
que rarement ; et du reste, quand elle allait en visite avec son mari, ce n’était pas gai
non plus. Tous ces marchands étaient des gens sévères ; on épiait chacun de ses
gestes : comment elle entrait, comment elle s’asseyait, comment elle se levait. Or
Katerina Lvovna était très vive. Jeune fille et pauvre, elle avait été habituée à une vie
simple et libre : avec quel plaisir elle aurait couru avec des seaux à la rivière !
Comme il eût été amusant de se baigner en chemise sous le ponton, de lancer à la
tête de quelque gars une poignée de graines de tournesol ! Il ne s’agissait plus de ça
maintenant. Les deux hommes se levaient tôt : à six heures, ils buvaient le thé et
partaient pour leurs affaires ; elle errait alors à travers les chambres. Tout est propre,
vide et silencieux. Les veilleuses brûlent devant les icônes. Nul bruit, nulle voix
humaine ne résonne dans la maison déserte.
«…»
« Oh! Oh ! lâche-moi ! » gémit doucement Katerina Lvovna, faiblissant sous les
baisers ardents du beau gras et se serrant involontairement contre son corps
puissant.
Sergueï souleva sa patronne comme un enfant et l’emporta dans le coin obscur de la
pièce.
On ne s’entendit plus dans le silence que le tic-tac de la montre de Zinovi Borissitch,
qui pendait au chevet du lit conjugal ; mais son battement régulier ne gêna pas les
amants.
«…»
Le soir même, après avoir mangé à souper des champignons et du gruau, le vieux se
sentit mal : il ne cessa de vomir toute la nuit, et, au petit jour, il mourut comme
mouraient les rats de ses magasins après avoir mangé de la pâtée que leur préparait
Katerina Lvovna en y mêlant une certaine poudre blanche dont elle avait la garde.
La jeune femme fit sortir Sergueï de la cave et l’installa dans le lit conjugal.Pour qu’il
s’y rétablît de la correction reçue. Quant au beau-père, il fut enterré chrétiennement.
Chose étrange :personne n’eut aucun soupçon. Du reste, Boris Timoféitch était mort
après avoir mangé des champignons, et le cas, comme on le sait, se présenta assez
souvent.
«…»
38
Sergueï s’assit à cheval sur Zinovi Borissitch dont il serra les bras sous ses genoux ;
voulant le prendre à la gorge, il glissa ses mains sous celles de la jeune femme, mais
poussa au même instant un cri aigu : à la vue de son ennemi, Zinovi Borissitch,
réunissant dans un élan de rage ses dernières forces, dégagea brusquement ses
mains, empoigna Sergueï par les cheveux et, tel une bête féroce, lui enfonça ses
dents dans la gorge. Mais aussitôt après il retombait en arrière avec un long
gémissement.
Toute pâle, Katerina Lvovna était debout au-dessus des deux hommes ; elle tenait à
la main un lourd chandelier de cuivre le pied en bas; un mince ruban de sang
s’écoulait de la tempe de Zinovi Borrissitch.
« Un prêtre… », gémit-il en rejetant avec horreur sa tête aussi loin que possible de
Sergueï, toujours à cheval sur lui. « Je veux me confesser… », reprit-il d’une voix
sourde. Il tremblait convulsivement et ses yeux cherchaient à distinguer la coulée de
sang tiède qui se coagulait déjà sur sa barbe.
« Tu t’en passeras », répondit Katerina Lvona. « Assez de cérémonies, finissons-en,
dit-elle à Sergueï. Serre-lui la gorge. »
«…»
«Allons, Fedia, obéis-moi… dors…il est temps.
-Mais non, petite tante, je n’ai pas sommeil du tout…
-Allons, fais ce que je te dis », insista Katerina Lvovna d’une voix mal assurée ; elle
prit l’enfant sous le bras et l’obligea à s’étendre.
Fedia jeta un cri perçant : il venait d’apercevoir Sergueï qui entrait, pâle, les pieds
nus. Katerina Lvovna appuya sa main sur la bouche large ouverte de la petite victime
terrifiée et cria :
« Fais vite! Tiens le bien ! »
Sergueï saisit les pieds et les mains de Fedia et Katerina Lvovna recouvrit le visage
enfantin d’un gros oreiller sur lequel elle se laissa tomber de tout son poids.
Durant quelques minutes ce fut dans la chambre un silence de mort.
