Travail de candidature : De l’utilité pédagogique d’un cours à contenu socio-anthropologique au sein de l’Enseignement Secondaire Luciani Daniel Par la présente, je déclare avoir réalisé ce travail de mes propres moyens. Luciani Daniel 2 Luciani Daniel Candidat au Lycée de Garçons Esch-sur-Alzette De l’utilité pédagogique d’un cours à contenu socio-anthropologique au sein de l’Enseignement Secondaire 3 Résumé : Le travail présent vise à analyser et juger le contenu et les méthodes didactiques du cours à option intitulé « Cultures et sociétés » au sein de l’Enseignement Secondaire. Plus loin, le travail vise à questionner de façon plus générale l’utilité pédagogique des réflexions d’ordre socio- anthropologique pour le Secondaire. Les méthodes employées comporteront des recherches théoriques (sur la raisons et la nécessité du développement des sciences socio- anthropologiques ; sur les méthodes didactiques appropriées) ainsi qu’une confrontation entre objectifs relatifs au contenu et aux méthodes employés d’une part et les résultats obtenus, d’autre part. La conclusion mènera à des réflexions plus générales au sujet des atouts et des problèmes soulevés par les sciences socio-anthropologiques ainsi que leur emploi au sein de l’Enseignement Secondaire au Grand-Duché. 4 5 « Si les dieux de chacun à leur heure sortent du temple et deviennent profanes, nous voyons par contre des choses humaines et sociales – la patrie, la propriété, le travail, la personne humaine – y entrer l’une après l’autre » (Marcel Mauss, 1906) 6 I. Premières réflexions Lorsque je proposais, en 2007, un cours à option intitulé « Cultures et Sociétés » aux élèves des futures classes de 3e, 2e et 1ère, ce fut le fruit d’une longue réflexion au sujet de l’insertion des pensées issues des sciences anthropologiques et sociologiques au sein de l’Enseignement Secondaire. Ma proposition fut sanctionnée par un franc succès : à en croire le directeur adjoint, qui gérait l’inscription des cours à option, plus de 60 élèves cochaient leur croix en faveur de mon cours pour l’année scolaire 2007/2008. Un succès qui, à lui seul, n’est évidemment pas encore garant pour une quelconque valeur pédagogique. En 2010, l’achèvement de mon stage pédagogique et ma nomination au statut de candidat-professeur m’inspiraient à porter de nouvelles réflexions au sujet du cours à option. Qu’en était-il de la valeur et de l’utilité pédagogique ? Car en effet, si le stage pédagogique m’a permis de me munir des concepts, outils et autres instruments pédagogiques afin de bien réaliser ma « vocation » de professeur en Formation Morale et Sociale, il me paraît impératif de soumettre les cours à option en question aux mêmes réflexions et à la même distance critique que le cours de FoMoS. Afin de bien saisir le cheminement de pensée qui m’a mené à réaliser le cours « Cultures et Sociétés », je me permets d’abord d’exposer les premiers motifs qui se trouvent à son origine. 1. Études en sociologie et anthropologie Il me serait impossible de nier l’influence qu’aura mon itinéraire personnel d’étudiant en anthropologie sur le développement du cours « Cultures et Sociétés ». Car, en effet, les premiers cours d’anthropologie sociale et culturelle à l’Université Libre de Bruxelles me marqueront d’une manière bien profonde. Comme pour la majorité des Européens, mes conceptions d’un « Autre culturel » étaient marquées de préjugés 7 qui se fondaient sur des stéréotypes et sur l’ignorance des cultures étrangères. Des rites de passage douloureux en Afrique ou en Amérique, en passant par la tauromachie espagnole, jusqu’au rôle conféré à la femme dans les sociétés traditionnelles, voilà bien des exemples qui me menaient à penser que « ces sociétés-là » nécessitaient quelques valeurs de notre société… civilisée. Au fur et à mesure que cette conception unidimensionnelle d’un Autre non-civilisé s’ébranlait, s’installait dans mon esprit davantage un intérêt, voire même une fascination pour le sens profond, caché de ces phénomènes sociaux et culturels. C’est alors que je me rendais compte que « le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie », comme le formulait Claude Lévi-Strauss. 2. Le parcours professionnel d’enseignant De retour au Luxembourg, transformer ces nouveaux acquis en savoir-faire professionnel s’avérait plutôt difficile. L’enseignement me paraissait, pour de nombreuses raisons, comme le meilleur choix. C’est ainsi que je commençais, dès 1999, à dispenser des cours de sociologie au sein de l’Institut d’Etudes Educatives et Sociales (IEES, actuellement le Lycée Technique pour Professions Educatives et Sociales). Et quel public pourrait mieux se prêter aux réflexions sociologiques, voire même anthropologiques que les futurs éducateurs, des acteurs sociaux eux-mêmes qui seraient censés connaître et comprendre le milieu dans lequel ils agissent ? Je me suis rendu compte qu’il y avait (et qu’il y a toujours), dans le milieu socioéducatif, un besoin en connaissances anthropologiques. A titre d’exemple, je citais l’anecdote suivante, relatée par ma mère qui fut institutrice dans l’enseignement primaire : des enfants immigrés, d’origine africaine, ne savaient pas faire la distinction entre frères/sœurs et cousins/cousines. Le personnel enseignant l’attribuait à des problèmes psychologiques. Or, il s’agissait d’une problème de différence culturelle : un bon nombre de sociétés africaines suivent un système de parenté qui ne fait pas de distinction entre frères/sœurs et cousins/cousines – ou encore, exprimé en terminologie de parenté : tous les parents de la génération d’ego sont appelés par le même terme. 8 A l’aide de cet exemple en somme banal, j’ai attiré l’attention des futurs éducateurs sur le fait qu’un être humain s’inscrit dans un cadre culturel dont il fait partie – et son comportement, son identité en sera influencé. La racine de certains problèmes peut résider dans des différences culturelles, donc dans des « faits sociaux totaux » (dans le sens de Marcel Mauss) et non pas dans des problèmes psychologiques. 3. Le Luxembourgeois et l’Autre L’anthropologie sociale et culturelle (synonyme du terme « ethnologie ») est un produit direct de la colonisation européenne. Comme le formulait Claude LéviStrauss dans un entretrien mené par le Nouvel Observateur : « Il est difficile pour un ethnologue de parler du colonialisme, parce que s’il n’y avait pas eu le colonialisme, il n’y aurait peut-être pas eu d’ethnologie. C’est vrai pour la France mais aussi pour l’ethnologie en général, née comme une science anglosaxonne au XIXe siècle. Dans le pas du colonisateur, les ethnologues ont découvert des valeurs négligeables pour celui-ci mais essentielles pour eux, et ce en deux sens différents, parce que ce sont des éléments objecifs du patrimoine humain et parce que chaque société a une beauté qui lui est propre.»1 Or, le Grand-Duché du Luxembourg n’a jamais colonisé des territoires, et durant certaines périodes, la population s’est plutôt considérée comme une nation colonisée. Néanmoins, une minorité des Luxembourgeois a connu la colonisation par le biais des colonies de nos pays voisins, belges ou autres : « Dans ce contexte, on peut se demander si le Grand-Duché a des responsabilités dans le processus de la colonisation du Congo. De nombreux compatriotes ont participé à l’exploitation / à la mise en valeur – le lecteur choisira le terme en fonction de ses convictions tiers-mondistes ou colonialistes – des richesses de l’Afrique centrale. L’État luxembourgeois n’y était pas directement engagé comme la Belgique, devenue en 1908 propriétaire de l’immense territoire conquis par Léopold II est déguisé d’abord en État indépendant du Congo. Mais l’Union belgoluxembourgeoise (1923) signée par les deux pays prévoyait que les 1 Claude Lévi-Strauss, dans : « Claude Lévi-Strauss, êtes-vous surréaliste ? », Le Nouvel Observateur – hors-série N°74, novembre-décembre 2009 9 Luxembourgeois désirant entrer dans l’administration coloniale pourraient le faire au même titre que les Belges, en passant par l’École royale coloniale de Bruxelles, l’Université coloniale à Anvers ou l’École et Institut de médecine tropicale à Anvers. » 2 Une étude récente mené par l’historien luxembourgeois Régis Moes au sujet du rôle joué par les Luxembourgeois dans la colonisation du Congo belge constate que… « La participation des Luxembourgeois à la colonisation du Congo belge est donc bien un fait établi : entre 1880 et 1960, avec plus ou moins de réussites personnelles, ils s’intégrèrent parfaitement dans la société coloniale belge, tout en gardant leur spécificité, leurs habitudes et des liens avec les organisations coloniales au Luxembourg. »3 Plus loin, Régis Moes affirme que… « L’activité des associations coloniales luxembourgeoises dans les années 1930 à 1960 démontre pourtant l’existence d’un lobby colonial très actif et présent sur la scène publique du Grand-Duché. Le soutien que les hommes politiques les plus influents de la droite, mais aussi de la gauche et, un peu moins, du centre apportèrent au Cercle Colonial Luxembourgeois et à l’Alliance Coloniale, puis à Luxembourg-Outre-Mer, dénote la volonté du monde politique luxembourgeois de prendre une part effectife à un système qui à l’époque apparaissait comme porteur de prestige national. Le cautionnement de l’activité coloniale luxembourgeoise fut encore renforcé par le soutien étonnament constant et concret de la Cour grandducale. »4 Le colonialisme n’était donc pas inconnu des Luxembourgeois, mais le contact trop diffus et trop furtif pour qu’il en naisse, à l’époque, une réflexion d’ordre scientifique au sujet des cultures humaines : les Luxembourgeois constituaient une minorité sur le territoire immense du Congo belge et leur objectif était surtout de nature économique. 2 Frank Wilhelm, Regards sur la colonisation de l’Afrique et du Congo I & II, dans : Forum, N°209/210, Luxembourg, juillet / septembre 2001 3 Régis Moes, Cette colonie qui nous appartient un peu, Editions d’Letzebuerger Land, Luxembourg, 2012, p.96 4 ibid, p.394 10 Que le Luxembourg n’ait pas de longue tradition d’anthropologie n’est donc guère surprenant. Toutefois, le Luxembourgeois d’aujourd’hui est en contact perpétuel avec l’étranger : d’abord par l’immigration, toujours bien présente au Grand-Duché. En effet, 43% de la population luxembourgeoise est en possession d’une nationalité non-luxembourgeoise. De plus, le solde migratoire reste, depuis des décennies, positif et se trouve toujours en légère hausse5. Et même si cette immigration se résumait, durant des décennies, à une immigration issue de l’espace culturel européen, l’origine des étrangers s’est considérablement diversifiée : du Cap-Vert en passant à l’Europe de l’Est, voire jusqu’en Asie. L’immigration du Grand-Duché du Luxembourg s’inscrit aujourd’hui donc bel et bien dans un cadre de globalisation où transitent les flux humains au même titre que les biens matériels ou les capitaux financiers. Ensuite, le Luxembourgeois entre également en contact avec l’Autre en effectuant des voyages. Car le Luxembourgeois, lui-aussi, voyage. Qu’il entre réellement en contact avec des phénomènes culturels de sociétés étrangères est une question qui ne me sera pas possible de répondre ici – retenons néanmoins que le Luxembourgeois voyage, et ce à une amplitude supérieure à celle des autres nations européennes 6 Enfin, un dernier facteur va aussi jouer un rôle considérable dans la perception de l’ « Autre » par le Luxembourgeois : l’image véhiculée par les médias, et leur vision souvent uni-dimensionnelle des cultures lointaines. Voilà un demi-siècle que l’ère coloniale a touché à sa fin, ce qui n’empêche pas que notre regard sur les pratiques culturelles de l’Autre soit souvent biaisé : qu’il s’agisse de sujets comme la polygynie ou la société des castes en Inde, les regards portés sur ces faits sociaux font rarement preuve de la distance critique nécessaire en sciences sociales. 5 Statnews N°14/2011, www.statec.lu http://www.statistiques.public.lu/ 6 « Les caractèristiques les plus marquantes du comportement de voyage sont les suivantes : - Une part extrêmement élevée des voyages (99%) à l’étranger, ce qui constitue le taux le plus élevé de l’UE loin devant les Belges (79%) et les Irlandais (73%). » (Statnews N°50/2006) http://www.statistiques.public.lu 11 4. Les attentes de la part des autorités scolaires Dans un entretien mené avec avec la direction du Lycée de Garçons Esch, établissement où j’ai effectué mon stage en Formation Morale et Sociale et auquel j’ai obtenu ma nomination en 2010, j’ai tenté de distiller les attentes posées à un cours d’option. Le directeur adjoint, Mr Decker, m’a ainsi révélé que l’établissement souhaite pouvoir proposer aux élèves des cours qui sortent du cadre scolaire commun et qui seraient motivés par l’intérêt que porte l’enseignant pour son cours respectif. Il s’agirait aussi d’une manière d’élargir l’horizon des élèves, avec un regard pour des sujets qui pourraient, dans certains cas, se voir crédités d’une reconnaissance de la part de l’université qui accueillera le futur étudiant. Le législateur n’aurait pas défini des critères qui jugeraient de la pertinence d’un cours d’option, et il incombe ainsi donc à la direction d’apprécier (ou non) les qualités du cours proposé. Le directeur, Mr Thill, a lui-aussi souligné l’aspect de la culture générale qui serait davantage forgée par le savoir et le savoir-faire acquis dans le contexte des cours d’option, qui proposent de se familiariser avec des domaines auxquels l’élève n’aurait pas d’accès. Le cours constituerait, idéalement, une plus-value à la fois pour l’élève, tout comme pour l’enseignant et aussi l’établissement qui se voit en mesure de proposer à ses élèves ce cours. Car ces cours contribuent aussi à forger une image, et par conséquent une identité pour l’école, tout comme un projet d’établissement. La motivation d’apprentissage serait plus haute, car basée sur une participation (relativement) volontaire. Partant de ces critères non pas « flous », mais certes formulés de manière plus étendue, je me suis donc mis à formuler des objectifs et à choisir les thèmes qui remplissent le curriculum du cours qui s’intitule « Cultures et Sociétés »… 12 II. Les objectifs du cours 1. L’objectif « suprême » Si l’anthropologie sociale et culturelle constitue une science qui cherche à saisir l’essence de l’homme à travers ses différences culturelles, mon objectif consistera à transmettre ce savoir à mes élèves de façon évocatrice. Dans ce sens, le cours « Cultures et Sociétés » pourra être perçu comme un prolongement, voire un approfondissement d’une des questions fondamentales en Formation Morale et Sociale, formulée par Immanuel Kant parmi ses quatre questions : « Qu’est-ce que l’homme ? »7. Il s’agit d’une question qui nous offre une multitude de voies à explorer afin d’en trouver des éléments de réponse. La voie que j’emprunterai dans le cadre du cours s’inscrit bel et bien dans le cadre des sciences anthropologiques (et/ou sociologiques, ces deux sciences pouvant être considérées comme des sciences jumelles). Car ce sont les sciences sociologiques et anthropologiques qui ont su, d’après mon estimation, formuler au mieux la volonté de comprendre autrui tout en respectant cette « distance critique », nécessaire à toute prétention scientifique. Comme le formulait Maurice Godelier : « Comprendre les croyances des autres sans être obligé de les partager, les respecter sans s’interdire de les critiquer, et reconnaître que chez les autres et grâce aux autres on peut mieux se connaître soi-même : tel est le noyau scientifique, mais aussi éthique et politique, de l’anthropologie d’hier et de demain. »8 Claude Lévi-Strauss se posait également la question … « A quoi faire l’ethnologie en général ? C’est une des nombreuses manières d’essayer de comprendre l’homme. Si on veut comprendre l’homme, on peut, à la manière du philosophe, se replier sur soi-même et essayer d’approfondir les 7 Gilbert Hottois, Introduction historique à la philosophie contemporaine, De Boeck et Larcier, Bruxelles, 1996 8 Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines, Ed.Albin Michel, 2007, pp.72-73 13 données de la conscience. On peut essayer de regarder ce qui, dans les manifestations de la vie humaine les plus proches de nous, considérer notre histoire depuis ces origines greco-romaines jusqu’aujourd’hui. Ou bien, on peut essayer d’élargir la connaissance de l’homme pour y inclure même les sociétés les plus lointaines et qui nous paraissent les plus humbles et les plus misérables, de manière à ce que rien d’humain ne nous reste étranger. »9 Dans son œuvre devenue célèbre, « Tristes tropiques », il affirme également que « l’ethnographie m’apporte une satisfaction intellectuelle, comme histoire qui rejoint par ses deux extrémités celle du monde et de la mienne, elle dévoile du même coup leur commune raison. Me proposant d’étudier l’homme, elle m’affranchit du doute, car elle considère en lui ces différences et ces changements qui ont un sens pour tous les hommes, à l’exclusion de ceux, propres à une seule civilisation, qui se dissoudraient si l’on choisissait de rester en dehors. »10 Ainsi, le cours, en posant la question de l’hétérogénéité culturelle, débouche sur la question de la compréhension de l’ « Autre » - donc l’Autre culturel, l’être humain qui semble différent de nous dans son essence puisque sa culture l’a ainsi forgé, sans pour autant tomber dans un relativisme culturel absolu. Car n’est-ce pas là l’une des vocations majeures de l’enseignement secondaire – tenter de cerner et de comprendre ce qu’est l’homme ? Et alors que la biologie essaie de comprendre ce qu’est la dimension matérielle de l’être humain, alors que la philosophie et la formation morale approchent la question sous un angle idéaliste, l’élève n’est guère invité, en étudiant l’homme, à considérer le paradigme culturel. En Formation Morale et Sociale, le thème des différences culturelles est brièvement mentionné dans le deuxième champ d’études (tel qu’il a été défini par le Ministère de l’Education nationale11) et formulé de façon peu conçise : « die Frage nach dem Anderen ». 