Le Théâtre de l`Homme qui marche présente : De Laurent Gaudé

Le Théâtre de l’Homme qui marche présente :
Cris
De Laurent Gaudé
publié aux éditions Actes Sud
Second volet d’un cycle 2014-2018
autour de la Première Guerre mondiale
Conception et mise en scène de Sophie Hutin
!
Naissance du projet de cycle
autour de la Grande Guerre
A l'origine, il y a la terre, la pluie et des arbres puissants, mes origines
ancestrales. Dans cette terre boueuse, les hommes sont morts jadis
par centaines de milliers, engloutis, manipulés par la folie d'autres
hommes, l'absurdité en marche de traités et d'alliances. Dissipation
folle d'énergie vitale, potlatch des nations. Et après la consumation, le
besoin terrifié de ne pas l'oublier. Je suis née de cette terreur, en
Picardie, plus de soixante ans après 1914.
Cette fascination de mon adolescence, je l'ai retrouvée en 2006 en
découvrant Dans la Solitude des champs de coton, de Bernard-Marie
Koltès, dialogue qui retrace une sorte d'escalade diplomatique vers
une violence inexorable, puis en 2007 en lisant le roman Cris de
Laurent Gaudé, narration croisée de douze hommes qui se racontent
les uns les autres pris dans les tranchées de la Première Guerre
mondiale. Ont soudain resurgi les images de cimetières à perte de vue
au milieu de campagnes chevelues, le regard toujours un peu perdu
des anciens de mon village, mon frisson en entrant dans le mémorial
de Verdun…
Ce n'est plus que tardivement, en 2012, qu'a émergé l'idée un
diptyque mêlant théâtre et danse autour de la Première Guerre
mondiale, diptyque qui serait prioritairement présenté dans des lieux
non spécifiquement théâtraux, notamment des friches industrielles.
En parallèle, je voudrais donner place aux paroles des oublié.es, aux
cris de ceux et celles demeuré.es en silence, de ceux et celles qui
n'ont pas fait d'histoire, qui n'ont pas fait Histoire. Nous voudrions
ainsi travailler la forme du témoignage, de la parole qui vient après,
pour cette guerre comme pour toutes les autres. Cependant, la forme
spectaculaire ne nous semble pas, en tout cas pour l'instant, la plus
adaptée à ce travail, dans la mesure nous voudrions davantage
impliquer les populations, notamment de collèges et de lycées des
régions transfrontalières, autour de la mise en mots des cris inaudibles
et la question de la mémoire collective.
Au cours de la période 2014-2018, je voudrais donc tracer trois
propositions :
le spectacle : Dans la Solitude des champs de coton, de
B.-M. Koltès, autour des origines anthropologiques de la
violence
le spectacle : Cris, de Laurent Gaudé : douze personnages au
milieu des combats dans les tranchées.
des séries d'ateliers d'écriture et de théâtre autour de la
Parole des oublié.es.
Sophie Hutin
Premiers jalons
- Dans la Solitude des champs de coton a fait l'objet de deux semaines
de répétitions en août 2013 à Gare au Théâtre à Vitry-sur-Seine, et en
juillet 2014 au Colombier à Bagnolet, avec le soutien de RAV!V
(Réseau des arts vivants en Ile-de-France).
- Cris a été abordé au travers d'une semaine de workshop avec six
comédiens à Paris en janvier 2008.
- Un premier collège frontalier en Picardie devient partenaire de
l'expérimentation des ateliers d'écriture en septembre 2015.
Calendrier prévisionnel
5-17 août 2013 : répétitions 1 de la Solitude des
champs de coton à Gare au Théâtre à Vitry-sur-Seine,
avec le soutien de RAV!V (Réseau des arts vivants en Ile-
de-France).
14-27 juillet 2014 : répétitions II de la Solitude au
Colombier à Bagnolet
Décembre 2014 : répétition III de la Solitude
Janvier-février 2015 : Création de la Solitude des champs
de coton
Février-juin 2015 : répétitions 1 de Cris
Septembre 2015-juin 2016 : ateliers d’écriture, année 1
(élèves de cinquième et seconde)
Septembre-octobre 2015 : répétitions II et III de Cris
Janvier 2016 : Création de Cris
Septembre 2016-juin 2017 : ateliers d’écriture, année II
(élèves de quatrième et première)
Septembre 2016-juin 2017 : ateliers de théâtre, année
III : bilan d’expérience et création d’une forme (recueil
de textes, représentations) (élèves de troisième et
terminale)
2016-2018 : tournées de la Solitude des champs de
coton et de Cris
!