«…»
Katerina Lvovna tremblait ; son regard farouche ne pouvait se détacher de l’eau
tourbillonnante. Une ou deux fois elle tendit les bras comme pour appeler on ne sait
qui… Elle chancela, puis tout à coup, sans détacher ses yeux de l’eau, elle fit un pas,
saisit Sonietka par les jambes et se précipita avec elle par-dessus bord.
La stupeur immobilisa tout le monde. Katerina Lvovna surgit au haut d’une vague et
disparut ; une autre vague ramena à la surface Sonietka.
« Une perche ! Une perche ! Tendez-lui une perche ! » criait-on sur le bac.
Attachée à une longue corde, la perche lancée aussi loin que possible tomba
lourdement sur l’eau ; mais Sonietka avait disparu. Deux secondes plus tard on la vit
déjà loin élever ses deux bras hors d’une lame. Mais au même instant Katerina
Lvona surgit et se dressant presque jusqu’à mi-corps au-dessus de l’eau, elle se jeta
sur sa victime, tel un brochet sur une truite. On ne les revit plus.
(Traduction: Boris de Schloezer)
39
ACTIVITES
Chostakovitch entre vérité et propagande
Relisez attentivement le texte de Chostakovitch et l'article de la Pravda (écrit environ
deux ans après). Dans la présentation de son opéra, Chostakovitch semble utiliser
deux discours différents, à deux fins différentes: l'une est effectivement une
explication de la démarche artistique qu'il a choisie pour son opéra, l'autre emploie
un vocabulaire "politiquement correct", dans le but de convaincre ses lecteurs hautplacés dans l'administration culturelle soviétique que son oeuvre est conforme aux
normes esthétiques du réalisme socialiste.
Essayez, à l'aide de deux marqueurs fluo de couleurs différentes, de surligner les
deux discours dans le texte. Quelle est la part entre le discours convenu et ce qui
vous semble sincère? Est-ce qu'il vous semble que Chostakovitch anticipe déjà en
1934 les problèmes que le gouvernement soviétique lui causera en 1936? Quelles
stratégies utilise-t-il pour désamorcer ce genre de critique?
Un opéra idéal pour Joseph Staline
Relisez attentivement l'article de la Pravda et tous ses reproches à l'encontre de
Dimitri Chostakovitch et de son opéra. Sur la base des extraits de la nouvelle de
Nikolaï Leskov, et des exigences idéologiques signalées dans l'article de la Pravda,
rédigez un court synopsis (résumé dramatique) d'une nouvelle version de Lady
Macbeth de Mzensk qui serait susceptible de plaire à Joseph Staline. N'hésitez
pas à rajouter des éléments à l'intrigue s'ils vous semblent contribuer à rendre votre
pièce encore plus idéologiquement correcte.
Vous pouvez aussi imaginer de réécrire l'argument de Lady Macbeth pour que
l'oeuvre se conforme aux exigences idéologiques d'autres personnages de la société
ou de la politique, par exemple:
-
Le Lady Macbeth idéal pour Christoph Blocher
Le Lady Macbeth idéal pour George W. Bush
Le Lady Macbeth idéal pour Oussama Ben Laden
Le Lady Macbeth idéal pour Hilary Clinton/Micheline Calmy-Rey
Le Lady Macbeth idéal pour 50 Cent ou Snoop Doggy Dogg
Le Lady Macbeth idéal pour Benoît XVI
Etc.
40
Quatre aspects de l'orchestre dans Lady Macbeth de Mzensk
Les passages suivants sont extraits du dossier pédagogique d’Alain Perroux
sur Lady Macbeth de Mzensk (GTG, 2001)
Contrairement aux oeuvres de Schoenberg et de ses disciples qui tentèrent d'unifier
la matière musicale grâce à un système nouveau (le dodécaphonisme sériel),
Chostakovitch travaille sur l'éclatement stylistique. Cela lui sera d'ailleurs la source
de nombreuses critiques, qui lui reprochent de coller ensemble des citations
musicales, sans dépasser le pastiche et naviguant dangereusement près du plagiat.
Il serait toutefois erroné de penser que le tissu musical de Lady Macbeth n'est fait
que de bric et de broc. Pour assurer la cohérence de l'ensemble, Chostakovitch a
recours à certains éléments formels qui servent de "liant" entre les matériaux
hétérogènes.
