education et sante - Espace Numérique de Travail de l`ESPE de

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EDUCATION ET SANTE :
LE TEMPS DES EMANCIPATIONS ?
ASPECTS THEORIQUES ET CONCEPTUELS
Identité des auteurs
Nom : CARBUCCIA
Prénom : Hervé
Appartenance institutionnelle :
Cadre de santé APHM, Docteur en sciences de l’Education – UMR P3 ADEF
Courriel : [email protected]
Nom : EYMARD
Prénom : Chantal
Appartenance institutionnelle :
Aix-Marseille-Université-UMR P3 ADEF
Courriel : [email protected]
Nom : ANDRIEU
Prénom : Bernard
Appartenance institutionnelle :
UHP Nancy, Faculté du Sport EA 4360 APEMAC/ EPS Metz & USR 3261 MSH
Lorrain
Courriel : [email protected]
Nom : PEREZ
Prénom : Jean-Michel
Appartenance institutionnelle :
Université Henri Poincaré-Nancy-LISEC Lorraine
Courriel : [email protected]
Nom : PARAYRE
Prénom : Séverine
Appartenance institutionnelle :
Université Lille 3, sciences de l'éducation, Proféor-CIREL EA 2261, membre
associée Laboratoire ACTé, EA 4281.
Courriel : [email protected]
Nom : GUIET-SILVAIN
Prénom : Jeanne
Appartenance institutionnelle :
Université Paris Descartes, Sciences de l’Education, Laboratoire EA 4287 : PIPSRICE / GRIPS : “Habiter : processus identitaires, processus sociaux », membre
associée Laboratoire ACTé, EA 4281.
Courriel : [email protected]
1
Nom : TRIBY
Prénom : Emmanuel
Appartenance institutionnelle : Université de Strasbourg, LISEC (EA 2310)
Courriel : [email protected]
Nom : SIMAR
Prénom : Carine
Appartenance institutionnelle : IUFM Auvergne – UBP Clermont2, laboratoire PAEDIACTé EA 4281)
Courriel : [email protected]
Nom : JOURDAN
Prénom : Didier
Appartenance institutionnelle :
IUFM Auvergne – UBP Clermont2, laboratoire PAEDI-ACTé EA 4281
Courriel : [email protected]
Nom : FITZGERALD
Prénom : Aileen
Appartenance institutionnelle :
M.Ed, HDGT. Educational Consultant and Psychotherapist, Cork, Ireland
Courriel : [email protected]
Identité du coordonnateur
Nom : BALCOU-DEBUSSCHE
Prénom : Maryvette
Appartenance institutionnelle :
Université-IUFM de La Réunion – Membre du Laboratoire LCF, membre du comité
scientifique du réseau UNIRéS.
Courriel : [email protected]
Identité du réactant
Nom : BERGER
Prénom : Dominique
Appartenance institutionnelle :
Université de Lyon, IUFM, F-69003, France, EA 4281, ACTé
Courriel : [email protected]
2
EDUCATION ET SANTE :
LE TEMPS DES EMANCIPATIONS ?
ASPECTS THEORIQUES ET CONCEPTUELS
Résumé Symposium 1: Education et Santé : le temps des émancipations ? Aspects théoriques
et conceptuels.
Ce premier symposium réunira des chercheurs de laboratoires, de pays différents, de disciplines des
sciences humaines et sociales et de santé publique, travaillant tous dans le domaine de l'éducation et
de la santé et réfléchissant depuis quelques années aux problématiques d'émancipation des acteurs
dans ce domaine. Par une analyse théorique et conceptuelle, ils proposeront de nourrir la réflexion
commune autour des concepts clés de responsabilité, d'autonomisation, de subjectivité des acteurs,
d'émancipation face au pouvoir et au sein de la collectivité, enfin des variations d'émancipation et de
la dimension éthique de toute éducation en santé. Le projet ambitieux de ce symposium serait de
pouvoir construire une base théorique et conceptuelle permettant de répondre aux problématiques
actuelles de terrain et de difficultés d'adaptabilité des acteurs face au processus d'émancipation.
Abstract 1. Education and Health : empowerment issues. Theoretical and conceptual
approaches.
Researchers from different teams and countries are discussing the issues of empowerment in health
education. This reflection is based on a multidisciplinary scientific approach. Theoretical and
conceptual analysis will be conducted. This first workshop will discuss the following terms in health
education: responsibility, empowerment, self-regards and ethical issues. The aim is to build a
theoretical and conceptual framework in order to give line of thought in direction to health educations
actors.
Resumen 1 : Educación Y Salud : el tiempo de las emancipaciones? Aspectos teóricos y
conceptuales
Este primer congreso(simposio) reunirá a investigadores de laboratorios, de países diferentes, de
asignaturas entorno a ciencias humanas y sociales y de salud pública, que trabajan en todos los
aspectos de la educación y salud y que van reflexionando desde hace algunos años en las
problemáticas de emancipación de los actores en este tema. Con un análisis teórico y conceptual,
propondrán alimentar la reflexión común a propósito de los conceptos fundamentales :
responsabilidad, volverse o ser autónomo, subjetividad de los actores, emancipación frente al poder y
en el seno de la colectividad, variaciones de emancipación y de la dimensión ética de toda educación
en lo que se refiere a la salud. El proyecto ambicioso de este congreso sería poder construir una base
teórica y conceptual que permitiría contestar a las problemáticas actuales de terreno y a las
dificultades de adaptación de los actores frente al proceso de emancipación.
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Problématique générale
Dans le cadre de ce symposium, nous proposons une réflexion sur la question de l’émancipation
autour de deux des principes fondamentaux de notre société : la santé et l’éducation. Cette réflexion
s’articule autour de deux axes, théoriques et méthodologiques, qui font l’objet de deux symposiums
distincts.
En considérant que l’émancipation peut être observée à travers l’évolution des paradigmes et des
modèles théoriques sous-jacents, le premier symposium interroge les aspects conceptuels de
l’éducation et de la santé. D’un modèle hégémonique biomédical visant l’absence de maladie, on
glisse progressivement vers un modèle émancipateur, holistique et global ayant pour finalité le
développement du bien être physique, mental et social. Un tel changement de paradigme questionne
la place du sujet qui devient dès lors acteur de sa santé, capable d’effectuer des choix libres, éclairés
et responsables. Les approches basées sur l’information apparaissent toujours nécessaires, mais
insuffisantes à elles seules. Elles sont complétées d’une part par des stratégies de développement
des compétences personnelles et sociales centrées sur les capacités du sujet, et d’autre part par un
travail sur ses attitudes, notamment son esprit critique.
Cette réflexion autour des modèles interroge l’ensemble des milieux qui s’intéressent aux questions
d’éducation et de santé, dont le champ scolaire. Dans le domaine sanitaire et social, la réflexion sur
l’émancipation se traduit entre autres par l’apparition du concept d’éducation thérapeutique du patient,
qui renvoie à l’accompagnement des personnes malades chroniques en perspective d’une
autonomisation des personnes concernées. Sur les plans législatifs et scientifiques les principes
d'autonomisation et de responsabilisation des acteurs sont défendus et ancrés dans le sillon de
l'émancipation, mais des obstacles importants persistent, dont les inégalités d’accès aux savoirs,
l’hétérogénéité sociale et culturelle, les disparités économiques. Face à cette complexité, la question
de l'émancipation dans le domaine de la santé interroge les pratiques (et donc les modèles sousjacents) des professionnels de l'éducation, du social et/ou de la santé. C’est ainsi qu’un ensemble de
nouvelles questions émerge autour des enjeux, des orientations et des approches en matière de
formation professionnelle des acteurs.
Le premier symposium réunit six communicants qui questionnent, chacun à leur manière, les
fondements scientifiques qui permettent de donner sens à l'émancipation dans le cadre de l'éducation
à la santé, y compris dans le champ de l’éducation thérapeutique qui en fait partie. A travers une
étude historique de la formation des professionnels infirmiers et infirmières, Hervé Carbuccia et
Chantal Eymard interrogent l'émancipation sous l'angle du rapport au pouvoir médical. L’étude d’un
ensemble de textes (curricula, décrets, arrêtés) mis en œuvre au cours du XXe siècle dans la
formation des infirmiers permet aux auteurs de montrer que le corps professionnel infirmier a gagné
progressivement en autorité sur son fonctionnement propre en s’émancipant du pouvoir médical. Pour
autant, ne faut-il pas encore relever le défi de la deuxième décennie du XXIe siècle en faisant
reconnaître une discipline en « Sciences infirmières » en France ? Bernard Andrieu s’avance sur le
terrain des relations entre les professionnels de santé et les personnes malades en questionnant la
relation entre le soignant et le soigné dans le cadre de l’éducation thérapeutique. Le concept
d’agentivité, concept positif, dynamique, dialectique, écologique, transformateur et politique, permet à
l’auteur d’envisager une modélisation de l’agir qui s’émancipe de conceptions qui tiennent seulement
l’éducation thérapeutique comme un mode de gouvernement des malades plutôt qu’une éducation à
la gouvernementalité du sujet. Mais d’un concept dynamique aux pratiques de terrain, il y a encore
plusieurs pas à franchir, notamment si l’on considère, par exemple, que seulement 1% des patients
demandent leurs dossiers dans les hôpitaux parisiens alors que la loi dite Kouchner en 2002 a
reconnu le droit des patients à avoir accès à leur dossier médical et le devoir des médecins de
rechercher leur consentement aux soins.
De retour dans l’univers scolaire, Séverine Parayre et Jeanne Guiet-Silvain proposent une étude
comparative socio-historique de l’éducation sanitaire d’hier à l’éducation à la santé à l’école
d’aujourd’hui. Les auteurs discutent les définitions et conditions de l’émancipation et avancent l’idée
que l'éducation à la santé d’aujourd’hui doit questionner certains fondements de l'éducation et de la
formation, tels le rôle central de l'élève, l'égalité des chances, la réflexion à de nouvelles pédagogies.
Ces interrogations ne font pas l’économie de la question fondamentale du rapport entre les formes
scolaires, situées entre la logique des savoirs (avec ses découpages disciplinaires) et de celle des
valeurs qui les constituent. Cette mise en tension ne situerait-elle pas l’occasion de l’insertion
4
dynamique de l’éducation à la santé dans des configurations où les enjeux d’hier éprouveraient à
changer ceux inscrits dans une société en devenir ? A travers un retour dans le champ de l’éducation
thérapeutique, Chantal Eymard ouvre la réflexion sur la dimension collective de l'émancipation.
Depuis la loi de 2009 (réforme de l’Hôpital, relative aux patients, à la santé et aux territoires)
l’éducation thérapeutique est désormais entérinée comme thérapeutique à part entière avec son
cadre, ses finalités et ses modes de financement dans une loi de santé publique. Mais là encore, un
texte suffira-t-il à régler les controverses, les résistances et les multiples enjeux contradictoires dans
des relations où chacun, soignant-soigné, œuvre pour l’émergence et l’autonomie de sa propre
existence au service d’autrui ? En référence aux travaux de Vygostki « L’émancipation est, si elle est
collective, sinon elle n’est rien » (Vygotski, 1985), ne doit-on pas travailler pour que l’émancipation ne
suive pas que les voies individuelles, en occultant l’indispensable dimension collective dans laquelle
elle pourra s’inscrire ? A travers l’étude des prescriptions en éducation à la santé assignées aux
acteurs du milieu scolaire issus de systèmes éducatifs différents, C. Simar, D. Jourdan et A. Fitzgerald
abordent la question de l’émancipation en mobilisant une dimension comparative. Dans l’un des pays
(la France), l’éducation à la santé reste un objet transversal alors que dans l’autre (l’Irlande), elle est
une matière à part entière auxquels sont consacrés des temps d’enseignement bien spécifiques. Au
Québec, l’éducation à la santé est à la fois une discipline et un domaine transversal. La comparaison
des systèmes permet aux auteurs d’apporter de nouveaux éclairages sur les dispositifs et les
pratiques, qui va même jusqu’à proposer une modélisation des prescriptions susceptibles d’éclairer la
nature des tâches permettant l’émancipation des élèves en matière d’éducation à la santé. Enfin, à
l’aune des dimensions éthiques de l’éducation à la santé, Emmanuel Triby analyse les obstacles de
l'émancipation à travers une recherche conduite pendant quatre années auprès de collégiens. En
tentant de se tenir à distance de l’impératif éthique autant que des “nécessités“ économiques,
l’approche des activités par le devoir-agir autorise, selon l’auteur, la prise en compte des
« conceptualisations en actes » propres aux individus et les exigences du développement durable
dans lesquelles ces activités doivent finir par trouver leur usage.
