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La Constitution en 20 questions : question n° 11
LE DROIT INTERNATIONAL ET LA CONSTITUTION DE 1958 ?
Auteur : Alain PELLET
1. Conformément à l'alinéa 14 du préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie celui de 1958: «La République
française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international».
Par cette phrase, le Constituant reconnaît formellement la valeur constitutionnelle d'un principe traditionnel du droit
français, conforme à l'un des postulats fondamentaux du droit international: la soumission de l'État à l'ordre juridique
international, dont il résulte notamment, selon une formule célèbre, que le droit international fait partie du droit de
l'État (international law is part of the law of the land).
Toutefois, alors que la Constitution définit, dans son titre VI, de façon méticuleuse (bien que parfois maladroite), les
modalités de mise en uvre de ce principe en matière de traités et d'accords internationaux, elle demeure lacunaire en ce
qui concerne les normes non conventionnelles du droit international (infra II).
I. Les traités et accords internationaux
2. Dès son intitulé, («Des traités et accords internationaux»), le titre VI de la Constitution fait une distinction  sans les
définir  entre deux catégories d'engagements internationaux de la France:
les «traités», qui sont négociés et ratifiés par le Président de la République; etles «accords», dont le Chef de l'État est seulement informé de la négociation, et qui ne sont pas ratifiés, mais
font l'objet d'une approbation par le Gouvernement (art. 52).
Cette distinction, inopérante en droit international, repose sur un choix libre de l'Exécutif. Seule la procédure de
négociation et d'entrée en vigueur diffère partiellement; au plan de l'application, un accord non soumis à la ratification
et un traité ont exactement la même valeur juridique (infra n° 6).
Selon toute vraisemblance, cette distinction ne correspond pas aux véritables intentions du Constituant, qui entendait
consacrer, dans le droit constitutionnel français, une autre différence, fondamentale en droit international, entre deux
catégories de traités: les traités en forme solennelle et les accords en forme simplifiée. Les seconds entrent en vigueur
du simple fait de leur signature (procédure courte); les premiers font, après leur signature, l'objet d'un réexamen au
plan interne, qui, seul, aboutit à l'expression définitive de l'expression par l'État de son consentement à être lié, sous la
forme d'une ratification, d'une acceptation, d'une approbation ou d'une adhésion (art. 11 de la Convention de Vienne
de 1969 sur le droit des traités). Les traités  qui sont ratifiés  et les accords  qui sont approuvés  envisagés par la
Constitution relèvent les uns et les autres de la catégorie internationale des «traités en forme solennelle», ce qui, du
reste, n'empêche pas la France de conclure par ailleurs des accords en forme simplifiée; mais il s'agit là d'une pratique
para-constitutionnelle et il est très regrettable que l'on n'ait pas saisi l'occasion de l'une des nombreuses révisions
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constitutionnelles auxquelles on a procédé récemment pour mettre l'énoncé du droit en accord avec les intentions du
Constituant.
3. Une fois l'engagement international négocié et signé par l'autorité constitutionnelle compétente (ou en son nom par
une personne investie de pleins pouvoirs signés par elle), la procédure de ratification ou d'approbation peut nécessiter
l'intervention du Parlement.
Aux termes de l'article 53: «Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation
internationale, ceux qui engagent les finances de l'État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux
qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire ne peuvent
être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi». Cette énumération, dont la portée exacte prête à discussion, préserve
les droits du Parlement puisqu'elle inclut les matières réservées à la loi par l'article 34, et lui donne même des
compétences allant au-delà de ses prérogatives internes habituelles, infirmant ainsi l'idée reçue selon laquelle les
relations internationales sont la prérogative exclusive de l'Exécutif. Sans doute des engagements extrêmement
importants, comme les traités d'alliance ou ceux qui concernent le règlement pacifique des différends internationaux,
échappent-ils à tout contrôle parlementaire. Toutefois, rien n'empêche l'Exécutif de saisir le Parlement, même dans des
matières omises de l'énumération de l'article 53 (ce fut le cas, en 1963, pour le Traité franco-allemand «de l'Élysée»).
