varia Jean-Marc DANIEL Professeur d’économie - ESCP-EAP Friedman et le monétarisme L’économiste américain MILTON FRIEDMAN nous a quittés l’année dernière, le 16 novembre 2006. Il était né à New York le 31 juillet 1912 dans une famille pauvre venue d’Europe centrale. Sa jeunesse est studieuse, c’est celle méritante d’un boursier et celle enthousiaste d’un étudiant qui rêve de devenir chercheur. Dans un premier temps, il pense se consacrer à la physique et aux mathématiques. Mais un de ses professeurs, l’économiste Arthur Burns, l’incite à rejoindre l’université de Chicago pour y étudier l’économie plutôt que les sciences dites dures. Ce passage à Chicago est déterminant. C’est là qu’il fait son choix de carrière, c’est aussi là qu’il rencontre Rose Director, sa future épouse. Ayant obtenu en 1946 un Ph.D, il devient professeur d’abord à New York, puis dans le Minnesota, avant son retour à Chicago, où il acquiert la notoriété comme théoricien de référence du monétarisme. Mot récent – il apparaît dans la littérature économique en 1968 – le terme de monétarisme désigne une idée qui elle n’est pas récente, qui est même peut-être la plus vieille idée qui ait jamais été formulée en économie. Cette idée est que toute augmentation de la quantité de monnaie en circulation se traduit par une augmentation du niveau général des prix, c’est-à-dire par de l’inflation. Ou, autrement dit, que la monnaie est un instrument de l’échange qui n’a pas d’influence sur les mécanismes réels de création de richesse. Ce que les économistes résument en disant qu’il y a neutralité de la monnaie. La légitimité de cette affirmation repose sur l’équation quantitative de la monnaie qui peut s’écrire : MV = pT, où M désigne la quantité de monnaie en circulation, V la vitesse de circulation de la monnaie, p le niveau général des prix et T l’ensemble des transactions effectuées. Mais si de cette équation, certains tirent la conclusion que tout accroissement de la masse monétaire est synonyme de hausse des prix, pour d’autres, quand M augmente, le volume des transactions peut aussi augmenter. D’où les deux positions de principe sur lesquelles se sont construites les grandes écoles théoriques qui rivalisent dans la formulation des politiques économiques souhaitables. Il y a ceux qui tiennent pour toujours vérifiée la thèse ancienne selon laquelle une augmentation de la masse monétaire conduit à une augmentation des prix : ce sont eux qu’on appelle désormais les monétaristes ; il y a ceux qui en revanche sont persuadés qu’une augmentation de M se traduit par une augmentation des transactions et donc des quantités produites : ce sont les keynésiens. 814 Le monétarisme est une version modernisée de l’économie classique, qui se veut à la fois mode de raisonnement théorique et volonté politique assumée de combattre le keynésianisme. Milton Friedman fonde la dimension scientifique de sa démarche sur une analyse historique de l’évolution des prix et la quantité de monnaie en circulation aux Etats-Unis entre 1867 et 1960, travail colossal qu’il mène en collaboration avec Anna Schwartz. Des masses de statistiques utilisées et interprétées, il tire deux conclusions : – à court terme, la vitesse de circulation de la monnaie est constante ; – en tout temps et en tout lieu, l’inflation est un phénomène monétaire, assertion qui va le rendre célèbre. A partir de là, Friedman développe un arsenal théorique capable à ses yeux d’anéantir le keynésianisme, et ce sur deux aspects fondamentaux : l’analyse de l’inflation, du chômage et de leur rapport, d’une part, les recommandations de politique économique, d’autre part. La relation entre l’inflation et le chômage constitue ce que les économistes appellent la courbe de Phillips – du nom de l’économiste néo-zélandais qui l’a étudiée sur un plan statistique. En pratique, la courbe de Phillips s’obtient en portant sur un graphique année après année en abscisse le taux de chômage et en ordonnée le taux d’inflation. On dessine ainsi empiriquement une courbe décroissante assimilable à une hyperbole, dont l’interprétation économique simple est de constater que l’inflation et le chômage évoluent en sens inverse : toute hausse de l’un s’accompagne d’une baisse de l’autre. Pour les keynésiens, tant que le taux de chômage n’est pas nul, les prix sont stables et toute politique économique accroissant la masse monétaire et donc la demande se traduit par une baisse du chômage. La courbe de Phillips keynésienne est une droite horizontale. Pour les monétaristes, pour augmenter la demande, il faut d’une façon ou d’une autre injecter de la monnaie dans le circuit