1. L'ostinato rythmique
Tout au cours de l'opéra, on entend l'orcheste souligner le déroulement de l'action
par des figures rythmiques obstinées – ce que l'on appelle ostinato. Sous sa forme
la plus simple, il s'agit d'une pulsation régulière qui, juste avant le retour inopiné de
Zinovi, semble figurer les battements de coeur angoissés de Katerina.
Battements de coeur de Katerina
 CD piste 11
En d’autres occurences, la pulsation répétitive s’apparente à une marche qui peut
être étouffée et lourde au moment où les deux amants transportent le cadavre de
Zinovi à la cave...
Le cadavre de Zinovi
 CD piste 12
... ou, au contraire, décidée et claironnante comme une marche militaire, au moment
où les policiers de rapprochent du mariage :
Approche des policiers
 CD piste 13
2. Rythme de polka/valse
Il arrive aussi qu’une courte cellule rythmique soit traitée en ostinato. C’est le cas des
danses (valse, tango, rumba, etc.). Or, plusieurs danses viennent régulièrement
s’immiscer dans la partition de Lady Macbeth.
Par exemple, le rythme de polka, caractérisé par sa précision énergique.
Chostakovitch l’introduit à chaque moment où il veut ridiculiser la fatuité masculine.
Ainsi Sergueï, sorte de Don Juan de province, est présenté dans le premier tableau
sur un rythme de polka :
41
Présentation de Sergueï
 CD piste 14
Poussant l’ironie le plus loin possible, Chostakovitch affuble Zinovi d’un rythme de
polka lorsqu’il fait irruption à l’improviste dans la chambre de sa femme, et qu’il se
donne des airs de mari outragé. L’orchestration rehausse l’ironie en ajoutant des
scintillements de célesta à ce passage en toc :
Irrruption de Zinovi
 CD piste 15
3. Interludes symphoniques
Pour lier les tableaux les uns aux autres et permettre les changements de décor
nécessaires, Chostakovitch a composé de très beaux interludes, comme Berg dans
W o z z e c k ou Britten dans Peter Grimes. Il peut ainsi développer la
dimension « symphonique » de son opéra qu’il revendiquait.
Voici le plus impressionnant d’entre eux, celui qui relie le quatrième et le cinquième
tableaux, et qui se situe juste après la mort de Boris. Pont névralgique de l’oeuvre,
point de non-retour qui verra l’héroïne s’enfoncer dans le crime, cet interlude situé au
coeur de la partition adopte le moule formel de la « passacaille ». Cette forme
ancienne, qui remonte à la Renaissance et a beaucoup été utilisée pendant la
période baroque, est bâtie sur le retour obstiné d’une phrase de la basse. La
phrase que Chostakovitch a composée en l’occurence se caractérise par sa gravité
tortueuse (impression donnée notamment par ses contours « chromatiques »). (...)
L’interlude est construit comme un gigantesque crescendo qui culmine sur un
quintuple forte de tout l’orchestre, avant de retomber pour introduire le cinquième
tableau.
 CD piste 16
4. La "pornophonie"
Pour terminer, comment ne pas évoquer les passages où « la musique glousse,
vrombit, halète, souffle, afin de représenter avec réalisme les scènes d’amour »,
pour reprendre les termes de la Pravda ?
Dans le deuxième tableau, lorsque Serguei se joint aux autres ouvriers et malmène
Aksinia, le paroxysme de violence est atteint après une montée chromatique de la
voix et de l’orchestre, suivie de criaillements obstinés dont la signification sexuelle, à
l’oreille, ne fait pas de doute. Ce court passage se termine par un glissando du
trombone vers le grave quand Katerina interrompt ce viol collectif :
Viol d'Aksinia
 CD piste 17
La fameuse scène d’amour, où Sergueï et Katerina copulent à rideau ouvert, reprend
ces caractéristiques musicales. Alors que les nuances ont gonflé et que le rythme
s’est accéléré, l’échange verbal des deux jeunes gens s’achève sur une montée
42
chromatique de tout l’orchestre doublant la voix de Sergueï. Puis le passage
orchestral, violent et très rythmé, comprend de très suggestifs glissandi des