9 Claude Lévi-Strauss dans : Claude Lévi-Strauss par lui-même – un film de Pierre-André Boutang et Annie Chevallay 10 Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, p.63, Librairies Plon, 1955/1993 11 Fragenkreis 2 : Die Frage nach dem Anderen 14 De plus, le sujet des cultures me permet également de tresser le lien avec la déclaration des droits de l’homme – car tenter de comprendre l’autre, c’est aussi l’accepter et le considérer comme un être humain à pied d’égalité. Article premier : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en droits et en dignité. Article 18 – Toute personne a le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique (…) la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. Article 27 – 1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté (…). 12 Le thème de la diversité sociale et culturelle chez l’homme me permettrait ainsi de me servir de sujets et méthodes propres à l’anthropologie et à la sociologie afin d’essayer de répondre à la question classique « Qu’est-ce que l’homme ? », tout en tenant compte des valeurs incluses dans la déclaration universelle des droits de l’homme. 12 Marie Agnès Combesque (dir.), Introduction aux droits de l’homme, La Découverte et Syros, Paris 1998 15 2. Le choix des matières à traiter : Les mythes et les rites En été 2007, le cours « Cultures & Sociétés » fut en quelque sorte une page vide qu’il s’agissait de remplir, un contenant sans contenu. Lorsque m’incombait la tâche d’établir une table de matières, je réalisais que le choix des sujets était soumis à un dilemme particulier. Trop vulgarisant, je risquais d’en faire une sorte de cabinet de curiosités digne de l’époque coloniale. Trop scientifique, les élèves risqueraient d’être débordés et de perdre la motivation. Il me fallait donc trouver des thèmes qui devraient éveiller l’intérêt des élèves et d’autre part se prêter à une analyse scientifique. Mon choix tombait sur des phénomènes sociaux et culturels qui, d’une façon ou d’une autre, ont inspiré l’imaginaire occidental, et qui ne sont donc pas inconnus des élèves. Les croyances relatives à la mort et à la naissance s’y prêtent bien, puisqu’il s’agit de questions qui paraissent universelles : « Dans toutes les sociétés (…), les humains se sont interrogés sur ce que signifie (…) de naître, de vivre et de mourir (…). »13 L’un des principaux sujets sera documenté au fil du travail présent, à savoir le vampirisme, ou plus précisément la croyance en l’existence de créatures nommées ‘vampires’. Pour une bonne raison : il s’agit d’un sujet qui a été largement traité, voire exploité, par la culture populaire de l’Occident, et qui est donc parfaitement connu des élèves sous forme de films de fiction. La légende du vampire fait néanmoins partie de l’imaginaire mythologique de la population roumaine (surtout rurale, ces croyances ayant largement disparu dans l’espace urbain) et s’inscrit dans un contexte particulier, celui de la mort. De cette façon, j’invite les élèves à replacer la représentation de cette figure féerique (ou grotesque, selon le point de vue) dans son contexte initial, à savoir une croyance se rattachant à tout un système culturel. Par le biais de cette figure du vampire, je cherche donc à montrer aux élèves que toute compréhension scientifique d’un fait social passe par l’acte de le replacer dans l’intégralité du système social dont il fait 13 Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines, p.62, Ed.Albin Michel, 2007 16 partie. Le fait social devient ainsi « fait social total », expression chère à Marcel Mauss (qui est généralement considéré comme le « père de l’anthropologie française »). Les sujets à traiter au fil du cours ont donc été choisis en fonction des objectifs poursuivis : issus d’un contexte socio-culturel traditionnel « exotique », ils doivent idéalement avoir influencé l’imaginaire occidental afin de ne pas être complètement inconnus des élèves et se prêtent à une interprétation d’ordre scientifique. Ainsi, le Vaudou (religion traditionnelle issue de l’Afrique de l’Ouest ayant largement influencé les pratiques religieuses des descendants des esclaves en Caraïbe), tout comme le chamanisme des Indiens d’Amérique ou encore les légendes urbaines occidentales ont été choisis selon ces critères. Il s’agit là de thèmes qui peuvent certes « choquer » ou révolter quelques-uns des élèves de par leur nature morbide, mais n’est-ce justement par ces questions qui sont relevées par toutes les sociétés humaines que nous aurons le meilleur aperçu de ce qui est propre à la nature de leur pensée, de leur cosmogonie, donc de leur culture ? Ainsi, Maurice Olender, dans l’avant-propos de l’œuvre recueillant des essais de Claude Lévi-Strauss, « Nous sommes tous des cannibales », constate que : « Lévi-Strauss fait valoir ainsi que tout usage, toute croyance ou coutume, ‘si bizarre, choquante ou même révoltante qu’elle paraisse’, ne peut s’expliquer que dans son propre contexte. »14 Le choix des thèmes s’inscrit donc dans le principe de ce que j’ai désigné comme objectif suprême, à savoir la compréhension de « l’Autre culturel », et ce en usant des thèmes qui ont trait aux mythes et aux rites des sociétés humaines. Car ce sont, d’après mon expérience, les mythes et les rites qui soulèvent le plus l’intérêt des élèves. Certes, il me serait possible de focaliser le cours sur des thèmes comme les structures parentales en Afrique ou sur des sujets d’ordre plus sociologiques (groupes sociaux, chômage, etc). Toutefois, il faut tenir compte des facteurs comme 14 Claude Lévi-Strauss, Nous somme tous des cannibales, p.10, Editions du Seuil, 2013 17 le caractère (relativement) volontaire de la participation des élèves, qui rend impératif le souci d’éveiller l’intérêt des élèves, tout comme les objectifs que je me suis posés et les indications de la direction (donner une plus-value à l’élève en lui transmettant un savoir et un savoir-faire qui l’intéresse, tout comme il intéresse l’enseignant), j’ai délimité clairement le champ d’études en me focalisant sur les mythes et les rites… 18 3. Les objectifs pédagogiques En me basant sur des connaissances acquises lors de ma formation pédagogique (et lors de ma pratique quotidienne en tant qu’enseignant), je formulerai les objectifs pédagogiques comme suit : a. Structuration nette du cours Idéalement, le cours suivra un fil rouge, organisé selon des principes élaborés à l’avance. Ceci devrait permettre à l’élève de suivre au mieux la trame logique du contenu du cours, ce qui devrait mener à une compréhension plus facile et plus intense de la matière enseignée. b. Eveiller l’intérêt des élèves De par sa nature curieuse, l’homme est facilement étonné de quelque chose – déjà Aristote et Platon ont souligné qu’au début de toute réflexion philosophique se trouve un acte d’étonnement. Par conséquent, il m’importe de concevoir le cours de façon telle à faire s’étonner les élèves, ce qui devrait les amener à formuler des réflexions au sujet du thème en question. Dans le contexte de l’enseignement, l’acte d’étonnement nécessite, à mon avis, une stimulation sensorielle : une image ou un extrait de film (visuel), un objet rituel (visuel / sensoriel), une musique (auditif) pourraient servir d’entrée au sujet. c. Participation des élèves La structure du cours devra prévoir des plages qui demandent la participation active de l’élève. La pédagogie moderne (et même moins moderne) nous enseigne que l’être humain, loin d’assimiler ses connaissances de façon exclusivement passive, contribue à ‘construire’ activement, dans un processus d’assimilation, son savoir. Par conséquent, il me semble impératif d’offrir aux élèves des activités qui leur permettent de ‘construire’ par eux-mêmes les connaissances qui font l’objet du cours. 19 d. Hétérogénéité des méthodes employées Ce critère, inspiré par le sixième des dix critères d’un « bon enseignement » dans le livre « Was ist guter Unterricht ? » de Hilbert Meyer15, me paraît particulièrement pertinent. Car en effet, mon expérience (en Formation morale et sociale) me confirme que l’emploi d’une multitude de méthodes employées se répercutera de façon positive sur l’apprentissage des élèves. En me basant sur le modèle de méthodes suggéré par le didacticien allemand Ekkehard Martens16, je me concentre, pour le cours en question, sur les méthodes suivantes : • Méthode phénomènologique Il s’agit d’amener l’élève à saisir un phénomène de façon sensorielle, afin qu’il puisse le décrire de façon aussi complète que possible. Cette méthode offre une multitude de sources possibles (images telles que des photos ou des extraits de B.D. ; des extraits de films, des objets ethnographiques comme par exemple un masque). • Méthode herméneutique Cette méthode vise à approfondir les connaissances de l’élève par la lecture de textes. Dans le cas du cours présent, mon choix tombera sur des textes qui sont en majorité de nature socioanthropologique ou philosophique. • Méthode analytique Dans le contexte de la méthodologie proposée par E.Martens, à savoir les cours de philosophie et de morale, la méthode analytique consiste à mettre en évidence et à examiner, voire valider les termes et les arguments essentiels d’un texte. Dans le contexte du cours présent, j’appliquerai cette méthode aux concepts sociologiques et/ou anthropologiques qui peuvent 15 16 Hilbert Meyer, Was ist guter Unterricht ?, Cornelsen, Berlin, 2004 Ekkehard Martens, Methodik des Ethik- und Philosophieunterrichts, p.56, Siebert, Hannover, 2003 20 s’avèrer inconnus par les élèves – citons un terme comme « rite de passage » en guise d’illustration. • Méthode dialectique Il s’agit d’une méthode propre à la philosophie qui vise à dénouer un dilemme ou un dialogue, mais qui ne jouera qu’un rôle mineur dans le contexte du cours en question. Toutefois, il me paraît évident que toute forme d’interprétation d’un phénomène socioculturel peut et doit se soumettre à une réflexion critique et pourra donc, au fil du cours, être mise en question et confrontée à une interprétation différente – à condition que celle-ci respecte la méthodologie des sciences sociales ! • Méthode spéculative Tout comme pour la méthode dialectique, je n’attribue qu’un rôle mineur à cette méthode proposée par E. Martens. Par conséquent, je souligne la nécessité de varier le répertoire des méthodes employées, afin de solliciter l’attention des élèves d’une part, et d’assurer un bon apprentissage d’autre part. Considérant la nature de la matière à enseigner, il me semble donc pertinent de recourir à la méthode du cours magistral, tout comme aux travaux de groupes et aux travaux individuels. Je vais également tenter d’assurer l’hétérogénité du matériel didactique employé : textes, images, photos, films, tout comme certains objets ethnographiques seront utilisés à cette fin. e. Vocation interdisciplinaire du cours La connaissance est, on le sait, loin de constituer un ensemble de domaines figés, séparés les uns des autres, ce qui a mené maints pédagogues à souligner l’importance de tresser des liens entre les différentes disciplines enseignées au secondaire. Or, je vais tenter de mettre en évidence les atouts d’un cours à contenu anthropologique dans le contexte de la pluridisciplinarité, car le cours, de par sa nature, semble offrir toute une panoplie de possibilités. Replacer un 21 phénomène social ou culturel dans son contexte, cela signifie également recourir aux autres disciplines qui ont trait au phénomène - que ce soit l’histoire, la psychologie ou la littérature… En guise de conclusion, la recherche présente m’a amené à considérer une série de critères (structuration, diversité des méthodes employées, interdisciplinarité, participation active des élèves, etc) que je vise à respecter afin de maximiser l’efficacité de l’apprentissage du cours que j’ai élaboré… 22 4. Les indicateurs d’une « utilité pédagogique » du cours Le travail de candidature présent prétend valider (ou non) l’« utilité pédagogique » du cours intitulé « Cultures et Sociétés ». Or, il me faudra encore définir cette « utilité pédagogique ». Chose pas si évidente si l’on cherche à définir des indicateurs qui aideront à évaluer l’utilité pédagogique d’un cours à option qui ne connaît guère de frères semblables au sein de l’enseignement secondaire luxembourgeois… a. Aspects méthodologiques Les objectifs développés ci-dessus ont été synthétisés sur base des critères que l’on retrouve soit dans la littérature vouée à la méthodologie des disciplines d’éthique et / ou de philosophie, soit dans la littérature relative à la méthodologie générale de l’enseignement secondaire. Par conséquent, je me permets de les utiliser, dans un premier moment d’évaluation, comme indicateur de la pertinence des méthodes appliquées. Ainsi, je jugerais la méthodologie adéquate et pertinente si la majorité des objectifs méthodologiques a été respectée. En résumé, ces indicateurs sont constitués par les critères suivants : 1. Y a-t-il une structuration nette et claire du cours ? 2. Ai-je réussi à éveiller l’intérêt des élèves par le biais de médias divers ? 3. Ai-je prévu, à des moments déterminés à l’avance, une participation active des élèves ? 4. Ai-je respecté le principe de l’hétérogénéité de méthodes employées ? 5. Ai-je tenté de tresser des liens avec d’autres disciplines ? Bien évidemment, ces indicateurs, voués au seul aspect méthodologique, seront complétés de réflexions au sujet du contenu du cours. 23 b. « Utilité pédagogique » du contenu du cours Il s’agit là certes d’un critère qui s’avère plus difficile à juger. Car dans quelle mesure me sera-t-il possible de juger d’une matière que j’ai choisie moi-même de l’enseigner, par rapport à laquelle il me manque par conséquent toute distance critique ? J’ai choisi de me reférer à mon objectif que j’ai nommé « suprême » : comprendre l’homme en considérant les paradigmes culturel et social. La question que je vais me poser, en analysant les travaux des élèves sera dès lors : ai-je amené les élèves à élargir leurs connaissances et à développer leurs réflexions au sujet de ce qu’est l’homme dans la diversité de sa vie culturelle et sociale ? Je vais donc tenter de cerner des éléments de réflexion des élèves qui pourront me confirmer ou non l’apport d’un savoir d’ordre socio-anthropologique. Dans un premier temps, cet apport pourra se traduire de façon assez banale par la compréhension de la matière enseignée, et, par conséquent, par le fait de réaliser les devoirs imposés de manière aussi pertinente que possible. Bref, les travaux des élèves nous indiquent-ils qu’ils ont « saisi » le sujet en question ? Dans un deuxième temps, l’apport de savoir devrait se manifester sous une forme plus latente : l’élève saura-t-il transposer et appliquer un savoir acquis d’un contexte donné à un autre ? Par exemple, saura-t-il replacer les croyances en relation avec les vampires dans le contexte des mythes qui jouent un rôle à transmettre des valeurs morales d’une génération à l’autre, connaissance qu’ils ont acquise au fil du chapitre au sujet des légendes urbaines ? 