Eva Dunoyer Qui sont les monétaristes ? Le paradigme

publicité
Eva Dunoyer
Qui sont les monétaristes ?
Le paradigme dominant des idées keynésiennes a été admis presque partout. Cependant, des
économistes n’acceptent toujours pas les idées keynésiennes qui connaissent un grand succès
dans les années 1950-1960. C’est donc dans l’ombre que se développe toute une critique de la
théorie keynésienne, notamment à l’université de Chicago, qui regroupe des économistes
renouant avec la théorie classique.
La synthèse de ce courant critique qui réfute les idées keynésiennes est faite par le courant
monétariste, dont le chef de file est Milton Friedman (prix Nobel d'économie en 1976), porteparole de l’école de Chicago ou il a fait toutes ses études.
Il convient donc de se demander ce qui définit correctement les monétaristes, et en quoi leurs
idées se posent en contre-pied de la théorie keynésienne.
1. Les origines du monétarismes et la diversification des courants.
Le monétarisme a deux significations, découlant des postulats et principes classiques.
•
Tout d’abord, une vision politique qui se concentre autour de la croyance dans le marché et
ses vertus : l’économie est stable et elle peut être représentée par le modèle du pendule,
c’est-à-dire qu’elle tend à l’équilibre en répartissant optimalement les ressources et en
atteignant le plein emploi des capacités de production. On comprend donc la méfiance
des monétaristes face à l‘interventionnisme étatique qui vient déséquilibrer les effets
optimaux du marché.
•
Cela s’oppose à la vision keynésienne selon laquelle le mécanisme du marché ne suffit à
assurer le plein emploi car l’économie est instable. Par conséquent, l’intervention étatique
est nécessaire. On pressent déjà par la différence des postulats que le monétarisme
s’oppose fortement au keynésiannisme.
•
Puis une vision théorique des monétaristes qui se concentre autour de la théorie quantitative.
Il y a dichotomie entre la sphère réelle et la sphère monétaire. On retrouve ici le fait que la
« monnaie est un voile ».
•
La première école de pensée du monétarisme est fondée par H. Simons, L. Mints, P. Douglas
à partir de 1940. Ces protagonistes font une réflexion sur la politique économique. Cette
école aura une influence sur les travaux ultérieurs.
•
Il existe en fait plusieurs branches du monétarisme, tout comme il existe un keynésianisme
diversifié.
- Le monétarisme métalliste de J.Rueff, version française du monétarisme. Selon cet économiste,
le meilleur moyen de maîtriser le phénomène monétaire est de revenir à l’étalon-or.
- Le monétarisme budgétaire : Brunner et Meltzer. Ces économistes prêtent un rôle au budget de
l’Etat en considérant que la monnaie a une influence certaine sur la production et les prix.
Cependant, contrôler la masse monétaire ne suffit pas, il s’agit également de tenir compte de la
fiscalité et des dépenses publiques. Il faut donc aussi contrôler le déficit et la pression fiscale pour
atteindre une croissance saine.
- Le monétarisme autrichien avec Hayek notamment. Il formule une théorie libérale qui refuse le
rôle de la banque centrale et il conçoit l’économie en terme de circuit reliant l’investissement, le
crédit et la production. Il tient ainsi compte des effets microéconomiques de la croissance
1
monétaire sur l’allocation des revenus, au niveau des agents économiques.
- Le monétarisme des anticipations rationnelles selon lequel la monnaie est un pur voile. J.Muth
et Lucas remettent en question ceux qui supposaient que les agents économiques pouvaient, à
court terme, être victimes d’illusion monétaire.
Tous ces économistes ont fait leurs études à l’université de Chicago ; c’est pourquoi on nomme
école de Chicago, l’école de pensée qui renoue avec la théorie néoclassique et ses convictions
les plus fortes.
Nous allons ici nous intéresser principalement à la version friedmanienne du monétarisme, c’està-dire le monétarisme standard de l’école de Chicago. Intéressons nous donc maintenant aux
concepts clefs de cette pensée économique.
2. Les idées principales des monétaristes. Chicago contre Cambridge : « Seule la monnaie
compte ».
