La dialectique kierkegaardienne de l`existence et la - E

La dialectique kierkegaardienne de l'existence
et la sphère éthico-religieuse
Autor(en): Colette, Jacques
Objekttyp: Article
Zeitschrift: Revue de théologie et de philosophie
Band (Jahr): 13 (1963)
Heft 4: Soeren Kierkegaard 1813-1963
Persistenter Link: http://doi.org/10.5169/seals-380799
PDF erstellt am: 03.06.2017
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LA DIALECTIQUE KIERKEGAARDIENNE
DE L'EXISTENCE
ET LA SPHÈRE ÉTHICO-RELIGIEUSE
Le problème philosophique auquel Kierkegaard nous enjoint de
réfléchir est celui de la nature d'une pensée qui prend pour objet le
statut de la liberté au cœur du devenir de l'existence individuelle.
L'homme, en effet, est l'être du possible. Peut-on admettre, avec
Hegel, que la raison et la réalité humaine sont véritablement récon¬
ciliées La philosophie est-elle en possession d'une méthode permet¬
tant d'élucider le sens du devenir de la conscience et de la praxis
libre Peut-on surmonter, dans une saisie de la «nécessité », l'opacité
du fait contingent de l'existence singulière S'il faut répondre néga¬
tivement àces questions, quelle est la tâche du «penseur subjectif »
qui arenoncé àutiliser «le langage de l'abstraction »r
Pour Kierkegaard, il yaun problème philosophique plus fonda¬
mental que celui de l'absolu, de l'infini ou de la totalité, et c'est le
problème de l'existence. Celle-ci est, àses yeux, infiniment valorisée
puisque, comme finitude même, elle aété assumée par l'Absolu qui
s'est, in ilio tempore, situé dans l'hic et nunc du Diesseits. Au mouve¬
ment de transcendance evasive, il faudra donc substituer, pour com¬
mencer, l'humble cheminement de la subjectivité existante, car, de
tous les modes possibles, c'est le seul qui puisse rendre valide le rap¬
port àl'être. La conscience de soi, le rapport àl'autre, toutes les
structures du moi seront, par conséquent, utilisées pour répondre àla
question :Comment l'homme sera-t-il lui-même Comment se perd-
il C'est de cette découverte ou de cette perte qu'il s'agit en effet.
Pour Kierkegaard, l'homme se trouve (avec toute la précision de ce
pronom réfléchi) devant Dieu, sans Lui, il se perd. Tous ses efforts
1Postscriptum, p. 210.
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viseront àorienter les esprits vers la solution la plus éloignée des
rêves idéalistes dans lesquels fini et infini fusionnent avec une aisance
étonnante, àla lettre quasi onirique ».
I. LA PHILOSOPHIE DE L'EXISTENCE COMME ANTISYSTÈME
Sans doute Kierkegaard est-il proche de son adversaire déclaré,
Hegel, comme l'homme de l'amour est proche de l'homme sans amour
dont il fait le siège avec un sérieux tout de gravité et de désinvolture
àla fois 2. Gravité, car il yva tout de même de la subjectivité. Désin¬
volture, parce que seule l'ironie, avec tout son art, peut miner de
l'intérieur un langage qui n'est plus celui d'aucun individu singulier 3.