24 III. Analyse didactique d’un chapitre du cours 1. Les objectifs Dans le cadre du travail présent, je vais me concentrer sur le vampirisme17, donc sur les croyances qui présupposent l’existence d’être « morts-vivants » que sont les vampires. Issues de traditions pluricentenaires de l’Europe de l’Est, ces croyances ont su envoûter des spectateurs occidentaux de tous âges (même les plus jeunes, qui ont fait connaissance avec « Count Count » de la « Sesame Street » ). Le sujet se prête donc à mon objectif : partir d’un phénomène parfaitement familier aux élèves afin de plonger dans une analyse et dans une interprétation qui permettrait de saisir la signification des mythes et rites qui s’attachent à ce phénomène. Car les croyances roumaines en relation avec la figure mythologique du vampire s’inscrivent dans un contexte socio-culturel particulier, à savoir celui de la mort. Par le biais de la figure du vampire, je saurai donc également être en mesure de traiter le sujet de la mort et du deuil ainsi que des thèmes qui s’y apparentent : le rite et le mythe. Replacer le sujet dans son contexte social et culturel porterait garant aux aspirations scientifiques du cours et devrait permettre aux élèves de comprendre que : - la figure du vampire fait partie intégrante des croyances traditionnelles roumaines (en pays rural) ; - les croyances et rites relatifs aux vampires se rattachent à la conception roumaine de la mort (le chapitre en question s’inscrit donc dans le 7e champ d’études de la FoMoS 18) et ne pourront pas être appréhendés sans les replacer dans leur contexte d’origine; - l’être humain, en quête de « comprendre » la mort, a recours à cette fin aux mythes et rites; - la figure du vampire constitue, en dernier lieu, une métaphore du « Mal ». 17 La table de matière complète du cours est jointe dans l’addenda. Y figurent également des extraits du chapitre sur les croyances relatives aux vampires. 18 Fragenkreis 7 : Sterben und Tod 25 Il s’agit là d’objectifs que je vais considérer ici comme spécifiques au chapitre en question – et qui me permettront d’évaluer le degré de compréhension de la matière enseignée… 1ère partie du chapitre : Le contexte sociologique et historique – La mort en Roumanie a. le contenu Comme je l’ai souligné plus haut, la compréhension d’un fait social – dans ce cas les croyances populaires et les rites qui se rattachent à la figure du vampire - ne pourra se faire que lorsqu’on replace le fait dans son contexte d’origine. Or, le vampire constitue, dans les croyances populaires roumaines, une figure inhérente à la conception de la mort : m’incombera donc d’abord la tâche de fournir aux élèves la base du contexte de la mort en Roumanie. A cette fin, deux aspects s’imposeront pour être analysés, à savoir l’aspect mythologique et l’aspect rituel. Le premier comportera tous les éléments qui ont trait à l’imaginaire roumain en relation avec la mort : la mort qui s’annonce par un rêve ; le moment de la mort durant lequel l’âme sort de la bouche du mourant (tel un souffle) ; l’âme qui se met en route pour trouver son chemin vers l’au-delà ; l’âme qui traverse un paysage imaginaire plein de souffrances ; l’âme qui doit revivre son propre passé, etc. Le deuxième aspect concerne les moyens par lesquels l’homme essaye d’influencer le monde imaginaire : c’est l’aspect rituel qui vise à aider l’âme du défunt à s’intégrer dans l’au-delà. Ce côté rituel est très prononcé durant les 40 jours suivant le décès de la personne : des veilles durant les 3 premiers journées, avec des pleureuses et les connaissances de la famille qui rendent visite, en passant par l’enterrement le troisième jour après le décès, jusqu’au rite de la « libération », 40 jours après le décès. Il m’importe à ce stade de souligner l’importance du rite : les élèves devront comprendre que le rite constitue – en nous appuyant encore sur Claude LéviStrauss - une action verbale et gestuelle qui nécessite une manipulation d’objets. 26 Mais il y a également un côté symbolique inhérent au rite, « en ce sens qu’ils n’ont souvent pas d’utilité sui generi, leur action se situant à un autre niveau. Les cérémonies rituelles ont en effet la particularité de ‘défonctionnaliser’ le corps et les gestes, les objets et les paroles, pour les réinvestir symboliquement, transformant les rapports, les états et les statuts, ou renforçant des liens existants. »19 Ainsi, la base théorique ne servira pas uniquement de voie à saisir la fonction sociale du vampire, mais elle constitue en elle-même une connaissance sociologique – ainsi, elle me permettra d’illustrer et d’expliquer aux élèves deux concepts-clés de l’anthropologie : le mythe et le rite. b. la méthodologie Pour des raisons qui me semblent évidentes, j’ai prévu une méthode assez ‘classique’ afin de présenter cette partie du chapitre – le cours magistral, tout en mélangeant celui-ci à une forme de maïeutique qui me permet d’élaborer certains points à partir d’un dialogue sous forme de questions-réponses que je mène avec les élèves (p.ex. « De quelle façon les êtres humains s’imaginent-ils la mort ? » au départ pour en venir aux conceptions roumaines de la mort, qui peuvent s’avérer soit différentes, soit similaires). Cette méthode me permettra ainsi de donner aux élèves une base de savoir dans un laps de temps assez restreint. Cette base leur est fournie sans qu’ils aient à faire de longues recherches fastidieuses, et il me sera possible de contrôler, par le biais de petites questions, que le contenu a été assimilé. Une fois cette base acquise (certains pédagogues parleraient dans ce contexte d’un « socle »…), une base qui se constitue néanmoins de concepts tels que le rite et le mythe, il leur sera possible de suivre le cours en employant d’autres méthodes didactiques – notamment des recherches, qui sont davantage axées sur l’activité de l’élève. 19 Pascal Lardellier, Faut-il brûler les rites ?, p.13, Les éditions de l’Hèbe, 2007 27 En me référant aux objectifs pédagogiques que j’ai formulés (p.11), je tiens donc à retenir que cette première partie du chapitre demande : - une structuration nette ; - que j’éveille l’intérêt des élèves (p.ex. en posant des questions qui ont trait à leurs connaissances au sujet de la mort) ; - une participation active des élèves (ici sous forme de questions-réponses) ; - des liens avec d’autres disciplines (dans le cas du chapitre présent : avec l’histoire et la littérature française et britannique) ; 2e partie du chapitre : Les croyances et les rites relatives à la figure mythologique du ‘vampire’ a. le contenu Cette partie sera vouée à l’image du vampire, aux mythes et rites qui ont trait à cette figure. Le contenu de cette partie du chapitre est composé d’extraits d’un livre s’intitulant « Où sont passés les vampires ? » de l’anthropologue roumaine Ionna Andreesco, un ouvrage qui a ceci de particulier qu’il se compose d’une multitude d’entretiens avec des habitants (surtout féminins) de Balota, un village rural de la Roumanie. Ces habitants se voient, depuis quelques mois, confrontés à des événements qu’ils mettent en relation avec le décès d’un villageois de mauvaise réputation : Dodu, surnommé « le Bulgare ». Ces femmes témoignent de ce qu’était et ce qu’est devenu ce fameux « Bulgare », et elles proposent l’explication suivante : de par sa nature « mauvaise », qui le rattache au monde du Mal et par conséquent au diable, son âme n’a su s’intégrer dans l’au-delà et elle s’est donc offerte au Mal. Ainsi, le Mal – ou le Diable – prend forme en empruntant la dépouille terrestre de Dodu et sème la maladie, la mort entre les vivants. C’est ce qui correspond à l’image d’un « moroï » ou « strigoï », dénominations roumaines du vampire. J’ai effectué ce choix sur base d’un argument en somme banal : faire travailler les élèves avec ces entretiens me permet de les confronter à une « matière première », à des données qui ont été recueillies et qui n’ont été altérées que par leur traduction. D’une part, cela devrait éveiller leur intérêt dans le sens qu’ils auront à faire à un 28 recueil d’informations « brutes » au lieu d’un extrait d’un ouvrage offrant déjà a priori une lecture contenant une synthèse et une analyse des données, et par ce biais aussi la vision de l’auteur. D’autre part, ceci leur permettra d’avoir une première impression de ce qu’est le travail d’un chercheur en anthropologie (ou en sociologie ou des sciences humaines apparentées) et de réaliser leur propre synthèse et analyse – ce qui, de plus, me permet de rester fidèle à l’un des objectifs poursuivis. Car si les élèves ‘construisent’ ici leur propre connaissance socio-anthropologique, aussi rudimentaire fût-elle, cela s’inscrit dans le contexte constructiviste : l’élève qui produit ses propres connaissances à partir d’activités menées par lui-même. b. la méthodologie La méthodologie propre à cette deuxième partie du chapitre découle facilement du contenu : le cours est axé sur l’activité des élèves, qui prendra ici la forme de travaux en groupes. Afin de mettre les élèves sur une piste et afin de structurer les connaissances à acquérir au sujet des vampires, j’ai décidé de leur fournir cinq questions qui permettront aussi de diviser la classe en cinq groupes qui travailleront, le long d’une à deux leçons de façon autonome à leur sujet. Ces questions sont formulées selon une logique temporelle à respecter lors des présentations en classe : a. Quelles sont les mesures préventives pour éviter une vampirisation? b. Quelles personnes sont susceptibles de se transformer en vampires? c. Comment le mort devient-il un vampire? d. Comment le vampire se manifeste-t-il? e. Comment repérer et éliminer le vampire? Ces travaux feront ensuite l’objet d’une présentation et d’une discussion de la matière traîtée dans ce chapitre : chaque groupe, constitué de 2 à 4 élèves, devra présenter en classe un résumé oral de son travail, ce qui permettra de synthétiser les éléments les plus importants. Chaque travail se verra donc replacé dans son contexte d’origine et les élèves pourront ainsi saisir le « tout » en y insérant leur apport et en appréhendant les travaux des autres… 29 Les travaux réalisés par les élèves seront ensuite cotés sur vingt ou trente points qui interviendront dans le calcul de la note trimestrielle. Le fait de noter ces travaux et de les faire intervenir dans le calcul de la note trimestrielle me permettra d’une part de garantir un certain niveau de motivation des élèves – tout en évitant de façon « élégante » un devoir en classe conventionnel (qui constitue de toute façon un casse-tête d’un point de vue logistique : les élèves sont originaires d’une douzaine de classes différentes, toutes sections confondues, et leur agenda ne me donne jamais l’opportunité de les faire rédiger un devoir en classe sans violer l’interdiction d’un deuxième devoir en une journée scolaire). Finalement, il m’est possible, par le biais de ces travaux en groupe, de diversifier la méthodologie d’une part (cf.indicateur N°4), d’autre part de mener les élèves à participer activement au déroulement du cours (cf.indicateur N°3). 3e partie du chapitre : L’influence des croyances roumaines sur le monde occidental a. Le contenu Après avoir plongé les élèves dans le monde des croyances traditionnelles roumaines en relation avec la mort et les vampires, j’ai jugé nécessaire d’analyser l’influence de ces croyances sur ce que j’appellerai ici la « culture populaire moderne de l’Occident ». Une première étape qui permet de saisir leur porté sur l’Occident constitue la littérature romantique du XIXe siècle, qui se révolte contre le rationalisme du siècle des Lumières. Les bourgeois anglais, français et allemands de l’époque ‘dévorent’ littéralement les romans et nouvelles à contenu surnaturel, et certains auteurs recourent même aux thèmes morbides (comme c’est le cas, en Allemagne, notamment pour E.T.A. Hoffmann). Les récits de vampires se prêtent parfaitement à cette nouvelle passion, d’autant plus que certains thèmes (celui de la séduction mortelle, par exemple) et décors (dans le style gothique) chers au mouvement romantique conviennent très bien à ces histoires. Ainsi, nombre de romans, comme par exemple « The vampyre » (par J.W. Polidori) ou « Varney the vampire » (dont 30 l’auteur est resté anonyme) voient le jour. De même, l’on voit surgir sur le continent européen des œuvres littéraires à contenu vampirique – citons « Métamorphoses du vampire » de Baudelaire (1866) à titre d’exemple.20 Plus tard, par le biais de l’écrivain Bram Stoker, l’intérêt pour ces histoires phantastiques et morbides connaîtra une renaissance car son œuvre majeure, « Dracula » (1897), inspirera nombre de cinématographes, qui à leur tour envoûteront des millions de spectateurs assoiffés d’hémoglobine artificielle. A Bram Stoker revient en outre le mérite de présenter le vampirisme dans une version plus fidèle aux croyances roumaines, ce qui s’explique par le fait que Stoker entretenait une amitié avec Arminus Vambery, professeur de langues orientales à l’Université de Budapest. Celui-ci connaissait parfaitement les coutumes et croyances relatives au vampirisme dans les régions rurales de l’Europe de l’Est et transmettait son savoir à Bram Stoker. Celui-ci eut le bon goût de relier ce personnage morbide aux contes de vampires. S’imposera alors une brève biographie sur le personnage historique du Vlad Tepes (« Vlad l’empaleur »), prince de la Valachie, dont le surnom « Dracula » provient de son père, Vlad Dracul, qui avait pris ce nom en référence à l’Ordre du Dragon Renversé, auquel il avait accédé à l’aide de Sigismond du Luxembourg. En effet, le terme « Dracul » est porteur d’une ambiguité particulière, signifiant à la fois « dragon » tout comme « diable », ce qui se prêtait à un glissement de sens qui fait ainsi référence à la cruauté excessive dont faisait preuve le fils. Enfin, c’est ce moment du cours qui invite à traiter les œuvres cinématographiques qui font référence aux vampires. J’invite donc les élèves à visionner l’un des classiques du genre, à savoir « Nosferatu » (de Friedrich Wilhelm Murnau (1921), bien que je ne tienne pas à me priver de la liberté de choisir alternativement la version modernisée de Werner Herzog, celle-ci datant de 1979). Ces films ont ceci de particulier de faire recours à une esthétique prononcée, sans doute inspirée, par moments, par la peinture romantique (notamment celle de Caspar David Friedrich).21 20 21 Marigny Jean, Sang pour sang, Gallimard Coll. »Découvertes », Paris 1993 « Erkennbar greift Murnau jedoch in seinen Naturdarstellungen und Bildkompositionen auf sehnsuchtsvolle und verklärende Elemente der Romantik zurück, am offensichtlichsten auf Bildmotive von Caspar David Friedrich, dessen Vergegenständlichungen transzendenter Zustände für viele szenische Aufbauten Murnaus Pate gestanden zu haben scheinen. Grafe erkennt besonders in den Szenen mit Ellen etliche Verweise auf Werke Friedrichs, etwa auf Frau am Fenster oder auf Friedrichs Strandbilder.[52] Ellen sei in diesen artifiziell gestalteten Filmbildern „die verkörperte Melancholie, die Freud als eine Blutung des Innenlebens bezeichnete“, 31 Ces trois volets, à savoir littéraire, historique et cinématographique, me permettent ainsi de satisfaire au 5e indicateur défini dans le chapitre précédent (p.13), à savoir celui de l’interdisciplinarité. Les références faites au courant romantique en littérature française et anglaise, à l’histoire (Vlad Tepes) ainsi qu’à l’histoire de l’art tressent ainsi des liens avec toute une gamme de disciplines hétéroclites. L’emploi du film comme média, à son tour, répondra à l’indicateur N°2. b. La méthodologie & l’emploi de médias audiovisuels dans le cours Comme cette partie est dotée d’une multitude se sources diverses, et comme le cours magistral constitue, dans un premier temps, la méthodologie dominante, je propose aux élèves de réaliser un travail en groupe sous forme d’ une comparaison entre la figure du vampire dans les croyances populaires roumaines et celle qu’ils ont pu admirer lors du visionnement du film « Nosferatu » (celui de Werner Herzog, complété par une séquence de la version originale de Friedrich Wilhelm Murnau). À la base de cet exercice se trouve la volonté de faire explorer la thématique du vampire sous une multitude de perspectives, et ainsi ne pas délaisser l’impact qu’ont eu les croyances roumaines sur ce que l’on appelle la « culture populaire » de l’Occident : littérature, peinture, théatre, cinéma. Or, recourant à une représentation plus graphique (litres d’hémoglobine et baisers érotiques à l’appui), c’est sous sa forme cinématographique que la figure du vampire a su envoûter le plus de spectateurs. Et il me semble que chaque génération de cinéphiles ait connu « son » acteur de vampire emblématique : de Max Schreck dans Nosferatu de l’ère expressioniste allemande, en passant par Bela Lugosi des films Universal et Christopher Lee des Hammer Studios d’Angleterre, jusqu’à Robert Pattinson de la saga cinématographique plus récente Twilight, mettant en scène un vampire à la morale humaine, voire même puritaine22. Comme pour chaque emploi d’un support cinématographique dans n’importe quel autre cours du secondaire, plusieurs réflexions préalables vont s’imposer. Car le merkt Grafe an. Andere Topoi der Romantik wie die Beseeltheit der Natur und die Wirkungsmacht des Schicksals werden früh im Film eingeführt: Ellen fragt ihren Ehemann, der ihr einen Blumenstrauß bringt: „Warum tötest du die schönen Blumen?