
28 - Le Commerce du Levant - Février 2010
économiesyrie-liban
Hafez el-Assad au pouvoir ouvre en 1970
l’ère du “infiraj” (détente), qui marque le
début de l’ouverture et le recentrage sur la
nation au détriment de la région arabe.
1970-1991 : L’INFIRAJ,
SELON HAFEZ EL-ASSAD
Le nouveau président tend la main au
secteur privé en facilitant l’octroi de
licences industrielles, en soutenant l’em-
prunt et en entamant la dérégulation des
secteurs commerciaux et industriels. Des
zones franches voient le jour à Tartous et
Alep, et de nombreuses restrictions sur
l’import-export sont assouplies. Un décret
de mars 1974 autorise les entreprises pri-
vées à contracter des emprunts auprès
d’investisseurs privés pour développer
leurs activités. En 1973, 32 % du com-
merce extérieur est contrôlé par le sec-
teur privé, selon les conclusions de Syed
Aziz el-Ahsan dans son ouvrage
“Economic policy and class structure in
Syria : 1958-1980”. Néanmoins, la créa-
tion d’un code pénal économique place
une épée de Damoclès au-dessus des
importateurs, qui risquent la prison au
moindre écart par rapport aux réglemen-
tations.
L’arrêt de l’activité du pipeline venant du
nord de l’Irak en 1976, qui était une large
source de devises étrangères en taxes de
transit depuis les années 1940, affecte les
finances du pays. Puis la détérioration du
niveau de vie des classes populaires, ter-
reau politique du régime, pousse Hafez el-
Assad à revenir en 1977 aux recettes
éprouvées de l’économie socialiste, en
taxant lourdement les entreprises privées
tout au long des années 1980. La chute
des prix du pétrole assèche les revenus de
l’État, qui doit alors faire face à l’inflation
et une dette extérieure qui atteint 2,3 mil-
liards de dollars en 1983. Entre 1982 et
1987, le PIB par habitant chute de 15 %.
Plutôt que de demander de l’aide aux ins-
titutions financières internationales, Assad
mise alors sur le secteur privé. Le gouver-
nement favorise les exportations à tous
prix, au détriment des besoins du pays.
Cette tendance va aboutir à la loi 10 de 1991
sur l’investissement, tournant dans l’histoire
économique syrienne.
Pendant que la Syrie cherche à accommoder
l’idéologie socialiste, l’économie libanaise
est de son côté en proie avec les affres de la
guerre. Destructions des infrastructures,
pertes matérielles et humaines, les forces
vives du pays sont atteintes. Le coup le plus
rude vient de la dévaluation monétaire dans
les années 1980 qui appauvrit des pans
entiers de la population. Bien que le secteur
privé ait continué de faire preuve d’un très
grand dynamisme tout au long du conflit,
l’économie en sort exsangue et le “modèle”
libanais doit être entièrement revu à la fin de
la guerre.
1991-2005 : TIMIDE OUVERTURE
SYRIENNE, UN LIBAN SOUS INFLUENCE
Au début des années 1990, l’impossibilité
du secteur public à générer suffisamment de
croissance pousse le régime de Hafez el-
Assad à sortir progressivement du modèle
d’économie dirigée (voir interview Jihad Yazigi
page 40). L’émergence d’une nouvelle bour-
geoisie contribue par ailleurs à différencier les
acteurs économiques et politiques, aupara-
vant étroitement liés. Les entrepreneurs liba-
nais mettent alors le pied dans la porte. Ils
commencent à investir dans un marché éco-
nomiquement vierge en termes de services et
où tout est à moderniser.
Au niveau macroéconomique, les relations éco-
nomiques entre les deux voisins sont codifiées
dès 1991 par une série d’accords placés dans
le cadre du traité de fraternité, de coopération et
de coordination (voir page 30).
Au-delà de ce cadre global, les flux finan-
ciers entre les deux pays empruntent sou-
vent des voies aux frontières de la légalité.
Trafics et prises d’intérêts dans diverses
activités illicites auraient rapporté jusqu’à un
milliard de dollars par an à la Syrie, selon un
rapport américain de 1992.
Pendant cette période de “reconstruction”
au Liban, les besoins de l’économie libanai-
se à l’égard de la Syrie (main-d’œuvre bon
marché, électricité, produits alimentaires…)
sont en phase avec les intérêts économiques
de la Syrie et sa volonté d’ingérence dans les
affaires libanaises.
DEPUIS 2005 : UNE NOUVELLE ÈRE ?
Arrivé au pouvoir en 2000, Bachar el-Assad
poursuit la désétatisation de l’économie
syrienne. Le jeune président « souhaite ins-
taurer un changement radical rendu néces-
saire par deux choses : la montée en puis-
sance du chômage et la réduction des reve-
nus pétroliers qui représentaient 70 % du
budget du gouvernement en 1991, contre
moins de 30 % aujourd’hui », explique Fuad
Lahham, directeur général de FL
Management Consultants à Damas.
Le président transfère peu à peu la prise de
décision au ministère des Finances et à la
Banque centrale. En 2005, le 10e Congrès du
parti Baas lance officiellement le processus de
transition visant à passer d’une économie pla-
nifiée à une économie “sociale de marché”. Ce
signe d’ouverture reste toutefois limité, car le
processus est freiné par les blocages et les
lenteurs de l’administration syrienne.
Parallèlement, au Liban, 2005 marque la fin de
l’occupation syrienne. Les tensions politiques
entre les deux pays paralysent le Haut Comité
syro-libanais et entraînent des mesures de
rétorsion à la frontière. Cela se traduit par une
chute des échanges commerciaux entre 2005
et 2006. Mais l’année suivante, le volume
d’importations et d’exportations entre les deux
pays a dépassé son niveau de 2005, et il n’a
cessé d’augmenter depuis. En juillet 2008, le
Syria Report soulignait que « les échanges
commerciaux bilatéraux ont en réalité augmen-
té après la mort en février 2005 de Rafic Hariri.
En 2007, ils ont atteint un niveau inégalé
depuis seize ans ».
L’implantation d’entreprises libanaises en
Syrie augmente : banques, assurances et
entreprises de services du pays du Cèdre
occupent une place de choix sur la place
de Damas. Les spécialistes voient le libéra-
lisme économique du Liban comme une
soupape de sécurité indispensable au régime
de Damas pour freiner la sortie de son systè-
me autocentré et ainsi conserver une certaine
stabilité sociale. « Le taux de chômage offi-
ciel est aujourd’hui d’environ 15 %, mais
le chômage réel est plutôt de l’ordre de
54 % », s’inquiète Mtanios Habib, qui
n’ose pas imaginer la situation si le pays
s’ouvre trop vite à l’économie de marché.
En parallèle, la Syrie apparaît aux entrepre-
neurs libanais comme un marché naturel
pour leur expansion géographique. Si elles
n’ont jamais été complètement rompues,
même au plus fort des tensions politiques,
les relations économiques et commerciales
entre les deux voisins sont désormais en
phase d’intensification.
Les flux financiers
entre les deux pays
empruntent
souvent
des voies
aux frontières
de la légalité
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