Le mot monétarisme apparaît grâce à K.Bruner qui en fait l’expression de trois axes de pensée:
« Premièrement, les impulsions monétaires sont déterminantes dans les variations de la
production, de l’emploi et des prix. Deuxièmement, l’évolution de la masse monétaire est
l’indice le plus sûr pour mesurer l’impulsion monétaire. Troisièmement, les autorités monétaires
peuvent contrôler l’évolution de la masse monétaire au cours des cycles économiques. »
(Review of Federal Reserve Bank of St Louis, 1968). Il parle alors de « révolution » mais Friedman
préfère le terme de « contre-révolution » par rapport aux théories keynésiennes. Quelles sont
donc ces idées révolutionnaires ? Elles mettent l’accent sur le rôle de la monnaie en tant que
facteur d’explication des théories économiques.
La caractéristique de la pensée monétariste se constitue autour de la reformulation de la théorie
quantitative, soit le néo-quantitativisme, synthétisé par Friedman dans un article publié en 1956 :
The quantity theory, a RESTATEMENT.
Formulée au 16ème siècle par Jean Bodin et reprise par des économistes tels que Irving Fisher,
l’expression de la théorie quantitative est la suivante : MV = PT (avec M, masse monétaire, V,
vitesse de circulation de la monnaie, P, les prix et T, le volume des transactions, c‘est-à-dire la
quantité de biens disponibles dans l‘économie). Ainsi les économistes classiques ont utilisé cette
théorie pour expliquer les variations de prix absolus.
Milton Friedman, lui, en fait une théorie de la demande de monnaie. Il part de l’existence du
revenu permanent. Pour Keynes, lorsque le revenu augmente, la consommation augmente mais
moins rapidement que le revenu. Friedman ne s’accorde pas sur ce point avec Keynes : selon lui
la consommation n’est pas liée au revenu courant mais au revenu permanent, c’est-à-dire le
revenu de toute une vie, anticipé grâce aux actifs, patrimoine humain et patrimoine matériel, le
« revenu auquel les consommateurs ajustent leurs dépenses ».
Or ce revenu permanent étant relativement stable d’après les prévisions du consommateur, la
consommation est relativement stable également.
- Il faut signaler que la vitesse de circulation, « propension de la communauté à détenir de
l’argent » dit M. Friedman, est considérée comme relativement stable car elle reflète le rythme
de dépenses (en effet les habitudes de dépenses à court terme ne changent pas),
contrairement à Keynes qui pense que la vitesse de circulation de la monnaie est fonction de la
préférence pour la liquidité qui elle-même varie.
- La demande de monnaie est pour les monétaristes une des fonctions les plus stables de la
macroéconomie, alors que Keynes la considérait justement comme très instable. En effet, pour
les monétaristes, la demande de monnaie ne dépend pas du motif de spéculation mais
uniquement du motif de transaction. Considérant la fonction comme stable, Friedman s’oppose
2
à Keynes sur la notion de préférence pour la liquidité.
Il en découle selon Friedman que c’est l’offre de monnaie, exogène et donc dépendante des
décisions prises par les banques centrales, qui est responsable de la variation du niveau général
des prix et donc responsable des fluctuations économiques. Ce qu’on appelle le néoquantitativisme, c’est donc la réhabilitation de la relation entre variations monétaires et
variations des prix.
Ces théories ont été empiriquement vérifiées par les études notamment de Friedman et
Schwartz dans le cadre du National Bureau of Economic Research, qui testent les liens entre
cycles économiques et variations de la masse monétaire entre 1870 et 1960. En considérant 18
cycles économiques, ils constatent qu’à chaque fois, les creux ou les pics de l’activité
économique sont précédés par des creux ou des pics de l’offre de la monnaie. Ainsi pour la
crise de 1929, lors de la Grande dépression, la variation de la masse monétaire fut selon
Friedman une des cause de la récession majeure puisqu’il y a eu une baisse d’un tiers du stock
de monnaie habituel sous l‘effet des décisions de la Réserve fédérale.
C’est sur cet argument que repose l’idée de Friedman selon laquelle « l’inflation est monétaire et
n’est que monétaire. ».