“; ein Passant warnt Hutter beiläufig: „Niemand entflieht seinem Schicksal.“ » (http://de.wikipedia.org/wiki/Nosferatu_–_Eine_Symphonie_des_Grauens) 22 cf Clémentine Baron, Nouveaux épisodes, pp. 72-73, dans : Le Magazine littéraire Mars 2013 32 recours au film risque d’exposer le cours à certains danger, notamment celui d’encourager les élèves à une réception purement passive – ce qui s’oppose manifestement aux objectifs du cours (cf. chapitre II / 4.a : objectifs méthodologiques : « prévoir la participation active des élèves »). N’oublions pas que de nombreux pédagogues, philosophes et sociologues ont largement critiqué la culture cinématographique, soit de façon générale, soit de façon précise dans le contexte de l’enseignement. Ainsi, Adorno considérait le cinéma comme une « fabrique de rêve » qui ne contribuerait pas, mais pervertirait et détruirait l’art. Le cinéma, tout comme d’autres manifestations de la culture de masse, se transforme ainsi en instruments d’oppression. De même, le sociologue américain Neil Postman met en cause la connexion entre divertissement et enseignement : « Aber noch nie hat jemand behauptet oder angedeutet, dass sinnvolles Lernen wirksam, dauerhaft und wirklich bewerkstelligt werden kann, wenn der Unterricht zur Unterhaltung wird »23. Plus loin, il s’appuye sur des statistiques afin de prouver que l’emploi de médias dans l’enseignement ne favorise pas, mais freine même l’acte d’apprentissage. D’autre part, l’on trouve aujourd’hui une panoplie d’œuvres didactiques vouées à l’emploi de films dans le cadre de l’enseignement. Je vais me concentrer dans le cadre du travail présent sur celles qui traitent l’emploi de films dans le contexte des cours de philosophie et/ou de morale, tout comme je l’ai fait jusqu’ici pour les objectifs et pour les indications méthodologiques. Ainsi, Cynthia A.Freeland et Thomas Wartenberg déclarent dans « Philosophy and Film » : « we may respect films as themselves reflective, world-creating, philosophical achievements »24. L’œuvre cinématographique est ici donc perçue comme un médium qui réussit, par le biais de stimulations sensorielles, à plonger le spectateur dans un monde qui lui est propre. Selon les auteurs, ceci permettrait au spectateur d’user de cette expérience afin de réaliser des réflexions d’ordre philosophique. 23 24 Neil Postman, Wir amüsieren uns zu Tode, p. 179 Cynthia A.Freeland, Thomas E.Wartenberg, Philosophy and Film, p. 3, Routledge, New York, 1995 33 Dans la même lignée, les auteurs de l’œuvre « Philosophie im Film » indiquent que le potentiel de romans, d’images, de contes et finalement aussi de films pourrait être utilisé à des fins d’ordre philosophique : « Mit der Propagierung einer philosophischen Filmanalyse wird der Wert der filmästhetischen Analyse nicht bestritten. Im Gegenteil : die philosophische Filmanalyse bedient sich vieler Elemente der klassischen Filmanalyse ; jedoch sind diese nicht Selbstzweck, sondern haben eine dienende Funktion. Leitendes Ziel ist es, das jeweilige philosophische Potenzial des Filmes auszuschöpfen. »25 Dans « Anschaulich philosophieren », Jörg Peters et Bernd Rolf argumentent en faveur de l’emploi de films dans l’enseignement : « Ein zweckmäßiger Grund, einen Film oder einen Filmausschnitt zum Untersuchungsgegenstand innerhalb einer Unterrichtsreihe zu machen, liegt darin begründet, dass durch ihn (manchmal) ein Problem besser als durch einen Text auf den Punkt gebracht werden kann, weil er (meist) kürzer, anschaulicher und eventuell auch emotionaler ist. »26 Je tiens néanmoins à différencier les observations réalisées par ces auteurs pour le cours à option, car l’objectif premier du visionnement de l’une des deux versions de « Nosferatu » ne réside pas dans la confrontation de l’élève avec un problème moral précis. Le support filmique ne sert pas à illustrer un sujet de réflexion, il devient luimême sujet. En effet, l’objectif consiste à saisir le phénomène de l’image du vampire sous toutes ses facettes, y incluses ses représentations cinématographiques, qui sont les mieux connues par la population occidentale. 25 Jörg Peters, Martina Peters, Bernd Rolf, Philosophie im Film, p.5, C.C.Buchners Verlag, Bamberg, 2006 26 Jörg Peters, Bernd Rolf, Spielfilme im Ethik- und Philosophieunterricht, in : Anschaulich philosophieren, Beltz Verlag, Weinheim und Basel, 2007 34 2. Analyse des travaux des élèves Ayant mené le cours comme je l’ai décrit dans le troisième chapitre, je vais dès lors analyser et évaluer les travaux effectués par les élèves afin de les confronter aux objectifs que j’ai définis dans le deuxième chapitre. Je tiens à préciser que je vais évaluer les travaux qui ont été réalisés par les élèves au fil de la deuxième partie et de la troisième partie du chapitre, la première partie ayant surtout servi d’introduction au thème et de fond qui permet de saisir le contexte culturel de la figure du vampire. 2e partie du chapitre : Les croyances et les rites relatives à la figure mythologique du ‘vampire’ Comme annoncé plus haut, les élèves sont confrontés à un travail en groupe ; chaque groupe se voyant assigné une question particulière. Afin de pouvoir analyser et juger le contenu des travaux, passons en revue ces cinq questions et les travaux respectifs: a. Quelles sont les mesures préventives pour éviter une vampirisation? En 2011-2012, le groupe chargé de la question a) a formulé la réponse de la façon suivante : « Pour éviter de devenir un vampire, les Roumains ont élaboré différentes méthodes préventives assurant la ‘non-vampirisation’. Comme par exemple de mener une vie honnête et pas cèder à la tentation. On peut alors dire qu’un individu qui mène une vie tout en non-respectant ces règles deviendra très probablement un vampire après sa mort. Mais il existe aussi d’autres règles que les Roumains doivent respecter. Prenons l’exemple de la tradition exigeant de mourir seulement en présence de lumière. 35 Sinon on souffre d’une mort noire, terrible, pleine de souffrances, qui entraînera la vampirisation. Pour éviter qu’une personne se transforme en vampire, on peut également découper un peu de chair de la jambe ou du bras de la personne en question pour lui metter dans la bouche par après. Le résultat est la non-vampirisation. Une dernière méthode, énoncée par Coca, est de mettre des clous dans le corsage et sur la poitrine de la personne en question, pour qu’elle ne puisse pas sortir de sa tombe. » 27 Ici, les élèves ont su synthétiser les éléments essentiels qui permettent de répondre à la question comment les Roumains cherchent à éviter la ‘vampirisation’ d’une personne décédée (par le biais des rites cités), mais également comment ils tentent de prévenir leur propre transformation en vampire (« comme par exemple de mener une vie honnête et ne pas céder à la tentation »). Ce dernier volet constitue la dimension morale de la mythologie du vampire, celui-ci servant de métaphore puissante du Mal absolu, du Mal qui s’est emparé de l’âme du malheureux qui n’a pas su respecter les normes et valeurs morales de ce qu’était sa société. Ce volet sera notamment approfondi au cours de la deuxième question… Quant au premier volet, les élèves ont bel et bien mis en évidence les différents rites roumains qui visent à prévenir l’emprise du Mal sur le corps du défunt et par conséquent d’éviter qu’il ne se transforme en ‘vampire’. Il s’agit de deux rites qui, certes, ne constituent guère les plus appétissants, mais qui ne sont pour autant pas dépourvu d’un symbolisme manifeste : découper un peu de chair de la jambe du défunt et la poser dans sa bouche revient à lui faire subir exactement ce qu’il risque de faire subir à ses proches : il les « dévorerait »… au sens figuré. Car c’est là un mal sociétal qui est attribué à un mal commis par une personne qui semble avoir, de par son avidité et son égoïsme, mis en déroute l’équilibre de la société. C’est ainsi que pourra ressortir ensuite le lien entre mythe et rite : le dernier vise à rétablir un équilibre qui se base sur une cosmogonie opposant le « bien » au « mal ». Par le rite, les villageois roumains tentent d’intervenir au niveau de cette dichotomie mythique, dans le but de rétablir cet équilibre. 27 Des copies des originaux se trouvent dans l’annexe. 36 Les travaux des élèves s’avèrent ainsi presque complets – le seul élément qui aurait rendu le travail plus exhaustif serait de mentionner les rites funéraires, qui, eux, visent aussi à aider l’âme à retrouver l’au-delà et donc de subir une « bonne mort », qui, elle, est opposée à la « mort noire » (réservé aux gens qui se transformeront en vampires). Le travail a ainsi été sanctionné d’un total de 25 sur 30 points. b. Quelles personnes sont susceptibles de se transformer en vampires? Toujours en 2011-2012, deux élèves ont formulé la réponse de la façon suivante : «Es gibt viele verschiedene Art und Weisen, zu einem solchen ‘Vampir’ zu werden. Zunächst lässt sich im allgemeinen feststellen, dass besonders Menschen mit mangelhaften moralischen Wertevorstellungen in Frage kommen. Das heißt, unter anderem Diebe, Neider, Mörder und Vergewaltiger. Materialistisches Denken und Gier sind weitere Chararakteristiken, die einen Vampir zu Lebzeiten ausmachen. Hierbei sollte man anmerken, dass nach allgemeiner rumänischer Auffassung die Bösartigkeit den betroffenen Menschen oftmals bereits vor der Geburt innewohnt. Anzeichen dafür sind beispielsweise Haare auf dem Kopf oder eine ‘unnatürliche’ Position bei der Geburt (nicht mit dem Kopf nach vorne). Folglich kann man behaupten, dass ein solcher Determinismus eine wesentliche Rolle spielt. (…)» Les élèves résument ici l’essentiel de ce qui constitue la nature du vampire. Celui-ci est, déjà de son vivant, une personne qui incarne le « Mal », car il ne cherche pas à endiguer la soif de faire mal à autrui. Ces deux élèves ont su, d’ailleurs, à soulever une question fondamentale de la représentation du vampire : s’agit-il d’un choix délibéré de « faire le mal », ou l’homme est-il victime de son propre sort auquel il ne pourra échapper ? Il s’agit là d’une question philosophique qui nécessitera un approfondissement lors des présentations en classe, et qui n’est pas communément soulevée par les élèves. Plus loin, les élèves saisissent d’ailleurs très bien le contexte des valeurs morales de la société dans lequel s’inscrit la croyance aux vampires : 37 « Die Menschen haben klare Vorstellungen von Gut und Böse, und sehen die Welt praktisch nur in schwarz und weiß. Sie halten an einem gewissen Aberglauben fest, und achten pedantisch auf gute sowie auf schlechte Omen. Dies geht deutlich hervor, als Alouette und die Ionna Andreesco sich hüten, in Schlammpfützen und Schlaglöcher zu treten, aus Angst mit dem Bösen in Kontakt zu kommen. » Et bien que les élèves fassent ici preuve d’un jugement de valeurs («sie halten an einem gewissen Aberglauben fest… »), ils soulignent l’importance de la différenciation entre le « Bien » et le « Mal », dont le vampire en est une métaphore. Ils reconnaissent également le côté symbolique de la description de l’itinéraire suivi par le témoin Alouette et l’anthropologue Andreesco : marcher dans la boue, cela revient à choisir le chemin du « Mal ». En 2012-2013, le groupe chargé de cette question a constaté que… « … ce sont les personnes avec un caractère dans lequel la méchanceté prédomine, qui sont le plus susceptibles de se transformer en vampires. Cette méchanceté peut être constatée par le fait que ces personnes ont par exemple ‘le mauvais œil’, c’està-dire qui désirent les possessions des autres, ou qui aiment les ténèbres. Une catégorie de gens méchants est resprésentée par les avares et les profiteurs. Ces personnes veulent toujours plus et ils ne sont jamais satisfaits. Même dans la mort, ils désirent encore car ils hantent les vivants. Dans le texte, il y a par exemple un homme qui est devenu vampire et qui désire toujours plus de nourriture. Il s’agit de personnes qui s’emparent par exemple des biens des plus pauvres. Ce fait montre l’avidité du diable qui est présent dans l’âme des envieux et haineux. (…) » Ce groupe a également isolé le côté transcendant du mal incrusté au sein de cette personne : elle est mauvaise par nature, qu’elle soit vivante ou morte ! Des exemples sont fournis : le vampire est aussi avare que l’être humain qui l’incarnait avant sa mort. Plus loin, les élèves soulignent également le côté symbolique de cette avidité : « On peut donc dire qu’ils ‘sucent le sang’ ce qui est un symbole pour leur voracité. » Elles soulèvent également la question de la part de la culpabilité de la personne concernée – car s’il s’agit d’un destin, d’une méchanceté « enracinée » en elle, 38 comment pourrait-on la rendre coupable de ses méfaits ? En d’autres termes, c’est une question classique de la philosophie moderne qui est soulevée, sommes-nous sujets à un déterminisme absolu ou disposons-nous d’une liberté de volonté ? Les élèves interprètent les réponses d’Alouette, villageoise de Balota, de façon suivante : « Selon le texte, les personnes qui deviennent des vampires sont vouées de le devenir. On pourrait donc dire qu’elles n’ont pas le choix. Or, leur faute est de se laisser tenter par le diable. Elles pourraient améliorer leur destin en résistant à la tentation, mais peut-être elles ont un caractère trop faible, car le diable tente tous ceux dont il sait qu’ils se laissent tenter. Chacun a un côté mauvais mais il faut le combattre. (…) » Les élèves ont ici synthétisé de façon pertinente les conceptions roumaines de la prédisposition à faire du mal (d’ailleurs conforme à la conception du ‘mal radical’ de Kant) : celui-ci est enraciné en chacun de nous, mais il incombe également à chacun d’y résister. En conclusion, cette question vise à faire ressortir la fonction métaphorique du vampire – car l’ombre de celui-ci plane sur chacun qui cède à l’avidité, à la haine ainsi qu’aux autres pêchés humains ! Le vampire, serait-ce donc finalement une sorte d’ange-gardien qui ne tient sa fonction que par inversion ?? c. Comment le mort devient-il un ‘vampire’ ? En 2011-2012, un groupe répondait à cette question de façon moins cohérente : « Die erste Möglichkeit ist, dass das Herz des Toten sozusagen weiterschlägt, und die Seele, die an die Erde gebunden ist, Gestalt annimmt und als sogenannter ‘strigoï’ umher irrt und von den Lebenden wahrgenommen wird. Die zweite Variante handelt vom Teufel persönlich, der vom Körper des Toten Besitz ergreift und als Vampir Unruhe unter den Lebenden stiftet. In einem Punkt stimmen beide Varianten überein : ein Vampir verspürt einen ständigen Hunger nach dem Fleisch oder eher nach dem Blut der Lebenden. » Manifestement, ces élèves ont distillé les facteurs les plus essentiels à une transformation, sans pour autant formuler une réponse cohérente à la question 39 posée. Car il s’agit d’un seul processus et non de deux variantes, fait que j’ai annoté sur leur copie : le mort reprend « vie » (au sens métaphorique), c’est-à-dire son cœur ne cesse de battre (toujours au sens métaphorique), car le Mal (représenté sous la figure du diable) a pris possession de sa dépouille terrestre. Les élèves ont donc « saisi » l’essentiel, mais leur réponse nécessiterait une formulation plus pertinente afin d’obtenir une très bonne note. Leur travail a été sanctionné de 24 sur 30 points. En 2012/2013, les élèves chargées de cette question ont répondu que… « Les personnes qui se transforment en vampire meurent dans le noir. Après l’enterrement, on remarque que le mort n’est pas comme tous les autres morts, comme il y a par exemple certaines personnes de son entourage qui tombent gravement malades. (…) On peut dire que l’âme est cédée au diable qui se réincarne dans cet esprit impur qui n’est désormais plus le mort lui-même. Cet esprit est le synonyme d’une ombre errante qui n’a pas de repos, comme l’âme n’a pas atteint ni intégré l’au-delà comme elle n’a pas pu continuer les dures épreuves qui ont comme but l’intégration dans l’au-delà. En effet, l’esprit s’est laissé tenter par le diable pendant son dur chemin. » Ce travail a le mérite de considérer la « transformation » de la personne décédée en vampire comme un seul processus, contrairement au travail précédent. Le thème principal, celui de la conquête de l’âme du décédé par une force maléfique, est ici mis en évidence de façon pertinente, même si certaines formulations pourraient se livrer à des malentendus.28 En outre, le travail est conçu de façon peu structuré : les éléments-clés se retrouvent dans la conclusion, alors que la partie principale de la réponse fournit plutôt des éléments destinés à la question d). Il s’agit néanmoins de faiblesses mineures dans le cadre d’un travail presque complet. Par conséquent, le travail a été sanctionné de 26/30p. Quoiqu’il en soit, il importe qu’à ce niveau, la métamorphose de la personne décédée en vampire soit comprise à un niveau symbolique : il n’est pas question de considérer le vampire comme un être matériel, mais comme la manifestation d’un esprit maléfique. D’ailleurs, de nombreux témoignages confirment cette 28 Ainsi, par exemple, l’ombre errante n’est pas « synonyme » mais plutôt la manifestation de l’esprit. 