Journée formation DIP Genève, Service de la Formation continue du PO (PO 11.309-PO11-1
Lieu, date : Genève, société de lecture, 16 janvier 2012
Titre : « Le procès d’Adolf Eichmann », une réflexion historique et philosophique autour du dernier film de
Michaël Prazan.
DOSSIER
Prof. Marie-Claire Caloz-Tschopp, ex-prof. titulaire Université de Lausanne (UNIL), Institut
d’Etudes Politiques Inernationale (IEPI), directrice de Programme du Collège International de
philosophie, Paris-Genève (2010-2016). Site : exil-ciph.com
I. Rappel des objectifs du cours de formation continue 2012
1. Comprendre les enjeux liés au procès Eichmann, notamment en Israël. 2. Appréhender la pensée
d’Hannah Arendt (HA) au sujet d’Eichmann et son concept de la banali du mal. 3. Réfléchir à la
notion de justice en matière de crimes contre la paix, contre l’humanité, de guerre et de génocide. 4
L’enlèvement d’Eichmann, le 11 mai 1960 à Buenos Aires par des agents du Mossad, pose la question
de la traque des criminels de guerre nazis dans le monde. Est-ce que cette traque est terminée ?
Comment s’organise-t-elle ? Qui la soutient ? 5. Quels enseignements peut-on tirer du procès d’Adolf
Eichmann à Jérusalem ? Notamment pour les transférer dans les cours d’histoire.
II. Rappel du contenu du cours de formation continue 2012
1. Présentation du contexte général lié au procès. 2. Rappel des faits reprochés à Eichmann. 3.
Déroulement du procès. 4. La pensée d’Hannah Arendt au sujet Eichmann. 5. La Shoah au cœur du
procès 6. Visionnement d’extraits commentés du film. 6. Table-ronde avec les intervenant ( e ) s et
échange avec les participant ( e )s. Possibles pistes didactiques.
Durée de la formation continue : 1 jour (8 heures).
Intervenants : Monsieur Michaël Prazan, réalisateur de films documentaires et écrivain, Mesdames
Annette Wieviorka, historienne et directrice de recherches au CNRS, conseillère historique pour le
film de Michaël Prazan Le procès d’Adolf Eichmann et Marie-Claire Caloz Tschopp, Directrice de
Programme au Collège International de Philosophie, Paris.
Animateur : M. Damien Pattaroni, enseignant d’histoire, Genève.
III. Questions de départs posées et discutées par M.C. Caloz-Tschopp
Questions de base des remarques épistémologiques et méthodologiques
1. Question de départ. Pourquoi aujourd’hui en 2012 à Genève, en Suisse, en Europe, abordons-nous
ce fait historique dans une Formation continue d’historiens et d’enseignants d’autres domaines de
Genève ? Pourquoi ce nouveau film sur l’Affaire Eichmann a-t-il été créé ? Quel est le contexte à la
fois historique et actuel ? Quels sont nos motivations, nos intérêts, nos besoins ? Quels faits en Suisse
et en Europe (ex. camps aux frontières de l’Europe, renvois forcés et morts ; traders, délits d’initiés,
outils bancaires, etc.) évoquent le débat autour de l’Affaire Eichmann ?
2. Les élites seraient-elles « ontologiquement vertueuses » (citation d’un article de journal à propos de
faits sur le secteur bancaire) ? Adolf Eichmann faisait partie de l’élite nazie (SS, a sig le pact de
fidélité à H. Hitler, signification philosophique d’un tel fait ?).
3. Le bien est le mal ont été les références catégorielles du débat philosophique, religieux, politique.
Quelle(s) autre(s) catégorie(s) pourrai(en)t être évoquée(s) pour réfléchir à un criminel condamné pour
« crime contre l’humanité » ? Ex. justice, pouvoir, liberté, pluralité, etc. Enjeu : établir des critères
pour le processus de « jugement » (évaluer à plusieurs).
4. Epistémologiquement et méthodologiquement, quel intérêt présente une marche de connaissance
et pédagogique basée sur un cas extrême pour analyser des faits quotidiens ? Pourquoi ? Quel est son
intérêt, ses possibilités et ses limites de prudence (ex. fascination, esthétisation de l’horreur) ?
5. Quel est « l’objet » philosophique et politique du procès A. Eichmann. Quelles difficultés pose-t-il
tant à la philosophie, qu’à la philosophie de l’histoire, qu’au droit, qu’au langage, qu’à toute démarche
de connaissance ?
6. En quoi la philosophie, l’histoire, la théologie, la politique, etc. ont-ils été ébranlées et pourquoi par
« l’objet » de l’affaire Eichmann ? Dans quel sens doit-on chercher une refondation des marches de
connaissance et des positions dans le travail de recherche et d’enseignement ?
