Diversité des capitalismes et développement durable : effets de

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Diversité des capitalismes et développement durable :
effets de complémentarité ou basculement de la hiérarchie institutionnelle ?
Eric Magnin1
Introduction
Depuis le début des années 1990, de nombreux travaux ont contribué à enrichir l’analyse
comparative des capitalismes.2 L’expérience de la transformation postsocialiste en Europe centrale et
orientale n’est pas étrangère à ce renouveau [Magnin, 2006]. En effet, le changement de système a
soulevé la question du modèle-cible même si celle-ci a érapidement éludée au profit d’un modèle
privilégié. De même, le double processus de changement institutionnel qu’ont éprouvé les PECO
pendant vingt ans, transition puis intégration dans l’UE, a conduit à s’interroger sur les modèles
économiques émergents à l’issue de ces évolutions. En outre, la chute du Mur a, selon le constat de M.
Albert [1991], consacré la victoire du « capitalisme » et déplacé la rivalientre les deux grandes
familles de système, capitalisme et socialisme, vers une concurrence entre plusieurs variantes
nationales du capitalisme dans le contexte de la mondialisation. Enfin, le dynamisme des travaux sur
le thème de la diversité des capitalismes au cours des vingt dernières années n’aurait été possible sans
la reconnaissance et le développement de l’approche institutionnelle en économie, elle-même stimulée
par les enseignements de la transition.
Deux grandes approches, vers lesquelles semblent converger toutes les autres, se distinguent
dans ce foisonnement : l’approche dite de la «variété des capitalismes» (VOC, Varieties of Capitalism)
proposée par Hall & Soskice [2001] et l’approche d’inspiration régulationniste portée par Amable
[2005], dans le sillon tracé par Boyer [1986, 1993, 1996]. L’analyse comparative des capitalismes
s’est notamment enrichie en intégrant, de manière fructueuse, les concepts de complémentarité et de
hiérarchie institutionnelles. Toutefois, la perspective du développement durable est généralement peu
présente dans les deux approches. Elle représente pourtant un enjeu majeur au regard de l’évolution et
de la performance des capitalismes. De nombreux observateurs s’accordent en effet sur le caractère
non durable de notre modèle de production/consommation. L’objet du présent article est de contribuer
à combler ce manque et de participer à la réflexion sur l’articulation entre diversité des capitalismes et
développement durable dans un cadre régulationniste.3
Le « développement durable » est ici défini comme un modèle normatif de développement,
associant croissance économique et bien-être, entendu comme un niveau socialement acceptable
d’éducation, de santé, de répartition des richesses et de qualité de l’environnement. Ce niveau
« socialement acceptable » laisse la porte ouverte à de nombreuses interprétations. Compte tenu de
notre objet, nous en proposons deux, qui pourraient être qualifiées de « durabilité limitée » et de
« durabilité radicale ».4 Dans une perspective dynamique, chacune de ces formes de durabilité
correspond également à un scénario d’évolution du capitalisme, dans le contexte de la crise actuelle.
Le premier scénario est celui du prolongement de la tendance, « business as usual », dans lequel
1 Ladyss (Université Paris Diderot) et CEMI (EHESS), eric.magnin@univ-paris-diderot.fr.
2 On peut citer notamment : Esping-Andersen [1990], Albert [1991], Kogut [1991], Krause [1991], Vernon [1991], Marer et
S. Zecchini [1992], Boyer [1993, 1996, 2002], Chavance & Magnin [1997, 2000], Groenewegen [1997], Crouch & Streeck
[1996], Amable, Barré, Boyer [1997], Magnin [1999, 2006, 2009], Whitley [1999], Coates [2000] , Hall & Soskice [2001],
Schmidt [2002], Amable [2005], De Groot, Nahuis & Tang [2004], Aiginger [2005], Sapir A. [2005], Hancké & alii [2007].
3 Sur ce thème, il faut signaler la contribution récente de Elie, Zuindeau & alii [2012].
4 Cette distinction fait écho au diptyque, désormais classique, entre « durabilité faible » et « durabilité forte » dans la
littérature sur le développement durable, opposant l’approche néoclassique aux positions plus « écologiques » sur les
possibilités de substitution entre les différentes formes de « capital » (physique, humain, naturel) [Maillefert & alii, 2010 ;
Vallée, 2002].