40 interprétation, comme celui-ci qui fait partie des textes fournis aux élèves : « Ce n’est pas le mort qui sort, Madame, c’est l’esprit qui prend forme »29. En outre, le concept du vampire fait ressortir la dichotomie de chacun des paradigmes suivants : le vampire s’oppose par sa nature maléfique à toute conception du « bien », tout comme il s’oppose au « vivant » par le fait d’appartenir aux règne des « morts ». Cette double opposition nous donne un champ sémantique, en outre représenté sous forme d’un graphique dans le syllabus distribué aux élèves : Vivant Gens ordinaires Gens voués, Sorciers Bon Mauvais Revenants Vampire, zmeu, etc Mort En guise de conclusion, je tiens donc à souligner l’importance que j’attribue à la dimension métaphorique de la figure du vampire : les élèves devront faire preuve de la compréhension de cette figure comme d’une entité qui appartient aux catégories de la mort et du maléfique, deux catégories qui définissent la cosmogonie rurale roumaine et les mythes et rites qui en découlent… 29 Andreesco Ionna, Où sont passés les vampires, Payot, Paris, 1997, p. 92 41 d. Comment le vampire se manifeste-t-il ? Cette question vise à faire ressortir le côté mythologique des croyances relatives aux vampires. Car, même si tout esprit rationnel et critique se défendra contre l’existence d’une créature surnaturelle comme un vampire, il s’agit ici bel et bien d’une croyance qui est enracinée dans la conscience collective d’une culture et qui, par le biais de de témoignages des villageois, fait « naître » un être qui, certes, n’existe pas en chair et en os. Néanmoins, cette figure occupe une place importante dans leur cosmogonie, ce qui a des retombées sur la vie sociale et culturelle des villageois de Balota. Voici deux extraits des réponses des élèves : « (…) Pour que le cœur continue à battre, le vampire boit du sang et dévore sa parentèle(…) Mais le sang ne rassasie jamais la soif du vampire. Pendant la promenade nocturne, il arrive qu’il y a une rencontre entre vivant et vampire. Souvent, le vampire retourne à la maison familiale où il réclame à manger et met le désordre à l’intérieur. Finalement, il y a un rapport sexuel avec la veuve. (…) » « Le vampire qui erre sur terre n’est qu’un esprit, une ombre. Pendant la nuit, l’âme du vampire se lève et se rapproche du village, poussé par l’avidité du diable. Il a le désir de dévorer le sang des vivants pour maintenir le fonctionnement de son cœur qui a recommencé à battre après sa mort. Cependant, ce sang ne les rassasie pas, ils ont toujours faim. Puis, après minuit, son âme retourne dans le tombeau (probablement pour éviter la lumière du nouveau jour). Ce va-et-vient de l’esprit fait retourner le corps du vampire dans la tombe. » Ce qui frappe dès la première lecture, c’est la redondance du caractère avide du vampire : il réclame à manger, ainsi que des rapports sexuels avec sa veuve. Les élèves ont parfaitement isolé ce trait en annonçant dès le début que le vampire mène à bout ce qu’il recherchait déjà de son vivant : consommer au dépit des autres. La soif à consommer devient ainsi symbole de l’avidité du Mal – et c’est surtout à ce niveau symbolique qu’il faut percevoir l’acte de ‘consommer autrui’. Les interprétations cinématographiques, on le verra plus loin, ont tendance à représenter cet acte sous une forme bien plus graphique. 42 e. Comment repérer et éliminer le vampire ? Si la question (f) traite le côté mythologique (comment les témoignages individuels rentrent dans la conscience collective d’un peuple), cette dernière question vise les rites (tout comme la première, d’ailleurs) : qu’est-ce que les villageois vont-ils entreprendre afin de mettre fin aux méfaits du vampire ? En 2011-2012, un groupe s’est chargé de cette question en répondant : « Les deux textes fournissent diverses méthodes de repérage d’un strigoï. Dans ‘Alouette’, on parle de malades après l’enterrement. De plus, les strigoï semblent avoir des effets sur les animaux, notamment sur les chevaux qui refusent de passer sur la tombe d’un strigoï potentiel. (…) » Les élèves fournissent ici des éléments, qui indiqueraient la présence d’un vampire dans le village – mais ils omettent d’expliquer en détail le « test » du cheval : il s’agit d’un rite qui confirmerait qu’un défunt se serait transformé en vampire. Ensuite, les élèves affirment que… « (…) en déterrant les gens en question, ceux-ci sont couchés sur le flanc et non plus sur le dos. Afin de se débarasser du strigoï, les deux récits présentent plusieurs méthodes. Dans ‘Alouette’, les strigoï sont aspergés de pétrole et brûlés (…). Dans ‘Baba Coca’, on met du feu dans la tombe du strigoï et on lui enlève le cœur. En guise de conclusion, les deux récits sur les vampires se ressemblent dans de nombreux points, notamment en ce qui concerne l’élimination des vampires et la découpure d’organes. » Les élèves soulignent à juste titre l’importance du feu – fait qui est relaté dans les entretiens sans pour autant en fournir une explication au niveau symbolique. Car c’est le feu auquel on attribue dans la plupart des cultures européennes (et ailleurs) un pouvoir purificateur. Il s’agit là d’une interprétation que je tenterai de mettre en évidence lors de la présentation des travaux des élèves. 43 De même, les élèves ont généralisé leur conclusion en parlant d’une « découpure d’organes ». Evidemment, il ne s’agit pas de n’importe quel organe, mais du cœur, qui représente le centre vital de la dépouille qui est possédée par le « Mal ». Par conséquent, j’ai rajouté ceci sous forme de remarque sur la copie des élèves, que j’ai notée à 26 sur 30 points, tenant compte des détails manquants ou flous. 44 3e partie du chapitre : le vampire dans la culture populaire occidentale Dans cette partie, il m’importe de vérifier si les élèves ont saisi la signification de l’image du vampire dans les croyances populaires roumaines au point où ils savent la différencier de celle du vampire dans les œuvres cinématographiques occidentales. Car si le vampire constitue, dans l’imaginaire roumain, un apparence, une ombre qui est du ressort du « Mal », donc du diable, et si les malfaits de ce vampire ce rattachent à tout un ordre social dont il fait partie, le vampire cinématographique représente plutôt une figure mythique supposée de provoquer des frissons chez le spectateur. L’on peut admettre qu’il rentre également dans la cosmogonie occidentale dans le sens qu’il représente le « Mal », mais il ne fait aucunément partie d’une conception de ce qu’est la mort, ni d’une conception se rattachant à la morale occidentale. Le but du travail présent consiste donc à vérifier si les élèves savent mettre en évidence l’une ou l’autre différence relative à la nature du vampire. En 2011/2012, un groupe d’élèves affirme : « Im rumänischen Glauben bleibt der Körper des Vampirs im Sarg liegen, seine Seele wandert, außerdem ist der Körper mit Blut überströmt und Haare und Nägel wachsen weiter. Im modernen Film30 ist es der Körper des Vampirs der wandert, im alten Film es eher eine schattenartige Gestalt (siehe Szene auf dem Schiff). Die Vampire haben eine Glatze und sehr lange Nägel. Nosferatu ist nie Blut überströmt. » Un autre groupe déclare : « Im rumänischen Glauben verlässt der Untote sein Grab während seiner Suche nach menschlichem Blut nie ; es ist nur sein ‘Geist’ der auf Wanderschaft geht. In dem Film jedoch sieht man, wie Nosferatu regelmäßig aus seinem Grab aufsteht. » Les élèves soulignent ici, dès le début, la différence en ce qui concerne l’essence du vampire dans les films : il s’agit d’habitude d’un être en chair et en os, d’une créature matérielle (exception : le Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau). Par contre, le vampire propre aux conceptions roumaines, n’est qu’une ombre, une apparence non-matérielle. 30 Werner Herzog, Nosferatu, 1979 45 C’est cependant le travail d’un élève ayant opté pour un travail individuel qui a le plus retenu mon attention. Après avoir emprunté le « Nosferatu » original de Friedrich Wilhelm Murnau et après l’avoir visionné chez soi dans son intégralité, Francisco constate : « Dans le film ‘Nosferatu’ de 1922, réalisé par F.W.Murnau, le vampire est représenté comme un personnage de l’ombre, une sorte d’apparition ou de fantôme, capable d’intervenir négativement dans le monde des vivants. Cette représentation de la ‘créature’ est assez proche de celle des légendes roumaines, où le vampire est vu comme l’âme d’un pêcheur qui n’a pas pu trouver le chemin du ciel, et qui a été possédé par le mal. Même si dans le film la légende n’est pas racontée de façon aussi précise, on peut supposer que Murnau s’est inspiré dans les croyances et les traditions roumaines pour construire son personnage. » Plus loin, il réalise une comparaison entre les deux versions différentes de ‘Nosferatu’ : « Ce film réalisé par Werner Herzog prétend rendre hommage au classique de 1922, en restant le plus proche possible. Effectivement, on peut constater que c’est le cas pour la majorité des détails. (…) D’un autre côté, cette version de ‘Nosferatu’ s’éloigne plus des mythes anciens en nous présentant le vampire comme un être en chair et en os. Comme déjà évoqué, le vampire est censé être une sorte de fantôme, une ombre, ou une vision. » L’élève poursuit son analyse en confrontant cette image du vampire à d’autres qui suivent dans l’histoire du cinéma : « Il s’agit là des deux films où le vampire est le plus proche des légendes traditionnelles, car tout au long des années, le cinéma a forgé son propre vampire. Cela a commencé dans les années 30, avec le ‘Dracula’ de Tod Browning, où le fameux comte est interprété par l’acteur Bela Lugosi. Dans cette version hollywoodienne, le vampire est plutôt présenté comme un personnage séducteur, un homme de charme, beau et mystérieux. Cette approche au vampire est bien évidemment fausse en ce qui concerne les légendes originales. Cependant, c’est cette image du vampire qui est restée dans la mémoire, et la plupart des films utilisant le vampire comme personnage en font usage. 46 Un film intéressant dans ce contexte est la version des années 90 de ‘Dracula’, film réalisé par Francis Ford Coppola. Dans ce métrage, le personnage du comte Dracula nous est présenté de différentes manières. Tout d’abord, on nous présente l’homme en tant que personnage historique, après on nous nous présente le vampire en tant que monstre, et finalement en tant que séducteur. (…) » La comparaison sera encore davantage étendue et appliquée à des œuvres comme «Interview with a vampire », avant qu’il n’arrive à la conclusion : « Pour conclure, on peut donc dire que la plupart des vampires cinématographiques ne correspondent pas vraiment aux légendes existantes. Ils sont surtout, pour la plupart, humanisés ou embellis, peut-être afin de les rendre plus ‘propres’ au cinéma. » On l’aurait compris – Francisco se connaît en films de vampires et a su rendre un travail qui a largement dépassé les attentes que j’ai posées au sujet des travaux à rendre. L’essentiel, néanmoins, reste de savoir s’il a su saisir ce que distingue le vampire des croyances roumaines du vampire cinématographique. Et il ne faut certes pas rentrer dans les détails pour constater qu’il a bel et bien réussi à formuler une réponse pertinente : le « vampire roumain » reste une apparition, une « ombre », alors que le vampire cinématographique constitue un être en chair et en os, qui sème la terreur parmi les vivants. Considérons ces extraits du film original de Friedrich Wilhelm Murnau afin d’illustrer cette différence relative à la nature du vampire : 47 A maintes reprises, le vampire est représenté sous forme d’une ombre, avec des membres disproportionnés par rapport à la taille du corps. Murnau utilisait d’ailleurs une technique peu courante à cette époque afin de représenter le vampire de façon translucente, à savoir la superposition de deux images afin d’en créer une image-synthèse avec le résultat escompté : 48 Même s’il s’agisse de la partie finale du film, qui met en scène la « mort » (ou plutôt la disparition) du vampire, cette technique est néanmoins utilisée plusieurs fois au cours du film afin de souligner sa nature « immatérielle ». De façon générale, ni la version de Werner Herzog, ni les films qui suivaient ont eu recours à ce type de représentation du vampire sous forme d’une apparition immatérielle (à moins que l’on ne considère le fait que la plupart des vampires restent invisibles dans les réflections d’un miroir comme dérivé de cette représentation originale du vampire…). Pour en revenir aux travaux des élèves : de façon générale, la presque totalité des élèves réussissent à cet exercice, ce qui me mène à la conclusion que d’une part l’exercice est tout à fait justifié et valable au sein du programme que j’ai établi, d’autre part que les élèves savent très bien faire la distinction entre le mythe du vampire dans les croyances sociales (et par là aussi la fonction sociale qu’il tient) et l’image du vampire dans les œuvres cinématographiques occidentales… 49 3. Conclusions relatives aux travaux des élèves a. Le contenu Au début de la présentation du chapitre traitant les vampires, j’ai fixé quatre objectifs relatifs au contenu de ce chapitre particulier. Je me permets ci-dessous de les passer en revue afin d’évaluer s’ils ont été atteints : 1er objectif : les élèves apprennent que la figure du vampire fait partie intégrante des croyances traditionnelles roumaines (en pays rural). Il s’agit là d’un objectif qui s’avère difficile à contrôler. Traiter la figure du vampire dans le cours et fournir un modèle d’explication en est un indice, mais certainement pas une garantie. L’extrait suivant montre plutôt qu’une bonne dose d’ethnocentrisme reste certainement enraciné dans l’esprit d’un élève européen, que l’on fournisse une explication d’ordre scientifique ou non : « Die Menschen haben klare Vorstellungen von Gut und Böse, und sehen die Welt praktisch nur in schwarz und weiß. Sie halten an einem gewissen Aberglauben fest, und achten pedantisch auf gute sowie auf schlechte Omen.» Il faut cependant distinguer entre un jugement de valeur comme dans le cas présent et d’autre part la compréhension des croyances, et ce à un niveau symbolique. Car les élèves font également preuve d’une compréhension de la matière par le simple fait de ne pas la traiter au premier degré, mais de considérer le contenu de ces témoignages au niveau symbolique, comme le prouve cet extrait de l’un des travaux des élèves : « On peut donc dire qu’ils ‘sucent le sang’ ce qui est un symbole pour leur voracité. » Le système de croyances roumains ne se comprend dès lorsqu’on s’élève audessus des apparences d’une superstition sans fondement ni fonction sociale. En soulignant l’aspect symbolique, les élèves ont pourtant su interpréter les croyances afin de les replacer dans leur contexte : des croyances traditionnelles qui fournissent une explication à la question fondamentalement humaine : qu’est-ce la mort ? 