trombones vers l’aigu, qui sont conclus, après un point culminant orgasmique, par
des glissandi vers le grave dont la signification post coitum, là encore, n’échappe à
personne. On comprend pourquoi ce trait orchestral a pu choquer : jamais,
jusqu’alors, un compositeur n’avait osé figurer musicalement, avec une telle
« précision » un coït sauvage, osant même une vulgarité triomphante.
Scène d'amour Serguei-Katerina
 CD piste 18
Sergueï, Katerina et le fantôme de Boris
Lady Macbeth de Mzensk, acte 2, cinquième tableau
Production du Grand Théâtre (2001)
43
ANNEXES
CD d’accompagnement : liste du contenu
LES VOIX
1. KATERINA
2. BORIS
3. ZINOVI
4. SERGUEÏ
5. AKSINIA
6. LE BALOURD MITEUX
7. LE POPE
8. SONIETKA
9. CHOEURS I : LES OUVRIERS
10. CHOEURS II : LES BAGNARDS
L’ORCHESTRE
Ostinato rythmique
11. Battements de coeur de Katerina
12. Le cadavre de Zinovi
13. Approche des policiers
Rythme de polka/valse
14. Présentation de Sergueï
15. Irrruption de Zinovi
Interludes symphoniques
16. Entre le 4e et le 5e tableau
La "pornophonie"
17. Viol d'Aksinia
18. Scène d'amour Serguei-Katerina
Tous les extraits de Lady Macbeth de Mzensk utilisés dans les exemples sont tirés
de la version dirigée par Mstislav Rostropovitch avec Galina Vichnievskaya
(Katerina), Nicolaï Gedda (Sergueï) et Dimiter Petkov (Boris), Ambrosian Opera
Singers, London Philharmonic Orchestra.
EMI, 2 CD (1979)
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Transcription de textes russes du livret et traduction française
CD PISTE 1
KATIERINA
KATERINA
Ladno, lojous.
Bon,bon, je vais me coucher.
(Boris oukhodit. Katiérina razdièvaiètsia)
(Boris sort. Katerina se déshabille.)
Jèriébionnok k kobylkiè toropitsia,
Kotik prositsia k kochètchkiè,
A goloub k goloubkiè striémitsia,
I tolko ko mniè nikto niè spièchit.
Biériozkou vièter laskaièt
I tiéplom svoim grièièt solnychko.
Vsièm tchto-niboud oulybaiètsia,
Tolko ko mniè nikto niè pridiot,
Nikto stan moï roukoï niè obnimièt,
Le poulain va vite rejoindre la jument,
Le chat fait la cour à la chatte,
Le pigeon entreprend sa pigeonne,
Tous se pressent, mais vers moi, personne.
Le beau bouleau, le vent le caresse
Et le soleil le réchauffe de ses rayons.
Pour tous, il y a un sourire quelque part.
Pour tous,sauf pour moi.
Personne ne m’enlacera la taille,
Nikto moiou bièlouiou groud niè pogladit,
Nikto strasnoï laskoï miéna niè istomit.
Prokhodiat moi dni biézradostnyiè,
Promiélkniot moia jizn biéz oulybki.
Nikto, nikto ko mniè niè pridiot,
Nikto ko mniè niè pridiot.
Personne ne caressera ma blanche poitrine,
Personne ne m’épuisera de son désir passionné.
Pour moi les jours se suivent sans joie,
Ma vie se sera enfuie sans un sourire.
Personne ne vient à moi, personne.
Personne ne vient à moi…
CD PISTE 2
BORIS
BORIS
Byl molod – toje niè spal,
Quand j’étais jeune, je ne dormais pas non plus.
No po drougoï prichinyiè
Mais pour une autre raison !
Pod oknami ou tchoujikh jon pokhajival,
J’allais sous les fenêtres des femmes des autres,
Pyesni pyel, vral, chto v golovou pridiot
Je chantais des chansons, je leur racontais
A inogda i v okna zabriaisa
n’importe quoi,
Khorosho projyi jizn,
Et parfois même, je grimpais aux fenêtres ;
Iechtcho biy ya.
J’ai passé du bon temps,
Zinovii niè menï,
On peut le dire !
Daje jenou, ouvajit niè mojet,
Zinovi ne tient pas de moi :
Mniè biy yevo goda,
Il ne peut pas contenter sa femme,
Vot biy ya,
Si j’avais son âge,
Ekh !
Voilà comment je serais,
Ya b’yeyo
Eh ! Je la... Eh, eh, eh...
He, he, he...
(Obrachtchaièt vnimaniiè na svièt v komnatiè (Il remarque la lumière qui brille à la fenêtre de
Katiériny)
Katerina.)
Svièt v okniè,
La lumière à sa fenêtre,
Niè spitsia ieï, navièrno.
Ça veut dire qu’elle ne dort pas, sans doute.
Isvièstno, jenchtchina molodaia :
Pas étonnant, elle est jeune :
Krov, znatchit, igraiet,
Normal qu’elle ait le sang chaud,
A outièchatsia niè s kiem.