On connaît la prise de position antihégélienne de Kierkegaard
refusant d'admettre, dans l'ordre existentiel, la possibilité d'un sys¬
tème comme parfaite fermeture. La réflexion de Kierkegaard se pré¬
sente comme une «expérience de pensée »4commandée par des don¬
nées existentielles inscrites dans la sphère religieuse qui prend cons¬
cience de sa différence d'avec le paganisme dont la sagesse aété
définie par Socrate. Cette expérience exigera que le penseur s'inter¬
dise àtout prix de battre en retraite, devant les difficultés, et de cher¬
cher refuge dans les zones calmes de la réminiscence 5l'intériorité
pourrait retrouver de la compagnie et échapper ainsi àl'atmosphère
tendue accepte de vivre la subjectivité qui se sait radicalement
inachevée et solitaire :«La seule conséquence en dehors du christia¬
nisme est celle du panthéisme, par la réminiscence on se reprend
hors de l'existence dans l'éternité, ce par quoi toutes les décisions
1Voir la réfutation pertinente de la thèse de Wilhelm Anz (Kierkegaard
und der deutsche Idealismus, Tübingen, 1956) par Niels Thulstrup :Kierke¬
gaard og den filosofiske Idéalisme, in Kierkegaardiana, IV, Köbenhavn, 1962,
p. 88-104. Selon Anz, «Kierkegaard et l'idéalisme allemand, particulièrement
ses développements poétiques chez Goethe et philosophiques chez Hegel,
admettent le même présupposé qui est la théorie cartésienne de la connais¬
sance »(art. cit., p. 90). N. Thulstrup distingue nettement le principe de sub¬
jectivité dans son orientation cartésienne (théorie de la connaissance), dans
son orientation idéaliste (ontologique chez les Allemands) et dans son orien¬
tation existentielle (théologique et anthropologique chez Kierkegaard).
2Voir Ea victoire de l'amour conciliant dans laquelle il gagne le vaincu
(Vie et règne de l'amour, p. 353-363). Réflexions profondes dont on ne sait
s'il faut les appliquer àla lutte de Kierkegaard contre l'Eglise d'Etat danoise
ou àsa polémique antihégélienne.
3II ne faut jamais oublier que les écrits du pseudonyme Climacus, qui
contiennent la formulation philosophique la plus rigoureuse de la position de
Kierkegaard en 1844-1846, sont l'œuvre d'un humoriste qui ne se donne pas
pour un chrétien (voir Post-scriptum, p. 419).
4Qui pourra prendre la forme de l'essai poétique (voir Miettes philoso¬
phiques, p. 69).
5Postscriptum, p. 139.
LA DIALECTIQUE KIERKEGAARDIENNE DE LEXISTENCE 3I9
existentielles ne deviennent qu'un jeu d'ombres àl'égard de ce qui
subsiste de façon éternelle et décisive derrière elles. »»
Cette expérimentation requiert une méthode propre, une mise en
forme des données, une sorte de formalisation que Kierkegaard qualifie
lui-même «d'algébrique »2. Ce formalisme semble inévitable lorsque
la pensée philosophique se fixe sur «la source originelle de la liberté »3.
Il faudra alors se maintenir «sur le plan de l'existence »4. Or, àl'op¬
posé du système, «l'existence sépare l'identité idéale de la pensée et
de l'être »s. Séparation, intervalle, l'existence s'insère en coin dans
dans le système, l'empêche de fermer. Bref, elle fait apparaître l'utopie
de cette volonté systématique, du moins «pour un esprit existant »6.
L'existence, en effet, ne se laisse pas exprimer (Kategoréô) dans le
langage de l'abstraction. Chez Hegel, la «catégorie pure »7, comme
aufgehobenes Moment, est la singularité du Moi universel qui intègre
et dépasse la catégorie simple de l'individuel. Cette catégorie pure,
dont Hegel dit qu'elle est tout contenu 8, exprime, dans le système, à
la fois le but de l'action humaine, l'opération elle-même et la réalité
effective. Kierkegaard se refuse àadmettre la validité d'une telle tota¬
lisation, comme il refuse de reconnaître l'élément proprement spirituel
dans l'esprit hégélien «contemplant le pur savoir de soi-même comme
essence universelle dans son contraire »9. L'existence, n'étant pas
Erscheinung du Wesen, n'est pas assimilable dans une déduction des
catégories.
L'idéalité, qui est la base même du Système, est le propre du dis¬
cours sur l'essence. Or, le «seul En-soi qui ne puisse être pensé, dit
Kierkegaard, c'est l'existence »I0. C'est pourquoi le Cogito est, tout
au plus, une plaisanterie. Au passage qu'est la Médiation, Kierke¬
gaard oppose, du simple point de vue de la forme, le «Paradoxe »«.
Aux liaisons, aux enchaînements, il substitue les ruptures, les sauts,
opposant, par exemple, l'éternel àl'éphémère, l'historique au ration¬
nel, l'existence fluante de l'esthétique àla fidélité éthique, etc. Cette
opposition formelle atteste la présence d'une expérience radicalement
autre que celle de Hegel, d'une expérience qui abesoin de maintenir
la validité du principe de contradiction et une Logique de l'identité
1Postscriptum, p. 150 (trad, modifiée).