50 2e objectif : les élèves apprennent que les croyances et rites relatifs aux vampires se rattachent à la conception roumaine de la mort (le chapitre en question s’inscrit donc dans le 7e champ d’études de la FoMoS 31) et ne pourront pas être appréhendés sans les replacer dans leur contexte d’origine. Quant au deuxième objectif, je pense pouvoir conclure que les élèves ont effectivement su replacer les croyances aux vampires dans le contexte de la conception roumaine de la mort. Considérons l’extrait suivant : « Nach rumänischem Glauben ist es wichtig, dass ein Mensch keinen ‘dunklen Tod’ oder ‘schwarzen Tod’ erleidet. (…) Die Seele eines Menschen, der solch eines dunklen Todes starb, kann nicht ins Jenseits übergehen. » Ici ressort clairement le lien qu’entretient la conception de la mort avec l’image du vampire. Car l’existence de ce dernier ne serait même pas envisageable sans le dualisme inhérent à la conception de la mort des Roumains : à une « bonne mort » s’oppose la « mort noire », une mort qui signifie des souffrances pour l’âme qui ne réussit pas à s’intégrer dans l’au-delà, une mort qui se solde par l’emprise du Mal sur cette âme et donc par la constitution de ce qu’ils appellent un « vampire ». Ce faisant, les élèves ont donc replacé les croyances aux vampires dans le contexte social et culturel correspondant, ce qui leur a permis, à mon avis, de mieux comprendre la fonction sociale de ces croyances. 3e objectif : les élèves apprennent que l’être humain, en quête de « comprendre » la mort, a recours à cette fin aux mythes et rites. Tout le chapitre voué aux vampires poursuit cet objectif : répertorier, décrire ainsi qu’interpréter et fournir un modèle d’explication aux mythes et rites qui ont directement ou indirectement trait aux vampires, et, par ce biais, également à la mort. Ainsi, les questions a) et e) fournies aux élèves font directement allusion aux rites, les questions b), c), d) sont en relation avec le côté mythologique de la conception roumaine de la mort. Du simple fait que les élèves ont réalisé leurs travaux de façon plus que satisfaisante, je considère cet objectif comme étant atteint. 31 Fragenkreis 7 : Sterben und Tod 51 4e objectif : les élèves apprennent que la figure du vampire constitue, en dernier lieu, une métaphore du « Mal ». D’après mon jugement, les élèves ont parfaitement su établir le lien entre la figure du vampire et les valeurs morales de cette culture. Considérons l’extrait suivant : « Es gibt viele verschiedene Art und Weisen, zu einem solchen ‘Vampir’ zu werden. Zunächst lässt sich im allgemeinen feststellen, dass besonders Menschen mit mangelhaften moralischen Wertevorstellungen in Frage kommen. » Les élèves ont effectivement su replacer l’image du vampire dans le contexte des valeurs de cette société – ils ont su saisir la portée de ce que Marcel Mauss appelait un « fait social total », un fait qui ne se comprend que lorsqu’on le replace dans la totalité du système social dont il fait partie. La compréhension du phénomène de la croyance en vampires ne peut se faire que lorsqu’on considère la société rurale roumaine dans toutes ses facettes, et qu’on établisse les liens avec le contexte spécifique du système de valeurs respectif. 52 Autres objectifs Finalement, reste encore à me répondre à deux questions d’ordre plus général, questions que j’avais formulées ci-dessus de façon suivante :32 Ai-je amené les élèves à élargir leurs connaissances au sujet de ce qu’est l’homme dans la diversité de sa vie culturelle et sociale ? En considérant les travaux des élèves repris ci-dessus, et en considérant la portée que ces travaux impliquent sur le niveau de la compréhension des rites et mythes en relation avec la mort en Roumanie, je suis d’avis que je suis en mesure de répondre par l’affirmative : les élèves ont effectivement élargi leurs connaissances au sujet de ce qu’est l’homme dans la diversité de sa vie culturelle et sociale. Autre question qui m’incombe à vérifier : l’élève saura-t-il transposer et appliquer un savoir acquis d’un contexte donné à un autre ? Comme cet acquis ne m’est guère possible de vérifier à ce stade, l’analyse d’un autre devoir des élèves s’impose ici… 32 chapitre II.4 (b) : Utilité pédagogique du contenu du cours, p.16 53 La méthodologie Voyons à présent si la méthodologie employée au cours de ce chapitre se trouve en accord avec les indicateurs définis dans le chapitre II, à savoir : 1. Y a-t-il une structuration nette et claire du cours ? 2. Ai-je réussi à éveiller l’intérêt des élèves par le biais de médias divers ? 3. Ai-je prévu, à des moments déterminés à l’avance, une participation active des élèves ? 4. Ai-je respecté le principe de l’hétérogénéité des méthodes employées ? 5. Ai-je tenté de tresser des liens avec d’autres disciplines ? Passons donc en revue ces 5 indicateurs : Le premier indicateur, concernant la structuration du chapitre, peut être considéré comme atteint. Le chapitre est soumis à une structuration rigoureuse, où le contenu est divisé en trois parties distinctes : les mythes et rites en Roumanie rurale, les mythes et rites en relation avec l’image du vampire, et finalement la figure du vampire dans les cultures occidentales. De même, la méthodologie employée change pour chaque partie respective. Quant aux médias employés, je tiens à souligner le recours fait aux entretiens avec des villageois de Balota, donc des témoignages de « première main », ainsi qu’aux images, peintures et illustrations réalisées dans le contexte des représentations de vampires dans les sociétés occidentales. Finalement, le visionnement de l’une des deux versions de « Nosferatu » s’inscrit tout aussi clairement dans cette volonté d’offrir aux élèves une certaine diversité de sources médiatiques. La participation active des élèves a également été, à mon avis, assurée par la réalisation et la présentation de travaux en groupes. Ainsi, la partie essentielle du chapitre, à savoir les mythes et rites en relation directe avec les croyances relatives aux vampires, est synthétisée et partagée par les élèves eux-mêmes. Le critère de l’hétérogénéité des méthodes employées s’inscrit dans le même esprit que le précédent, car assurer une participation active des élèves demande à ce que 54 l’on utilise des méthodes diversifiées. Plus concrètement, je me suis vu employer d’abord le cours magistral, que j’ai interrompu à des moments précis par un jeu de questions-réponses afin de solliciter une réception active de la part des élèves ; j’ai ensuite pris recours à des travaux en groupes. Ces travaux ont ensuite fait objet d’un échange en plénière, de façon à ce que les élèments de réponse de chaque groupe aient été présentés en classe. La partie finale a ensuite été présentée à nouveau sous forme de cours magistral, mais non sans impliquer de nouveau les élèves qui savent généralement contribuer leurs connaissances et opinions relatives aux films de vampires. Finalement, le critère de l’interdisciplinarité a été largement respecté : le thème principal, celui des mythes et rites en relation avec la mort s’inscrit dans le programme du cours de Formation Morale et Sociale. La dernière partie se prête particulièrement bien à établier des liens avec la littérature française (le romanticisme), l’histoire (la période victorienne) et également l’histoire de l’art (à nouveau le courant romantique). Afin de formuler une conclusion d’un ordre plus général, je pense pouvoir affirmer que le cours que j’ai développé et réalisé au fil des dernières années correspond largement aux objectifs et aux critères formulés a priori. Le seul critère dont la réalisation m’est restée impossible à vérifier concerne la transposition et l’application d’un savoir acquis d’un domaine à un autre – question que je vais tenter d’élucider au cours de la prochaine partie de ce chapitre. 55 Transposition d’un savoir acquis : les sociétés et cultures américaines Une fois le sujet du vampirisme achevé, la matière du cours se concentre, durant un trimestre, sur les sociétés américaines : les sociétés indiennes (surtout amazoniennes), mais également des rites et mythes issus d’une fusion de différentes conceptions culturelles se retrouveront au centre de l’attention. Plus concrètement : le chamanisme, les têtes réduites des Indiens Jivaro ainsi que le Vaudou seront examinés sous un angle socio-anhthropologique. Je me permets ici de mettre en évidence des travaux réalisés au sujet du Vaudou, sujet controversé car longtemps associé à la superstition et/ou à la magie noire. Cependant, le Vaudou occupe aujourd’hui bel et bien le statut d’une religion (religion d’Etat pour Haïti) et est reconnu à pied d’égalité avec d’autres religions dans le monde – même si quelques-unes des pratiques inhérentes au Vaudou provoquent toujours la répulsion chez certains… Les objectifs d’apprentissage et la méthodologie employée sont largement identiques à celles décrites dans le contexte du vampirisme, je me contenterai donc ici de les synthétiser de façon sommaire : Objectifs d’apprentissage : • les élèves conçoivent le Vaudou comme un système de pensée qui est propre aux peuples qui le pratiquent et ne se comprend que lorsqu’on le replace dans son contexte social et culturel ; • les élèves comprennent que la structuration de la religion Vaudou s’oppose vivement aux structures des grandes religions monothéistes (il s’agit d’un culte acéphale, dépourvu de toute instance autoritaire, bref : chacun peut devenir un prêtre Vaudou, et chacun peut prêter son corps comme « récipient » à un « loa », un esprit Vaudou) ; 56 • les élèves savent replacer l’historique du développement de la religion Vaudou dans le contexte de la colonisation du continent américain et de l’esclavage ; • les élèves savent distinguer entre les faits socio-culturels et historiques relatifs à la religion Vaudou d’une part, et les stéréotypes promus et répandus par la culture populaire occidentale (cliché de la poupée Vaudou, par exemple). La méthodologie se résume aux points suivants : • les élèves conçoivent et rédigent les questions en régie autonome ; en cas de fausse route, ils seront invités à repenser et à re-formuler leur question ; • les élèves disposeront d’un ensemble de textes issus de sources diverses (extraits de livres, entretien avec une prêtresse Vaudou, article de la revue « Sciences humaines ») que je leur aurai distribués préalablement ; • les élèves visionneront un film documentaire sur le Vaudou, réalisé par la National Geographic Society ; • les élèves devront user de ces sources afin de formuler les réponses aux questions qu’ils se sont posées au début ; • les travaux réalisés feront l’objet d’une brève présentation qui devra se solder par une conclusion générale au sujet du Vaudou. En résumé, les élèves sont amenés à formuler eux-mêmes les « pistes » qu’il s’agit de suivre dans le but de comprendre le phénomène Vaudou, avant d’user des sources fournies par l’enseignant afin de répondre aux questions. Par conséquent, les élèves jouissent d’une relative autonomie au cours de cet exercice… 57 Les travaux des élèves Afin de vérifier s’il y a eu une « transposition » d’un savoir ou d’un savoir-faire, d’une « compétence », je tiens à considérer en premier lieu les questions que se sont posées les élèves : Groupe A : Où est-ce que le Vaudou est apparu pour la première fois et comment s’est-il développé ? Quelle est la signification de « Vaudou » ? Quelle est la symbolique du Vaudou ? Comment est-il pratiqué en Haïti ? Groupe B : Von wo kommt Voodoo ? Bedeutung (wortwörtliche + symbolische) von Voodoo ? Entstandene Missverständnisse und Vorurteile ? Groupe C : Unter welchen Umständen kam es zur Entstehung des Voodoo ? (Welches ist die) Bedeutung von Voodoo ? Welches sind die Grundgedanken des Voodoo ? Gibt es eine bestimmte Struktur/Hierarchie im Voodoo ? Gibt es echte Voodoo-Puppen ? Wenn ja, wie stellt man sie her und zu welchem Zweck ? Il me paraît ici difficile de nier la volonté des élèves de chercher une « signification symbolique » qui se cacherait de façon sous-jacente derrière le phénomène du Vaudou : le groupe A déclare rechercher la « signification » ainsi que la « symbolique » du Vaudou, le groupe B tente en dénicher la « signification littérale et symbolique », le groupe C reste plus vague en formulant une question relative à la signification du Vaudou. 58 Par conséquent, si je me permets de déclarer que les élèves auront assimilé la moindre connaissance au cours des chapitres précédents, ce serait celle de la conscience d’une présence d’un sens plus profond, d’une « signification symbolique » qui serait inhérente à un système religieux comme le Vaudou – alors qu’il s’agit clairement d’un phénomène qui, au sein du grand public, est plutôt assimilé à la magie noire et à la superstition. J’en conclus que les élèves font ici réellement preuve d’une transposition d’un savoir assimilé lors des chapitres précédents : en se voyant confronté à un sujet jusque-là inconnu, même largement tâché par des stéréotypes culturels, les élèves ont appris à l’appréhender sans préjugés et à en dégager les significations symboliques préalablement. C’est justement l’un des objectifs que j’avais formulés dans le contexte du vampirisme, donc la question de ce que représente la figure du vampire : Objectif 4 : la figure du vampire constitue, en dernier lieu, une métaphore du « Mal ». Il s’agit là de l’une des connaissances fondamentales des sciences socioanthropologiques, car comme le formulait Pascal Lardellier : « Les rites n’ont pas d’utilité en soi, mais leur action se situe à un niveau symbolique »33. Et c’est justement cette volonté de chercher à extraire la signification symbolique dont les élèves ont fait preuve… Néanmoins, force est aussi de constater que j’ai prévu un nombre très limité d’exercices qui me permettraient de juger si un savoir acquis peut être transposé d’un domaine à un autre. Par conséquent, tout en tenant compte des indicateurs et des résultats décrits au cours de ce chapitre, je pense devoir consolider cet aspect en prévoyant davantage d’exercices de ce genre. 33 Pascal Lardellier, Nos modes, nos mythes, nos rites, Editions EMS, Cormelles-Le-Royal, 2013 59 60 IV. Conclusion Formuler une conclusion générale à l’égard de mon propre cours que j’ai élaboré au fil des années n’est certes pas chose aisée. Il m’importe ici d’éviter de tomber dans le piège de déclarer l’évident et de formuler des louanges à propos de « mon » cours. Je tiens donc à me limiter, dans un premier temps, à la constatation que le travail présent m’a permis de confronter objectifs et résultats du cours et que la balance de cette confrontation donne une impression tout à fait positive : il est, à mon estimation, parfaitement possible de dispenser un cours à contenu socioanthropologique auprès des classes de 1ère et 2e, sans pour autant faire abstraction des concepts et méthodes didactiques que j’ai acquis au fil de ma formation de professeur de morale. Les élèves font preuve d’une motivation parfois bien supérieure à celle que possèdent mes élèves des classes de morale. Ils semblent majoritairement intéressés par les thèmes proposés et contribuent, par moment, même à en proposer d’autres. Je les juge absolument capables de discerner la signification symbolique des rites et mythes auxquels je les ai confrontés en classe, qu’il s’agisse d’un rite d’initiation ou d’un culte religieux comme la Vaudou, que je traîte un mythe « exotique » ou une légende luxembourgeoise. Dans ce sens, je considère que j’ai atteint les objectifs que je me suis fixés au début de la recherche présente. Je me considère également en mesure de leur fournir, pour reprendre ici la formulation des directeurs du LGE, une « plus-value » à leur formation lycéenne. Néanmoins, il me reste à poser la question de la pertinence et de l’utilité pédagogique à un niveau au-dessus du seul souci si cette matière peut être enseignée au secondaire, à un « méta-niveau » pour ainsi dire. Je tiens ici à revenir aux causes qui m’ont inspiré à proposer aux élèves de l’enseignement secondaire un cours à contenu socio-anthropologique : partant du paradigme de la compréhension de « l’Autre », cherchant à saisir la signification des rites et mythes 61 qui nous peuvent paraître dépourvus de sens, voire même ridicules ou choquants, l’on arrive à comprendre ce qu’est l’être humain dans sa diversité culturelle. Bref, les sciences sociologiques et anthropologiques fournissent donc une grille de lecture qui devrait permettre de (mieux) comprendre les phénomènes sociaux et culturels. Mais leur compréhension ne se limite pas au seul souci d’élargir les connaissances scientifiques. Il s’agit d’un savoir dont les retombées et implications peuvent influencer notre manière de pensée, voire même sur notre comportement. Comprendre un tel phénomène qui nous paraissait, jusque-là, un fait barbare et dépourvu de tout sens, nous permet de repenser le jugement que nous avions porté au sujet de la société concernée. Dans ce sens, la compréhension d’autrui pourrait (ou devrait) mener à un regard plus tolérant envers les cultures qui nous paraissent si différents. Je pense qu’il s’agit là d’une illustration d’une transposition d’un savoir à une compétence, facultée si prônée par les pédagogies (plus ou moins) récentes. Car notre société occidentale reste une société ethnocentriste : elle juge selon ses normes, ses valeurs et finit souvent par imposer sa volonté, sa manière de voir. L’ère coloniale semble, hélas, pas tout à fait appartenir au passé. Comprendre l’Autre Les connaissances d’ordre socio-anthropologiques me semblent dans cette optique prédisposées à former l’esprit contre la tendance fâcheuse de l’être humain à s’opposer à tout ce qui lui paraît « différent » : «Pour des raisons de méthode, elle (l’anthropologie) étudie plus particulièrement les sociétés dites ‘primitives’, dont elle ambitionne de sauvegarder et de revaloriser les cultures. De manière peut-être utopiste, elle vise à promouvoir la solidarité humaine, le dialogue entre peuples et un certain humanisme basé sur la connaissance dans son unité et sa diversité. »34 Cependant, ce regard « neutre » sur les cultures étrangères soulève une question d’ordre éthique qui n’est certes pas nouvelle : si nous entendons porter un regard « neutre » et exempt de tout jugement de valeur, est-ce pour autant que « tout va » ? Bref, est-ce que nous nous soumettons ici à un relativisme culturel absolu ? 