Équipe artistique
Dans la Solitude des champs de coton de Bernard-
Marie Koltès (1987),
publié aux éditions de Minuit
Cris, de Laurent Gaudé (2001)
publié aux éditions Actes Sud
Adaptation et mise en scène, conception des
ateliers : Sophie Hutin
Lumières : Flore Dupont
Musique : Léna Circus (Nicolas Moulin, Guillaume
Arbonville)
Assistante à la mise en scène : Bertille Sindou-
Faurie
Jeu :
Patrice Le Saec, Nicolas Torrens (Solitude, Cris,
ateliers)
Thomas Carroger, Gilles Guillain, Pierre Serra,
Fabian Viguier (Cris)
Danse :
Atsushi Takenouchi (Cris)
Administration : La Mandragola
!
!
Cris
Du roman à la scène
Le texte de ce premier roman de Laurent Gaudé, écrit en 2001, a été
peu ou prou entendu : une version radiophonique, mise en ondes par
Jean-Mathieu Zahnd sur France Culture en juillet 2002 ; une mise en
scène de Stanislas Nordey du 21 mars au 22 avril 2005 à Théâtre Ouvert
(Paris), puis en tournée pendant la saison 2005-2006.
Proposer une mise en scène du roman relève d’un double défi : d’une
part choisir dans le texte ce qui sera dit et ôter ce qui sera de l’ordre de
l’image et de l’acte, c’est-à-dire transformer le texte du roman en
partition pour six comédiens, un danseur et un groupe musical ; d’autre
part transformer ladite partition en chant du corps de ces mêmes
interprètes. Nous avons reçu l’accord de principe de Laurent Gaudé
pour l’adaptation. Ce double défi nous est donc ouvert : dans un premier
temps, lire, relire le texte, tenter des mises en corps le temps d’une
répétition sur scène, se tromper, recommencer à lire, réessayer encore,
aboutir à une partition provisoire… et dans un second temps, enfin,
prendre le temps du plateau.
Cette double recherche sur le corps du texte, puis sur les corps des
interprètes nous invite à travailler par jalons, humblement, à prendre le
temps du chemin, à laisser le texte se sédimenter en lui-même, puis dans
les corps. Il s’agit de faire confiance au temps pour laisser surgir, à l’instar
des statues de boue sculptées par l’un des personnages à la fin du roman,
la forme à la fois fragile et rétrospectivement évidente du spectacle.
Résumé
Douze hommes sont saisis au cœur des tranchées de la Première Guerre
mondiale. Dessinée par la succession incessante des attaques, des morts
et des bombes, la route des soldats est boucle folle : aller-retour de la
tranchée enfouie à l’air vicié du combat pour la plupart ; aller-retour du
front à Paris pour d’autres. Et dans ce cycle ininterrompu, la démence
guette, celle de l’humanité défigurée, celle de la déroute du sens, des
sens : le cri bestial de la folie guerrière, cri incessant, entêtant, infini,
suspend en effet toute parole.
Seule solution : se soustraire à la tranchée, s’extraire du trou puis, peut-
être, marcher. Mais à condition de savoir s’arrêter. Car, alors que tous en
meurent, c’est au bord du chemin, lorsqu’il abandonne sa destination
initiale, que l’un des soldats va survivre. En érigeant des statues de boue à
l’effigie des camarades décimés, il trouve enfin le dernier mot tant siré
pour relayer la voix ensevelie des morts, geste mémoriel qui permettra,
peut-être, de sauver de l’oubli les victimes du front. Remplacer la
répétition de l’absurde violence par une succession de visages. Redonner
un visage à la terre et à l’humanité.
Des voix du corps
Les douze voix de Cris seront portées par six acteurs d’âges différents. Il
s’agira d’explorer, au creux de ces récits croisés, la rencontre de corps
masculins pris entre la dislocation, l’aliénation et l’énergie de
l’arrachement. Explorer, aussi, les échos tissés entre ces paroles hantées
par la même expérience. Pour ce faire, nous mobiliserons les techniques
de l'acteur à la frontière du théâtre corporel, fondé sur la pédagogie de
Jacques Lecoq, la danse butô, le travail de Grotowski et les danses et
chants du monde. Nous utiliserons notamment des protocoles collectifs,
dans l’entre-deux de la danse et du théâtre, frôlant la choralité du
tragique.