Et elle n’a pas de quoi se calmer.
Ekh !
Eh, là, là !
Boud ia pomolojè,
Si j’étais plus jeune,
Khot lièt na diésiatok...
D’une dizaine d’années, par exemple…
Togda, togda !...
Eh bien alors, alors !…
Jarko bylo b ièï ot miènia,
Je lui ferai chaud au corps ;
Jarko, jarko, ièï-bogou, jarko !
Oh, que je lui ferais chaud, très chaud !
Ona sama dovolna boudièt...
Qu’est-ce qu’elle serait contente…
Takaia zdorovaia,
Une sacrée belle femme,
A moujika, a moujika nièt i niet...
Mais sans homme toujours sans homme,
Nièt moujika...
Sans homme,sans homme ,
45
Bièz moujika, skoutchno babiè,
Poidou k nièï, postoi.
Une femme sans homme, ça s’ennuie.
Tiens, je vais aller la voir.
CD PISTE 3
ZINOVI
Katierina !
KATIERINA
Kto tam ?
ZINOVI
Otvoryay !
KATIERINA
Niè razberou...
Kto tam
ZINOVI
Ya...
KATIERINA
Kto ?
ZINOVI
Ya, rajzve niè slychich ?
KATERINA
Niè razberou
ZINOVI
Nu ya, Zinovii Borisovitch.
Kak jivyotè, mojetè ?
KATERINA
Po teatram niè khodim,
Po balam toje samoe.
ZINOVI
Tak znatchit doma vsio sidyéli ?
KATIERINA
Doma
ZINOVI
Tak ! Khorosho, nou ladno,
Kak je papenka-to oumer ?
KATIERINA
Tak oumer, i pokhoronili s tchest’you
ZINOVI
A potchemou postyel’
Na dvoikh prigotovlena ?
KATIERINA
Vas vyo dojidalas.
ZINOVI
I na tom spasibo.
A eto tchto za predmyet ?
KATIERINA
Gdyé ?
ZINOVI
Tut ! Skol’ko mnyé izvyéstno,
Eto mujskoy poyasok.
KATIERINA
V sadu nashla
I yubku im povyzala.
ZINOVI
My koe-tchto slykhali
O vashikh yubkakh
KATIERINA
Tchto je vy slykhali ?
ZINOVI
Slykhali my ob amourakh vashikh mnogo...
KATIERINA
ZINOVY
Katerina !
KATERINA
Qui est là ?
ZINOVY
Ouvre !
KATERINA
Je ne comprends pas... Qui est là ?
ZINOVY
Moi !
KATERINA
Qui ?
ZINOVY
Moi, vraiment tu n’entends pas ?
KATERINA
Je ne comprends pas
ZINOVY
C’est moi, Zinovy Borissovitch
(Elle lui ouvre la porte)
Et comment va la vie pour vous ?
KATERINA
Je n’ai pas été au théâtre,
Je n’ai pas été non plus au bal danser...
ZINOVY (remarque le pantalon de Serguei)
Ce qui veut dire que vous êtes restée tout le
temps à la maison ?
KATERINA
C’est cela.
ZINOVY
Bon, très bien, d’accord,
Mais comment mon père est-il mort ?
KATERINA
Il est mort, c’est tout, et on l’a enterré avec
respect.
ZINOVY
Et pourquoi le lit est-il préparé pour deux ?
KATERINA
Je vous attendais tout le temps
ZINOVY
Merci pour cela (remarque la ceinture de Sergueï)
Et ce truc-là c’est quoi ?
KATERINA
Je l’ai trouvée dans le jardin
et j’ai attaché ma jupe avec.
ZINOVY
Nous avons entendu dire des choses
Au sujet de vos jupes.
KATERINA
Et qu’avez-vous entendu dire ?
ZINOVY
Nous avons beaucoup entendu parler de vos
amours...
KATERINA
Et qu’est-ce qu’on vous a dit ?
ZINOVY
Tout, absolument tout,
46
Tchto slykhali ?
ZINOVI
Vsio slykhali, vsio, vsio, vsio !
KATIERINA
Ia niè lioubliou, kogda so mnoï
Govoriat nakhalno.
Obiasnitiè mniè vy,
O kakikh takikh amourakh govoritiè ?
Vy nitchièvo niè znaiètiè sovisièm,
A ia vsio znainou.
Niè pozvoliou govorit so mnoï
O moikh amourakh vam i protchim,
Niè vam miénia soudit,
Niè lièz, protivny, jalki ;
Dajè niè mogou skazat, tchto mouj,
A prosto pièn, brièvno,
Khily, slaby, kak ryba kholodny.
Ty protivièn mniè.
Akh ty, jalki kouptchik !
Tout, tout,tout !
ZINOVI
Smotri, Katiérina,
Bolno ty riètchisto stala.
Govorich, kak pichèch :
Tchto takoïè ?
Potchièmou takiè naglyiè zamachki ou tiébia ?
Nièdarom govoriat,
Tchto izmièlna ty mniè.
Pogoditiè, Katiérina,
Vsio ouznaiou i nakajou tiébia
Ia jestoko, bolno, bolno
Bolno vysiékou tiébia.
Ia mouj tvoï piériéd bogom i tsariom.
Ia otviètchaiou za tchiést siémi.
Skaji mniè pravdou !
ZINOVY
Dis-moi, Katerina,
Tu es devenue bien éloquente.
Tu parles comme un livre.
Qu’est-ce que ça veut dire ?
Qu’est-ce que c’est que ces allures,
Cette insolence ?
Ça doit être vrai, ce qu’on dit,
Que tu me trompes,
Attendez Katerina, je finirai par savoir,
Quand je saurai, je te punirai et je serai méchant,
Et ça fera mal, très mal, très mal, très mal,