A travers cet ensemble d’éclairages pluriels, les six contributions devraient permettre de s’interroger
sur un certain nombre de questions qui traversent les pratiques professionnelles, personnelles et
sociales, tout en questionnant les dispositifs mis en place, les orientations privilégiées et les nouveaux
cadres dans lesquels les acteurs doivent s’inscrire. Au final, l’émancipation des individus est-elle
toujours possible et souhaitable et surtout, profite-t-elle toujours aux individus ? L’éducation à la santé
et l’éducation thérapeutique n’obligent-elles pas chacun de nous à réfléchir à son positionnement par
rapport au désir de maintien de sa propre santé, mais aussi aux sacrifices à effectuer et à la capacité
de chacun à exercer son esprit critique et à prendre de la distance ? L’émancipation de tous reste-telle envisageable dans des sociétés où l’accès aux savoirs reste profondément inégalitaire et où les
liens entre les savoirs et les pouvoirs en présence sont nécessairement interrogés ? Quelles traces
reste-t-il du modèle hégémonique biomédical et quels sont encore les freins au développement d’un
modèle émancipateur et global contribuant au développement du bien être physique, mental et
social ? Enfin, l’émancipation ne peut-elle pas conduire à des bouleversements individuels et sociaux
qui, au lieu de contribuer au bien-être des individus, pourraient conduite à leur perte ? Autant de
questions sur lesquelles les contributions des auteurs sont attendues et auxquelles il s’agira
d’apporter quelques réponses, y compris à travers l’éclairage conceptuel que chaque communicant
s’efforcera de réaliser en précisant les fondements théoriques d’une réflexion qui sera ainsi placée au
service de tous.
Mots-clés : Education-Santé- Responsabilité-Autonomisation-Ethique-Emancipation-
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ETUDE DIACHRONIQUE DU PROCESSUS
D’EMANCIPATION DU CORPS INFIRMIER FRANÇAIS
SOUMIS A LA TUTELLE DU POUVOIR MEDICAL EN
DEBUT DE XXE SIECLE
Carbuccia Hervé
UMR P3 ADEF.
Eymard Chantal
UMR P3 ADEF - Aix-Marseille-Université.
Texte introductif
C’est à travers un corpus des textes législatifs étudiés pour une thèse (Carbuccia, 2010) qu’ont été
dégagés des indices d’émancipation du corps professionnel infirmier français de la tutelle médicale
entre le début du XXe siècle et sa fin. L’étude a porté d’une part sur les sept curricula mis en œuvre
au cours du XXe siècle dans la formation d’infirmières et infirmiers en soins généraux et d’autre part
sur sept textes (décrets ou arrêtés du ministère gestionnaire de la santé) présentant des traces de
cette émancipation par l’acquisition d’une autonomie croissante en avançant vers la fin du siècle.
Un préambule retraçant à grands traits une histoire des soignants non médicaux de l’Antiquité au
XIXe siècle permettra de saisir la problématique de cette communication.
Quelques traces des soignants non médicaux de l’Antiquité gréco-romaine au
début du XXe siècle en France
De nombreuses traces datant de la période antique montrent qu’un système de soins était organisé
en Grèce puis plus systématiquement dans l’empire romain pour traiter les blessures, maladies et
accidents survenant chez les soldats et les esclaves. L’objectif de ces soins ne relevait de la pure
philanthropie puisque ces personnes étaient nécessaires au fonctionnement de la citée. Pour ce qui
concernait la sphère familiale, les problèmes de santé incombaient aux femmes naturellement
désignées pour assurer les soins. Ce n’est qu’avec l’essor du christianisme que des traces de soins
accordés aux femmes, enfants et vieillards malades, sont retrouvées à Rome au 1er siècle. En
mettant son hôtel particulier à disposition des malades sans distinction, la célèbre Fabiola en est la
figure emblématique. A Byzance, les premiers « vrais » hôpitaux apparaissent pour se généraliser sur
le territoire qui deviendra l’Europe, après le retour des ordres chevaleresques de croisés à partir du
XIe siècle. Ces ordres devenus hospitaliers développeront des structures d’accueil pour toutes sortes
de malades et les miséreux. Religieux et religieuses catholiques gèreront et dirigeront les différents
hôpitaux jusqu’à la Révolution française pour ce qui concerne notre pays. Jusque là, les médecins
interviendront sur l’invitation des religieux soignants ou des responsables des affaires de la citée. Dès
la Révolution française, les ordres soignants hospitaliers sont contestés par les médecins
révolutionnaires du fait de leur soumission aux dirigeants de leur ordre et non à l’autorité des
médecins. Le combat de ces derniers pour laïciser les hôpitaux français avait pour objectif non avoué
une prise de pouvoir sur ces institutions.
La prise de pouvoir des médecins au XIXe siècle
C’est par le biais de la médecine militaire que les hôpitaux généraux ont été investis par les
chirurgiens revenus des campagnes napoléoniennes (Wenner, 1999). Alors la médecine française
aurait ambitionné de devenir scientifique en adoptant une démarche expérimentale. Le malade
devenu objet d’observation médicale ; le sujet atteint par une pathologie n’était plus celui qui retenait
l’attention du médecin. Il est devenu un tableau de signes à classer dans une nosographie et un
support d’expérimentation pour les remèdes de la pharmacopée. Dans ce mouvement, les médecins
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hospitaliers ont constitué une catégorie de notables de plus en plus investis la vie politique. Ces
médecins-hommes politiques ont exercé des charges de députés, conseillers municipaux et
conseillers généraux. Ainsi, ils ont assis leur pouvoir sur la santé du peuple.
Séverine Parayre (2007) retrace l’emprise progressive du corps médical sur la santé du peuple
français à partir du XVIIIe siècle : « Entre la médecine des lumières et celle des premières décennies
du XIXe siècle Claire Salomon-Bayet parle du passage de l’hygiène à l’hygiénisme, en quelque sorte
du passage de la pensée de l’hygiène à l’élaboration administrative de la police médicale et de la
santé publique » (p. 174). Elle montre l’alliance entre le pouvoir médical et le pouvoir politique :
« l’hygiéniste du XIXe siècle influence l’Etat et s’allie à lui dans une même volonté centralisatrice de
la santé publique. Le corps médical et le pouvoir politique s’associent alors dans un même but, celui
de promouvoir l’augmentation démographique et la préservation de la population pour un
accroissement quantitatif et qualitatif de la Nation. Dorénavant, la médecine sociale prend une place
au sein du gouvernement et les médecins se présentent comme des conseillers privilégiés du pouvoir
central » (op. cit., p. 175).
Parayre (2007) souligne que « Dès 1794, les trois écoles de santé formées à Paris, Montpellier et
Strasbourg, qui remplacent les anciennes facultés de médecine, comportent chacune une chaire
d’hygiène. L’enseignement nouveau des écoles de santé unifie la chirurgie et la médecine, rapproche
la médecine et la chimie et consacre plus de place à la médecine préventive, appelée aussi
prophylaxie depuis 1793, c'est-à-dire l’hygiène» (ibid., p. 175). Enfin, elle remarque que Jean Antoine
Chaptal1 (dont l’arrière petite fille jouera le rôle d’organisatrice de la formation des infirmières
françaises en début de XXe siècle) avant d’être le ministre de l’intérieur de Napoléon Bonaparte,
présidait l’école de santé de Montpellier. Il y a promu la chimie (op. cit., p. 176) au rang des sciences
de premier plan. Là réside une des articulations entre médecine et pouvoir qui permettra à Désiré
Bourneville de conduire des réformes au sein des hôpitaux parisiens en priorité (l’impact sera très
variable dans les villes de petite ou moyenne importance).
A ce titre, selon Poisson (1998), « la laïcisation des hôpitaux de l’assistance publique de Paris est
aussi une œuvre novatrice et non des moindres, dans le dernier tiers de ce siècle durant lequel
l’Eglise connaît un regain de fortune qui lui permet d’oublier la tourmente révolutionnaire du siècle
passé. Depuis le Concordat, celle-ci s’était restaurée au rythme des nombreuses incertitudes du
régime et le tout récent ordre moral de Mac-Mahon l’avait bien confirmée dans sa fonction éminente
de gardien des valeurs traditionnelles. Bourneville, avec d’autres, était conscient que la laïcité était
une condition nécessaire au basculement définitif du régime dans l’ordre républicain. Jules Ferry
définira l’idéal républicain comme « construction d’une humanité sans Dieu et sans roi ». Les grandes
lois scolaires des années quatre-vingt viendront illustrer brillamment cette formule ambitieuse. C’est
donc le Bourneville politique qui entreprend la lutte pour la laïcisation des hôpitaux » (op. cit., p. 35).
Conjointement, Désiré Bourneville entreprendra une formation des personnels hospitaliers de Paris
afin de remplacer les religieuses par des infirmières et infirmiers laïcs. Son projet formalisé dès 1875
se matérialisera par la création d’écoles d’infirmières (et d’infirmiers) dans les hôpitaux parisiens à
partir de 1878. Pour cela, il s’était en partie inspiré du modèle de formation créé par la « nurse »
Florence Nightingale quelques vingt ans avant lui. Celle-ci avait fait ses preuves pendant la guerre
de Crimée (1854 – 1856) en relevant littéralement le service de santé militaire anglais. Dès son retour
à Londres, avec le soutien de la reine Victoria, elle avait mis sur pied un système de formation
d’infirmières laïques qui allait rayonner dans plusieurs pays du monde. Au début du XXe siècle la
situation française en termes de formation d’infirmières françaises (la proportion des infirmiers étant
minime) est complexe ; la tutelle des médecins est totipotente dans les écoles des hôpitaux publics
des grandes villes. A Bordeaux, Anna Hamilton (elle-même médecin) met en œuvre une formation
centrée sur le système Nightingale et donc en faveur de l’émancipation des infirmières issues de
Jean-Antoine-Claude Chaptal (1756-1832) Comte de Chanteloup médecin puis se consacre très
rapidement à la chimie et à ses applications En 1789, professeur de chimie à l'École de médecine de
Montpellier. Napoléon Bonaparte le nomme au conseil d'État puis, en novembre 1800, ministre de
l'Intérieur. Sa carrière politique se poursuivra par son appartenance à la pairie dans les régimes qui
suivront. Parallèlement il développe l’industrie chimique dont il tirera des revenus importants. Il meurt
le 30 juillet 1832 à Paris.
1
7
l’école de Bagatelle. A Paris, parallèlement à l’appareil de formation des hôpitaux publics, un réseau
d’écoles privées (Knibiehler, 2008) forme des infirmières laïques grâce au mécénat de personnes
fortunées, en particulier la famille Rothschild alliée aux Chaptal (Magnon, 1991). Dans ce réseau,
Léonie Chaptal titulaire du diplôme d’infirmière de l’Assistance Publique de Paris, se détache par sa
capacité à structurer des curricula de formation. En effet, son carnet d’adresses de descendante de
l’aristocratique famille Chanteloup lui permet de fréquenter les ministères et plus spécialement celui
de l’hygiène. Au vu des graves carences de notre système de santé mis en lumière par la dramatique
guerre de 14-18, son rapport et ses propositions au ministre Paul Strauss trouveront un écho très
favorable. Les décrets et arrêtés qui en ressortiront à partir de 1922, vont structurer un système de
formation d’infirmières dont l’évolution sera envisagée sous l’angle de l’émancipation de la tutelle
médicale. Avant cela, la rigueur historiographique impose de rappeler la venue salutaire durant la
première mondiale, d’infirmières américaines (Croix-Rouge américaine, Fondation Rockefeller) dont
le professionnalisme a limitée la débâcle de notre système de santé. Sans leur aide (Diebolt &
Fouché, 2011) notre pays ne se serait pas relevé de l’afflux de blessés graves doublé par tous les
malades civils atteints par les épidémies de tuberculose et de grippe « espagnole ».
Texte de la communication
L’observation du processus d’émancipation est réalisée à partir de traces portées par les sept
curricula mis en œuvre de 1924 à 1992 en France ainsi que sept textes législatifs régissant la
profession et la formation d’infirmière et d’infirmier, parus entre 1922 et 1992.
L’analyse des curricula de 1924, 1938, 1951, 1954 et 1961, montre « qu’en dépit d’un volume horaire
« théorique » augmenté de 200 heures (au moins) entre 1924 et 1961, le nombre des mois de stages
varie très peu entre 1924 et 1961. De même, la période probatoire constitue un invariant dont la seule
modification notable est un allongement de cette période probatoire à 3 mois à partir de 1938. Les
programmes restent marqués sur toute cette période par la facture de l’arrêté de 1924 jusque dans le
nombre de mois de stages. En revanche, imposés par les textes officiels et contrôlés dans leur
application par les autorités de tutelles, ces curricula ont été mis en œuvre par toutes les écoles de
France de façon uniforme. Cette « harmonisation-uniformisation » a favorisé l’émergence d’un corps
professionnel. Emergence qui s’est avérée être une condition sine qua non à la professionnalisation
de ce corps » (Carbuccia, 2010, p. 278).
Le curriculum de 1972 opère une rupture dans la formation non seulement en promouvant un
nouveau modèle de professionnel(le) mais aussi en initiant un processus de centration sur les soins
infirmiers. L’apparition du « plan de soins » dans ce curriculum est le point de départ d’une
décentration des contenus biomédicaux que les curricula de 1979 et 1992 confirmeront.