Extrait
« Je marche. Je connais le chemin. C’est mon pays ici.
Je marche. Sans lever la tête. Sans croiser le regard
de ceux que je dépasse. Ne rien dire à personne. Ne
pas répondre si l’on s’adresse à moi. Ne pas se
soucier, non plus, de ce sifflement dans l’oreille. Cela
passera. Il faut marcher. Tête baissée. Je connais le
chemin par cœur. Je me faufile sans bousculer
personne. Une ombre. Qui ne laisse aucune prise à la
fatigue. Le sifflement dans mes oreilles. Oui. Comme
chaque fois après le feu. Mais plus fort.
Assourdissant. Le petit papier bleu au fond de ma
poche. Permission accordée. Je suis sourd mais je
cède ma place. Au revoir Marius. Je lui ai tendu le
papier bleu qu’on venait de m’apporter. J’avais honte.
Je ne pouvais pas lui annoncer moi-même que j’allais
partir et qu’il allait rester. Le sifflement dans mes
oreilles. Ne pas s’inquiéter. Tous sourds. Oui. Les
rescapés. Tous ceux qui ont survécu aux douze
dernières heures doivent être sourds à présent. Une
petite armée en déroute qui se parle par gestes et
crie sans se comprendre. Une petite armée qui
n’entend plus le bruit des obus. Une petite armée
d’hallucinés qui n’a plus peur et ne sait plus dormir.
Et dont les hommes restent, tête droite, regard
écarquillé, en plein milieu du front. Nous sommes une
armée de sourds éparpillés. C’est tout ce qui reste de
nous. Ils avaient prévu que cela se passerait
autrement. Une grande offensive. C’est cela qui était
programmé. Reprendre l’initiative. Enfoncer les lignes
ennemies. Une grande attaque. J’y ai cru moi aussi,
quand j’ai vu, à droite et à gauche, tous ces types se
lever en même temps que moi. J’y ai cru parce que je
n’en avais jamais vu autant. Je me suis dit que, là, ils
mettaient le paquet, que, enfin, ils se décidaient à
percer les lignes d’en face. Oui, mais maintenant c’est
fini. »
La scénographie
Et parce que Cris est un drame de la traversée chairs traversées d’éclats
d’obus, ligne de front chaque jour traversée et déplacée, esprits traversés
du souvenir des morts, air traversé du cri de la folie, vies traversées par
une expérience traumatique, parole traversée par celle de son camarade
notre scène sera elle aussi traversée par une jetée en spirale, du fond
cour à l’avant-scène au centre : j’ai en effet l’intuition que la parole ne
pourra surgir que depuis un promontoire à partir duquel elle paraîtra
être en retour, en mouvement, toujours éphémère. Du côté jardin au
centre de la scène, six hautes stèles brunes seront installées en arc de
cercle, comme autant de symboles d’arrêt, au moins provisoire, de la
marche du temps, mais aussi comme autant de défis à la gravité, à l’instar
des corps humains en perpétuelle résistance à l’effondrement.
La danse
Le rapport à la gravité, au haut et au bas, à l’arrachement et à
l’enfouissement, à la marche, à la course et à l’arrêt qui domine dans Cris,
me semble être une invitation à poursuivre la réflexion anthropologique
sur le corps humain qui est mienne depuis plusieurs années. Dès lors, en
sus du travail avec les comédiens qui mobilisera aussi la danse, j’ai invité
un danseur japonais, Atsushi Takenouchi, à se joindre à nous pour
incarner le personnage de « l’homme nu », un homme perdu entre les
tranchées, entre les fronts, un homme devenu animal qui hurle dans la
nuit, plongé dans l’indicible. Je fais le pari que ce détour viendra nourrir le
travail choral des corps qui tentent de se définir en évoquant les autres,
qui cherchent l’universel dans le particulier.
