trois ans, les enfants commencent à se libérer de la situation « moi-ici- maintenant » et à
parler de ce qui s’est passé dans un autre lieu et à un moment plus éloigné du moment de
la parole (par exemple en racontant une visite à leur grand-mère la semaine précédente),
en utilisant également des morphèmes temporels spécifiques (cf. Weist, 1986, pour une
synthèse de cette recherche ; voir aussi Meisel, 1985 ; Schlyter, 1990a, pour les bilingues
franco-allemands). Cela veut dire que les deux interlocuteurs doivent établir un temps de
référence commun situé au passé.
3 A ce niveau, que se passe-t-il chez les enfants bilingues ? On peut supposer que dans la
langue dominante, le développement suit le même itinéraire que chez un enfant
monolingue. Le problème se pose pourtant pour la langue faible. Si un enfant a commencé
à faire référence au passé, à l’aide de verbes au passé, dans la langue dominante, on peut
supposer que cet enfant est cognitivement suffisamment mûr (cf. Weist, 1986) pour le
faire aussi dans la langue faible, même s’il le fait à l’aide d’autres procédés que les
morphèmes temporels. C’est ce qui se passe pour les adultes qui acquièrent une langue
seconde. Ceux-ci, normalement, essayent de faire référence au passé s’ils en éprouvent le
besoin, ou si l’interlocuteur les y incite. Mais comme ils ne connaissent pas toujours la
morphologie verbale du passé, ils utilisent d’autres moyens (par exemple la séquence des
événements, des adverbes), ou surgénéralisent une forme non-marquée des verbes -
infinitif ou présent/ radical (voir Von Stutterheim, 1986 ; Klein, Dietrich & Noyau, 1993 ;
Noyau, 1991 ; Schlyter, 1986, Schlyter, 1990b). Un exemple de Schlyter, 1986 :
(1) Il joue la trompette aussi
- pas maintenant mais deux ans avant.
4 Les enfants, en revanche, acquièrent assez vite et sans beaucoup d’erreurs les formes
grammaticales sans les surgénéraliser.
5 Dans cette étude, j’essaierai de répondre surtout aux questions suivantes : peut-on
trouva- des différences entre la langue dominante et la langue faible en ce qui concerne :
1. l’acquisition des formes verbales pour renvoyer au passé (par exemple de telle sorte que,
dans la langue faible, plus de formes non- marqués sont utilisées incorrectement, pour
renvoyer au passé, dans la langue faible que dans la langue forte) ?
2. l’interaction avec l’adulte autour de ces formes (par exemple l’enfant dans la langue faible
est moins actif dans l’interaction, ou répond moins aux questions concernant le passé que
dans la langue forte) ?
6 Dans le premier cas, l’enfant se comporterait plutôt comme un apprenant adulte de
langue seconde ( = développement déviant), dans le deuxième cas plutôt comme un jeune
enfant au début de son développement ( = développement retardé).
7 Y a-t-il éventuellement d’autres différences entre la langue dominante et la langue
faible ?
1.2. Les enfants
8 Les enfants étudiés ici sont quatre enfants bilingues franco-suédois vivant en Suède : Jean,
Anne, Mimi et Dany. Ces enfants sont exposés au suédois et au français depuis leur
naissance, et commencent à produire les deux langues simultanément. Les familles
Formes verbales du passé dans des interactions en langue forte et en langue f...
Acquisition et interaction en langue étrangère, 6 | 2012
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