En effet, selon Keynes, l’inflation est une inflation de demande, c’est-à-dire que la hausse de la
demande globale sur le marché des biens et des services crée un déséquilibre face à l’offre
rigide des biens. Ainsi les prix augmentent. Mais c’est aussi une inflation de coût, c’est-à-dire que
les entreprises versent des augmentations de salaires aux salariés en raison d’un rapport
favorables aux salariés et donc ainsi, elles augmentent les prix pour compenser leur perte de
profit initiée par la hausse des coûts. Il semble qu’à la vue de l’équation de la théorie
quantitative de la monnaie, Keynes ait sous-estimé le rôle monétaire de l’inflation.
La hausse des prix ne peut se manifester que lorsque les banques centrales ont créé de la
monnaie. Donc « l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire dans le sens où elle
est, et peut être, simplement provoquée par une augmentation plus rapide de la quantité de
monnaie que du niveau du produit. » Milton Friedman, The new Palgrave Dictionnary of
Economics (1987). L’inflation, c’est donc un accroissement des moyens de paiement : une
monnaie peu rare perdra de sa valeur, et les marchandises exprimées en terme de cette
monnaie abondante et dépréciée seront chères.
Cette réflexion sur l’inflation remet en question la courbe de Phillips qui exprime une relation
inverse entre inflation et chômage. En effet, les politiques conjoncturelles, tant fiscales que
monétaires, semblent vouées à l’échec (et cela, encore une fois, s’oppose à la pensée
keynésienne), car il existe un taux de chômage naturel, selon Friedman, qui empêche ces
politiques de parvenir à leur but : il existe des imperfections du marché, des arrangements
institutionnels, une certaine nature du marché du travail qui détermine un taux de chômage
structurel. Ainsi, nous dit Friedman, toute action visant à faire baisser le chômage provoque une
forte inflation. On peut en effet voir les choses de la manière suivante : les agents font des
anticipations adaptatives, ils ne sont pas « myopes » contrairement à l‘idée d‘illusion monétaire
keynésienne. Ces anticipations adaptatives des agents entravent la possibilité pour certaines
politiques de manipuler les taux d‘intérêt pour faire baisser le chômage, ou de stimuler la
demande effective. « Phillips a écrit son article pour un monde dans lequel chacun anticipe une
stabilité des prix nominaux et dans lequel cette anticipation reste inchangée quoi qu’il arrive aux
prix et aux salaire réel », ce que Friedman réfute. Ainsi les salariés anticipant l’inflation à long
terme liée à de telles politiques demandent une hausse des salaires nominaux (provoquant
l’inflation), ce qui décourage la demande de travail des entreprises. On observe donc
indéniablement un retour au taux de chômage naturel.
3
Par conséquent, la courbe de Phillips est à long terme selon Friedman une courbe verticale car il
n’y a pas d’arbitrage entre inflation et chômage.
Enfin, conformément à sa vision libérale du marché et à sa vision de l‘inflation, Milton Friedman
considère qu’il faudrait laisser les devises fluctuer en fonction du marché par l’intermédiaire de
changes flottants. L’idée de Milton Friedman est que les changes flottants permettent d’ajuster à
la baisse les devises des pays inflationnistes par rapport aux pays non inflationnistes. Ainsi la
baisse du cours des devises rééquilibre la balance des paiements, rendant plus attractives les
importations d’un pays dont la monnaie se dévalorise par la compensation de la liquidité créée.
Friedman est donc contre une institution comme le FMI qui empêche selon lui la constitution
d’un marché mondial conduisant à l’allocation optimale des ressources. Dans la pratique, les
taux de change flottants seront adoptés dans le système suivant celui de Bretton Woods au
cours des années 1970.
3. Les principes dans leurs applications : les politiques monétaristes et leurs bilans.
La contre-offensive libérale n’atteint pas seulement le domaine théorique, mais également le
domaine pratique.
Dans les années 1970, l’économie est en proie à la stagflation, c’est-à-dire qu’il y a une hausse
du chômage et en même temps une inflation. Ainsi, la courbe de Philips s’en trouve réfutée et
les idées ainsi que les politiques keynésiennes sont mises à mal. À partir de 1979, aux États-Unis,
l’inflation passe à deux chiffres, ce qui met en évidence la nécessité d’une politique antiinflationniste. A ce moment là, la théorie alternative que représente le monétarisme va prendre
de l’importance et jouer un rôle majeur dans la régulation économique.