économique. Cette demande supplémentaire se heurte aux rigidités de l’organisation de la production. Les entreprises répondent aux modifications de leur environnement par ce qui est pour elles le plus facile, à savoir l’augmentation des prix. L’inflation augmente tandis que le taux de chômage reste constant : la courbe de Phillips monétariste est une droite verticale. Cette verticalité signifie simplement qu’une politique économique qui prétend réduire le chômage en augmentant la masse monétaire est vouée à l’inflation. La bonne politique est de mettre strictement en circulation la quantité de monnaie qui correspond à l’augmentation des transactions, augmentation elle-même liée à la dynamique de la croissance due aux gains de productivité. Si l’idée que l’on se fait en général de Friedman est celle d’un théoricien de la politique monétaire, il faut savoir que son combat anti-keynésien a porté sur tous les aspects de la politique économique. Pour ce qui est de la politique de change, il rejette la dévaluation dans le cadre d’un système de changes fixes, dévaluation supposée augmenter les débouchés à l’exportation et donc la demande globale, avec comme conséquence un effet de relance. Pour lui, cette vision keynésienne est erronée et les varia changes fixes sont dépassés : le prix d’une devise relève du marché. Il préconise l’adoption des changes flottants, devenus la réalité du système monétaire international depuis 1973. Quant à la politique budgétaire, il l’analyse à partir de sa théorie du revenu permanent. Il considère que chaque consommateur inscrit ses dépenses dans une perspective longue prenant en compte l’évolution probable de son revenu tout au long de sa vie. Toute mesure de relance par une augmentation des dépenses publiques ou une baisse des impôts modifie la situation des revenus à court terme, mais n’affecte pas fondamentalement le revenu permanent. Elle n’a aucun effet durable, si ce n’est souvent d’endetter l’Etat et de réduire les moyens dont il dispose pour faire fonctionner les services publics. En fait, ce qu’il reproche à Keynes et à ses disciples, c’est de croire que l’Etat peut réguler l’économie. Pour lui, l’Etat perturbe le marché et en réduit l’efficacité. L’efficacité du marché n’est d’ailleurs pas pour Friedman qu’économique, elle est aussi politique. La liberté d’entreprendre conduit inexorablement à la démocratie et au respect des libertés publiques. A ceux qui ont stigmatisé son soutien au régime de Pinochet au Chili, il a toujours répondu que le libéralisme économique adopté par la junte militaire finirait par l’emporter, affirmation que l’histoire a confirmée. Friedman a obtenu le prix Nobel en 1976. Cette reconnaissance n’a jamais entamé son besoin de réfléchir et de débattre. Parmi ses derniers combats, le plus remarquable fut celui pour la dépénalisation de la drogue. Au nom de la responsabilité des individus d’abord. Et aussi parce que là encore, l’Etat, en prétendant sauvegarder par la prohibition la santé publique, nuit à l’harmonie sociale : il favorise l’apparition d’un gangstérisme extrêmement violent gérant le trafic de drogue et les sommes colossales qu’il génère. EPISTOLOGIA par Ludovic ASSIER La Revue du Trésor a beaucoup de plaisir à présenter le premier ouvrage de notre jeune collègue Ludovic Assier, ancien élève de l’ENT (2001), chef de service des collectivités locales à la trésorerie générale de la Sarthe. Cet essai est un coup de maître, ce roman épistolaire dont le style est agréable, vif et élégant, permet au lecteur de plonger au cœur d’une intrigue cornélienne mais réaliste. Epistologia nous fait découvrir le parcours de quelques personnages et leurs ambitions respectives, dans la « bonne société ». Dans ce milieu, les phrases sont nécessairement sophistiquées puisque la réputation de la classe en dépend. Dans ce jeu de correspondances, chaque lecteur et chaque lectrice vont devoir cerner les phrases sibyllines, les métaphores et les images pour percevoir les pensées profondes et dégager le vrai du faux. Ludovic Assier nous offre un mélange de sentiments et de politique, dénonçant le Politique qui ne se sert que lui-même. Il porte un regard lucide sur des êtres, un jugement modéré et réfléchi sur l’organisation de la société. Notre ami a un réel talent, une grande maîtrise de l’écriture ; c’est un début prometteur et nous l’encourageons vivement à persévérer. Un nom à retenir... Il rejoint la « cohorte » des auteurs qui se sont illustrés au sein des services du Trésor Public. André GIRAULT. Editions Paulo-Ramand 28, rue Fouré - 44000 Nantes Tél. 02 40 20 56 97 100 pages - Prix : 14 h TTC 815