Indubitablement l’accord européen du 25 octobre 1967 sur « l’instruction des infirmiers et
infirmières » ratifié par la France par le décret n° 75-73 du 30 janvier 1975 (entré en vigueur en mai
1975) a impulsé un mouvement d’appropriation de contenus non médicaux que le curriculum de 1979
mettra en œuvre en allongeant la durée de formation aux trente trois mois requis par l’accord
européen. L’introduction d’un enseignement conséquent de sciences humaines et de la « démarche
de soins infirmiers » va permettre au corps professionnel infirmier de définir de plus en plus
précisément sa spécificité. Sans la reconnaissance du rôle propre infirmier par la loi n° 78-615 du 31
mai 1978, toutes ces avancées auraient été impensables.
Le curriculum de 1992 consolide et amplifie l’émancipation de la tutelle médicale en augmentant
encore la durée de formation (37,5 mois) après une « fusion » en un seul curriculum des précédents
programmes de préparation au diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique et au diplôme d’infirmier
de soins généraux. L’enseignement formalisé des théories de soins infirmiers et la production d’un
TFE (travail de fin d’étude) approfondissant une problématique infirmière sont venus renforcer
l’identification à un modèle professionnel dont le rôle propre est un gage de différenciation du modèle
de « l’exécutante » strictement inféodée au pouvoir médical. Ce processus curriculaire est étayé par
des décrets et arrêtés relatifs à l’exercice professionnel et l’organisation de la formation infirmière
dont l’application a déterminé une autonomie administrative en rupture avec la tutelle médicale.
Les premiers textes du XXe siècle
Le décret du 27 juin 1922 portant institution du brevet de capacité d’infirmières professionnelles signé
par Alexandre Millerand et Paul Strauss (ministre de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance
8
sociale) initie une forme de reconnaissance de la profession d’infirmière à deux titres. D’une part, il
instaure une certification nationale et des programmes uniformes pour chaque brevet sur tout le
territoire (article 1er au 1° et 2°). D’autre part, il crée « Un conseil de perfectionnement des écoles
d’infirmières » divisé en deux sections et participant à l’approbation du règlement des écoles
d’infirmières, « chargé de veiller aux modifications et améliorations nécessaires à apporter aux
programmes et aux diverses parties de l'enseignement » et « pourra être chargé de répartir des
bourses d'études provenant de fondations et des ressources fournies par les fonds publics, et de
distribuer des récompenses » (article 3).
Du fait que l’approbation est donnée par le ministre « sur avis conforme de la section compétente du
Conseil de perfectionnement » (article 4) et qu’elle vaut « reconnaissance administrative de cette
école » (ibid.), nous discernons ici une forme de participation au pouvoir par contraste avec la
domination du pouvoir médical sur la formation des infirmières laïques du début du siècle. Cette
participation au pouvoir est renforcée par le fait que les membres nommés par le ministre dans un
premier temps pour trois ans sont par la suite élus (cinq dans chaque section) par l’ensemble des
écoles ressortissant de la section respective (article 3). Le poids de la tutelle médicale sur la
certification des infirmières est conséquent puisque chaque jury d’examen « devra comprendre au
moins pour moitié un ou plusieurs médecins, chirurgiens ou pharmaciens représentant du corps
professoral universitaire, un ou plusieurs représentants du corps médical local » et seulement « une
ou plusieurs représentantes des écoles d'infirmières, et une infirmière ou un infirmier en exercice ».
C’est pourquoi, la forte présence médicale dans les jurys d’examens a perduré jusqu’au curriculum
de 1972.
Le décret du 18 février 1938 (signé par le Président Albert Lebrun et le ministre de la santé publique
Marc Rucart) modifiait le fonctionnement instauré par le décret de 1922 en créant le « Conseil
supérieur d'hygiène sociale » et non plus du CPEI (article 3). Ce conseil purement consultatif s’est
retrouvé subordonné au pouvoir très élargi du ministre de la santé publique comme en témoignent
plusieurs articles et en particulier dans l’article 12 : « Le ministre de la santé publique attribue, dans la
limite des crédits inscrits à ce titre au budget ; des bourses d'études aux élèves régulièrement inscrits
dans une école agréée d'infirmier ou d'infirmière hospitalier ou d'assistant ou d'assistantes de service
social. Les conditions d'attribution et de maintien des bourses sont fixées par arrêté du ministre de la
santé publique sur proposition du conseil supérieur d'hygiène sociale ». Un recul peut donc être
constaté ici. Les velléités d’ouvrir à des fonctions supérieures grâce à un diplôme supérieur comme
en témoigne l’article 20 : « le diplôme supérieur est exigé par priorité de tout infirmier ou toute
infirmière hospitaliers, de tout assistant ou assistante de service social exerçant dans tout
établissement public et dans tout établissement ou institution privé, tirant tout ou partie de ses
ressources de fonds privés recueillis avec le concours où l'autorisation des collectivités publiques, les
fonctions de directeur, directrice, inspectrice ou toute autre fonction supérieure de même ordre »
n’ont pas été suivies d’effet.
Une timide protection de titre semble apparaître dans le dernier alinéa de l’article : « Le diplôme
social ne peut être admis au lieu du diplôme hospitalier, s'il s'agit de services hospitaliers, et le
diplôme hospitalier ne peut être admis au lieu du diplôme social, s'il s'agit de services sociaux ». Au
demeurant, aucune réelle avancée vers l’autonomie n’a suivi ce décret.
Les textes de « l’état français »
En revanche, le décret n° 2484 du 10 août 1942 (signé par le maréchal Pétain et Raymond Grasset
secrétaire d’état à la santé) ayant pour objet la délivrance du diplôme d'État d'infirmière ou d'infirmier
hospitalier, stipulait :
« Vu le décret du 18 février 1938 instaurant les diplômés d'État infirmier ou d’infirmière hospitaliers ;
Vu le décret du 12 novembre 1941 instituant un conseil de perfectionnement des écoles d'infirmier ou
d'infirmière hospitaliers, d'assistants ou d'assistantes et de monitrices médico-sociaux […] Un conseil
de perfectionnement pour les écoles d'infirmières ou d'infirmier hospitalier est substitué au conseil
prévu par le décret du 12 novembre 1941.
Ce conseil est chargé de donner son avis sur toutes les questions concernant l'organisation et le
fonctionnement desdites écoles (article 13). En outre, « Tous les membres du conseil, en dehors des
membres de droit, sont nommés pour une durée de trois ans. Leurs pouvoirs sont renouvelables »
(article 14). De plus, une section permanente devait être constituée pour examiner les questions
présentant un caractère d’urgence (article 15). Enfin, « Le conseil de perfectionnement des écoles
9
d'infirmières et d’infirmiers hospitaliers se réunit au moins une fois par trimestre sur convocation de
son président » (article 17).
Par le fait, le « Conseil supérieur d'hygiène sociale » avait disparu en 1941 laissant de nouveau place
au CPEI en 1942. Il apparaît que les délibérations du conseil pesaient sur les décisions à prendre
parce que les personnes extérieures au conseil n'avaient qu’une « voix consultative » (article 16).
Donc, un retour au décret de 1922 est opéré mais un changement de dispositions supprimait le
renouvellement des membres par vote des écoles (article 14). En revanche, les fonctions du conseil
étaient élargies puisqu’une section permanente devait siéger pour les questions urgentes (article 15).
De surcroît, le conseil devait donner son avis sur toutes les questions relatives aux écoles
d’infirmières (article 13). Force est de constater que dans cette période de recul sur le fonctionnement
démocratique, il s’est produit un avancement dans la construction du corps professionnel des
infirmier(e)s hospitalier(e)s par l’implication des professionnels dans la formation.
La loi n° 372 du 15 juillet 1943 signée par Pierre Laval chef du gouvernement, Maurice Gabolde
Garde des Sceaux et Raymond Grasset (Secrétaire d’Etat à la santé et à la famille) contribuait à
renforcer la construction du corps professionnel. Relative à la formation des infirmières ou infirmiers
hospitaliers, à l'organisation et à l'exercice de leur profession, cette loi créait une définition de la
profession d’infirmière ou d’infirmier par son article 1er : « Est considéré comme relevant de la
profession d’infirmière ou d’infirmier au sens de la présente loi tout emploi dont le titulaire donne
habituellement, soit à domicile, soit dans les services publics ou privés d’hospitalisation ou de
consultation, les soins prescrits ou conseillés par un médecin». Cette définition, attachée à l’emploi et
non à la personne, complétée par l’article 2 (outre les mesures dérogatoires) prévoyait une mesure
de protection du titre et de l’exercice infirmier en obligeant les professionnels a être muni d’un des
brevets d’état prévus au décret du 27 juin 1922 ou du diplôme d’infirmière ou d’infirmier hospitalier
prévu par le décret du 18 février 1938.
Son article 7 créait « une union nationale des infirmières et infirmiers hospitaliers, reconnue d'utilité
publique, qui assure la défense des intérêts de la profession et qui a la garde de son honneur et de
sa discipline ». Cette union devant exercer un rôle de protection de la profession en tous points
assimilable à une organisation ordinale.
En effet, l’union était habilitée à prendre des sanctions contre les membres contrevenant aux règles
professionnelles (article 7).
Par l’article 8 : « Les infirmières ou infirmiers sont tenues, dans le mois qui suit leur installation, de
faire enregistrer à la préfecture leur diplôme, brevet, titre ou certificat. Tout changement de résidence
hors des limites du département oblige à un nouvel enregistrement » des mesures semblables à
celles qui nous régissent actuellement (fichier Adélie et ordre infirmier) étaient mises en place.
Par l’article 9 était instaurée une protection de l’exercice de la profession en interdisant son exercice
illégal avec un arsenal de sanctions approprié.
Ainsi était initiée une organisation qui sera mise en place après la deuxième guerre mondiale pour la
protection du titre et de l’exercice de la profession.
Les textes d’après la deuxième guerre mondiale à 1972
Juste après la deuxième guerre mondiale, la loi n° 46-630 du 8 avril 1946 relative à l’exercice des
professions d’assistantes ou d’auxiliaires de service social et d’infirmière ou d’infirmier, imposait dans
son Titre II, article 3 : « nul ne peut exercer la profession d’infirmière ou d’infirmier s’il n’est muni soit
de l’un des brevets délivrés en application du décret du 27 juin 1922, soit du diplôme unique délivré
depuis le décret du 18 février 1938 », le législateur reprenait les termes de la loi n° 372 de 1943. Cet
article créait l’obligation d’être muni d’un diplôme d’état pour exercer la profession (en particulier
signer les feuilles de soins en exercice libéral) mais aussi pour être recruté dans les hôpitaux
(cependant, des mesures dérogatoires étaient encore prévues). L’article 4 porte une définition de
l’infirmière : « Est considérée comme exerçant la profession d’infirmière ou d’infirmier, toute personne
qui donne habituellement, soit à domicile, soit dans les services publics ou privés d’hospitalisation ou
de consultation, les soins prescrits ou conseillés par un médecin », le législateur avait manqué
d’imagination sauf pour assimiler la profession à la personne qui l’exerce et non plus à l’emploi qu’elle
occupait. En termes d’identification pour les futurs professionnels et en termes de reconnaissance de
la profession, cette identification de la profession au sujet ne s’est pas avérée émancipatrice.
10
Le titre III qui comportait les dispositions communes aux deux professions citées en titre de la loi,
entérinait les dispositions « d’enregistrement des professionnels » prises à l’article 8 de la loi n° 372
de 1943. Dispositions toujours en vigueur en 2010.
Les dispositions du Décret n° 2484 du 10 août 1942 concernant le CPEI (articles 13 et 14 en
particulier) étaient toujours en vigueur lors de la publication de l’Arrêté du 18 septembre 1951 (signé
par Jean Le vert). Arrêté relatif au Programme d'enseignement théorique et pratique en vue de
l'obtention des diplômes d'État d'infirmier, d'infirmière et d'assistant ou assistante du service social.
Une seule variante consistait à réunir en un seul conseil les personnes siégeant pour les écoles
d’infirmières et celles siégeant pour les écoles d’assistantes sociales.
Le décret n° 57-1132 du 5 octobre 1957 relatif aux conseils de perfectionnement pour les études de
service social et pour les études d’infirmiers et d’infirmières comportait trois titres.
Ce décret signé par Maurice Bourgès-Maunoury (Président du conseil des ministres), Albert Gazier
Ministre des affaires sociales et André Maroselli Secrétaire d’Etat à la santé publique et à la
population, dans son Titre I instituait un Conseil de perfectionnement des études de service social.
Le Titre II instituait un Conseil de perfectionnement des études d’infirmiers et d’infirmières par son
article 5. Ce conseil avait pour rôle « de donner un avis sur toutes les questions relatives à
l’enseignement préparatoire au diplôme d’Etat d’infirmiers et d’infirmières et à l’organisation des
écoles». Entre autres représentants, ce conseil devait comporter « des représentants des infirmiers et
infirmières et des écoles d’infirmiers et d’infirmières ». De plus, ce conseil avait « la faculté d’élaborer
un règlement intérieur ».