La musique
Depuis mon adolescence, je suis fascinée par les orchestres nés
spontanément dans les tranchées ; j’imaginais ces hommes privés de tout
qui recréent à partir d'objets quotidiens des instruments parfois très
élaborés. J'ai été frappée par le besoin de musique, de partage et d'une
fraternité par-delà les mots, dans un temps le corps était/est devenu
objet : la nécessité est alors de dégager une poésie de l'objet quotidien,
pour pouvoir se penser soi-même comme corps vivant, inscrit dans le
mouvement du temps, pouvant acquérir dans l'instant une perfection, un
absolu, la joie d'un acte de poésie pure : une liberté, une subjectivité
législatrice de son réel. Se déprendre, pour un temps certes court, mais
absolument libre, de l'Histoire pour penser son histoire et la hisser au
rang de réel. Il s'agit aussi de se divertir au sens fort c'est-à-dire à la
fois d'oublier et tromper le réel, d'arracher au chaos des instants de vie.
A ce titre, la musicalité dans Cris me semble fondamentale. Le groupe
musical Lena Circus sera ainsi au cœur de la démarche de création
sonore et musicale, à partir de « corps » sonores manipulés ou joués.
Au total, en servant ce texte, il s’agit pour moi d’offrir une réflexion
autour de l’humanité dans son paradoxe vibrant de vie et de brutalité
mortifère, dans son balancier indépassable, sinon désolant, d’espoir et de
violence infinis. La Première Guerre mondiale, et plus précisément
l’espace de la tranchée, offre ainsi le cadre d’une parole sur la condition
humaine dans son essence, hors des apparats et des masques sociaux qui
dominent en général les échanges.
Sophie Hutin
Besoins techniques
Durée prévisionnelle : 1 H 50
Fiche technique en cours d’élaboration
A l’instar du premier volet de la Solitude des
champs de coton, nous désirons investir en premier
lieu des espaces non spécifiquement théâtraux et
aux contours incertains, à l’instar de friches SNCF
et industrielles.
Aussi, dans cette recherche de faire avec et dans
des espaces qui sont porteurs d’une histoire, nous
avons peu de besoins techniques sine qua non.
Cependant, contrairement à la Solitude des champs
de coton dans laquelle le public sera disposé de
manière circulaire tout autour de l’espace de
scène, Cris sera joué au sein d’un dispositif
frontal.
Prolongements socio-éducatifs
Conformément à l’objet même de notre compagnie, nous avons le
souhait de prolonger notre démarche de création par des temps de
transmission et de dialogue à vocation citoyenne :
> Répétitions ouvertes.
> Présentation publique de fin de résidence.
> Rencontres et débats avec des collégiens et des lycéens sur les
origines de la guerre (en collaboration avec les professeurs d’histoire et
de lettres.
> Stage sur le corps poétique et le masque neutre (à partir de 14 ans).
Il est possible de moduler le stage selon le public, de l’initiation (deux
jours, 6h au total) jusqu’à l’approfondissement (cinq jours, 30h).
> Ateliers artistiques dans des écoles (à partir de 6 ans).
> Rencontres avec l’équipe artistique du spectacle en amont ou en aval
des représentations.
> Recueil de témoignages sur le spectacle.
Le Masque neutre
Le masque dit « neutre » est un masque
couvrant l’ensemble du visage, pré-
expressif, présentant un visage asexué,
sans passion et sans mémoire, comme
hors du temps. Il est un tremplin à partir
duquel tout devient possible, notamment
trouver un langage universel du corps et
des outils corporels pour nourrir son jeu
sur scène hors des mimiques
stéréotypées du visage ou des gestes
codifiés de la main. En effet, masqué, le
corps devient un miroir, l’eau pure d’un
lac où viennent se refléter les éléments de
la nature, comme le feu du volcan, les
entrailles de la terre, le vent d’hiver, les
ondulations de la mer… L’énergie propre
à ces différents éléments est alors un
aliment pour cristalliser traits de caractère
et émotions humaines.
Il s’agit ainsi de travailler ensemble à la
naissance chez chacun d’un corps
poétique, support d’émotions pour le
spectateur, et d’appliquer ces découvertes
à des situations de jeu les mots
résonnent juste avant tout à travers la
présence de l’acteur.
Le stage aborde :
> le port du masque.
> une traversée des dynamiques portées
par les éléments de la nature, les animaux,
les couleurs…
> des improvisations masquées et sans
parole.
> des improvisations « sans masque »,
dans une redécouverte de la parole.
!
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