34 P.de Maret, Anthropologie sociale (syllabus), Presses Universitaires de Bruxelles, Bruxelles, 1994, p.12 62 Le débat n’est certes pas nouveau et il est loin d’être résolu. En 1994, la philosophe suisse Annemarie Pieper, en parlant de la pratique des (anciennes) sociétés des Inuit qui consiste à provoquer la mort des personnes âgées, affirmait : « Müssen wir grundsätzlich alles tolerieren, was nicht auf unserem Boden geschieht ? (…) Auch hier lautet die Antwort : Nein. Aber diesbezüglich gilt es zu differenzieren. Wir dürfen uns nicht deshalb einmischen, weil wir meinen, eine bessere Moral oder Religion zu haben, die absolut gilt, sondern weil wir davon ausgehen, dass es auf einer übergeordneten, neutralen Ebene möglich sein muss, über solche Praktiken vernünftig miteinander zu reden. (Es gibt) so etwas wie einen überregionalen Bereich, in dem man sich über das, was wir als Menschenrechte bezeichnen, die jedem Menschen unangesehen seiner Rasse, Religion und Volkszugehörigkeit unverbrüchlich zustehen, verständigen kann. »35 Or, invoquer les droits de l’homme me semble peu utile à la discussion du relativisme culturel. Car d’une part, n’est-ce pas la déclaration universelle des droits de l’homme qui stipule que « toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté. » (article 27) ? De plus, les droits de l’homme, bien qu’ils soient indispensables à assurer un climat de paix et de stabilité politique dans les sociétés occidentales empreintes de ce que l’on appelle la « modernité », ne constituent pour autant pas un ensemble de valeurs universelles et inamovibles. Certains anthropologues, comme Maurice Godelier, soulignent dans ce contexte que les droits de l’homme sont « avant tout définis comme attachés aux individus en tant que personnes qu’en tant que membres d’une communauté particulière, ethnique, religieuse ou autre »36 et qu’il s’agit de « valeurs qui avaient pris la place dévolue aux siècles précédents au christianisme, la seule ‘vraie’ religion »37. Bref, en invoquant la dimension universelle de la déclaration des droits de l’homme, ne tombons-nous pas dans le piège d’affirmer, une fois de plus, « notre » supériorité en termes de valeurs et de normes éthiques ? 35 Annemarie Pieper, Andere Ländere – andere Sitten – ist in der Moral alles relativ ?, dans : Standpunkte der Ethik, Ferdinand Schöningh Verlag, Paderborn, 2000, p.28 36 Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines, Ed.Albin Michel, 2007, p.27 37 ibid, p.20 63 Finalement, si j’en arrive à questionner la « nécessité d’une morale minimale »38, ce n’est pour autant pour affirmer que « tout est bon ». Comme je l’avais déjà mentionné en formulant l’objectif principal au fil du deuxième chapitre, la préoccupation de l’anthropologue est de : « Comprendre les croyances des autres sans être obligé de les partager, les respecter sans s’interdire de les critiquer, et reconnaître que chez les autres et grâce aux autres on peut mieux se connaître soi-même : tel est le noyau scientifique, mais aussi éthique et politique, de l’anthropologie d’hier et de demain. »39 L’opposition entre ces points de vue divergents ne devrait donc former aucune entrave au cours que je propose aux élèves. Tout au plus, je pense pouvoir user de cette opposition afin de lancer des débats autour de sujets controversés tels l’excision ou autres rites d’initiation à caractère douloureux. Si l’on déclare que l’objectif serait en première ligne de « comprendre les croyances des autres sans être obligé de les partager » et de « les respecter sans s’interdire de les critiquer », la critique d’Annemarie Pieper perd tout impact… Sociétés « traditionnelles » ? Qu’importe la différence entre société dite « moderne » (ou encore « postmoderne ») et société dite traditionnelle ? Car la raison d’être du cours présent se prêterait bel et bien à une critique particulière, à savoir celle que l’on adresse à l’anthropologie sociale et culturelle depuis quelques décennnies : à quoi bon faire de l’anthropologie si les « cultures » succombent de plus en plus à la mondialisation, et, pire, à une occidentalisation ? Les cultures dites « traditionnelles » seraient en voie d’extinction, dit-on. Et les exemples sont légions – n’en citons que celui, devenu célèbre, des Lapons qui auraient retardé leur migration annuelle vers le Nord de quelques jours – dans le but de ne pas rater l’épisode de Dallas qui révélait le personnage qui avait tiré sur J.R …40 38 Norbert Hoerster, Über die Notwendigkeit einer Minimalmoral, dans : Standpunkte der Ethik, Ferdinand Schöningh Verlag, Paderborn, 2000, p.29 39 Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines, Ed. Albin Michel, 2007, pp.72-73 40 Neil Postman, Wir amüsieren uns zu Tode, p.108-109 64 Or, d’une part, toutes les sociétés au monde ne sont pas américanisées ou occidentalisées aujourd’hui… et avec l’avènement des sociétés asiatiques sur les scènes économiques et politiques internationales, la mondialisation n’est plus aussi unilatérale qu’elle ne l’était il y a 30 ans. Comprendre soi-même D’autre part, il m’importe ici à souligner que la « plus-value » offerte à l’élève, sollicitée par la direction, ne se limite pas au seul domaine des cultures « exotiques ». En réalisant qu’il n’y a guère de mythe et de rite qui n’est pas porteur d’un sens plus profond, il nous est possible d’en revenir à notre propre culture et de jeter un regard plus saillant, plus critique, mais aussi plus scientifique (car doté d’une distance critique, nécessaire à toute connaissance scientifique) sur les phénomènes de notre propre société qui peuvent nous paraître soit naturels ou évidents, soit ringards. Ainsi, je pense absolument être en mesure de fournir une plus-value aux élèves, dans le sens que le cours leur fournit les instruments à cerner, à saisir et à décoder les mythes et rites qui sont propres à notre culture. Ainsi, en proposant aux élèves un travail au sujet de « comportements à caractère mythologique ou religieux au sein de notre société », j’ai réalisé qu’ils ont su me citer plusieurs thèmes dignes d’être ré-évalués dans une optique Barthes-esque : les supermarchés (et la consommation), les sports (football et marathon), les concerts de rock etc. Dans la suite, une discussion au sujet de la dimension religieuse de la marque Apple s’enflammait en classe : les iconographies de la marque « à la pomme », dimension « biblique » du personnage de Steve Jobs41, comportement religieux des adeptes prêts à faire des « sacrifices » afin de s’accaparer d’un nouveau i-produit, etc ad absurdum… Tout ceci pour comprendre que le langage symbolique et/ou mythologique est omniprésent dans toute société, qu’on s’en rende compte ou non. Marcel Mauss déclarait en 1906, donc à une époque encore moins empreinte des valeurs athées et matérialistes : 41 cf. Pascal Lardellier, Le livre de Jobs…le culte de la pomme, religion numérique, dans : Nos modes, nos mythes, nos rites, p.240 65 « Si les dieux de chacun à leur heure sortent du temple et deviennent profanes, nous voyons par contre des choses humaines et sociales – la patrie, la propriété, le travail, la personne humaine – y entrer l’une après l’autre »42. Un siècle plus tard, cette affirmation me semble toujours valide – à condition de rajouter à la liste les joueurs de foot, rock stars et autres idoles de la culture pop… Mythes et rites Mais à quoi bon savoir interpréter nos mythes et rites, me dirait-on ? Or, je considère cette faculté comme essentielle à toute formation d’un esprit critique qui soit capable de remettre en question ses propres usages et sa propre culture. Il s’agit d’une faculté qui permet de comprendre pourquoi nous nous engageons dans certaines actions qui sont plus du ressort du symbolique que du pragmatique. Finalement, il s’agit aussi d’un questionnement de ce qu’est l’être humain et des représentations qu’il se forge au sujet de sa propre existence. Et comme je l’ai souligné d’emblée dans le premier chapitre, il s’agit de comprendre l’homme sous les paradigmes social et culturel – une perspective qui ne connaît que peu d’intérêt au sein de l’enseignement secondaire. Dans cette ligne de pensée, je pense effectivement être en mesure d’offrir aux élèves une plus-value permettant de saisir une pièce du puzzle qui consiste à connaître l’homme – connaître l’autre mais aussi soi-même. Dimension sociale et dimension culturelle, voilà deux inconnues qu’il s’agit de prendre en compte, d’analyser et de décoder. En tenant compte des réactions des élèves, des travaux réalisés, tout comme des questions posées et réponses fournies, des réflexions faites au fil du cours, et ce de façon spontanée, j’accorde à ce cours la possibilité de transmettre aux élèves une « plus-value » non négligeable, et qui a trait à la question qui nous, les êtres humains, sommes. Dans ce sens, oui, je souhaiterais même voir davantage des réflexions et de connaissances d’ordre socio-anthropologique ancrées dans les programmes de l’enseignement secondaire. Surtout si les efforts entrepris dans la voie d’un cours unique (fusionnant les cours de FoMoS et de Morale Chrétienne) se poursuivaient… 42 Marcel Mauss, Introduction à l’analyse de quelques phénomènes religieux, 1906 66 V. Bibliographie Clémentine Baron, Nouveaux épisodes, pp. 72-73, dans : Le Magazine littéraire Mars 2013 Roland Barthes, Mythologies, Ed. du Seuil, Paris, 1957 Marie Agnès Combesque (dir.), Introduction aux droits de l’homme, La Découverte et Syros, Paris 1998 Cynthia A.Freeland, Thomas E.Wartenberg, Philosophy and Film, p. 3, Routledge, New York, 1995 Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines, Ed.Albin Michel, 2007 Gilbert Hottois, Introduction historique à la philosophie contemporaine, De Boeck et Larcier, Bruxelles, 1996 Andreesco Ionna, Où sont passés les vampires, Payot, Paris, 1997 Pascal Lardellier, Faut-il brûler les rites ?, p.13, Les éditions de l’Hèbe, 2007 Pascal Lardellier, Nos modes, nos mythes, nos rites, Editions EMS, Cormelles-LeRoyal, 2013 Claude Lévi-Strauss, dans : « Claude Lévi-Strauss, êtes-vous surréaliste ? », Le Nouvel Observateur – hors-série N°74, novembre-décembre 2009 Claude Levi-Strauss, Tristes tropiques, Terres humaines, Plon Claude Lévi-Strauss, Nous somme tous des cannibales, Editions du Seuil, 2013 P.de Maret, Anthropologie sociale (syllabus), Presses Universitaires de Bruxelles, Bruxelles, 1994 Ekkehard Martens, Methodik des Ethik- und Philosophieunterrichts, p.56, Siebert, Hannover, 2003 Marigny Jean, Sang pour sang, Gallimard Coll. »Découvertes », Paris 1993 Régis Moes, Cette colonie qui nous appartient un peu, Editions d’Letzebuerger Land, Luxembourg, 2012, p.96 Hilbert Meyer, Was ist guter Unterricht ?, Cornelsen, Berlin, 2004 Jörg Peters, Martina Peters, Bernd Rolf, Philosophie im Film, p.5, C.C.Buchners Verlag, Bamberg, 2006 67 Jörg Peters, Bernd Rolf, Spielfilme im Ethik- und Philosophieunterricht, in : Anschaulich philosophieren, Beltz Verlag, Weinheim und Basel, 200 Annemarie Pieper, Andere Ländere – andere Sitten – ist in der Moral alles relativ ?, dans : Standpunkte der Ethik, Ferdinand Schöningh Verlag, Paderborn, 2000 Neil Postman, Wir amüsieren uns zu Tode, S.Fischer Verlag, Frankfurt a.M., 1988 Statnews N°14/2011, www.statec.lu, http://www.statistiques.public.lu/ Frank Wilhelm, Regards sur la colonisation de l’Afrique et du Congo I & II, dans : Forum, N°209/210, Luxembourg, juillet / septembre 2001 68 VI. Annexes Annexe 1 : Extrait du syllabus distribué aux élèves (Chapitre consacré aux vampires) 69 II. Le vampirisme dans les croyances populaires roumaines et dans le cinéma 70 La mort en Roumanie „Ma fille a pleuré dans sa tombe, je crois l’avoir entendue crier. Elle m’est apparue dans un champ, vers la vallée, et elle pleurait dans les vignes et dans les champs de maïs. Mais quand je l’ai appelée par son prénom, elle a disparu.“ (témoignage d’une femme roumaine) Les croyances et les rites de la mort en Roumanie sont issus d’une tradition plurimillénaire dans son fond païen et millénaire dans sa tradition chrétienne. Comme un peu partout en Europe, le christianisme, installé entre le premier et le troisième siècle dans les régions de l’Est, a lutté contre les coutumes païennes, sans pour autant les anéantir complètement. Certaines ont été enrayées, d’autres ont su se maintenir par le fait d’avoir adapté un objet culturel chrétien ou deux, s’étant ainsi transformé en fête chrétienne. Les rites de la mort en Roumanie font partie de cette dernière catégorie. I. Le monde imaginaire de la mort Nombre de cultures humaines s’imaginent la mort comme un passage d’un monde vers un autre monde, ou d’un état vers un autre. Dans la cosmogonie roumaine, elle constitue une transition du monde des vivants vers „l’audelà“, mais cette conception a ceci de particulier que le passage ne s’achève pas instantanément. Une fois que l’âme a quitté le corps par la bouche, tel un souffle (le mot roumain „suflet“ signifiant d’ailleurs à la fois „souffle“ et „âme“), elle est censée effectuer un voyage à travers un monde imaginaire avant de s’intégrer dans l’au-delà. Mais avant que la mort ne frappe un individu, elle s’annonce elle-même, soit par le rêve, soit par une rencontre avec „La Mort“ en personne, imaginée en tant que vieille femme d’une laideur repoussante, avec de longs cheveux sales et défaits et de longues dents... Au moment où la mort frappe, il importe qu’elle soit précédée par la lumière. Mourir dans l’obscurité équivaut à une mort „noire“, terrible et pleine de souffrances. C’est ici que ressort le caractère dualiste de la conception de la mort en Roumanie – il s’agit de l’opposition entre la „bonne mort“ (ou „mort lumineuse“) et la „mauvaise mort“ (dite „mort noire“). On met donc tout en oeuvre afin que l’âme subisse une bonne mort, qu’elle passe dans l’au-delà. Dans le cas contraire, l’individu subira une mort abominable, et l’âme ne saura s’intégrer dans l’au-delà. Le mort se transformera en revenant et sera susceptible de devenir un vampire. 