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l’aspiration au développement durable ne remet en cause ni le mode de régulation ni le régime
d’accumulation d’avant la crise. Chaque famille de capitalisme intègre cependant des préoccupations
environnementales compatibles avec sa configuration particulière d’institutions complémentaires. Le
second scénario entrevoit un changement plus radical des capitalismes associé à un basculement de la
hiérarchie institutionnelle, venant remettre en cause mode de régulation et régime d’accumulation.
Dans un premier temps, nous reviendrons sur les deux approches théoriques structurant
l’analyse comparative des capitalismes pour mettre en lumière les concepts de complémentarité et de
hiérarchie institutionnelles qui seront mobilisés par la suite. Dans un second temps, nous proposerons
de penser ensemble développement durable et diversité des capitalismes selon les deux scénarios
envisagés précédemment, chacun reposant sur une dynamique de changement institutionnel
particulière.
1. Deux cadres théoriques : VOC ou Théorie de la Régulation ?
Face à l’approche binaire de la VOC, les auteurs régulationnistes mettent en évidence une
diversité des formes de capitalisme. Si les deux approches ont en commun de souligner l’importance
de la complémentarité entre institutions, la seconde y ajoute notamment une composante hiérarchique.
Complémentarité et hiérarchie institutionnelles font désormais partie intégrante du cadre théorique
régulationniste, en cohérence avec les concepts de mode de régulation et de régime d’accumulation.
1.1. Variété ou diversité des capitalismes ?
L’approche de la variété des capitalismes est centrée sur l’entreprise, considérée comme
l’acteur fondamental de l’économie capitaliste, dont le succès repose sur le développement et
l’exploitation de ses compétences principales ou de ses « capacités dynamiques » [Hall & Soskice,
2001]. Elle met l’accent sur la dimension relationnelle de l’entreprise. La réussite de l’entreprise
dépend en grande partie de la qualité des relations que celle-ci a pu établir avec les acteurs internes
(salariés) et externes (fournisseurs, clients, actionnaires, syndicats, organisations patronales, État...).
Les problèmes de coordination sont donc au cœur de l’approche VOC.
Hall et Soskice distinguent cinq sphères d’activité dans lesquelles les entreprises vont devoir
résoudre des problèmes de coordination décisif pour l’exploitation et le développement de leurs
compétences principales : les relations industrielles, la formation professionnelle et l’éducation, la
gouvernance des entreprises, les relations inter-firmes et les relations avec leurs propres salariés. Il y a
deux grandes manières de résoudre ces problèmes de coordination, qui différencient les deux grands
types de capitalisme des économies développées : la coordination fondée sur les mécanismes de
marché, typique des économies libérales de marché (ECM), et la coordination hors marché ou
« interaction stratégique », caractéristique des économies coordonnées de marché (ECM).
L’Allemagne est l’exemple-type de l’économie coordonnée de marché. Les États-Unis constitue le cas
d’école de l’économie libérale de marché, où les problèmes de coordination dans les différentes
sphères sont résolus principalement par les relations de marché.
L’approche VOC peut être considérée comme une approche d’inspiration néo-
institutionnaliste, comme l’attestent les férences à North, Williamson et Aoki. En effet, elle accorde
un rôle important aux institutions formelles et informelles, à la dichotomie marché-hiérarchie, avec
l’idée que les institutions, dont la dimension historique est soulignée, facilitent la coordination des
relations entre acteurs. Les stratégies des entreprises sont elles-mêmes dépendantes des configurations
institutionnelles nationales car celles-ci offrent un ensemble particulier d’opportunités. Pour Hall et
Soskice, l’approche VOC prédit des différences systématiques de stratégie des entreprises dans les
ELM et dans les ECM compte tenu de la différence d’environnement institutionnel fondé
historiquement.5
5 Hall et Soskice intègrent également dans leur analyse comparative des capitalismes le concept « d’avantage comparatif
institutionnel », qui propose une réponse renouvelée à la question de la spécialisation internationale. Pour les auteurs de
l’approche VOC, le cadre institutionnel d’une économie confère un certain nombre d’avantages comparatifs aux entreprises
sur le territoire national par rapport aux entreprises étrangères concurrentes.