Le titre III développait les dispositions concernant la section commune des deux conseils.
En termes d’avancée d’autonomie de la profession, ce décret apportait peu de changement si ce
n’est un début de séparation des professions d’infirmières et d’assistantes sociales.
L’arrêté du 17 juillet 1961, signé par Max Querrien, relatif au programme d’enseignement et
organisation des stages de la première année d’études préparatoires au diplôme d’Etat d’infirmier ou
d’infirmière, d’assistant ou d’assistante de service social montrait la présence d’une section commune
des conseils de perfectionnement des études d’ infirmier et d’infirmière, d’assistant ou d’assistante de
service social, car les décisions concernant la première année d’études (encore commune à cette
époque) devaient y être discutées.
L’arrêté du 17 juillet 1961, signé par le Dr Aujaleu, relatif au programme d’enseignement et
organisation des stages de la deuxième année d’études préparatoires au diplôme d’Etat d’infirmier ou
d’infirmière, montre la présence du conseil de perfectionnement des études d’infirmière et d’infirmier.
Ce conseil avait donné son avis sur ce programme. Donc, son rôle semble conservé pour ce qui
relevait de la formation des infirmier(e)s. Les fonctions du conseil de perfectionnement ne semblent
pas avoir été modifiées depuis le décret du 5 octobre 1957.
La loi n° 78-615 du 31 mai 1978 en reconnaissant un rôle propre infirmier par son nouvel article L.
473 (remplaçant le précédent article L. 473) du code de la santé publique, stipulait : « Est considéré
comme exerçant la profession d’infirmière ou d’infirmier toute personne qui, en fonction des diplômes
qui l’y habilitent, donne habituellement des soins infirmiers sur prescriptions ou conseil médical, ou
bien en application du rôle propre qui lui est dévolu. En outre l’infirmière ou l’infirmier participe à
différentes actions, notamment en matière de prévention, d’éducation de la santé et de formation ou
d’encadrement ». Cet article conservé dans le fond est actuellement de l’article L. 4311 du Nouveau
Code de la santé publique. L’avancée en termes de professionnalisation a été considérable, d’une
part la mention des « diplômes qui habilitent » dans la définition, excluait les personnels non diplômés
en protégeant définitivement le titre, d’autre part, un rôle autonome dans le champ de la santé était
reconnu aux infirmier(e)s à travers le rôle propre.
Le décret n° 72-818 du 5 septembre 1972 relatif aux études préparatoires et aux épreuves du
diplôme d’Etat d’infirmier citait encore le Conseil de perfectionnement des études d’infirmiers et
d’infirmières pour l’avis qu’il avait émis sur l’élaboration de ce programme. Signé entre autres par
Marie-Madeleine Dienesch Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de la santé publique, chargée de
l’action sociale et de la réadaptation, ce décret introduisait le « programme de 1972 » sans modifier le
rôle du CPEI. Une rupture est à souligner avec ce curriculum (cf. supra) puisqu’à partir de 1972, les
études d’infirmier(e)s sont totalement séparées de celles d’assistant(e)s du service social. L’influence
de l’accord européen de 1967 est perceptible à travers les innovations de ce curriculum. Le
processus d’émancipation est initié.
11
Le Conseil Supérieur des Professions Paramédicales
La création du Conseil Supérieur des Professions Paramédicales opérée par le décret n° 73-901 du
14 septembre 1973 (signé par Pierre Mesmer, Michel Poniatowski et Marie-Madeleine Dienesch)
stipulait en son article 8, la transition entre les précédents conseils et le nouveau : « A titre transitoire,
[…] le conseil supérieur des infirmiers et infirmières, le conseil de perfectionnement des études
d’infirmier et d’infirmière […] continuerons à fonctionner suivant les règles en vigueur antérieurement
à la publication du présent décret jusqu’à la date de la constitution du conseil supérieur des
professions paramédicales ».
L’article 3 instaurait une composition de commissions spécifiques à chaque profession paramédicale.
Concernant la profession infirmière, les 1°, 2° et 3° de cet article instituaient un tiers de membres
issus de la catégorie « administrative », un tiers de médecins et un tiers d’infirmiers dans la
commission infirmière. Il était précisé « lorsque la commission est consultée sur un problème
intéressant les conditions d’admission dans les écoles, le déroulement de l’enseignement ou des
examens, il lui est adjoint, avec voix consultative, des étudiants en nombre égal à la moitié du
nombre des représentants de la profession dont il s’agit ».
Les articles 1 et 2 stipulaient que le conseil et chaque commission en regard de la profession
concernée, se prononçaient sur les questions relatives à l’exercice et sur toutes « les questions
intéressant l’enseignement organisé en vue de l’obtention de diplômes, titres ou certificats » en vue
d’exercer la profession considérée. Avec l’article 4 il apparaissait clairement que les avis étaient
donnés par vote.
En termes d’implication du corps professionnel infirmier dans les décisions gouvernementales
concernant la formation des candidats au diplôme d’état d’infirmier l’avancée était avérée. L’évolution
détachant toujours plus ce corps professionnel du pouvoir médical, s’est encore renforcée avec les
textes promulgués lors de la publication du « programme de 1992 ».
Textes relatifs au curriculum de 1992
Accompagnant le « programme de 1992 », plusieurs textes indiquent des avancées permettant de
considérer le corps infirmier comme un corps professionnel autonome. Ceci est repérable dans la
structuration du service de soins – dans l’exercice hospitalier particulièrement – mais aussi dans
l’organisation de la formation (initiale et continue) car désormais, des professionnels du corps sont
entièrement responsables de la conception et de la mise en œuvre des projets de formation.
Les propos de Martineau & Gauthier (2000) ont pris sens à partir de là pour le corps infirmier : «Dans
le cadre d’une activité professionnelle, la question des savoirs et des compétences joue un rôle
central en regard de la construction de l’identité professionnelle [...]. Le contrôle et l’autonomie dans
la production, tout comme dans la diffusion et l’utilisation du savoir, sont des aspects primordiaux du
pouvoir d’un groupement professionnel. Ainsi, tout groupe professionnel doit créer un lien structurel
entre sa formation (savoirs et compétences) et sa position dans la division sociale du travail. Et ce
lien n’est possible qu’à la condition de rendre crédible le champ d’expertise de la profession qui met
en scène la formation comme lieu d’acquisition d’un savoir hautement spécialisé» (Martineau &
Gauthier, 2000. p.85).
A partir de ces textes et ce curriculum, l’autonomie du groupe professionnel est avérée car les savoirs
sont produits par le corps infirmiers ainsi que leur utilisation et leur diffusion sont contrôlées par ce
même corps.
Le lien structurel permettant de rendre crédible le champ d’expertise de la profession est ainsi établi.
Alors, le 3e niveau de légitimation des savoirs (Mosconi, 1994) a été atteint par la profession
infirmière. En effet, dès lors, des théories explicites constituant un corps de connaissances lui ont
servi de cadre de références. « À partir de ce cadre, d’une part des théories spécialisées sont
produites, utilisées et confiées à un personnel spécialisé qui les transmet : les formateurs en soins
infirmiers employés dans les instituts de formation en soins infirmiers. D’autre part, l’initiation à la
recherche des étudiants en soins infirmiers est contrôlée par ces mêmes formateurs en IFSI »
(Carbuccia, 2010, p. 387).
L’arrêté du 30 mars 1992 modifié (modifiant l’arrêté du 19 janvier 1988) relatif aux conditions de
fonctionnement des écoles paramédicales (signé par Bruno Durieux) recèle en annexes des
mesures cardinales pour la constitution du corps professionnel et plus spécialement pour ce qui
12
concerne le conseil technique des IFSI. En effet, la liste des membres montre qu’en termes de
reconnaissance du service infirmier, le corps professionnel voit son autonomie s’accroître
considérablement.
Les membres de droit sont le représentant de l’état et le directeur de l’IFSI (qui doit être infirmier
diplômé d’état). Les personnes compétentes appelées à siéger sont :
Le président du Conseil d’administration et le directeur de l’organisme gestionnaire, et « l’infirmier
général, directeur du service des soins infirmiers de l’établissement public de santé gestionnaire de
l’IFSI ». Pour les IFSI ne relevant pas de la fonction publique, un infirmier général de même qualité
doit être désigné par le représentant de l’état (dans certains cas, il peut désigner un homologue du
secteur privé) mais il est obligatoire que la personne désignée accueille des étudiants de l’IFSI en
stages dans son établissement.
Un médecin ou un pharmacien.
Un infirmier exerçant dans le secteur extra-hospitalier.
Les étudiants sont représentés par six de leurs pairs « à raison de deux par promotion ».
Les personnels participant à la formation des étudiants, sont représentés par :
- 3 surveillants (élus par leurs pairs) participant à la formation des étudiants dans l’IFSI.
- 2 surveillants chargés de fonctions d’encadrement dans un service de soins, dont un élu par ses
pairs dans un établissement public de santé et l’autre dans un établissement privé selon les mêmes
modalités.
- Un médecin élu par ses pairs.
La conseillère technique (ou pédagogique) régionale en soins infirmiers.
En cas de convention avec une université : un enseignant de statut universitaire.
A l’évidence, le corps professionnel est majoritairement représenté puisque outre les représentants
des étudiants, ce conseil comporte 9 infirmiers sur 12 professionnels (13 en cas de convention
universitaire). Dans la prise de décisions, le corps infirmier est donc prépondérant.
Le deuxième arrêté du 30 mars 1992 (non modifié celui-ci) relatif aux conditions de fonctionnement
des écoles paramédicales (signé par Bruno Durieux) comporte quatre titres dont les trois premiers
sont conséquents en termes d’évolution de la professionnalisation du corps infirmier et d’autonomie
professionnelle de ce dernier.
- le titre I instaure la formation (préparatoire, initiale des infirmiers et aides-soignants, et continue) et
la recherche en soins infirmiers comme des missions dévolues aux IFSI.
- le titre II décrit exhaustivement les responsabilités du directeur (infirmier à l’origine comme l’indique
l’article 3 dans le même titre) responsable de tous les domaines de la formation comprenant aussi la
gestion administrative et financière. La reconnaissance de l’autonomie du corps professionnel est
donc fortement affirmée.
- le titre III impose dans l’article 5 des surveillants formateurs (initialement infirmiers) pour assumer la
responsabilité du suivi pédagogique des étudiants. Ces mêmes formateurs devant participer sous
l’autorité du directeur à l’enseignement théorique et clinique, tout en assurant l’évaluation continue
des étudiants.
Par l’article 6 la dispensation de l’enseignement théorique est dévolue en premier aux surveillants
participant à la formation dans les instituts ; les médecins et pharmaciens sont positionnés au rang de
« personne qualifiée dans la discipline traitée ».
L’article 7 pose le directeur de l’IFSI comme responsable du choix des terrains de stages. Sa seule
contrainte consiste à transmettre la liste de ces terrains au médecin inspecteur de santé publique qui
« peut supprimer de cette liste les terrains de stage qu’il n’estime pas suffisamment formateurs ».
Enfin, l’agrément n’est accordé aux IFSI (qui doivent en faire la demande aux tutelles : Ministre de la
santé, DRASS et DDASS) qu’« après avis de la commission des infirmiers du Conseil supérieur des
professions paramédicales. Le retrait d’agrément est prononcé dans les mêmes formes ».
Pour conclure
Cette étude de textes significatifs retrace l’évolution du corps infirmier vers l’autonomie de
fonctionnement. Les traces et indices recueillies dans les textes promulgués de 1922 à 1992,
montrent que le corps professionnel infirmier a gagné progressivement en autorité sur son
fonctionnement propre en s’émancipant ainsi du pouvoir médical. En dépit du flottement de la période
qui suit la deuxième guerre mondiale, il apparaît que cette évolution s’accélère à partir de 1972. En
fin de XXe siècle, la construction du corps infirmier en tant que corps professionnel autonome était
13
avérée. Ses relations avec ses tutelles administratives se sont faites au cours de la décennie 1990
dans une dimension de collaboration. Ses relations avec le corps médical sont restées empreintes,
pour la plupart, de la nécessité de se positionner en collaborateurs. Cependant, la nostalgie d’une
relation de subordination se retrouve souvent du côté des médecins mais parfois aussi, chez
quelques professionnels infirmiers en situation hiérarchique élevée. La mise en œuvre du curriculum
de 2009 conduisant au diplôme d’état d’infirmier grade licence a généré des turbulences ayant
parfois provoqué des comportements régressifs de part et d’autre. Le défi de la deuxième décennie
du XXIe siècle consistera à faire reconnaître une discipline en « Sciences infirmières » en France.
Bibliographie
Carbuccia, H. (2010). La formation des infirmières et des infirmiers au cours du XXe siècle, de
l’apprentissage du genre social au genre professionnel. Thèse de doctorat, Université de Provence
Aix- Marseille.