Qu’est-ce que les « politiques monétaristes » ? Le programme de politique économique des
monétaristes se résume bien dans l’œuvre de Friedman « A Monetary and Fiscal Framework for
Economic Stability » (1948).
Toute politique mise en œuvre par le gouvernement est source d’instabilité économique. Par
conséquent, toute politique conjoncturelle (et donc keynésienne) visant à rétablir le plein
emploi, à relancer la demande et l’investissement, ou à diminuer le chômage par un jeu sur les
taux d’intérêt semble caduque, car elle entrave le mécanisme du marché.
Pour réguler l’économie, il faut laisser l’Etat en dehors du marché ; celui ci doit uniquement
s’assurer que le marché possède un cadre stable. Puis, pour assurer la stabilité des prix, il faut une
discipline monétaire : celle ci doit être assurée par des banques centrales indépendantes, afin
de soustraire les variations de la masse monétaire à l’arbitraire des autorités politiques.
La politique monétaire prônée par Friedman consiste en une règle fixe : optimalement, elle fixe
un taux de croissance de la masse monétaire (3 à 5 % par an) calqué sur le taux de croissance à
long terme du produit national brut et le garde quoi qu’il arrive, ce qui élimine la source majeure
d’instabilité (c’est-à-dire la variation conjoncturelle de M) afin d’atteindre la stabilité des prix.
Friedman propose même que cette règle soit inscrite dans la constitution.
En 1979, Paul Vocker devient président de la Federal Reserve. Il lance alors la première
expérience monétariste. Elle se concentre sur les réserves bancaires de M et non plus le taux
d’intérêt, comme le voulaient les keynésiens. Cela est permis par l’utilisation d’agrégats
monétaires.
Cette politique sera également suivie par d’autres pays occidentaux dans la même période
comme par exemple la Grande-Bretagne sous Margaret Thatcher.
Quel est le bilan de ces politiques ?
4
Contrairement à ce que pensaient les monétaristes, la vitesse de circulation de la monnaie n’est
pas stable : elle s’est modifiée et est devenue très instable après 1980, ce qui a conduit la Fed à
abandonner l’indicateur de la vitesse de M1 pour celle de M2, qui se met également à s’écarter
de sa tendance. L’incapacité de la Banque centrale américaine à utiliser correctement les
agrégats monétaires comme référence de la politique monétaire conduit celle-ci à réviser son
action.
Aujourd’hui cependant, ces politiques sont en vigueur dans la plupart des pays industrialisés. La
politique monétaire est utilisée comme instrument d'une croissance économique stable.
En conclusion, il serait intéressant de tracer le bilan des monétaristes.
La théorie monétariste a en fait des liens étroits avec la pensée classique mais même avec la
théorie keynésienne dont plusieurs disent que les différences sont plus de forme que de fond.
Ainsi des économistes tels que Tobin, prix Nobel de 1981, ou Modigliani déclarent « qu’il n’y a pas
en réalité de divergences analytiques sérieuses entre les principaux monétaristes et les
principaux non monétaristes. » Don Patinkin considère quant à lui que Friedman n’a fait que
reformuler avec plus de sophistication la théorie monétaire de Keynes.
Il faut aussi noter que le courant monétariste s’est divisé en deux branches : une qui perpétue la
tradition ancienne, l’autre qui devient la nouvelle école macroéconomique classique qui
critique le manque de rigueur théorique et l’absence de fondements microéconomiques à leur
constructions macroéconomiques.
Enfin qu'est-il advenu des politiques monétaristes ?
Actuellement dans l’Union Européenne, la BCE qui a en charge la politique monétaire des États
membres, pratique une politique monétariste puisque son seul objectif est la stabilité des prix
pour atteindre son objectif final d'inflation : la BCE se fixe un objectif intermédiaire de création de
monnaie conformément aux préconisations des monétaristes.
Bibliographie
BRUNO Alain, Introduction aux débats économiques et sociaux contemporains, Ellipses, Paris
2004.
Sous la Direction de GELEDAN Alain, Histoire des pensées économiques, Les contemporains, Sirey
1998.
RUFFINI Pierre Bruno, Les théories monétaires : la pensée économique contemporaine 2, Seuil,
Paris, 1996.
SAMUELSON & NORDHAUS, Economie, 16ème édition, Economica, Paris 2000. Chapitre 32.
5
Téléchargement