5
De même, dans une perspective dynamique, un changement affectant l’institution dominante
peut entraîner des changements dans une ou plusieurs autres formes institutionnelles complémentaires
[Boyer, 2004]. Toutefois, compte tenu des effets de complémentarité, même un changement localisé
peut affecter d’autres institutions et conduire à des changements plus importants [Amable, 2005].
Parmi les changements de grande ampleur, il faut distinguer ceux affectant la hiérarchie de
ceux affectant la complémentarité. Les premiers se traduisent par un basculement de la hiérarchie
institutionnelle en fonction de l’évolution des rapports de force politiques sans impliquer
nécessairement un changement de modèle de capitalisme. Les seconds correspondent au cas où une
évolution des formes institutionnelles et de la complémentarité, sans changement de hiérarchie, mène
à la transition d’un modèle vers un autre. Enfin, un dernier cas possible pourrait combiner les deux
effets, par exemple si une hiérarchie désormais dominée par la finance conduisait à une convergence
vers le capitalisme anglo-saxon.
Ainsi, si l’analyse comparative des capitalismes peut être qualifiée de statique au premier
regard, il n’en est rien. Chaque modèle de capitalisme apparaît, il est vrai, comme une photographie
stylisée à un instant t, représentant un intervalle de temps plus ou moins grand. Toutefois, cette
impression de modèle figé dans le temps est avant tout liée aux effets de sentier associés au
« compromis institutionnel fondateur » de chaque modèle, inscrit dans la durée. En réalité, les modèles
évoluent en permanence sous l’action de différentes forces, dont certaines ont déjà été mentionnées,
comme l’évolution des priorités politiques (dont la mondialisation libérale est une expression),
susceptible d’entraîner progressivement un changement dans la hiérarchie institutionnelle, ou les
changements structurels de long terme, internes et externes, qui affectent les capitalismes et leur
dynamique (régime de croissance) : la mondialisation, le vieillissement de la population, le
changement technologique (NTIC), le développement des services, la montée des contraintes
environnementales, etc. Enfin, l’interaction permanente entre institutions et organisations/firmes, qui
entraîne une évolution incrémentale des règles du jeu [North, 1990], apparaît également comme un
moteur du changement.8 Ainsi, il est difficile de ne pas reconnaître que les modèles français ou
suédois ont considérablement évolué depuis les années 1980. Pourtant, des éléments de leur
complémentarité institutionnelle demeurent.
1.4. Quelle articulation avec les concepts de mode de régulation et de régime
d’accumulation ?
Si l’approche de la diversité des capitalismes s’inscrit dans le cadre théorique de l’École de la
régulation, il paraît toutefois nécessaire de préciser l’articulation des deux cadres, notamment au
regard des concepts centraux de mode de régulation et de régime d’accumulation. Dans le cadre de la
théorie de la Régulation, les formes institutionnelles sous-tendent un régime de croissance ou régime
d’accumulation, défini comme « une certaine forme d’articulation entre organisation de la production,
distribution des revenus et formation de la demande », qui contribuent principalement à une
accumulation du capital relativement régulière [Petit, 2005, p.38]. La stabilisation d’un tel régime est
liée à l’émergence d’un mode de régulation et à sa capacité à s’adapter au changement. Un mode de
régulation est, selon Boyer [1986, 2004b], un ensemble de règles et de procédures qui a une triple
mission : assurer la reproduction des formes institutionnelles en vigueur, soutenir et piloter le régime
d’accumulation, limiter les connaissances nécessaires à l’action des individus. Il permet la cohérence
de l’ensemble du système socioéconomique concerné. Comme le souligne Boyer [2004], il assure la
compatibilité des formes institutionnelles entre elles, là où a priori l’incohérence devrait être la règle
compte tenu de la construction indépendante des compromis institutionnalisés à la base des formes
institutionnelles.
Un autre point fort du concept de mode de régulation réside, selon notre interprétation, dans sa
capacité à associer les concepts de hiérarchie et de complémentarité institutionnelles présentés
8 Boyer [2004, 2005] évoque les mécanismes d’endométabolisme, i.e. le développement de tensions au sein même d’une
architecture institutionnelle, victime de son succès, et d’hybridation, l’assimilation dans une configuration donnée
d’institutions importées.