Diebolt, E. & Fouché, N. (2011). Devenir infirmière en France, une histoire atlantique ? (1854-1938).
Paris : Editions Publibook.
Historique de la MSP de Bordeaux : l’œuvre de Anna Hamilton. Site de la Maison de Santé
Protestante de Bordeaux consulté le 03/07/07.
http://www.mspb.com/formation/bibliographie.html
Knibielher, Y. (2008). Histoire des infirmières En France au XXe siècle. Paris : Hachette Littérature.
Magnon, R. (1991). LEONIE CHAPTAL la cause des infirmières. Paris: Lamarre.
Martineau, S. & Gauthier, C. (2000). La place des savoirs dans la construction de l’identité
professionnelle collective des enseignants ou le paradoxe de la qualification contre la compétence.
Enseignant-Formateur, la construction de l’identité professionnelle. Paris : Edition l’Harmattan, p. 85110.
Mosconi, N. (1994). Femmes et savoir, La société, l’école et la division sexuelle des savoirs. Paris :
L’Harmattan.
Parayre, S. (2007). Médecine, hygiène et pratiques scolaires de l’Ancien Régime au début de la
Troisième République. Thèse de doctorat, Université Paris V.
Poisson, M. (1998). Origines républicaines d’un modèle infirmier (1870-1900). Paris : Editions
hospitalières.
Wenner, M. (1999) Comment et pourquoi devient on infirmière ? Edition révisée. Paris : Seli Arslan.
14
ETRE L’AGENT DE SA SANTE :
UNE EMANCIPATION EPISTEMOLOGIQUE
DE L’EDUCATION THERAPEUTIQUE DU PATIENT ?
Bernard Andrieu
Faculté du Sport Université de Lorraine,
EA 4360 APEMAC/ EPSaMetz & USR 3261 MSH Lorraine
Associé à l’UMR 6578 CNRS/EFS).
Résumé : L’éducation à la santé ouvre une autre voie avec une posture d’agent informé, actif et
modélisant sa pathosophie, son vécu de santé en première personne, à travers une herméneutique
du récit et non plus seulement dans la troisième personne du médecin, du soignant ou de l’expert qui
tiennent un diagnostic sur son corps.
Nous proposons de montrer les enjeux des 4 modèles de l’éducation thérapeutique du patient (ETP) :
Health Belief Model (Hochbaum G., Rosenstock I., Kegels S., 1980), Behavioral Change in Holistic
Practice (Epstein D., 1994), Body Agency in Self Health (Andrieu, 2010), Self Goverment (d’Ivernois
J.-F, Gagnayre R., 1995), en regard avec l’avènement du patient-expert en université ( Flora L,. 2008)
et association (Defer, D., 1989) et de l’agent en santé, tel qu’il vient remettre en cause une éducation
thérapeutique du patient. Peut-on parler d’une agentivité éducative en santé dans la suite de
l’empowerment ?
Nous distinguerons 4 types de relation entre le soignant et le soigné : le soignant agent, le patient
partenaire, le patient sujet et l’agent soignant. Nous les lions à cinq cultures de l’éducation de la
santé : Le nursing affectif, l’autonomie, l’action réflexive, le care cognitif et l’empathie.
Plus qu’une éducation thérapeutique du patient, nous défendrons la thèse d’une éducation
somatechnique de l’agent (Andrieu, 2010). Cette agentivité est un concept positif, dynamique,
dialectique, écologique, transformateur, politique et centré sur une modélisation de l’agir, qui
s’émancipe de conceptions qui tiennent seulement l’ETP comme un mode de gouvernement des
malades plutôt qu’une éducation à la gouvernementalité du sujet.
Introduction
L’éducation à la santé ouvre la possibilité avec une posture d’agent informé, actif et
modélisant sa pathosophie (V. von Weisäcker, 1956) son vécu de santé (Klein A. 2010) en 1er
personne (Wells, S. (2010) à travers une herméneutique du récit (Smith, RC., Hoppe, R.B. (1991)) et
non plus seulement dans la troisième personne du médecin, du soignant ou de l’expert qui tiennent un
diagnostic sur son corps.
Plus qu’une éducation thérapeutique du patient, nous défendrons la thèse d’une éducation
somatechnique de l’agent (Andrieu, 2010). Cette agentivité est un concept positif, dynamique,
dialectique, écologique, transformateur, politique et centré sur une modélisation de l’agir qui
s’émancipe de conceptions qui tiennent seulement l’ETP comme un mode de gouvernement des
malades plutôt qu’une éducation à la gouvernementalité du sujet.
L'Organisation mondiale de la santé définit en 1994 la qualité de la vie comme « la perception
qu’a un individu de sa place dans l’existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs
dans lesquels il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. Il s’agit
d’un large champ conceptuel, englobant de manière complexe la santé physique de la personne, son
état psychologique, son niveau d’indépendance, ses relations sociales, ses croyances personnelles et
sa relation avec les spécificités de son environnement ». L’auto-santé est une médecine qui s’appuie
sur les croyances subjectives pour placer le sujet dans une position d’agent de son traitement dans
une compréhension intégrée à sons système d’interprétation de ses états. Mais comme l’on démontré
Alain Leplege et Joël Coste « il n’est pas suffisant que les patients répondent aux questions
élaborées par des experts pour affirmer que leurs réponses reflètent le point de vue des patients »
15
(Leplege, Coste eds., 2001, 11). Si les échelles de qualité de vie indiquent bien la santé perçue par le
sujet, c’est toujours une évaluation en troisième personne qui rend difficilement compte du système
perceptif, des représentations et des croyances vécues en première personne : « la plupart des
personnes s’orientent sur le système de santé en fonction de leur propre conception de la santé et
non pas en fonction du cadre conceptuel réel de la médecine clinique…Dans la mesure où les
perceptions des patients déterminent de façon cruciale l’utilisation des services et des traitements, et
l’impact que ceux –ci auront sur leur état de santé, ces perceptions doivent être prise en compte
directement » (Leplege, Coste eds., 2001, 17).
Le terme de santé perceptuelle est plus subjectif que celui de santé perçue ; la santé perçue
réfère à la perception qu'a une personne de sa santé générale ou, dans le cas d'une interview par
procuration, à la perception de la personne qui répond (excellente, très bonne, bonne passable,
mauvaise). Dans le cadre de la National Health Interview Survey (NHIS) des États-Unis ainsi qu'avec
leur Medical Outcome Study, l'état de santé évalué par le répondant est fondé sur la question suivante
: « Would you say [person's] health in general is excellent, very good, good, fair, or poor? »Avec « la
santé perceptuelle il ne s’agit pas de recueillir les appréciations subjectives des patients relatives à
leur santé telle qu’elle est définie par les médecins, il s’agit de recueillir les appréciations des patients
sur les conséquences de leur santé tels qu’ils les conçoivent eux-mêmes » (Leplege, Coste eds.,
2001, 23). Comment vivons-nous la santé de notre corps à partir des informations dont nous
disposons au sein de nos croyances et de nos sensations ? Si nous nous en remettions au seul
médecin de famille, au XXIe siècle la recherche d’informations à partir de sources diversifiées place
chaque diagnostic devant la nécessité de confirmer ou d’infirmer sa croyance : face aux normes de
prévention, à la vulgarisation de la santé dans les émissions de télévisions et les magazines et aux
forums de santé des réseaux sociaux, le jugement sur sa propre santé recompose ses avis dans des
synthèses subjectives, partielles et partisanes mais qui va engager le sujet dans des pratiques de
santé singulière.
Les soubassements éducatifs de l’ETP
Les soubassements éducatifs de l’ETP reposent sur le fait que le soignant ne peut plus
totalement se substituer au patient au point de l’aider à assurer ses propres soins. La recherche des
changements de position du patient relèvent de deux périodes différentes : une première période
béhavioriste qui, avec la PNL, la Gestalt theory et autres exercices auto-programmés, va trouver un
moyen de motiver le patient. Mais comme l’aura montré dès 1954 avec le modèle The Health Belief
Model (HBM) par les psychologies sociaux Godfroy Hochbaum (1916-1999), Irwin Rosenstock et
Stephen Kegels, “ si le patient n’est pas perturbé pour la validité dans ses croyances en santé” (Golay
A., Lagger G., Giordan A., 2010, 59), la démotivation, la non observance et la persistance des
prejudices et habitus se maintiennent comme autant de signes de resistance aux changements.
Cette confrontation du patient avec ses propres connaissances déplace les modèles d’un
cognitivisme comportemental qui motive par la relation psychosociale du soignant et du patient à un
constructivisme pédagogique qui cherche à faire acquérir au patient une compétence : “ le patient en
tant que personne est auteur de son propre changement” (Dominicé P., Jacquelet St., 2009, 129).
Cette seconde période ouvre la possibilité avec des patients plus instruits et mieux informés de
participer à la fois à la prevention de leur capital santé et à l’adhésion participative et coopérative avec
les soignants. Ces techniques d’empowerment, de résilience et de compliance développent, selon le
psychologique Albert Bandura un sentiment et une sensation d’auto-efficacité (Bandura A., 1977) :
self-efficacy est “the belief in one’s capabilities to organize and execute the courses of action required
to manage prospective situations” (Bandura, A., 1995, 2)
Apprendre éduquer le patient, selon l’approche pédagogique de J.F. d’Ivernois et de Rémi
Gagnayre, n’en reste pas à la notion d’auteur du changement mais considère que » le premier agent
de la santé est l’individu lui-même » (d’Ivernois, Gagnayre, 1995, 6). La notion d’agent s’inscrit dans la
pratique du patient actif (Martin, 1978) qui devient à la fin des années 70 une évolution nécessaire à la
relation de soin. Pour cela le patient doit être véritablement considéré comme un partenaire au sein
même d’un processus éducatif (Currie B.F., Renver J.H., 1979).
Le partenariat du patient est né dans les protocoles de recherche expérimentaux qui ne
pouvait plus considérer le patient comme un simple cobaye, un matériau de recherche ou un patient
16
passif mais bien comme, précise Robert M. Veatch dans une série d’essais écrit entre 1971 et 1983,
une « person can take on the role of active agent cooperating with the investigator-team in critical
decisions that affect the subject as well as the research » (Veatch Robert M., 1987, 4). Le partenariat
pourrait être compris simplement comme une métaphore au nom de l’intérêt bien compris du médecin
qui a besoin du patient pour réaliser ses protocoles expérimentaux et du patient qui espère bénéficier
d’un meilleur traitement plus efficace pour la résolution de sa maladie chronique. Trois critères
éthiques doivent être au principe de la contractualisation : d’une part un consentement informé qui
repose sur la doctrine d’une personne raisonnable afin de lui garantir son « autonomie, son respect et
sa dignité d’être humain » (Veatch Robert M., 1987, 9); d’autre part la compréhension des données de
l’expérimentation dans les protocoles devraient prendre en compte le caractère fragile et statistique
des résultats prenant en compte l’incertitude des résultats attendus, notamment « par rapport au taux
de mortalité » (Veatch Robert M., 1987, 10) ; enfin le risque des bénéfices et des inconvénients pour
l’individu doivent placer le sujet devant une responsabilité morale de poursuivre pour le bien de la
société à condition que le but de la recherche soit bien précisé dans le consentement.
Les limites du partenariat
L’ Education Thérapeutique du Patient (D’Ivernois, Gagnayre, 1995) repose sur cette pédagogie
de partenariat avec le patient expert (Soulez Barselo 2010). La Direction Générale de la Santé pour
favoriser l’implication des « patients experts » dans les programmes d’éducation thérapeutique
existants, 4 centres ont été choisir, Paris (Hôpital Saint Antoine), Montpellier (CHU Lapeyronie),
Grenoble (CH Michallon) et Cahors (CH Rougier). En Mai 2011 Sonia Chirol, Directrice de l’Andar sur
le portail de la Haute Autorité de Santé déclare « Pour moi, un patient-expert n’est pas simplement le
témoin de sa propre maladie. Il va dépasser l’expérience qu’il a de sa maladie pour devenir un
interlocuteur crédible pour les autres patients atteints de la même maladie. Il doit bien en connaître les
symptômes, la prise en charge, ainsi que des données sociales sur les aides financières ou
matérielles ». Le projet impliquée des « patients-experts » dans les programmes d’éducation
thérapeutique (ETP) en rhumatologie forme des patients compétents en éducation thérapeutique et
d’identifier les freins et les leviers qui peuvent exister à leur intégration dans des programmes d’ETP
existants. Cette évolution des statuts et des compétences du patient implique une formation,
notamment en changeant son mode d’exercice « devenu à la fois enseignant et soignant » (Assal
J.Ph., Lacroix A., 1990, 159). « Le diagnostic éducatif » (Assal J.Ph., Lacroix A., 1990, 52) doit
compléter le diagnostic médical.