7. Pourquoi, est-il important de ne pas se méprendre sur la démarche dérangeante de H. Arendt sur ce
qu’elle a appelé la « banali du mal » ? En quoi est-il important de distinguer entre une démarche
phénoménologique, d’anthropologie politique, de métaphysique, de théologie ? Ou encore, pourquoi
est-il important de distinguer une démarche de « croyance » (croire, ne pas croire) d’une démarche
philosophique ? (penser, comprendre, éludider, analyser, recherche du sens, etc.).
N.B. Le procès suscite de nombreuses questions, y compris dans le livre de Hannah Arendt que je
n’aborde pas ici (débats avec les théologiens, sur le rôle des Conseils juifs, sur le choix du Tribunal,
etc.)
IV. Documents et matériaux de la conférence philosophique
La réflexion, ses commentaires et l’articulation passé-présent ont été basés à la fois sur une thèse en
philosophie politique (voir bibliographie), sur l’ensemble de l’œuvre de H. Arendt et non seulement
le seul livre Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal. Par ailleurs, un des défis est
d’articuler le contexte historique et l’actualité.
Remarque de départ pour comprendre lamarche d’Arendt. HA a développé un mode de pensée
du paradoxe. Ce n’est pas une dialecticienne. En bref, le paradoxe est une pensée de « crise », car
deux notions contraires sont en opposition et il n’y a pas possibilité de dialectiser la crise de la pensée
pour en sortir.
Thèse posée : pour comprendre ce que décrit phénoménologiquement Hannah Arendt dans son livre
sur l’affaire Eichmann (EJ), il faut mettre en rapport Les origines du totalitarisme (OT), AJ, Qu’est-ce
que la politique ? (QP), et surtout La vie de l’esprit (VE), avec une attention spéciale à l’introduction
de ce livre sur la pensée (qui reprend et identifie, ce qui pour Arendt, sont des questions
philosophiques de l’affaire Eichmann autour du « manque de pensée »).
Les débats se succèdent dans des temporalités, espaces divers dans le monde autour de l’affaire
Eichmann d’où la nécessité de clarification de la couche de débat dans laquelle s’inscrit cette journée
et l’intervention.
1. Quel crime ? Quel criminel ?
Le type de criminels du monde totalitaire…ni monstres, ni pervers, ni sadiques,
avec une caractérisque notoire : le manque de pensée
« Le monde totalitaire a produit un nouveau type de criminels, sans intention, sans mobiles, «
ni monstres, ni pervers, ni sadiques », mais avec une caractéristique notoire : le manque de pensée», H.
Arendt, EJ, 314.
Problème. L’ampleur, la gravité des crimes pose des problèmes de « maîtrise » (saisir l’objet).
« Il s’avéra que ni les Allemandes, ni les Juifs, ni le monde en général , n’avaient encore « maîtri»
le régime hitlérien, ses crimes gigantesques et sans précédent », EJ p. 310
« Nul, dans l’assistance, ne comprit clairement en quoi Auschwitz était horrible, en quoi l’horreur
d’Auschwitz se distinguait de toutes les horreurs passées…. Ces « crimes » étaient différents,
politiquement et juridiquement de tous ceux qui les avaient précédés, non seulement dans leur gravité
mais aussi dans leur nature me » EJ, p. 294
J’ai fait « l’expérience de « l’effrayant, l’indicible, l’impensable banalité du mal », AJ, p. 277.
Comme les magistrats du procès HA s’est trouvée en face d’un homme qui l’a dérangée. Les
magistrats, conscients de la fonction qu’ils exerçaient, n’arrivaient pas à admettre « qu’une personne
moyenne, « normale », ni faible d’esprit, ni endoctrinée, ni cynique, puisse être absolument incapable
de distinguer le bien du mal. AE ayant menti à l’occasion, les jugent préfèrent conclure que c’était un
menteur. Ils passaient ainsi à côté du défi moral et me juridique, le plus important que présentait le
cas AE », p. 37
Problème : un critère de base dans le droit pénal et aussi en philosophie : l’intentionalià la base de
la conscience des actes.
2. Quelle est la « nature » du crime extrême ?
Ce qui a précédé la superfluité humaine (Human superfluity)
«La fabrication massive et démentielle de cadavres est précédée par la préparation historiquement et
politiquement intelligible de cadavres vivant (Arendt, OTIII, Le sysme totalitaire, 185)
Trois pas avant l'extermination (OTIII, ST, p. 190)
1. Tuer en l’homme la personne juridique ;
° situer le camp de concentration en dehors du système pénal normal en fabriquant une nouvelle
catégorie de criminels et en amalgamant les politiques, les criminels et les innocents
° l’arrestation d’innocents (la majorité de la population des camps) et la sélection arbitraire des
victimes.
2. Tuer en l’homme la personne morale ;
3. tuer toute individualité (suppression d’un acquis très important de civilisation : l’habeas corpus).
