
8 l Recherche en soins infirmiers n° 112 - Mars 2013
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l’insuffisance cardiaque notamment en recherchant un
problème infectieux sous-jacent, un écart alimentaire ou une
augmentation non contrôlée de l’activité physique… Une fois la
phase urgente passée, on sollicitera l’avis du cardiologue (qu’il
donnera parfois après avoir réalisé une échographie du cœur).
Enfin, on pourra solliciter l’avis d’« experts paramédicaux »
pour donner des conseils « d’hygiène de vie », préciser un
besoin en éducation thérapeutique…
Dans cet exemple typique et idéal, les points de vue
professionnels sont différents mais concourent aux meilleures
décisions pour soigner : l’infirmière d’urgence assure les
premiers soins (de survie notamment), le manipulateur en
électroradiologie réalise la radiographie selon la meilleure
incidence, le technicien de laboratoire analyse le prélèvement
de sang dans les délais compatibles avec l’urgence, le médecin
réalise la synthèse des informations, pose un diagnostic et
prescrit le traitement. Le cardiologue affine l’analyse de la
fonction cardiaque et les choix thérapeutiques. L’infirmière,
la diététicienne et la psychologue du réseau, dans lequel
sont organisés des programmes d’éducation thérapeutique,
ouvrent des perspectives d’action chacune dans son domaine
à moyen terme, puis le médecin traitant et l’infirmière à
domicile prendront le relais à la sortie de l’hôpital.
Plus on multiplie les points de vue, plus on ajoute des données
liées à la pathologie, au contexte, à l’environnement, à la
personne… et plus la situation de soins apparaît dans sa
complexité que nulle discipline ne peut embrasser dans
sa totalité. Il devient alors indispensable de mobiliser des
professionnels « experts » issus de disciplines différentes dans
un but commun qui consiste à améliorer où à mieux prendre en
compte l’état de santé du patient en fonction de son projet de
vie inscrit dans un environnement social et culturel singulier.
Le développement des maladies chroniques a montré,
par exemple, qu’une approche uniquement biomédicale
est insuffisante pour répondre efficacement aux besoins
de santé de la population. Nombre de patients échappent
au strict respect de la prescription médicale malgré les
efforts d’information, de persuasion, d’injonction voire
d’éducation. L’histoire du sida est à cet égard révélatrice.
Quand les problèmes d’observance du traitement par la
trithérapie, il y a environ vingt ans, risquaient de poser des
problèmes de résistance du virus, d’autres disciplines que la
médecine (psychologie, sociologie, sciences de l’éducation,
anthropologie, économie de la santé, philosophie…) ont été
mobilisées pour compléter et diversifier l’offre de soin dans
le cadre d’une approche systémique.
La pluridisciplinarité gagne ainsi à évoluer en une véritable
interdisciplinarité, l’ensemble des disciplines devenant
capables de conjuguer leurs efforts et de faire la synthèse de
leurs connaissances et analyses pour résoudre conjointement
un même problème.
Dans les situations de soins complexes, tous les acteurs centrés
sur leur domaine de compétence vont concourir, dans l’idéal,
à un même projet de soins dit « personnalisé ». Remarquons
que la personnalisation des soins n’est pas envisagée de la
même façon par chacun en fonction des buts qu’il se fixe,
des connaissances auxquelles il se réfère et des méthodes
qu’il utilise. Les postures et positions plurielles cherchent à
résoudre d’une manière différente les problèmes générés par
une situation de soins particulière pour un patient. Idéalement,
chacun va problématiser la situation à partir de son point de
vue mais jouer sa partition de concert : le médecin centré
prioritairement sur la pathologie et le traitement adapté au
patient qu’il a en face de lui, l’infirmière sur l’expérience de
santé de la personne dans son environnement et la réalisation
des soins (qui sont sous sa responsabilité, avec ou sans une
prescription). Il en sera de même pour tous les acteurs de
santé : le kinésithérapeute centré sur la réduction des déficits
physiques de l’individu, le psychologue centré sur l’état
psychique du sujet, l’orthophoniste sur la rééducation de sa
parole, la diététicienne sur son alimentation, l’ergothérapeute
sur la réadaptation à son travail ou à son milieu de vie…
L’interdisciplinarité n’est donc pas la dilution des disciplines
dans un projet commun. Au contraire, la richesse de
l’interdisciplinarité a pour corollaire la maîtrise, par chacun,
de sa discipline à un haut niveau.
Certes, le découpage des professions et des disciplines est
différent selon les contextes et évolutif selon les époques
mais dans une situation donnée chacun endosse son rôle avec
d’autant plus de facilité qu’il est à l’aise avec sa discipline7 et que
son périmètre d’intervention est inter-professionnellement
négocié, admis et reconnu.
LA DISCIPLINE SE CONSTRUIT
PAR LA PRODUCTION
D E
CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES
UTILES À LA POPULATION
L’évolution des besoins de santé publique, la reconfiguration
de notre système de soins, l’évolution de la démographie des
professionnels de santé, le rôle grandissant des associations
de patients, des aidants non professionnels, des malades
experts… brouillent parfois le paysage et interrogent les
identités professionnelles. Dans ce contexte sanitaire,
7 Une discipline peut être définie comme un « domaine d’investigation
marqué d’une perspective unique, c’est-à-dire d’une façon distincte de
regarder des phénomènes. Une discipline professionnelle recommande
des modes d’intervention pour la pratique (sciences infirmières, médecine,
sciences sociales, etc.) alors qu’une discipline théorique décrit ou analyse
des phénomènes à partir de modèles précis (philosophie, sociologie, etc.)
sans intervenir ». (Kerouac et al., 2003) [5]. La profession est la forme
opérationnelle de la discipline qui se traduit par l’organisation des pratiques
sur un territoire. Robert Nadeau (1999) [2] cite Toulmin pour qui « la nature
d’une discipline intellectuelle (ou scientifique) implique toujours à la fois ses
concepts et les humains qui les emploient, à la fois son objet d’étude, son
champ ou son domaine, et les ambitions intellectuelles qui rassemblent ceux
et celles qui œuvrent à l’intérieur de la discipline en question ».