Cette formation s’adresse plutôt au malade chronique, qu’il soit « enfant, adolescent ou adulte et
quels que soient le type, le stade et l’évolution de son affection », comme le précise la Haute Autorité
de Santé (HAS). Elle répond à une définition bien précise établie par l’Organisation mondiale de la
Santé dès 1996. Selon la définition du rapport OMS-Europe publié en 1996, l’éducation thérapeutique
du patient « vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour
gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Elle fait partie intégrante et de façon permanente
de la prise en charge du patient. Elle comprend des activités organisées, y compris un soutien
psychosocial, conçues pour rendre les patients conscients et informés de leur maladie, des soins, de
l’organisation et des procédures hospitalières, et des comportements liés à la santé et à la maladie.
Ceci a pour but de les aider, ainsi que leurs familles, à comprendre leur maladie et leur traitement, à
collaborer ensemble et à assumer leurs responsabilités dans leur propre prise en charge, dans le but
de les aider à maintenir et améliorer leur qualité de vie. »
D’une manière générale, l’ETP « vise à aider les patients à acquérir ou à maintenir les
compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique »2 Dans les
textes et selon la HAS, « l’éducation thérapeutique du patient est un processus qui ne se résume pas
à la délivrance d’une information » au cours d’une consultation ou d’un acte de soins. En théorie donc,
il s’agira d’un véritable programme personnalisé mis en place par une équipe de soignants autour de
chaque patient qui le souhaitera.
Dans l’Arrêté du 2 août 2010 relatif au Cahier des charges des programmes d'éducation
thérapeutique du patient et à la composition du dossier de demande de leur autorisation, le
2
Ministère de la Santé, 3 août 2010 –HAS, l’éducation thérapeutique du patient - Interview de Christian Saoût
(CISS), 5 août 2010
17
programme d’apprentissage (Art. L.1161-5) a pour objet l’appropriation par le patient des gestes
techniques permettant l’utilisation d’un médicament ou d'un dispositif médical. Il s'agit de séances
d'apprentissage d'auto-soins et d'application de mesures de sécurité et de prévention liées à la
maladie. Elles permettent au patient de soulager les symptômes de sa maladie, de prendre en compte
les résultats d’une auto-surveillance, d’une auto-mesure, d'adapter des doses de médicaments,
d'initier un auto-traitement, de réaliser des gestes techniques et des soins et de mettre en œuvre des
modifications de son mode de vie.
Car cette autonomie, comme l’a analysé Bernard Hœrni, se comprend dans la relation médecinmalade selon un paradigme de communication et de relation : « l’objectif principal de la médecine est
de permettre aux personnes malades de conserver le plus possible leur autonomie, parfois de la
développer à la faveur de la maladie. Il ne s’agit pas d’une démarche coercitive imposant l’autonomie,
ce qui serait un contre-sens » (Hœrni,1991,203). L’autonomie du malade va contre l’indépendance du
médecin, longtemps décrit comme propriétaire du secret médical. L’autosoignant est la gestion de sa
maladie chronique par le sujet : il veut prouver son indépendance à l’égard du médecin et l’incapacité
du corps médical. Mais l’auto-soin introduit la question de l’usage de la santé désignant le malade
comme un usager avec des droits plus que des devoirs. La chronicisation de pathologies autrefois
mortelles (diabète, hémophilie) implique l’autonomie des patients dans la gestion quotidienne de leur
maladie. Ils deviennent des « autosoignants » et négocient davantage leurs traitements (Herzlich C,
Pierret J, 1995).
L’autosanté : comment être l’agent de sa santé ?
Par l’auto-santé (Andrieu, 2008a), le sujet veut agir, self-management, par lui-même (Andrieu
1999) sur lui-même en devenant médecin de son corps incorporant des techniques expérientielles
génératrices d’habitudes de bien-être et de santé : l’auto-traitement (self-care) devient aussi un mode
de transformation de soi. L’auto-santé (self-health) est cette forme concrète de rapport à soi, de nature
pratique : le sujet agit sur lui-même par des soins qui affectent la totalité de son être –ce traitement
« holistique » se distingue de l’allo-santé, qui fait intervenir un agent extérieur. Ainsi le patient devient
agent de son propre bios et la médecine développe des techniques d’auto-soin en voulant,
notamment par les techniques corporelles, se soigner par le corps (Andrieu, 2008b) : l’auto-évaluation,
l’auto-médication et l’auto-diagnostic. Chacun devient un expert de son propre corps en utilisant des
techniques de rapports à soi, des exercices où soi-même devient un objet à connaître et de pratiques
qui transforment notre propre mode d’être.
Le patient expert utilise l’autosanté, mais aussi d’autres techniques comme l’auto-évaluation,
l’auto-médication et l’auto-diagnostic, pour se constituer un des savoirs expérientiels : par savoir
expérientiel nous décrivons une appropriation subjective d’informations dont la validité objective est
altérée par les croyances et les représentations sur sujet qui les perçoit. Immergé dans sa maladie
chronique, son jugement peut être altéré mais l’autorise à revendiquer un droit à la connaissance
partagée entre le corps médical et lui-même ; il constitue une somme d’informations sur son cas, sur
la catégorie de sa maladie et sur les soins qui lui sont prodigués. Ce savoir d’auto-expertise est
constitué comme une référence en 1ère personne de l’appropriation des connaissances et des
sensations de santé.
L’autosanté est étudiée en plusieurs sens :
-
Une autorégulation interne de l’organisme par ses systèmes de défense et de résilience
pour retrouver une homéostasie et un ajustement environnemental
Une hybridation biotechnologique de l’organisme avec ces dispositifs suscitant en lui la
production et l’actualisation de propriétés et capacités jusque là endogènes et implicites.
Une écologisation dynamique du corps selon le monde corporel physique ou virtuel
proposé qui produit des feed-back et des activations inconscientes.
Une agentivité biopolitique des sujets qui gouverne leurs corps en s’informant, par les
réseaux, par l’auto-diagnostic, par les savoirs expérientiels, par l’auto-médication
Une santé holistique qui trouve dans une conception globale des soins un équilibre
corps-cerveau-esprit-cosmos.
18
Ces différents sens d’autosanté sont mis en œuvre par des communautés différentes et
concurrentielles, si on les maintient au nom d’une évaluation objective du soin alors que ces
significations forment pour chacun une mosaïque de pratiques, en privilégiant un seul modèle face à
l’allo-santé dominante. Cette opposition, entretenue par le conflit entre le marché de santés et les
médecins prescripteurs, entre allosanté et autosanté, a cru trouver dans l’éducation thérapeutique du
patient un moyen de la réduire en incluant autonomie et appropriation des connaissances dans les
protocoles de soins.
Mais ces cinq niveaux d’autosanté agissent à de degrés différents sur des parties du corps
selon des conceptions, des croyances et des efficacités, mais l’alliance d’une alliance d’une
compréhension des résiliences plastiques du corps joint au progrès des interfaces précipite le sujet
contemporain moins dans une maîtrise et possession de son corps que dans une participation
engagée à son harmonisation la moins novice possible avec ces auto-thérapies. Les critères de l’autocontrôle et de l’auto-surveillance sont le premier enseignement pour rendre le patient « capable de
détecter lui-même les effets positifs et négatifs de ses comportement de santé » (Deccache &
Lavendhomme, 1989, 140), selon le modèle du Patient Self Monitoring of Behavior de Rober A. Di
Tomosso (Robert A Di Tomasso, 1982).
A la différence des égo-thérapies, l’auto-thérapie repose sur l’auto-organisation dynamique
des processus du vivant sollicités par des techniques, des postures et des protocoles résilients. Le
corps vivant se réorganise grâce à l’intervention humaine en suscitant ses défenses immunitaires et
en stimulant ses capacités endogènes dont il n’a pas l’efficacité immédiate jusque là. L’auto-santé
contre l’allo-santé, est aussi une croyance en l’efficacité de remèdes, de thérapies et de mouvements
qui produiraient dans le corps une santé inégalée. L’harmonie entre l’autorégulation interne et la
santé holistique rétablirait une cohérence et une continuité entre la médecine naturelle du corps et la
médecine globale.
Mais cette continuité ne se trouve pas seulement dans l’adéquation de ressources naturelles
(aromathérapie, culture bio, huiles essentielles…) avec la vitalité naturelle du corps. Cet argument de
la stricte écologie cherche à préserver le corps dans un traitement homogène pour une autoguérison
qu’il est susceptible d’activer à partir de la simplicité et de la pureté du produit. L’écologie corporelle
(Andrieu, 2011) par la cosmosanté acquise lors de la fréquentation des quatre éléments (naturisme,
grand air, oxygénation, hydrothérapie, cure d’eau, bains, massages..) favorise cette recherche d’une
harmonie entre l’auto-guérison du corps et les essences naturelles
Mais d’autres techniques sont aussi disponibles pour s’autosanter en sollicitant des
ressources inédites qui définissent un corps nouveau. Ainsi la greffe bionique est un branchement
compatible entre le système biologique et la machine électronique. Cette hybridation éprouve le vivant
en l’orientant vers un tel type d’auto-organisation dans sa réponse adaptative. Comme la greffe
biologique, malgré ici les risques de rejet, la vitalité du vivant possède des ressources aujourd’hui
soupçonner pour autoréparer en incorporant ces matériaux exogènes mais qui activent dans le
cerveau et dans les fonctions de nouvelles possibilités de représentation et d’action. Si le greffé
estime sa dette envers sa douleur, comme la part de l’autre sinon « l’intrus », au plan inconscient son
cerveau active déjà les zones du greffon.
Conclusion
Dix ans après la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades et la qualité du système de santé,
loi dite Kouchner, le droit des patients à avoir accès à leur dossier médical et le devoir des médecins
de rechercher leur consentement aux soins ont-ils changé la relation soignants-soignés ? Le recours
des usagers, comme dans les affaires de l’amiante3, du médiator (Frachon, 2010) et des prothèses
PIP malgré la dénégation des prescripteurs et des inventeurs, à un droit d’indemnisation va
aujourd’hui bien au-delà des accidents médicaux sans faute reconnue et les infections nosocomiales.
Si seulement 1% des patients demandent leurs dossiers dans les hôpitaux de l’AP-HP (Clavreul,
Santi, 2012), le site Doctissimo compte 8 millions de visiteurs uniques chaque mois confirmant que le
docteur Google vient relativiser à chaque instant une décision médicale en la vérifiant, la comparant
ou la critiquant. Mais le pas de l’automédication, de l’autodiagnostic et de l’auto-santé est-il franchi ?
3
Collectif intersyndical sécurité du Centre universitaire de Jussieu, 1977, Danger Amiante, Paris, Ed Maspéro
19
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20
De l’éducation sanitaire à l’éducation à la santé à l’école :
l’émancipation utopique ? (XIXe-XXIe siècles)
Parayre Séverine
Université Lille 3, Proféor-CIREL EA 2261
membre associée Laboratoire ACTé, EA 4281.
Guiet-Silvain Jeanne
Université Paris Descartes, Laboratoire CAREF :
membre associée Laboratoire ACTé, EA 4281
Résumé : Au XIXe siècle, l’instituteur d’école enseignait de façon directive et moralisatrice les
préceptes de l’hygiène pour former le futur citoyen modèle, sain et vertueux. Un siècle plus tard les
directives officielles promulguent une éducation à la santé chargée de responsabiliser l’élève, lui
permettant ainsi de devenir l’acteur de ses apprentissages, et d’émettre des choix éclairés en
connaissance de cause par rapport à sa santé et aux risques encourus. Signifierait-il que le XIXe
siècle était l’époque du dogme sanitaire emprisonnant et contraignant et que le XXIe siècle serait celui
de l’émancipation des acteurs, les libérant de l’emprise bio-éducative ? L’éducation publique, sous
certaines conditions pédagogiques, aurait donc un rôle non négligeable dans l’avènement
d’émancipation ?
Depuis une recherche comparative de l’éducation sanitaire d’hier à l’éducation à la santé à
l’école d’aujourd’hui, nous reviendrons sur la définition de l’émancipation en santé d’un siècle à l’autre,
ainsi que sur son évolution au cours des siècles. Puis nous analyserons et comparerons d’un côté le
rôle hygiéno-pédagogique des instituteurs du XIXe siècle et de l’autre celui éducatif-sanitaire des
professeurs des écoles du XXIe siècle et leurs implications dans l’émancipation en santé des élèves.
Nous exposerons les analyses parallèles de deux corpus, l’un composé d’écrits d’instituteurs du XIXe
siècle, l’autre d’entretiens de professeurs des écoles du XXIe siècle, en utilisant les mêmes méthodes
d’analyses du discours. Nous tenterons d’ouvrir les perspectives sur la possibilité ou l’impossibilité
d’émancipation dans le registre de la santé et sur la cohérence ou l’incohérence entre les notions de
bien-être et d’émancipation.
Introduction-Problématique
Les mobilisations des enseignants du primaire d'hier et celles des professeurs des écoles
d'aujourd'hui, portent notre recherche sur la comparaison des représentations et des actions menées.