Je te battrai jusqu’au sang.
Je suis ton mari devant Dieu et le tsar.
Je dois répondre de l’honneur de ma famille.
Dis-moi la vérité.
KATIERINA
Diya tchevo ?
ZINOVI
Skaji mniè pravdou !
KATIERINA
Nye khotchou i govorit’ ya.
Vsio ravno vyed’jalki kouptchik,
Nitchévo ty niè poïmyosh
ZINOVI
Nou-ka, nou-ka, poluchi !
KATIERINA
Ay ! Ay ! Sergeï, Sergeï !
KATERINA
A quoi bon ?
ZINOVY
Dis-moi la vérité !
KATERINA
Je ne veux plus te parler,
Après tout tu n’es qu’un minable petit marchand,
Tu ne comprendras jamais rien ! (il la bat avec la
ceinture)
ZINOVY
Tiens, prends ça !
KATERINA
Aïe, aïe, Sergueï !
CD PISTE 4
KATIERINA
Etovo niè boudet.
SERGEÏ
Katiérina Lvovna, Katienka,
Ia niè kaki drugié prochiè,
Kotorym vsio bezrazlitchno.
Lish by sladkim jenskim tyelom
Polakomitsa.
KATERINA
Et moi je n’aime pas
Qu’on soit insolent avec moi.
Alors expliquez-moi
De quelles histoires vous parlez ?
Vous ne savez rien du tout,
Mais moi, si, je sais.
Je ne permets pas que l’on me parle ainsi
De mes histoires, ni à vous, ni à personne.
Ce n’est pas à vous de me juger.
N’approche pas, tu me dégoûtes, pauvre type.
Est-ce que tu es un mari pour moi ?
Plutôt une bûche, une souche,
Rabougri que tu es, faiblard,
Froid comme un poisson.
Tu me dégoûtes !
KATERINA
Cela ne se sera pas.
SERGUEÏ
Katerina Lvovna, ma Katya
Je ne suis pas comme les autres hommes
Qui sont indifférents à tout
Du moment qu’ils peuvent se régaler
Du corps d’une douce femme.
47
Vïed ya delikatny.
Ia tchoustvouyou, shto takoé lioubov.
Akh, zachem ia tiébia polioubil.
K tebyé li lioubovïou mnye pilat’.
I ravze éto potchgot diya tiébia,
Imenitoï koupchikhi,
Moïei polioubovnitseï byt ?
Akh, Katia, ia b khotïei pïered bogom
Stat tvoïm souprougom !
A tak tchto.
I vidimsa my tol’ko notchou.
A pri solnychkè boïmsa
Pokazat’sa lyudyam na glaza.
Moi, je suis un homme sensible,
J’apprécie ce que c’est que l’Amour.
Ah, pourquoi t’ai-je aimée ?
Je brûle de passion pour toi,
Serait-ce un honneur pour toi,
Une riche marchande,
D’être ma maîtresse ?
Ah, Katya, je voudrais être
Ton époux devant Dieu !
Mais voilà la situation :
Nous ne nous voyons que la nuit,
Nous avons peur de nous montrer
À la lumière du jour, aux yeux des gens.
CD PISTE 6
ZADRIPANNYI MOUJITCHOK
Ou menia byla kouma,
Pit’lioubila byez uma, oukh !
Ou menia byl mily svat,
Na vino i vodkou, khvat, oukh !
Kriostni batia toje byl,
Khorosho pokoynik pil, oukh !
Oukh ! Oukh ! Oukh !
Byez vina moia vodnya
Niè mogla projit i dnia, oukh !
Nou a tchem ia khuje diu ?
Douiou vodkou za troikh, oukh, oukh !
Natchinayou pit’s outra,
Notchni, dni i vetchera,
Zimu lïeto i vesnou,
P’iou pokouda niè zasnou, oukh !
Boudou pit’ ia tseli vyek,
Ia douchevni tchelovyek, oukh !
Oukh ! Oukh ! Oukh !
LE BALOURD MITEUX
J’avais une commère,
Elle aimait boire sans limite, hic !
J’avais un bon copain,
Toujours à boire vin et vodka, hic !
Mon parrain, le grand buveur,
Aurait bu jusqu’à plus soif, hic !
Hic, hic hic !
Sans vin, ma famille
Ne pouvait vivre un seul jour, hic !
Je ne suis pas plus mauvais qu’eux !
Je bois de la vodka pour trois, hic, hic !
Je commence à boire dès le matin,
Je bois la nuit, le jour, le soir,
L’hiver, l’été et le printemps,
Tout le temps que je ne dors pas, hic !
Je pourrais boire jusqu’à la fin des temps,
Parce que je suis un joyeux compagnon, hic !
Hic ! Hic ! Hic !
CD PISTE 7
SVIACHTCHENNIK
Kto krashè sontsa v nyèbé, a ?
GOSTI
Nikovo niet krashè sontsa v nyèbé ? Da !
SVIACHTCHENNIK
An’ïest ! An’ïest krashè sonsta v nyèbé, ïest !
Kto ?
GOSTI
My niè znaem krashè sontsa v nyèbé, nikovo !
SVIACHTCHENNIK
Katierina Lvovna krashè sontsa v nyèbé. Mm...
e... vesma prelïestna ! Mm... routchkou... Gorko !
GOSTI
Gorko ! Gorko !
SVIACHTCHENNIK
He, he, he !... Zastydilis ?
CD PISTE 8
SONIETKA
Spasibo, Katierina Lvovna,
Za tchoulki spasibo !
LE PRÊTRE
Qui est plus beau que le soleil dans le ciel ?
LES INVITÉS
Personne n’est plus beau que le soleil dans le