1Miettes philosophiques, p. 191.
3K. Jaspers :Bilan et Perspectives, p. 212.
4Postscriptum, p. 306.
5Idem, p. 221. Voir aussi p. 82.
6Idem, p. 78.
7Phénoménologie de l'Esprit (trad. Hyppolite), t. I, p. 200.
8Idem, p. 343.
9Idem, p. 198.
10 Postscriptum, p. 220.
11 Idem, p. 255.
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pour constituer les paradoxes de la subjectivité irréductible àl'objec¬
tivité, inassimilable dans une objectivité supérieure. Bien sûr, ces
paradoxes vont, àleur tour, s'organiser pour constituer une espèce
de formalisation. Ces divers types possibles de synthèse du fini et de
l'infini s'articulent les uns aux autres. Mais l'universalité ainsi atteinte
n'est pas celle des lois de l'esprit valables pour l'objectif. Elle est,
pour ainsi dire, conquise indirectement par la médiation de la réflexion
qui scrute et creuse l'expérience concrète, grâce àla saisie du moi qui
ne peut s'effectuer que par le truchement des actes libres dont la sédi¬
mentation dans la conscience constitue l'humus de l'analyse exis¬
tentielle.
L'opposition de Kierkegaard àHegel est évidemment une des
données majeures de la situation philosophique actuelle. Elle est cons¬
tituée par cet affrontement de l'élucidation concrète de l'existence et
du système de la pensée abstraite. Mais il faut remarquer que si la
lutte contre Hegel est indiscutablement l'origine négative de l'élabo¬
ration dialectique de la pensée kierkegaardienne, sa source originaire
en est l'expérience personnelle de la liberté faite par Kierkegaard lui-
même. Et celle-ci est radicalement marquée par le péché, lequel «ne
relève, en aucune manière, de la science spéculative »». Ala différence
aussi bien de Schelling que de Hegel, Kierkegaard ne pouvait se
satisfaire de la justification spéculative de la finitude élucidée comme
moment phénoménal d'une auto-limitation de l'absolu. Il fut entraîné,
àpartir de son expérience du mal et de la faute, àpostuler un dépas¬
sement «lyrique »2de la pensée par elle-même en direction du para¬
doxe :«La dernière chose que la pensée humaine peut vouloir est de
vouloir se dépasser elle-même dans le paradoxe. »3Cette volonté,
cette décision est un saut. Mais ce saut est exigé parce que, loin des
consolations abstraites, il faut admettre que «triompher, c'est vaincre
1Le concept de l'angoisse (trad. Ferlov et Gateau, ici corrigée), p. 24.
2Post-scriptum, p. 69.
3Ibid. Ce dépassement de la pensée conduit «l'expérimentateur »qu'est
J. Climacus (1844) àimaginer «une chimère métaphysique» (Miettes philoso¬
phiques, p. 95). Dénonçant la médiocrité du penseur qui redoute de se laisser
emporter par la passion du paradoxe, Kierkegaard observe :«Mais le paroxysme
de toute passion est toujours de vouloir sa propre ruine, et c'est aussi la plus
haute passion de l'intelligence de vouloir le choc, nonobstant que ce choc,
d'une manière ou d'une autre, doive être sa propre ruine. C'est alors le plus
haut paradoxe de la pensée que de vouloir découvrir quelque chose qu'elle-
même ne peut penser. Cette passion de la pensée reste au fond partout pré¬
sente en elle, et aussi dans celle de l'individu, dans la mesure où, quand il
pense, il n'est pas seulement lui-même» (op. cit., p. 96). Cette présence de
l'autre qui habite le penseur subjectif existant est ou bien le produit d'une
représentation mythique qui jaillit de l'imagination et affole la pensée, ou
bien la forme inattendue et métaphysiquement chimérique du don de Dieu,
lequel dépasse aussi bien la rationalité que l'irrationalité cette dernière
étant toujours intellectuellement mesurée. (Voir infra, p. 328, note 2.)
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