Notre objectif est d'étudier les éléments déterminants contribuant à situer certains aspects de l’action
éducative d'aujourd'hui, à la lumière des idées, problèmes et résolutions d'hier (Nourrisson, 2002;
Vigarello, 2010). La diversité des contextes dans laquelle l’éducation à la santé est située est le
témoin des filiations et des ruptures auxquelles elle a dû faire face et qui accuse la difficulté de sa
mise en œuvre aujourd’hui dans un contexte changeant (Guiet-Silvain, 2011; Berger, 2010 ; Jourdan,
2010). La continuité de la culture pédagogique entre hier et aujourd'hui, même si elle n’est pas
parfaite, mérite pourtant d’être interrogée et précise notre analyse critique et la question de la
nécessité d’une rénovation pédagogique éventuelle sur les conditions et les évolutions de l’éducation
à la santé en milieu scolaire aujourd’hui.
Notre attention se porte sur le processus d'émancipation, point central de changements tangibles au
sein de la société et dans le cadre scolaire des conceptions des enseignants, ainsi que sur la manière
d’introduire ces modifications au sein de l'éducation aujourd'hui. Le premier texte officiel faisant
directement référence à cette nouvelle perspective émancipatrice est une circulaire de 1998
d'orientation de l'éducation à la santé à l'école : "À l’opposé d’un conditionnement, l’éducation à la
santé vise à aider chaque jeune à s’approprier progressivement les moyens d’opérer des choix,
d’adopter des comportements responsables, pour lui-même comme vis-à-vis d’autrui et de
l’environnement. Elle permet ainsi de préparer les jeunes à exercer leur citoyenneté avec
responsabilité, dans une société où les questions de santé constituent une préoccupation majeure. Ni
21
simple discours sur la santé, ni seulement apport d’informations, elle a pour objectif le développement
de compétences »4. Il s'agit bien de permettre à l’élève de devenir un acteur à part entière et ainsi de
lui offrir la possibilité de développer une autonomie selon des choix éclairés et non ceux imposés de
manière passive. L'enseignant doit ainsi lui permettre d'acquérir une indépendance responsable. La
pédagogie se veut alors non directive, ni intrusive : elle doit faire appel à l'innovation, les
comportements ne sont jamais dictés, mais intelligemment suggérés. Le dialogue est ouvert, la
discussion doit se faire. Si nous sommes à même de penser que l'éducation à la santé à l'école, telle
qu'elle apparaît dans les textes officiels, permet d'émanciper les élèves et les former à leur future vie
d'adulte, un premier problème se pose alors, celui du décalage constaté entre les intentions étatiques
et les possibilités éducatives et pédagogiques de mise en œuvre. L'enseignant d'aujourd'hui très peu
formé, voire pas du tout, est souvent désemparé face à cette nouvelle façon d'enseigner. Il est
davantage habitué à une forme plus classique, telle que celle utilisée par les instituteurs du XIXe
siècle, plus directive, de transmission verticale des savoirs du maître aux élèves, où le discours
professoral prône, composé de transmission de bons et mauvais comportements et des risques
encourus si on s'en écarte. Un enseignement qui s’intègre dans une conception simple, cadrée ne
faisant pas naître ni de partenariat spécifique, ni de débats à teneur démocratique ou d’émancipation
des idées. Le nouveau projet construit à la fin du XXe siècle, qui suit le changement de paradigme de
la santé prise dans son acceptation biopsychosociale et non plus simplement biomédicale, s'avère
très ambitieux certes, mais guère détaillé et explicite pour les enseignants. En fin de compte si les
méthodes pédagogiques veulent s’affranchir d’une autorité pédagogique qui affirme ses principes
d’autrefois fondés sur des contraintes à la fois morales et sociales, il faut qu’elles engagent une
rupture à leur égard: à cet effet, certains chercheurs et membres de l'éducation Nationale proposent
des pistes de réflexion et/ou des propositions pédagogiques (Jourdan, 2010 ; Chalon, 2011). Notre
réflexion s'étend également aux objectifs même de cette nouvelle éducation à la santé. Né dans un
contexte précis à dominance du courant hygiéniste et de protection des épidémies (choléra, fièvres
typhoïdes, variole), l’enseignement de l’hygiène ne visait pas précisément d'émancipation, mais au
contraire une sorte d'asservissement des élèves aux savoirs et pratiques hygiéniques inscrites dans la
sauvegarde du collectif. Il s'avérait en effet plus facile de dicter de nouveaux préceptes à suivre pour
le bien-être de tous en supposant implicitement que personne ne s'y oppose. Le fait de recentrer les
questions d’éducations à la santé sur l'individu et le développement du soi durant la seconde moitié du
XXe siècle a ouvert la voie à la question de l'autonomie de l'individu et non plus à un souci du collectif
prépondérant, tel que définit auparavant. Il s'imposait donc de redéfinir complètement les objectifs
scolaires de l'éducation à la santé. C'est en voulant avant tout mieux comprendre les enjeux de
l'éducation à la santé actuelle et ses difficultés persistantes, que nous avons opté pour une recherche
comparative des conceptions et pratiques des enseignants d'hier à celles d'aujourd'hui.
Méthodologie
Le corpus historique : une enquête ministérielle
Le corpus historique, qui a été mobilisé, est une enquête posée par le ministère de l'Instruction
publique en 1860 à l'ensemble des instituteurs ruraux. Une seule question a été posée : "quels sont
les besoins de l'instruction primaire dans une commune rurale, au triple point de vue de l'école, des
élèves et du maître?". A l'époque 5940 instituteurs répondent par écrit. Ils sont issus de tous les
départements français (y compris Algérie et Corse). Sur l'ensemble de ce corpus, contenu aux
archives nationales, nous avons dépouillé 2500 mémoires (le nombre de pages variant de 1 à 80
pages suivant les instituteurs et leur implication professionnelle et personnelle). Dans ce corpus, les
instituteurs ne sont que des hommes, leur expérience du métier est variable (de récente à plus
ancienne), leur âge variable également (d'une vingtaine d'année à proche de la retraite), le milieu
socio-économique est paysan-ouvrier et classe moyenne5. Notre corpus historique, ne se limite pas à
ces seuls écrits, il s'enrichit des instructions officielles, de la formation des enseignants en école
4
Circulaire n° 98-237 du 24 novembre 1998, « Orientations pour l’éducation à la santé à l’école et au collège »,
BO de l’Éducation nationale n° 45 du 3 décembre 1998.
5
Ce corpus sera l'objet d'une analyse et publication à part entière. Archives nationales : F17 10758-10798 :
concours ouvert aux instituteurs, 1860-1861.
22
normale, des programmes et manuels, des cahiers d'élèves et de la transmission de l'enseignement
de l'hygiène.
Le corpus d'aujourd'hui : une enquête de représentations des enseignants du
primaire
Les enseignants ont été choisis lorsque leurs pratiques effectives et souhaitées en matière
d’éducation à la santé privilégiaient des pratiques déclarées et constatées. Cet échantillonnage sur les
paramètres suivants, l’âge (entre 35 et 45 ans), le sexe (autant de femmes que d’hommes), l’indice
socio-économique de l’école (classes moyennes), l’expérience d’enseignement (10 ans au moins, 25
ans au plus). N’est pas recherchée ici la représentativité d’un profil particulier, mais d’un de ceux qui
sont représentés par les combinaisons de ces quatre paramètres. Les enseignants6 (Bourgogne et Ile
de France) devaient répondre aux questions suivantes que nous avons regroupées selon deux
thématiques et leurs questions associées : la mise en œuvre des actions effectives des actions
d’éducation à la santé7 et la place de ces actions dans l’enseignement8.
L'analyse des corpus : une analyse de contenu comparée
Une approche à la fois qualitative, quantitative et interprétative a été choisie afin de caractériser les
conceptions des enseignants. Nous avons choisi de ne pas analyser le processus enseignementapprentissages, puisque notre intérêt réside uniquement dans l’analyse des représentations (Jodelet,
1997). En conséquence, une partie de la recherche ici présentée9 met en relief les conceptions
engagées par les enseignants du premier degré à la lumière des pratiques qu’ils engagent sur le
terrain. Nous choisissons de décrire quelques déterminants liés à la fois au plan de la nature
éducative des actions engagées sur l’éducation à la santé et à leur place dans l’enseignement. La
même méthode d'analyse a été utilisée pour les deux corpus (Bardin, 2007), les discours des
instituteurs d'hier ont été mis en correspondance avec ceux des professeurs des écoles d'aujourd'hui.
Les mêmes thèmes ont été mis en perspective depuis les conceptions de santé des enseignants, leur
implication, leur formation, les méthodes d'enseignement, les partenariats engagés, les nouveaux
savoirs et les pratiques à transmettre.
Premiers résultats
Nous ne prétendons pas à l'exhaustivité de la comparaison des enseignants d'hier avec ceux
d'aujourd'hui10, nous avons repris quelques-uns des grands thèmes communs ou différents d'une
période à une autre, qui nous ont semblé les plus caractéristiques.
Prévention et hygiène prépondérante : de l'hygiène du corps à l'addiction aux écrans
Nous ferions une double erreur, à croire que la santé des élèves n'intéressa pas les instituteurs d'hier,
bien occupés à d'autres problèmes pédagogiques, comme à penser que la question de la santé des
élèves fut prépondérante en 1860. A cette période de renouvellement dans l'installation de l'instruction
primaire, la santé apparaît donc certes préoccupante, mais non déterminante. Ainsi plusieurs priorités
éducatives apparaissent dans le corpus complet étudié. Quatre questions sont récurrentes : le
6
100 entretiens ont été conduits
Principales questions : Avez-vous déjà participé à une action d’éducation à la santé ? Si oui, laquelle? Pouvezvous la décrire et l’expliquer ? Quel enseignement en tirez-vous ?
8
Principales questions : Quels sont les thèmes qui vous paraissent dominants dans un tel secteur ? Y a t-il des
thèmes qui vous paraissent fondamentaux et incontournables ? Quels sont les thèmes qui vous paraissent
marginaux ?
9
Cette recherche est poursuivie dans une étude plus élargie concernant les conceptions des enseignants sur
l’insertion de nouvelles pratiques de l’éducation à la santé, et ses perspectives dans l’avenir de l’école. Elle rend
compte de la perplexité de la façon dont les enseignants construisent leur activité et selon leurs conditions de
travail.
10
Ce travail de recherche en cours méritera à lui seul d'être publié au sein d'un ouvrage de façon à pouvoir être
mieux développé.
7
23
problème de l'assiduité des élèves (nombreux des élèves travaillent dans les champs), le problème de
l'insalubrité du local (l'école est dans un état déplorable et le matériel manque), la demande d'un
enseignement pratique d'agriculture (ayant vocation à former de futurs paysans), le problème de la
rémunération de l'enseignant (sous payé eu égard aux nombreuses tâches effectuées). Ensuite
viennent les questions purement pédagogiques de méthodes d'écriture, de lecture, de calcul.
Cependant les conditions de vie en classe sont dans un tel état de délabrement, d'exigüité, de saleté
que les instituteurs se plaignent en grande majorité de l'insalubrité du local et du manque de tables et
bancs. Selon les départements ces plaintes peuvent atteindre 80%, voire même l'ensemble des
enseignants. Accaparés par ces questions matérielles prépondérantes, nous aurions pu croire qu'ils
en oubliaient le corps de l'élève et son hygiène. Or il n'en est rien, et cette même question commence
à apparaître dans leurs préoccupations. Ainsi selon les départements ce qui relève de l'éducation
corporelle, ou encore de l'éducation physique, c'est-à-dire la propreté du corps, l'exercice physique, la
posture, prend place dans le discours des instituteurs à raison de 1% à 20% d'entre eux. A ce titre le
département du Pas-de-Calais fait office de référence, alors que ces questions sont quasi absentes
chez les enseignants bretons préoccupés par l'apprentissage de la langue française avant tout11.
Portons ici notre attention sur ces trois composantes : propreté du corps, exercice physique et
posture. Nous pourrions penser qu'ils ne sont plus aussi présents dans les préoccupations des
professeurs d'école d'aujourd'hui, ceci étant dû en partie aux meilleures conditions d'hygiène et
matérielles. D'une part la propreté du corps n'est pas toujours respectée12 chez les élèves du XXIe
siècle de même la vie au quotidien est perçue par les enseignants d’aujourd’hui comme « peu saine et
mal soignée » [E5]13. Cela relève du décalage de pratiques entre les uns et les autres et des
variations de sensibilités à l'hygiène, les enfants n'ayant pas tous les mêmes seuils à l'égard de la
propreté corporelle, leurs familles non plus. D'autre part l'évolution des nouvelles technologies (vidéo,
téléviseur, écran d'ordinateur) et les nouvelles pratiques qu'elles entraînent, ont l'inconvénient majeur
de rendre les enfants sédentaires et font donc ressurgir chez les enseignants des préoccupations
quant au « bon fonctionnement corporel » [E22]. L'exercice vient renforcer le corps, permet également
de prévenir des maux physiques, mais aussi de parer aux mauvaises postures. Ici les arguments ne
différent guère de ceux des instituteurs du XIXe siècle. Ainsi "les jeux qui conviennent davantage sont
ceux où le corps est en mouvement"14, et au XXI siècle les enseignants soulignent qu’« il est
nécessaire de faire bouger les enfants à l’école et à la maison avec une pratique appropriée
d’activités physiques » [E49]. Il est pourtant singulier de ne pas trouver d'autres méfaits des addictions
aux écrans évoqués par notre corpus d'enseignants, comme ceux psychosociaux, de problèmes de
vue. Etonnamment, les enseignants font davantage et prioritairement référence au développement
corporel, alors que la santé est aussi aujourd'hui à prendre en compte dans sa dimension
psychologique et sociale.
