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Problématique générale
Dans le cadre de ce symposium, nous proposons une réflexion sur la question de l’émancipation
autour de deux des principes fondamentaux de notre société : la santé et l’éducation. Cette réflexion
s’articule autour de deux axes, théoriques et méthodologiques, qui font l’objet de deux symposiums
distincts.
En considérant que l’émancipation peut être observée à travers l’évolution des paradigmes et des
modèles théoriques sous-jacents, le premier symposium interroge les aspects conceptuels de
l’éducation et de la santé. D’un modèle hégémonique biomédical visant l’absence de maladie, on
glisse progressivement vers un modèle émancipateur, holistique et global ayant pour finalité le
développement du bien être physique, mental et social. Un tel changement de paradigme questionne
la place du sujet qui devient dès lors acteur de sa santé, capable d’effectuer des choix libres, éclairés
et responsables. Les approches basées sur l’information apparaissent toujours nécessaires, mais
insuffisantes à elles seules. Elles sont complétées d’une part par des stratégies de développement
des compétences personnelles et sociales centrées sur les capacités du sujet, et d’autre part par un
travail sur ses attitudes, notamment son esprit critique.
Cette réflexion autour des modèles interroge l’ensemble des milieux qui s’intéressent aux questions
d’éducation et de santé, dont le champ scolaire. Dans le domaine sanitaire et social, la réflexion sur
l’émancipation se traduit entre autres par l’apparition du concept d’éducation thérapeutique du patient,
qui renvoie à l’accompagnement des personnes malades chroniques en perspective d’une
autonomisation des personnes concernées. Sur les plans législatifs et scientifiques les principes
d'autonomisation et de responsabilisation des acteurs sont défendus et ancrés dans le sillon de
l'émancipation, mais des obstacles importants persistent, dont les inégalités d’accès aux savoirs,
l’hétérogénéité sociale et culturelle, les disparités économiques. Face à cette complexité, la question
de l'émancipation dans le domaine de la santé interroge les pratiques (et donc les modèles sous-
jacents) des professionnels de l'éducation, du social et/ou de la santé. C’est ainsi qu’un ensemble de
nouvelles questions émerge autour des enjeux, des orientations et des approches en matière de
formation professionnelle des acteurs.
Le premier symposium réunit six communicants qui questionnent, chacun à leur manière, les
fondements scientifiques qui permettent de donner sens à l'émancipation dans le cadre de l'éducation
à la santé, y compris dans le champ de l’éducation thérapeutique qui en fait partie. A travers une
étude historique de la formation des professionnels infirmiers et infirmières, Hervé Carbuccia et
Chantal Eymard interrogent l'émancipation sous l'angle du rapport au pouvoir médical. L’étude d’un
ensemble de textes (curricula, décrets, arrêtés) mis en œuvre au cours du XXe siècle dans la
formation des infirmiers permet aux auteurs de montrer que le corps professionnel infirmier a gagné
progressivement en autorité sur son fonctionnement propre en s’émancipant du pouvoir médical. Pour
autant, ne faut-il pas encore relever le défi de la deuxième décennie du XXIe siècle en faisant
reconnaître une discipline en « Sciences infirmières » en France ? Bernard Andrieu s’avance sur le
terrain des relations entre les professionnels de santé et les personnes malades en questionnant la
relation entre le soignant et le soigné dans le cadre de l’éducation thérapeutique. Le concept
d’agentivité, concept positif, dynamique, dialectique, écologique, transformateur et politique, permet à
l’auteur d’envisager une modélisation de l’agir qui s’émancipe de conceptions qui tiennent seulement
l’éducation thérapeutique comme un mode de gouvernement des malades plutôt qu’une éducation à
la gouvernementalité du sujet. Mais d’un concept dynamique aux pratiques de terrain, il y a encore
plusieurs pas à franchir, notamment si l’on considère, par exemple, que seulement 1% des patients
demandent leurs dossiers dans les hôpitaux parisiens alors que la loi dite Kouchner en 2002 a
reconnu le droit des patients à avoir accès à leur dossier médical et le devoir des médecins de
rechercher leur consentement aux soins.
De retour dans l’univers scolaire, Séverine Parayre et Jeanne Guiet-Silvain proposent une étude
comparative socio-historique de l’éducation sanitaire d’hier à l’éducation à la santé à l’école
d’aujourd’hui. Les auteurs discutent les définitions et conditions de l’émancipation et avancent l’idée
que l'éducation à la santé d’aujourd’hui doit questionner certains fondements de l'éducation et de la
formation, tels le rôle central de l'élève, l'égalité des chances, la réflexion à de nouvelles pédagogies.
Ces interrogations ne font pas l’économie de la question fondamentale du rapport entre les formes
scolaires, situées entre la logique des savoirs (avec ses découpages disciplinaires) et de celle des
valeurs qui les constituent. Cette mise en tension ne situerait-elle pas l’occasion de l’insertion