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L’approche VOC reposant sur un découpage en deux types de capitalisme a le mérite de
proposer un cadre théorique clair pour comparer les différentes économies nationales.6 Toutefois, le
revers de la médaille réside dans la réduction de la complexité qu’elle opère en privilégiant une
dimension en particulier, la firme et ses problèmes de coordination, et un critère de séparation, la place
du marché. En conséquence, cette classification binaire ne permet pas d’intégrer toutes les économies
développées, comme le reconnaissent eux-mêmes Hall et Soskice [2002, p.66] en évoquant les
« positions plus ambiguës » de certains pays (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce). Ces cas
intermédiaires les conduisent alors à invoquer la possibilité d’un « type distinct de capitalisme qualifié
parfois de « méditerranéen » [idem, p.67].
L’autre cadre théorique, qui s’inscrit dans l’analyse comparative des modèles de
capitalisme, est celui proposé par Amable [2005], qui critique la vision unidimensionnelle de la VOC
et lui préfère une approche permettant de mettre en évidence la diversité des capitalismes en
s’appuyant sur une typologie comptant cinq modèles. Cette approche s’inscrit dans un cadre théorique
d’inspiration régulationniste. En premier lieu, elle s’appuie sur les travaux de Boyer [1992, 1996,
2002] sur ce thème.7 En second lieu, elle prolonge un travail de comparaison internationale mené par
Amable, Barré, Boyer [1997] sur les systèmes sociaux d’innovation et de production (SSIP).
Amable [2005] propose alors de pousser plus loin l’analyse comparative des modèles de
capitalisme en identifiant un certain nombre de « domaines institutionnels clés » (très proches des
formes canoniques de la Régulation) dans lesquels les pays de l’OCDE témoignent de différences
significatives. Il s’agit de la concurrence sur les marchés des produits, du rapport salarial et des
institutions du marché du travail, du secteur de l’intermédiation financière et de la corporate
governance, de la protection sociale et du système éducatif. Amable s’appuie sur une analyse
empirique de 21 pays de l’OCDE pour mettre en évidence l’existence de cinq types de capitalisme. Il
s’agit du modèle fondé sur le marché qui correspond aux ELM ou capitalisme anglo-saxon (États-
Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie), du modèle social-démocrate (Suède, Finlande, Danemark),
du modèle européen continental (France, Allemagne, Autriche, Belgique, Pays-Bas, Suisse, Norvège),
du capitalisme méditerranéen (Italie, Espagne, Portugal, Grèce) et du capitalisme asiatique (Japon,
Corée du Sud). La typologie proposée par Amable apparaît compatible avec d’autres classifications
présentées dans la littérature. Toutefois, chaque modèle de capitalisme peut être considéré comme un
idéal-type, auquel aucune économie réelle ne correspond parfaitement.
1.2. Complémentarité institutionnelle
L’approche VOC et celle de la diversité des capitalismes ont en commun de souligner
l’importance de la complémentarité institutionnelle. Elles la définissent de manière relativement
similaire. Deux institutions peuvent être qualifiées de complémentaires lorsque « l’existence ou la
forme particulière prise par une institution dans un domaine renforce la présence, le fonctionnement
ou l’efficacité d’une autre institution dans un autre domaine » [Amable, 2005, p.83]. Les deux
approches reconnaissent la paternité d’Aoki [1994, 2001] dans l’utilisation de ce concept.
Boyer [2005] précise la notion de complémentarité en insistant notamment sur la distinction
entre compatibilité, cohérence et complémentarité. Deux (ou plusieurs) institutions sont compatibles si
elles peuvent être observées conjointement dans certains pays. Mais cette compatibilité n’implique pas
nécessairement cohérence ou complémentarité. Deux (ou plusieurs) institutions sont cohérentes si leur
coexistence se justifie pour certaines raisons, théoriques notamment. La cohérence suppose un
renforcement réciproque du fonctionnement de chaque institution, qui va dans le sens de la
complémentarité sans l’atteindre nécessairement. La complémentarité ajoute à la cohérence une notion
de performance supérieure liée à la conjonction des deux institutions. La complémentarité peut ainsi
être interprétée comme une cohérence « qui a réussi ». On peut donc classer le degré d’adéquation de
deux (ou plusieurs) institutions dans un ordre croissant, de compatible à cohérent puis
6 Cette dichotomie n’est pas sans rappeler la division opérée par M. Albert [1991] entre capitalisme rhénan et capitalisme
anglo-saxon.
7 Pour une comparaison entre approche de la VOC et théorie de la régulation (diversité des capitalismes), on peut se reporter
à Boyer [2002].