Une système industriel de destruction
« Une capsule de Zyklon B avait l'apparence d'une simple boite de conserve, ses potentialités
étaient cachées derrière son aspect banal. On peut reconstituer le système complexe des camps
d'extermination, mais cela ne signifie pas encore que l'on puisse comprendre un processus industrialisé
de destruction de six millions d'être humains. Les scientifiques réunis à Los Alamos parvinrent à créer
une bombe atomique, mais ils ne pouvaient pas imaginer la destruction totale de Hiroshima et
Nagasaki », Traverso Enzo., "Auschwitz et Hiroshima. Notes pour un portrait intellectuel de Günther
Anders", Lignes, no. 26, p.17.
Problème pour HA : déplacement de la question du mal sur le terrain de la transformation politique
d’un régime, système totalitaire « sans précédent ». Voir OT.
Elle répondra à ce problème en élaboration une réflexion sur la « compréhension », la pensée et le
jugement et par une refondation de la philosophie politique et de nouvelles question à la politique.
L’activi de « compréhension » commence à la naissance et se termine à la mort. Elle suppose un
travail sur les résistances à connaître « l’horreur »….La philosophie politique de Kant ne se trouve pas
dans sa 2e Critique, mais dans la 3e Critique (sur le jugement). (Voir thèse M.C. Caloz-Tschopp).
3. Quel mal ?
Distinction entre le « mal radical » et le « mal politique extrême » qui apparaît
phénoménologiquement sous la forme de la « banalité du mal ».
3.1. Le mal radical
« Le mal radical est, peut-on dire, apparu en liaison avec un système tous les hommes sont, au
même titre, devenus superflus », Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme. Le système totalitaire,
vol. III, p. 201 (ST)
« il y aurait donc un mal radical inconnu de nous auparavant », ST, 201 qui, dit, Arendt va au-delà du
pardon et de l’oubli et qui fait qu’aucun tribunal n’est à la mesure du crime.
Kant attribue le mal à l’être humain comme un élément qui se situe à la racine de sa liberté et du
caractère de son espèce. En clair, pour Kant, le mal est lié à la liberté des humains.
Kant soupçonne l’existence d’un mal plus radical mais
Problème pour HA : comment penser le mal politique extrême, incompréhensible, inexplicable, quand
elle réfléchit au mal totalitaire ?
A partir de Kant, HA commence à travailler sur la pensée, sur la faculté d’imagination, qui pour Kant
est la possibilité de se mettre à la place de l’autre mentalité élargie »). Ce sont ses bases pour
élaborer une philosophie de la compréhension (pensée) et du jugement.
HA fait la différence entre « Vorstellungskraf » (facul de se représenter) et « Einbildungskraft »
(imagination). Dans cette dernière, elle va plus loin que Kant (en intégrant la pluralité). C’est la base
pour elle de la compréhension et du jugement.
3.2. Qu’est-ce que la « banalité du mal » (BM) ?
Thèse d’Arendt : c’est un mal politique nouveau (caractérisée pour HA par AE et qu’elle observe
lors du procès).
En bref, la BM est la description d’un fait, d’un phénomène. Ce n’est pas un concept. Elle est
opératoire sur un certain terrain. Elle décrit ce qu’elle voit, un phénomène apparent et rangeant
qui renvoie à une question philosophique et anthropologie et politique. Arendt n’a pas dégagé de cette
notion ni une métaphysique (catastrophe, mal métaphysique), ni une théologie (du diable et de Dieu),
mais un problème à approfondir pour la philosophie et la politique.
Problème : Si le mal n’est pas une « essence » qu’il suffirait d’extirper (plus jamais ça !), ou un
dérapage de la raison, mais une relation politique de violence (extrême ici) insérée dans l’histoire et
dans la politique (mot utilisé au sens dAristote), tenter de comprendre ce qui a été énoncé par le
philosophe Karl Jaspers et Hannah Arendt sous le terme de « banalidu mal » pour décrire un fait du
XXe siècle implique :
° de pouvoir distinguer ce qui est de l’ordre de la phénoménologie, de ce qui est de l’ordre du
métaphysique et de l’ontologie d’une part et d’autre part d’une philosophie normative et du droit pénal
international et national (crimes de guerre, crime contre l’humanité, la « notion » d’humanidira HA)
ou alors de la théologie (restriction peut-être pour la théologie négative après Auschwitz). Et se poser
des questions de refondation philosophique et politique pour intégrer la « rupture historique » de
l’invention totalitaire.
« ce livre ne traite pas de l’histoire de ce grand désastre… Ce n’est pas non plus une analyse du
totalitarisme, ni une histoire du peuple allemand sous le Troisième Reich. C’est encore moins un traité
théorique sur la nature du mal », EJ, p. 312
Avertissement. Enjeu de la clarification:
1) AE nest pas un criminel diabolique qui porte en lui la malfaisance dont nous serions a priori
exemptés.
2) Autre face. Nous ne sommes pas des petits AE, ce qui induit une culpabilité universelle qui dilue
toute responsabilité.
HA n’a pas produit un syllogisme boiteux, très à la mode : TOUS LES BOURREAUX SONT DES
HOMMES ORDINAIRES, NOUS SOMMES TOUS DES HOMMES ORDINAIRES ET DONT NOUS
SOMMES TOUTS DES BOUREAUX.
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