ciel, non !
LE PRÊTRE
Si ! Il y a quelqu’un de plus beau que le soleil
dans le ciel ! Qui ?
LES INVITÉS
Nous ne connaissons personne de plus beau que
le soleil dans le ciel !
LE PRÊTRE
Katerina Lvovna est plus belle que le soleil dans
le ciel,
uhm... euh... elle est tout à fait
charmante ! Uhm... votre main... Un baiser !
LES INVITÉS
Un baiser ! Un baiser !
LE PRÊTRE
Hé, hé, hé !... Vous êtes timides tout d’un coup ?
SONIETKA
Merci, Katerina Lvovna,
Merci pour les bas !
48
Posmotri, kak krasivo
Na moikh nogakh sidïat.
Seryoja mniè ikh nadeval
I nogi potseluyami mniè sogreval.
Akh Seryoja, moï Seryoja,
Katierina doura,
Niè sumïela uderjat Sergeïa.
Ekh doura ! Ekh doura !
A tchloukotchki niè vidat’,
Oni tièper moi, vidish ?
Mnïè tièper teplo !
Regarde comme ils vont bien sur mes jambes !
C’est mon petit Sergueï qui me les a mis,
Et qui m’a couvert les jambes de baisers pour me
tenir au chaud.
Ah, mon petit Sergueï chéri !
Katerina, tu es vraiment sotte,
Tu n’as pas su garder ton Sergueï !
Quelle sotte, mais quelle sotte !
Tu ne reverras plus tes bas,
Maintenant ils sont à moi, tu vois ?
Maintenant c’est moi qui ai chaud !
CD PISTE 9
BORIS
...Niè tchoustvouèté ?
RABOTNITSY I RABOTNIKI
Tchouvstvouièm !
Zatchièm jè ty ouièzjaièch, khoziain,
Zatchièm ? Zatchièm ?
Na kovo ty nas pokidaièch ?
Na kovo ? Na kovo ?
Bièz khoziaina boudièt skoutchno,
Skoutchno, tosklivo, bièzradostno,
Dom bièz tièbia niè dom,
Rabota bièz tièbia niè rabota.
Niè rabota, niè rabota.
Vièsièlié bièz tiébia niè vièsièlié.
Vozvrachtchaïsia kak mojno skorieï ! Skorieï !
BORIS
N’avez-vous aucun chagrin ?
CD PISTE 10
KATORJNITSY I KATORJNIKI
Ekh vy, stiepi neob’yatnyiè,
Dni i nochi beskoniètchnyiè,
Nashi doumy bezotradnyiè,
I jandarmy besserdètchnyiè. Ah...
OUVRIERS ET OUVRIERES
Oh si, que nous avons du chagrin !
Pourquoi faut-il que tu partes, patron,
Pourquoi, pourquoi ?
Pour qui tu nous abandonnes ?
Pour qui, pour qui ?
Quel ennui sans notre maître,
Quel ennui, quelle tristesse ce sera.
La maison sans toi, ce n’est plus la maison,
Le travail sans toi, ce n’est plus le travail,
Plus le travail.
La joie sans toi, ce n’est plus de la joie .
Reviens vite ! Bien vite !
LES BAGNARDS
Oh, vous, les steppes, vous êtes interminables,
Les jours et les nuits n’en finissent plus.
Nos pensées sont sans joie
Et les gendarmes sont sans coeur. Ah...
49
Les jeunes au cœur du Grand Théâtre
Programme pédagogique
réalisé avec le soutien de la Fondation Julius Bär pour l’éveil culturel
et du département de l’instruction publique du canton de Genève
Genève, Septembre 2006
Madame, Monsieur,
Nous avons le plaisir de vous transmettre en annexe deux questionnaires élaborés à
votre intention et à celles de vos élèves.
Nous vous remercions de bien vouloir remettre ce document à chacun de vos élèves
et de nous les renvoyer remplis accompagnés du vôtre, à l’issue du parcours
pédagogique que vous aurez suivi.
Ceci nous permettra d’évaluer l’intérêt et la pertinence de nos propositions et de
savoir si, grâce à ce programme, les jeunes ont éprouvé du plaisir à entrer dans le
monde de l’opéra.
Nous vous remercions pour cette ultime participation et espérons avoir le plaisir de
vous revoir lors d’une prochaine saison.
Kathereen Abhervé
022.418.31.72
e.mail : [email protected]
Christopher Park
022.418.31.88
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50
Questionnaire pour l’enseignant(e)
•
Quelle matière enseignez-vous ?………………………………………………………………
•
Quel est le degré de votre classe ? ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...
..
•
Est-ce la première fois que vous participez à un programme pédagogique du Grand
Théâtre ?
Non (2ème, 3ème, …)
Oui
•
De manière générale, êtes-vous satisfait(e) de votre expérience au Grand Théâtre ?
(veuillez indiquer votre degré de satisfaction sur une échelle de 1 à 5, 1 : insatisfait – 5 : très
satisfait)