Au demeurant, le Parlement ne ratifie jamais un traité, pas davantage qu'il n'approuve un accord: la loi qu'il vote est
dans tous les cas une simple habilitation, par laquelle il autorise cette ratification ou cette approbation. À la suite de
cette autorisation, l'Exécutif demeure libre de ratifier ou non le traité ou d'approuver ou non l'accord et d'assortir cette
ratification ou cette approbation de réserves (à condition que celles-ci soient licites au regard du droit international -
cf. l'article 19 de la Convention de Vienne de 1969).
En outre, «il résulte de l'article 74 de la Constitution que la consultation de l'assemblée territoriale d'un territoire
d'outre-mer sur un projet de loi autorisant la ratification d'une convention internationale» est exigée si cette convention
emporte modification de l'organisation particulière des T.O.M. (décision du Conseil constitutionnel du 17 janvier
1989, Convention internationale du travail).
4. Dans certains cas, la ratification ou l'approbation peuvent être précédées d'un referendum. Il en va ainsi dans trois
hypothèses:
le troisième alinéa de l'article 53 exige «le consentement des populations intéressées» en cas de cession,
échange ou adjonction de territoire; cette disposition est applicable qu'il s'agisse de décolonisation ou de
sécession («doctrine Capitant»  cf. les référendums de 1962 pour l'Algérie, 1974 aux Comores  et 1976 à
Mayotte, 1967 et 1977 à Djibouti, 1988 et 1998 en Nouvelle-Calédonie);
aux termes de l'article 11, le Président de la République peut soumettre au referendum tout projet de loi
«tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur
le fonctionnement des institutions»; utilisée pour la première fois en 1972 à propos du Traité de Bruxelles sur
l'élargissement des Communautés européennes, cette disposition est également à l'origine du recours au
referendum préalablement à la ratification du Traité de Maastricht du 7 février 1992, et de celui du 29 octobre
2004 établissant une constitution pour l'Europe qui, faute de majorité, n'a pu être ratifié (les ratifications des
traités de Nice de 2001 et de Lisbonne de 2007 ont été autorisées par le Parlement, en application des
dispositions de l'article 53 de la Constitution  v. supra n° 3); lorsque la révision constitutionnelle du 23 juillet
2008 sera entrée en vigueur, un tel referendum pourra être organisé «à l'initiative d'un cinquième des membres
du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales»; et
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conformément à l'article 88-5 nouveau introduit dans la Constitution par la révision constitutionnelle du 1er
mars 2005, le Président de la République a l'obligation de soumettre au referendum «[t]out projet de loi
autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union européenne et aux Communautés
européennes»; la rigueur excessive de cette disposition est à peine atténuée par le second alinéa aux termes
duquel le Parlement peut, «par le vote d'une motion adoptée en termes identiques par chaque assemblée à la
majorité des trois cinquièmes», autoriser l'adoption du projet de loi par le Congrès, selon la procédure prévue
au troisième alinéa de l'article 89.
5. En vertu de l'article 54, le Conseil constitutionnel peut, lui aussi, être appelé à intervenir à la demande du Président
de la République, du Premier Ministre, du Président du Sénat ou de l'Assemblée nationale et, depuis la réforme de
1992, de 60 députés ou de 60 sénateurs. S'il déclare que l'engagement international qui lui est soumis «comporte une
clause contraire à la Constitution», l'autorisation de le ratifier ou de l'approuver «ne peut intervenir qu'après révision
de la Constitution».