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complémentaire. La cohérence ajoute du sens à l’idée de simple coexistence sous-jacente à la notion
de compatibilité. La complémentarité implique une performance accrue, ce qui suppose de choisir un
(ou plusieurs) critères de performance.
Du concept de complémentarité institutionnelle découle un certain nombre d’implications. Un
modèle de capitalisme n’est pas une collection de formes institutionnelles, rassemblées de manière
aléatoire, mais une combinaison particulière de ces formes liées par des relations de complémentarité
[Amable, 2005 ; Hall & Soskice, 2001].
En conséquence, il devient difficile, sur les plans théorique et empirique, d’associer une
performance économique à une institution isolée compte tenu de l’interdépendance entre institutions.
C’est une configuration de formes institutionnelles complémentaires, « faisant système », qui est
responsable des performances globales du modèle. La performance de l’ensemble est ainsi supérieure
à la somme des effets positifs qu’aurait pu produire chaque forme institutionnelle prise isolément. La
définition de la performance d’un modèle de capitalisme et des indicateurs de cette performance est
donc ici essentielle.
De même, il n’est pas possible de concevoir une configuration institutionnelle optimale, qui
associerait les institutions de différents pays estimées les plus « performantes » dans chaque domaine :
par exemple, la réglementation du marché du travail et le système fiscal américains, le système
éducatif suédois, la politique de l’emploi danoise, etc. L’importation dans un type de capitalisme
d’une forme institutionnelle isolée provenant d’un autre modèle risquerait de conduire à une
configuration non viable. En matière de politique économique, la complémentarité institutionnelle
implique une complémentarité dans les réformes menées et dans le choix des institutions. Des
réformes structurelles non cohérentes ou partielles sont susceptibles de ne pas conduire à l’objectif
attendu en matière de performance. En revanche, il est facile d’imaginer que différentes combinaisons
d’institutions complémentaires conduisent à des performances macroéconomiques similaires. C’est le
cas du modèle anglo-saxon et du modèle social-démocrate dans les années 1990 [Aiginger, 2005].
C’est également le postulat de base de l’approche VOC, au fondement de la dichotomie ECM-ELM.
La complémentari institutionnelle peut être aussi, selon nous, une des sources des
phénomènes de path dependence et de lock-in [Hodgson, 1993 ; Magnin, 2002]. Les institutions
complémentaires d’un même modèle se renforçant les unes les autres, le modèle aura tendance à
persister au cours du temps, notamment son « noyau dur » représentant le « compromis institutionnel
fondateur » du modèle [Boyer, 2011, p.112].
1.3. Hiérarchie institutionnelle
Le concept de hiérarchie institutionnelle est surtout présent dans l’approche de la diversité
des capitalismes et s’inscrit dans la tradition régulationniste récente [Amable, 2005; Boyer, 2004,
2005; Petit, 2005]. Il traduit l’idée qu’une forme institutionnelle joue à un moment donné du temps un
rôle déterminant par rapport aux autres, à la fois dans l’organisation des relations de complémentarité
et dans l’évolution dynamique de l’architecture institutionnelle. Les auteurs reconnaissent dans la
formation de cette hiérarchie l’expression de rapports de force et de compromis politiques. Mais il
s’agit du résultat émergent, non intentionnel, d’un processus non planifié de confrontation des intérêts
en place, à un moment donné du temps. Le primat du rapport salarial dans la période fordiste est le
fruit des compromis sociopolitiques issus de l’après-guerre suite à la période dramatique précédente.
Depuis les années 1980, cette hiérarchie est remise en cause avec le tournant libéral au profit d’autres
formes institutionnelles : forme de la concurrence pour les uns, finance pour les autres [Boyer, 2004 ;
Petit, 2005].
La notion de hiérarchie institutionnelle appelle également plusieurs remarques. Hiérarchie et
complémentarité institutionnelles apparaissent comme des concepts distincts mais liés. En effet, une
des expressions de la hiérarchie réside dans l’influence, sous forme de contraintes et d’incitations,
qu’exerce l’institution dominante sur les modalités de la complémentarité au sein d’une configuration
institutionnelle. Elle entraîne les autres institutions à la renforcer, quitte à les faire évoluer un peu. Par
exemple, le primat accordé au salariat dans la période fordiste conduit à articuler les autres formes
institutionnelles de manière à le raffermir. Ou encore, la domination de la finance dans la période
récente a conduit à une évolution du rapport salarial et de la protection sociale, désormais « au
service » de la finance.