71 Le premier moment important de la séparation entre corps et âme s’effectue lors du lever du soleil. L’âme quitte alors le corps, doit parcourir un nombre de trajets, avant de s’installer définitivement dans l’au-delà. Un premier cycle de séparation s’étend sur 40 jours, temps que nécessite le corps humain pour commencer à pourrir. La putréfaction symbolise la séparation définitive entre l’âme et le corps. Pendant ces 40 jours, l’âme oscille entre le monde terrestre et l’au-delà. Selon les croyances roumaines, l’âme est obligée de passer par toutes les étapes importantes de sa vie durant cette période. Elle doit revivre son propre passé. A cette fin, elle se fait aider par des guides, anges gardiens ou diables, sur son chemin qui mène à travers un monde cruel et sinistre. C’est un monde qui torture l’âme, un monde sans repos ni lumière, sans possibilité de subvenir à sa soif ou à sa faim... A la dernière étape se décide le sort définitif de l’âme, elle connaîtra son jugement et prendra le chemin pour l’un ou l’autre camp – ciel ou enfer. Un deuxième cycle de séparation débute après ces 40 jours et ne prend fin que sept ans plus tard. Ce cycle de séparation se base sur le processus de putréfaction du corps, qui est indispensable à l’intégration de l’âme dans l’au-delà. Par la putréfaction, la mort défait tous ses liens avec le monde terrestre, et son corps devient à nouveau terre – tout comme il a été fait de terre. En effet, les Roumains affirment que „ne pas pourrir, c’est une malédiction“ ou encore „Si on passe par la terre, on se purifie“. Une fois les sept ans révolus et le corps entièrement décomposé, le défunt fait dorénavant partie du monde des ancêtres. II. Les rites en relation avec la mort Les rites funéraires et autres pratiques sont en relation directe avec ce monde imaginaire concernant la mort. Elles ne constituent pas une simple commémoration, mais visent à agir sur le monde imaginaire de l’au-delà, afin d’assurer le bien-être de l’âme et son passage vers le monde des ancêtres. b) les 3 premiers jours suivant le décès La toilette funéraire est assurée par des membres de la famille qui lavent le corps, coupent les cheveux, les ongles etc. Ensuite, le corps du défunt sera exposé dans sa maison durant trois jours. Le corps sera veillé jour et nuit durant cette période, des visiteurs passeront afin de rendre hommage au défunt. On prendra soin d’allumer un cierge à côté du mort, et les visiteurs se présenteront eux-aussi avec un cierge – ceci afin d’illuminer le chemin de l’âme. La veillée est marquée par des cycles de deuil tout à fait opposés. Le jour, les femmes veillent le corps, pleurent et lamentent. Le soir, les visiteurs arrivent et l’on constate un ambiance joyeuse, tout comme divers jeux et plaisanteries. Bien que jugés irrespectueux par l’Eglise, ces jeux sont encore pratiqués de nos jours. Un exemple d’une telle plaisanterie, observée durant les années 70 : Quand les jeux sont finis, quelqu’un dit „Allons à la maison!“. Les gens se lèvent. Un complice du premier, ayant attaché une corde au cou du mort, tire la corde et le mort se lève aussi. Effrayés, les gens s’enfuient, mais rentrent dans un bassin d’eau qui les attend dehors. 72 c) le troisième jour, jour de l’enterrement Le corps est mis en bière, emmené à l’église, puis au cimetière où il sera enterré. Ensuite, les participants retournent à la maison du défunt. A chacune de ces étapes sont associés des rites spécifiques. Ainsi, lors de la mise en bière, on y dépose un certain nombre d’objets, qui sont censés faciliter à l’âme le voyage vers l’au-delà et la protéger contre les incursions du diable. Exemples : des morceaux d’ail, des cierges, etc. Le cortège vers l’église sera interrompu au moins trois fois. C’est à cette occasion que ressort le lien étroit entre les rites funéraires et le monde imaginaire du voyage vers l’au-delà que l’âme doit effectuer. Tous ces rites visent à aider l’âme sur son chemin! Les arrêts symbolisent des „ponts“ ou „douanes“ que l’âme doit passer. Il s’agit de représentations conçues par les vivants pour l’âme, symbolisées par des tissus étendus sur le sol, près d’un rivage, en bordure d’une route, ou –si possible- près d’un carrefour. Symboliquement parlant, le carrefour est un lieu d’ouverture vers un autre monde, tout comme le point qui passe au-dessus d’un fleuve. Il s’agit donc de rites qui ont pour objectif de guider l’âme saine et sauve vers l’au-delà. Des offrandes diverses, appelées „pomana“ en roumain, seront placées sur le tissus et sont également destinées à soulager l’âme. Il s’agit d’un verre de vin pour atténuer la soif de l’âme, un morceau de pain rituel („colac“) pour réjouir les anges, un cierge permettant à l’âme d’illuminer son chemin, et enfin une pièce de monnaie pour payer la „taxe“ indispensable au passage de l’âme. Une fois les offrandes accomplies, le cercueil béni et encensé par le prêtre, le cortège reprend son relais. A l’église, le cercueil est déposé devant l’autel. Après le service religieux, les femmes reprennent les lamentations, et l’on donne de nouvelles offrandes. 73 Le cortège se reforme et se dirige vers le cimetière. Le prêtre bénit le corps et la fosse avec du vin et de l’eau, les cierges sont éteints et jetés dans la fosse. Les fossoyeurs ferment le couvercle, le clouent et descendent le cercueil dans la fosse. La cérémonie se termine par un immense repas collectif à la maison du défunt, où chaque visiteur reçoit un cierge et un morceau de pain en tant que „pomana“... d) de l’enterrement aux 40 jours Les 40 jours qui suivent l’enterrement sont marqués par le thème de la séparation, il s’agit de se séparer du mort afin que son âme puisse elle-aussi se séparer de ce monde. Une offrande particulière est très prononcée durant cette quarantaine, celle de l’eau. Chaque matin, la tâche de la „délivrance de l’eau“ est effectuée par une fille vierge du village. Elle s’engage à puiser le premier seau d’eau de la fontaine, avant le lever du soleil pour l’offrir à une personne âgée et/ou malade. Le rite est riche en symbolisme : la fille vierge, l’eau non-entamée sont des métaphores du „pur“, du „lumineux“, du „bien“ – la personne âgée et/ou malade est un être proche de la mort! Il s’agit donc, symboliquement parlant, de „purifier“ l’âme du défunt! Le rite de la délivrance de l’eau connaît son paroxysme au bout des 40 jours. Les détails du rite varient selon la région, mais l’on peut mettre en évidence certains traits communs : La fille porteuse d’eau ainsi qu’une femme âgée faisant partie de la famille du défunt se rendent au bord d’une rivière, éventuellement accompagnées par d’autres membres du village. Le rite, parfois appelé la „libération“ (!), met alors en scène la porteuse d’eau qui puise de l’eau de la rivière et la verse soit vers le soleil levant, soit sur un tissus blanc (è le „pur“) qu’elle tient dans la main. Ensuite, des offrandes (cierges, etc) sont déposées et fixées dans un demi-potiron ou dans des moitiés d’écorces de citrouille. Ceux-ci sont mises à l’eau et doivent être pris par le courant, jusqu’à disparaître de la vue des gens. On considère alors que l’eau a été pure et qu’elle a été reçue, puisque les cours d’eau mènent justement vers l’au-delà. e) après un an Le cycle funéraire prend fin un an plus tard, l’âme étant alors intégrée dans l’audelà. La famille du défunt sort du deuil et se voit ré-intégrée dans la communautée villageoise par une danse intitulée „hora de pomana“. De nouvelles offrandes (è „pomana“) sont distribuées au nom du mort, et la commémoration se termine par un repas collectif. f) après sept ans Au bout de 7 ans, les ossements sont déterrés afin que „le soleil les voit encore une fois“. Ensuite, ils sont lavés à l’eau, aspergés de vin, recueillis dans un sac de toile blanche et bénis par le pope. Notons le souci de pureté (eau, toile blanche, etc) même à ce stade-ci. Enfin, ils sont ré-enterrés. 74 III. Les vampires Les rites de la mort en Roumanie visent donc à assurer l’intégration de l’âme du défunt dans le monde de l’au-delà. Par contre, que va-t-il se passer si l’âme n’est pas intégré paisiblement dans l’au-delà? Les croyances roumaines ont donc une nature dualiste : elles opposent le bien au mal, une „bonne mort“ à une „mauvaise mort“, qui connaît son paroxysme, sa version la plus terrifiante sous l’appellation de la „mort noire“. Une mauvaise mort implique des problèmes, voire l’impossibilité de l’âme de s’installer dans l’au-delà. Elle sera perdue et errante, et sa carcasse terrestre sera soumise aux tentations du diable qui risque de s’y réfugier et de semer la terreur parmi les vivants. Cette apparition du diable est appelé „strigoï“ ou „moroï“, qu’on traduit indifféremment par le terme de vampire. Le vampire s’inscrit dans une tradition où la croyance à l’existence de créatures de l’autre monde est très répandue. Le vampire ne constitue qu’une figure parmi bien d’autres (exemples : dragons nommés „zmeu“, la Mère de la Forêt „Mumia Padurii“, ou encore la Mort en personne...) A la dualité „bien-mauvais“ s’ajoute une autre, celle de l’opposition entre vivant et mort. Car si le revenant „normal“ s’oppose à l’homme ordinaire par le fait d’être mort, il s’oppose aux vampires et autres créatures imaginaires par son inoffensivité. Cette double opposition peut être représentée de façon suivante : Vivant Gens ordinaires Gens voués, Sorciers Bon Mauvais Revenants Vampire, zmeu, etc Mort 75 „GUIDE DU PETIT CHASSEUR DE VAMPIRES“ Notre analyse des croyances aux vampires va s’articuler autour des questions suivantes : a. b. c. d. e. Quelles sont les mesures préventives pour éviter une vampirisation? Quelles personnes sont susceptibles de se transformer en vampires? Comment le mort devient-il un vampire? Comment le vampire se manifeste-t-il? Comment repérer et éliminer le vampire? Les recueils suivants, tirés de l’ouvrage „Où sont passés les vampires?“ d’Ionna Andreesco, permettront de répondre à ces questions. Il s’agit d’un ouvrage datant de 1997, qui rassemble une série d’entretiens avec des femmes d’un petit village rural nommé Balota, apparemment hanté par un vampire, qui, de son vivant, s’appelait „Dodu“ (surnom „le Bulgare“). Travail à réaliser : Lisez attentivement les entretiens et tentez de répondre aux questions de façon aussi complète que possible. 76 Le vampire dans la littérature Des croyances populaires au mythe moderne... Si les légendes de vampires étaient répandues dans la presque totalité de l’Europe médiévale, elles se sont retirées dans des régions rurales isolées de l’Europe de l’Est encore avant l’aube de l’ère industrielle. Comment expliquer alors la résurrection de la popularité des contes de vampires dans des pays qui se vantent de vivre dans un monde rationnel? On doit chercher la réponse à cette question dans l’Angleterre du 19e siècle, où l’on assiste à l’avènement du courant romantique. Celui-ci se révolte contre le rationalisme du siècle des Lumières ( Voltaire, Rousseau, etc) et se manifeste aussi bien dans la littérature qu’en peinture. Les bourgeois anglais de l’époque dévorent littéralement les romans et nouvelles à contenu surnaturel, voire même morbide. Les récits de vampires se prêtent parfaitement à cette nouvelle passion, d’autant plus que certains thèmes (celui de la séduction mortelle, par exemple) et décors (dans le style gothique) chers au mouvement romantique conviennent très bien à ces histoires. Ainsi, nombre de romans, comme par exemple „The vampyre“ (par J.W.Polidori) ou „Varney the vampire“ (dont l’auteur est resté anonyme) voient le jour. De même, l’on voit surgir sur le continent européen des oeuvres littéraires à contenu vampirique – citons „Métamorphoses du vampire“ de Baudelaire (1866) à titre d’exemple. Illustrations du roman original „Varney the vampire“ Cependant, les récits de vampires risquent de se heurter à la censure anglaise de l’époque, dans un contexte social où le puritanisme religieux constitue une valeur fondamentale. Ainsi, les auteurs optent pour la transcription de tout contenu ambigu dans un univers métaphorique. Et l’on est en droit de voir dans le vampirisme présenté par Le Fanu dans „Carmilla“ (1871) plutôt une métaphore pour l’homosexualité féminine – un tabou absolu dans la société victorienne! En effet, le roman raconte l’histoire d’une femme vampire qui ne choisit que des femmes pour victimes, tout en restant une „créature sensuelle“. Ces récits de vampires permettent donc au lecteur d’assouvir son goût, par ailleurs refoulé, pour des histoires „obscènes“, tout en restant fidèle au puritanisme de l’époque. 77 Et, en fin de compte, le récit se solde par une défaite du Mal et par une victoire du Bien, dont le représentant ultime est la société victorienne. Mais ce n’est qu’en 1897 que sortira le roman de vampires le plus influent jusqu’à nos jours. Il s’agit évidemment de „Dracula“ de Bram Stoker. A Bram Stoker revient le mérite de présenter le vampirisme dans une version plus fidèle aux croyances originales, issues de l’Europe de l’Est. Ceci s’explique par le fait que Stoker entretenait une amitié avec Arminus Vambery, professeur de langues orientales à l’Université de Budapest. Celui-ci connaissait parfaitement les coutumes et croyances relatives au vampires dans les régions rurales de l’Europe de l’Est et transmettait son savoir à Bram Stoker. Il lui racontait également les excès sadiques du personnage historique de Dracula. Bram Stoker eut le bon goût de relier ce personnage morbide aux contes de vampires. L’importance que joue l’oeuvre de Stoker dans toute manifestation à traits vampiriques du 20e siècle rend incontournable un petit aperçu historique du personnage de Dracula... Vlad Dracula Vlad Dracula, né en 1431 en Transylvanie, fut trois fois prince de la Valachie. Il hérita ce nom du côté de son père, Vlad Dracul, „dracul“ signifiant „diable“ ou „dragon“, selon le cas. Le père avait pris ce nom en référence à l’Ordre du Dragon Renversé, auquel il avait accédé à l’aide de Sigismond du Luxembourg (13681437), à l’époque roi de Hongrie. „Dracula“ signifie „fils de Dracul“, et son nom connut un glissement de sens par la cruauté excessive dont faisait preuve le fils. „Dracula“ prenait alors, pour la population souffrante, plutôt le sens de „fils du diable“. Vlad Dracula, lui-aussi, régnait sous la bannière du dragon renversé et entrait dans les annales sous le nom de Vlad Tepes...“Vlad l’empaleur“. En effet, il possédait la mauvaise habitude de faire empaler toutes sortes de gens, dès qu’il en trouvait la moindre raison. Ainsi, il fit empaler un aristocrate qui était en visite et qui s’était montré irrespectueux envers lui, puisqu’il avait osé se pincer le nez à cause de l’odeur envahissante de putréfaction, provenant des empalés! 78 Outre l’empalement, Vlad Tepes faisait preuve d’une ingéniosité remarquable lorsqu’il s’agissait de mettre au point de nouvelles méthodes de torture. Sa réputation s’étendait jusqu’en Allemagne et l’on attribue sa misanthropie sadique au fait qu’il avait été prisonnier des Turcs durant des années, où lui-aussi a dû endurer de nombreuses souffrances. Mais sa réputation n’est pas uniquement de nature négative, car il récoltait beaucoup de respect pour son engagement contre les Turcs, qui, à l’époque, mettaient en péril l’Europe de l’Est. Vlad Dracula s’avérait un excellent stratège et ses plans d’attaques hautement élaborés faisaient fuir les troupes turques, bien que ceux-ci lui infligeaient une défaite au bout d’une longue bataille, de par leur supériorité en nombre. L’histoire du „vrai“ prince Dracula a ceci de particulier que sa vie est entré dans la tradition orale de certaines régions de l’Europe de l’Est. Ainsi, en Roumanie, certains se réclament d’une souche de guerriers ayant combattu les Turcs aux côtés de Dracula, l’ayant aidé à fuir après sa défaite. Bram Stoker’s Dracula Bram Stoker a donc su fusionner deux légendes propres à l’Europe de l’Est, tout en plaçant son récit dans un décor „gothique“ (château en ruines, etc), et en le présentant sous forme d’un documentaire. Le roman „Dracula“ consiste en effet en une suite de lettres et d’extraits du journal intime de Jonathan Harker, qui entre en contact avec le comte Dracula. Le vampire illustré sera relativement proche de ceux que nous décrit l’imaginaire roumain : il peut se muer en animal impur, il craint l’ail, n’est actif que durant le nuit, et se nourrit de sang – bien qu’ici, cette forme particulière d’anthropophagie est décrite de façon explicite et non pas métaphorique. Enfin, l’influence qu’exercera ce roman sur pratiquement tous les films de vampires est considérable. Car même si tous les films ne se réclament pas directement de l’oeuvre de Stoker, ils s’inspirent néanmoins de cette oeuvre majeure de l’ère romantique... 79 Le vampire et le cinéma Nombreuses sont les oeuvres cinématographiques qui parlent de vampires. A côté de quelques oeuvres majeures de l’histoire du cinéma (Nosferatu de F.W.Murnau ou de Werner Herzog, Vampyr de Carl Theodor Dreyer), l’on trouve également une infinité de films de série B (voire Z, donc de qualité exécrable) voués à ce sujet...des titres comme „Vampyros Lesbos“ (de Jess Franco) ou „Dracula vs.Frankenstein“ (Al Adamson) en témoignent... Choix de films proposés : - Nosferatu, eine Symphonie des Grauens (F.W.Murnau) Dracula (Tod Browning) Nosferatu (Werner Herzog) Bram Stoker’s Dracula (Francis Ford Coppola) Interview with the vampire (Neil Jordan) Bibliographie ANDREESCO IONNA, Où sont passés les vampires?, Payot, Paris 1997 ANDREESCO IONNA, BACOU MIHAELA, Mourir à l’ombre des carpathes, Payot, Paris 1986 CUISENIER JEAN, Le feu vivant – la parenté et ses rituels dans les Carpathes, PUF Coll. „Ethnologies“, Paris 1994 MARIGNY JEAN, Sang pour sang, Gallimard Coll.“Découvertes“, Paris 1993 MARKALE JEAN, L’énigme des vampires, Pygmalion, Paris 1991 MC NALLY RAYMOND, FLORESCU RADU, A la recherche de Dracula, Robert Laffont, Paris 1973 0