Saisi à plusieurs reprises sur cette base depuis 1970, ce n'est qu'en 1992 que le Conseil a considéré qu'un engagement
international, en l'espèce le Traité de Maastricht, était en partie incompatible avec la Constitution du fait de certaines
de ses clauses qui portaient atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté (décision du 9 avril
1992). La Constitution a été modifiée en conséquence (adjonction d'un titre XV, «Des Communautés européennes et
de l'Union européenne»  articles 88-1 à 88-4  par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992). Il en est allé de même à la
suite de la décision du Conseil du 31 décembre 1997, concernant le Traité d'Amsterdam (adjonction d'un nouvel alinéa
à l'article 88-2). Le titre XV a été profondément modifié par la révision constitutionnelle du 4 février 2008 mais le
nouveau texte (articles 88-1 à 88-7) ne se substituera à la rédaction actuelle qu'à compter de l'entrée en vigueur
éventuelle du Traité de Lisbonne modifiant le Traité sur l'Union européenne et le Traité instituant la Communauté
européenne, signé le 13 décembre 2007 (v. la décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre 2007).
Des amendements ont également été apportés à la Constitution dans d'autres domaines suite à des décisions du Conseil
constitutionnel déclarant certaines dispositions conventionnelles contraires à celle-c i:
en 1999, suite à la décision du Conseil du 22 janvier 1999, un article 53-2 a été ajouté à la Constitution afin de
permettre à la République de «reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions
prévues par le Traité signé le 18 juillet 1998»;
de même, suite à la décision du 13 octobre 2005 (Engagements internationaux relatifs à la peine de mort), la
loi constitutionnelle du 23 février 2007 a introduit un nouvel article 66-1 aux termes duquel «[n]ul ne peut être
condamné à la peine de mort», permettant ainsi la ratification du deuxième Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international des droits civils et politiques;
pour sa part, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, en introduisant dans la Constitution un nouvel
article 75-1, selon lequel «les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France»,pourrait ouvrir la
voie à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du 5 novembre 1992,
dont certaines dispositions avaient été déclarées non conformes à la Constitution par la décision du 15 juin
1999.
6. Une fois le traité ou l'accord régulièrement ratifié ou approuvé, il a, dès sa publication, «une autorité supérieure à
celle des lois, sous réserve (...) de son application par l'autre partie» (art. 55).
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Cette formule, qui lève l'ambiguïté de celle qui figurait dans la Constitution de 1946 («les traités diplomatiques
régulièrement ratifiés ou publiés ont force de loi...»), est généralement interprétée comme traduisant le «monisme»
juridique dont se sont inspirés les auteurs des deux dernières constitutions de la France, qui consiste à postuler l'unité
du système juridique et la supériorité du droit international sur le droit national.
Rien n'est moins évident: d'une part, si les normes conventionnelles se voient, en effet, conférer une valeur
«supérieure à celle des lois», il n'en va pas ainsi des règles coutumières (infra n° 9); d'autre part, c'est la Constitution 
qui se trouve «au sommet de l'ordre juridique interne» (décision du 19 novembre 2004, Traité établissant une
Constitution pour l'Europe)  qui leur confère cette valeur si bien que l'on ne saurait admettre que le principe de
supériorité des traités s'applique «aux dispositions de nature constitutionnelle (cf. les arrêts du Conseil d'État du 30
octobre 1998, Sarran et de la Cour de Cassation du 2 juin 2000, Pauline Fraisse); enfin, les juges français ont vidé
cette innovation d'une part de sa portée en exigeant que la publication des traités et accords soit le fait d'un décret
signé par le Président de la République (ce que le texte constitutionnel n'impose nullement), réintroduisant ainsi de
facto l'exigence d'une promulgation, en principe abandonnée en 1946.
7. Au surplus, le contrôle de cette supériorité de la loi sur le traité n'est pas assuré de manière satisfaisante.
Nonobstant l'article 55 de la Constitution, le Conseil constitutionnel se refuse à apprécier la conformité des lois aux
traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés (cf. la décision du 15 janvier 1975, I.V.G.). Dès
lors, les juges judiciaires et administratifs ont dû, non sans hésitation, se résoudre à suppléer la défaillance du gardien
de la Constitution et s'assurer de la conformité des lois, même postérieures, aux traités (cf. les arrêts de la Cour de
Cassation du 24 mai 1975, Sté. "Cafés Jacques Vabre" et du Conseil d'État du 20 octobre 1989, Nicolo). Cette
jurisprudence est en porte à faux par rapport au refus traditionnel des juridictions françaises d'effectuer un contrôle de
constitutionnalité, fonction réservée au Conseil par la Constitution de 1958.