1
•

3
2

5
4
Le programme pédagogique comporte plusieurs étapes:

1

2
3

4
5
Ateliers
Visites (théâtre,
ateliers)
Répétition
générale
•
Que proposeriez-vous comme autres activités?
………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………
•
Souhaiteriez-vous soumettre un projet pédagogique en rapport avec le Grand Théâtre,
choisi avec votre classe ou votre école, qui serait développé avec la collaboration du
Grand Théâtre ?
………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………
•
Remarques, suggestions
………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………
51
Dossier pédagogique
•
Le dossier pédagogique qui vous a été remis correspondait-il à vos attentes ?

1
•
2

3
4

5
Pensez-vous que le dossier pédagogique soit un outil pertinent et complet pour préparer
votre enseignement?

1
2

3
4

5
Comment avez-vous utilisé le dossier pédagogique en classe ?
Ecoute du CD
Lecture du livret
Utilisation des pistes d’enseignement ou activités proposées
Pour préparer votre propre enseignement sur l’oeuvre
oui
non








Autre (préciser) ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... .... ... ... ... ... ... ... ........ ... .......... ...
Etait-il en adéquation avec le niveau et l’âge de vos élèves ?
•
oui
non


Quels ont été les activités ou travaux réalisés en classe avant et après le parcours
pédagogique ?
………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………
... ... ... ... ... ... ……………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………………… …... ...
52
Questionnaire pour les élèves
Savais-tu ce qu’était l’opéra ou le ballet avant de venir au Grand Théâtre ?
•
non


Quelle a été ta première réaction lorsque le professeur t’a proposé d’aller voir un opéra ?
(indique ton degré de satisfaction sur une échelle de 1 à 5, 1 : insatisfait – 5 : très satisfait)

1
•
oui

3
2

5
4
Comment as-tu trouvé :


1
2

3
4
5
le spectacle
en général
les voix/la
danse
la musique
les décors
les costumes
la durée du
spectacle
•
As-tu aimé les visites :


1
2

3
4
5
du Grand
Théâtre/BFM
des ateliers
•
Quelle activité as-tu préférée ?……………………………………………………………… ...
•
Est-ce que la préparation en classe t’a aidé(e) à comprendre le spectacle ?

1
•
2

3
Est-ce que tu aimerais revenir au Grand Théâtre ?
4

5
oui
non


53
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