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De même, dans une perspective dynamique, un changement affectant l’institution dominante
peut entraîner des changements dans une ou plusieurs autres formes institutionnelles complémentaires
[Boyer, 2004]. Toutefois, compte tenu des effets de complémentarité, même un changement localisé
peut affecter d’autres institutions et conduire à des changements plus importants [Amable, 2005].
Parmi les changements de grande ampleur, il faut distinguer ceux affectant la hiérarchie de
ceux affectant la complémentarité. Les premiers se traduisent par un basculement de la hiérarchie
institutionnelle en fonction de l’évolution des rapports de force politiques sans impliquer
nécessairement un changement de modèle de capitalisme. Les seconds correspondent au cas une
évolution des formes institutionnelles et de la complémentarité, sans changement de hiérarchie, mène
à la transition d’un modèle vers un autre. Enfin, un dernier cas possible pourrait combiner les deux
effets, par exemple si une hiérarchie désormais dominée par la finance conduisait à une convergence
vers le capitalisme anglo-saxon.
Ainsi, si l’analyse comparative des capitalismes peut être qualifiée de statique au premier
regard, il n’en est rien. Chaque modèle de capitalisme apparaît, il est vrai, comme une photographie
stylisée à un instant t, représentant un intervalle de temps plus ou moins grand. Toutefois, cette
impression de modèle figé dans le temps est avant tout liée aux effets de sentier associés au
« compromis institutionnel fondateur » de chaque modèle, inscrit dans la durée. En réalité, les modèles
évoluent en permanence sous l’action de différentes forces, dont certaines ont déjà été mentionnées,
comme l’évolution des priorités politiques (dont la mondialisation libérale est une expression),
susceptible d’entraîner progressivement un changement dans la hiérarchie institutionnelle, ou les
changements structurels de long terme, internes et externes, qui affectent les capitalismes et leur
dynamique (régime de croissance) : la mondialisation, le vieillissement de la population, le
changement technologique (NTIC), le développement des services, la montée des contraintes
environnementales, etc. Enfin, l’interaction permanente entre institutions et organisations/firmes, qui
entraîne une évolution incrémentale des règles du jeu [North, 1990], apparaît également comme un
moteur du changement.8 Ainsi, il est difficile de ne pas reconnaître que les modèles français ou
suédois ont considérablement évolué depuis les années 1980. Pourtant, des éléments de leur
complémentarité institutionnelle demeurent.
1.4. Quelle articulation avec les concepts de mode de régulation et de régime
d’accumulation ?
Si l’approche de la diversité des capitalismes s’inscrit dans le cadre théorique de l’École de la
régulation, il paraît toutefois nécessaire de préciser l’articulation des deux cadres, notamment au
regard des concepts centraux de mode de régulation et de régime d’accumulation. Dans le cadre de la
théorie de la Régulation, les formes institutionnelles sous-tendent un régime de croissance ou régime
d’accumulation, défini comme « une certaine forme d’articulation entre organisation de la production,
distribution des revenus et formation de la demande », qui contribuent principalement à une
accumulation du capital relativement régulière [Petit, 2005, p.38]. La stabilisation d’un tel régime est
liée à l’émergence d’un mode de régulation et à sa capacité à s’adapter au changement. Un mode de
régulation est, selon Boyer [1986, 2004b], un ensemble de règles et de procédures qui a une triple
mission : assurer la reproduction des formes institutionnelles en vigueur, soutenir et piloter le régime
d’accumulation, limiter les connaissances nécessaires à l’action des individus. Il permet la cohérence
de l’ensemble du système socioéconomique concerné. Comme le souligne Boyer [2004], il assure la
compatibilité des formes institutionnelles entre elles, a priori l’incohérence devrait être la règle
compte tenu de la construction indépendante des compromis institutionnalisés à la base des formes
institutionnelles.
Un autre point fort du concept de mode de régulation réside, selon notre interprétation, dans sa
capacité à associer les concepts de hiérarchie et de complémentarité institutionnelles présentés
8 Boyer [2004, 2005] évoque les mécanismes d’endométabolisme, i.e. le développement de tensions au sein même d’une
architecture institutionnelle, victime de son succès, et d’hybridation, l’assimilation dans une configuration donnée
d’institutions importées.
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