II. Les règles non conventionnelles
8. Même s'ils en sont les sources les plus visibles, le droit international n'est pas fait que des traités. Il faut y ajouter au
moins les décisions des organisations internationales et les normes coutumières, que la Constitution n'évoque que par
prétérition par le biais d'un renvoi au préambule de 1946.
S'agissant des décisions des organisations internationales, elles suivent le même régime que les traités, ce qui est
logique dès lors qu'elles tiennent leur valeur obligatoire des traités qui créent ces organisations: en les ratifiant, la
France s'engage à respecter le pouvoir de décision obligatoire dont elles sont dotées. Ceci ne fait pas problème
s'agissant des règlements et des décisions de la Communauté européenne, obligatoires et directement applicables en
vertu du texte exprès du Traité de Rome (art. 189, devenu l'article 249  288 dans le Traité sur le fonctionnement de
l'Union européenne de 2007 (texte consolidé de Lisbonne)). Il doit en aller de même s'agissant des décisions des
autres organisations internationales dès lors qu'elles sont self-executing («auto-exécutoires»), c'est-à-dire directement
applicables aux particuliers et suffisamment précises pour pouvoir leur être appliquées. La Cour de Cassation semble
toutefois avoir adopté une position de principe  fort contestable  selon laquelle «si les résolutions du Conseil de
Sécurité des Nations Unies s'imposent aux États membres, elles n'ont, en France, pas d'effet direct tant que les
prescriptions qu'elles édictent n'ont pas, en droit interne, été rendues obligatoires ou transposées» et qu'à défaut, elles
ne «peuvent être prises en considération par le juge [que] en tant que fait juridique» (Cour de Cassation, Civ.1, Société
Dumez).
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9. Plus compliqué est le cas des règles coutumières, qui ne sont pas introduites dans le droit français selon une
procédure particulière et dont la valeur juridique n'est pas précisée par la Constitution.
Curieusement, en l'absence même de toute disposition équivalente à l'article 55 en ce qui les concerne, le Conseil
constitutionnel, qui se refuse à apprécier la conformité des lois aux traités (supra n° 7), n'hésite pas à s'assurer de leur
compatibilité avec les principes non écrits du droit international, c'est-à-dire avec des coutumes internationales (cf. les
décisions du 30 déc. 1975 sur les Comores, des 16 janv. et 11 fév. 1982 sur les nationalisations, des 8 et 23 août 1985
sur la Nouvelle-Calédonie, 9 avr. 1992, Traité de Maastricht, etc.). En revanche, le juge administratif se refuse à faire
«prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas de conflit entre ces deux normes» (Conseil d'État, 6 juin 1997,
Aquarone).
** *
10. Les dispositions constitutionnelles françaises relatives au droit international ne sont sans doute pas le «modèle»
que la France s'est souvent targuée d'offrir: elles sont, à certains égards, inadaptées aux nécessités modernes de
conclusion rapide des engagements internationaux (cf. la tentative manquée de consécration des accords en forme
simplifiée) et sont extrêmement lacunaires au sujet des coutumes internationales. Il n'en reste pas moins qu'elles
proclament de manière louable l'attachement de la République au respect du droit international et que c'est davantage
le contrôle de leur mise en uvre par les juges (non-application de l'article 55 par le Conseil constitutionnel,
réintroduction de l'exigence d'une promulgation par les juges) qui s'avère contestable que le texte constitutionnel
lui-même, dont une interprétation plus constructive et plus résolument internationaliste pourrait atténuer les quelques
faiblesses.
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