Une éducation qui doit prendre en compte les parents
La place des parents est un thème récurrent dans l'histoire de l'éducation. Déjà en 1860 l'éducation à
l'école ne peut se faire en écartant les parents. Si quelques instituteurs annoncent parfois la nécessité
d'une coopération, d'autres plus couramment assurent devoir les remplacer, tellement ceux-ci font
défaut. Ils pourront aussi en profiter pour guider les parents vers de nouvelles pratiques hygiéniques.
Les qualificatifs associés aux parents utilisés par les enseignants du primaire sont unanimes :
"indifférents", "ignorants", "grossiers", "mauvais", "négligents", "incompétents", "impuissants",
"démissionnaires"15. Un enseignant du Pas-de-Calais précise : "l'instituteur est à peu près le seul qui
puisse faire comprendre aux populations le but des actes du gouvernement, par son obligeance et sa
douceur doit savoir gagner la confiance des familles, son ascendant sur elle aura plus de force, sa
parole, plus d'efficacité"16.
11
Nous ne développons pas plus dans le présent article les explications, cela fera l'objet d'un article complet à
part entière.
12
Nous nous référons ici à nos premières observations et entretiens auprès d'élèves.
13
Pour respecter l'anonymat des enseignants, nous avons décidé de numéroter nos entretiens, [E5] indique alors
entretien n° 5. La même notation est utilisée dans l'ensemble de l'article.
14
A. N. F17 10777, Augustin-Joseph Franqueville, instituteur d'Houvin-Houvigneul (département du Pas-deCalais), 29 janvier 1861.
15
Dans l'ensemble du corpus historique, A. N. F17 10758-10798.
16
A. N. F1710774, bobine 4, Maxime Legrand, instituteur de la commune de Brêmes, 27 janvier 1861.
24
Près de la moitié des professeurs des écoles interviewés assurent avoir besoin également de créer un
lien et de prendre en compte l'éducation des parents pour s’assurer du bien-être de l'enfant.
Effectivement cela reste un point fort dans l'apprentissage et le suivi des pratiques des enfants. Il est
évident que l'harmonie des pratiques de part et d'autre favorisera l'apprentissage et la prise de
conscience chez l'enfant. Les enseignants d'aujourd'hui soulèvent également la difficulté face à
l'intrusion parentale dans l'éducation scolaire, par exemple lors de « pression scolaire engagée par les
parents » [E-44], venant stresser le milieu scolaire et le déroulement des activités. Ce qui pouvait
aussi se faire ressentir aux XIXe et XXe siècles, une exigence parentale existant afin que l'enfant
réussisse dans ses études, quand l'avenir de la famille était en jeu. Les arguments portaient de la
même manière sur l'avenir familial et le projet d'avenir pour l'enfant et les parents n'hésitaient pas à
changer leur enfant d'école17.
D'un siècle à l'autre, les inégalités sociales de santé posent encore problème et demeurent. Même si
les difficultés de santé et d'éducation ne sont pas les mêmes selon la catégorie sociale des parents.
Certaines recherches ont démontré que l'éducation à la santé, en travaillant notamment sur l'estime
de soi, favoriserait une lutte des difficultés scolaires (Jourdan & Pizon, 2010). Nous n'avons pas
retrouvé pour l'instant ces réductions nettes dans nos corpus respectifs.
Une autre pédagogie : de l'instruction des savoirs à un enseignement interactif
Depuis l'enseignement de l'hygiène à celui de l'éducation à la santé, de profondes transformations d'un
siècle à l'autre se sont développées dans les objectifs, les contenus et méthodes employées. Alors que
le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle ont été marqués par un enseignement de l'hygiène
et un enseignement antialcoolique fort (Nourrisson, 2009), basé sur des savoirs médicaux stricts à
suivre pour le bien-être collectif et la sauvegarde de la nation, la seconde moitié du XXe siècle a été
jalonnée par une toute autre conception de la santé. C'est dans un premier temps un autre paradigme
de santé qui s'est imposé, prenant en compte non plus la santé dans une acceptation négative et
unidimensionnelle, mais positive et globale. Ainsi l'OMS dès 1945 y faisait entrer les composantes
psychologiques et sociales et non plus seulement physiques. Il fallu attendre pour retrouver ces
changements au sein des textes officiels et des habitudes scolaires. Le plus révélateur est la circulaire
de 199818, elle marque un tournant considérable dans les transformations en cours. Il va s'agir de
rendre l'élève acteur et de le responsabiliser dans ses choix. Vaste programme qui rentre dans les
objectifs scolaires : faire de l'enfant un être autonome et lui donner les moyens de décider par luimême (Chalon, 2011). L'éducation à la santé telle qu'elle est définie doit donc contribuer à développer
la prise de conscience chez les enfants. Elle semble donc toute disposée à préparer à l'émancipation
des individus. Or pour ce faire, les méthodes pédagogiques employées ne pourraient s'apparenter à
de simples transmissions de savoirs et dictats des comportements, comme pratiqué par les anciennes
méthodes pédagogiques concernées par l’hygiène, qui ne stimulaient nullement les réflexions des
élèves. Aujourd’hui, les professeurs des écoles ont par ailleurs compris l'importance d'une pédagogie
interactive en éducation à la santé. Un peu plus de la moitié (53%) souligne clairement la « position
active » de l’élève dans le cadre de la découverte du monde et son orientation réflexive sur lui-même
et au sein de son contexte de travail. L’intégration des différentes disciplines doit favoriser une posture
interactive entre l’élève et le savoir. La plus grande difficulté réside justement dans la mise en œuvre
d'une telle posture pédagogique, car les contenus demeurent vastes et dispersés (de l'éducation à la
sexualité, à l'obésité, à l'estime de soi etc.), le temps de développer des discussions vient à manquer,
le matériel pédagogique nouveau insuffisant, si bien que la plupart des enseignants reviennent à des
discours qui orientent la tâche prescrite dans une pédagogie transmissive (49% des enseignants
interviewés). Les buts qu’ils se donnent, que cela soit les conditions du bien-être, le rapport éclairé en
matière de santé pour l’élève, ou leur insertion sociale dans le groupe des autres élèves, s’appuient
sur une transmission des connaissances d'un expert (l’enseignant) vers des individus isolés (les
élèves). Le temps de l'émancipation n'est pas si simple à organiser et à s'y consacrer. Il est dépendant
17
A.N. F17 10776, bobine 3, instituteur Massemin Joseph-Grégoire, commune de Somain, département du Nord,
1 février 1861.
18
Circulaire n° 98-237 du 24 novembre 1998, « Orientations pour l’éducation à la santé à l’école et au collège »,
BO de l’Éducation nationale n° 45 du 3 décembre 1998. Cité en page 1 du présent article.
er
25
de deux autres facteurs non négligeables, la formation des enseignants et les partenariats engagés
(voire la plupart du temps imposés).
Quels formations et partenariats nécessaires ?
Au XIXe siècle une formation des enseignants du primaire s'organisa durant leur troisième année
d'école normale. Cet enseignement fut très ciblé correspondant au genre. Le futur instituteur recevait
des cours relatifs aux épidémies et à leur propagation, à l'enseignement antialcoolique, à la
microbiologie (discipline en évolution à la fin du XIXe siècle et influente). La future institutrice avait des
cours plus centrés sur la petite enfance et la puériculture. Il fut également au fur et à mesure
augmenté en nombre de séances et ne se limita pas à une simple formation initiale. Des conférences
furent données un temps par des médecins et des pasteuriens pour diffuser les nouveaux savoirs.
S'ajoutèrent des conférences pédagogiques animées par des inspecteurs primaire, des revues, des
ouvrages spécialement dédiés aux enseignants du primaire (Parayre, 2011). Il exista donc une
formation basée avant tout sur la transmission de nouvelles connaissances aux enseignants du
primaire, formation en relation par ailleurs avec l'enseignement de l'hygiène à donner aux élèves.
Or dans la mesure où les contenus de l'éducation à la santé se sont diversifiés et ont
considérablement augmenté, la formation des professeurs d'école n'a pas suivi ni la globalité des
contenus, ni l'ensemble des méthodes à promouvoir en classe. L'enseignant se trouve donc la plupart
du temps face à un savoir en perpétuelle transformation et évolution (récentes découvertes sur les
cancers, ajouts d'autres pratiques, problèmes des addictions etc.) sans prise en charge de formation
continue, et avec une formation initiale réduite à des connaissances de base, parfois déjà rendues
obsolètes par les nouvelles découvertes et les conceptions et techniques changeantes. Vingt pour cent
d'entre eux constatent qu'ils ne pourront faire face seul à cette vaste éducation et rappellent qu'en
équipe, ils seront plus intelligents et efficaces [E5]. Cependant une véritable équipe pédagogique devra
travailler aux interventions et à leurs objectifs, et non se limiter à quelques intervenants ponctuels d'ici
ou d'ailleurs, alors que l'enseignant est relégué à une place de « simple spectateur des actions
menées par les intervenants extérieurs » [E36]. L’originalité des nouveautés pédagogiques est bien à
promouvoir en redéfinissant le rôle de l’enseignant. Pour eux ce n'est pas tant de travailler avec une
équipe qui les dérange, mais bien la redéfinition de leur fonction au sein même de ces nouveaux
partenaires, aussi élargies et émiettées que puissent être les actions engagées dans l'éducation à la
santé. Pour les enseignants que nous avons interrogés, la composition de l’équipe éducative est donc
à redéfinir, que cela soit des médecins, infirmiers et infirmières scolaires, assistantes sociales,
éducateurs ou parents : ils apparaissent ainsi comme « des partenaires à privilégier ».
Discussion-conclusion
La mise en perspective du travail enseignant d'hier avec celui d'aujourd'hui n'est pas toujours aisée,
dans la mesure où les buts et contenus ont considérablement changé et que les conceptions en santé
se sont transformées. Hier, il s'agissait surtout de préserver un "état" de santé pour la sauvegarde de
la collectivité, aujourd'hui la perspective est largement plus dynamique. L’"état" de santé de chacun
des individus est toujours à améliorer, sans cesser la quête des nouveaux produits et usages.
L’éducation à la santé d'aujourd’hui est donc confrontée en permanence à des questions nouvelles
appuyées sur des sensibilités différentes. Notre étude démontre que le rôle de l'école en matière
d'émancipation n'a pas forcément réussi, en soit non réductible à une simple insertion dans une
circulaire ministérielle, bien plus complexe à organiser sur le terrain de l’école, trop dépendant de
l'implication de l'enseignant, de sa formation, de sa réceptivité aux savoirs et pratiques nouveaux. Ainsi
les objectifs actuels de l'éducation à la santé définissent une direction ambitieuse d'émancipation et de
prise de conscience par les individus et situent pleinement la question de la pédagogie, mais en
définitive sans donner les clés nécessaires aux enseignants pour pouvoir y contribuer.
Si le recours à une forme d’enseignement plus fermée sur ses contenus spécifiques est encore en
usage aujourd’hui, c’est qu’il est difficile pour l'enseignant de briser un continuum, et de changer ses
conceptions, sans une formation qui en concrétise le sens.
Nous ne pouvons nier que l'enseignement de l'hygiène d'hier a abouti à quelques résultats dans la
transformation des comportements et même à des bouleversements dans les mentalités. Bien des
populations ont ainsi adhéré à de nouveaux comportements de bien-être et à une prise de conscience
de l'attention au corps et au sensible. En quelque sorte cet enseignement autrefois a permis une
26
acculturation et une médicalisation plus générale des populations. Parce que moins exigeant dans les
contenus et méthodes, dans les partenariats, cette instruction de l'hygiène a contribué à faire prendre
conscience de l'importance de se laver les mains, de se protéger des maladies, de faire de l'exercice
physique, même si au fond ces attitudes relevaient plus de comportements instinctifs, qui allaient
s'ancrer dans les habitudes, parce que souvent répétés. Il n'empêche qu'un nombre important
d'individus a dès lors considérablement transformé son quotidien. En définitive l'enseignement directif
de l'hygiène aurait réussi là où l'éducation à la santé bute encore. Ce qui nous fait ajouter que si
l’éducation à la santé ambitionne à devenir un programme d’enseignement, il faut qu’elle « s’unifie »
(les notions de responsabilité, de citoyenneté peuvent être fédératrices). D’où l’indispensable réflexion,
aujourd’hui inexistante sur les notions qui peuvent fédérer et unir cet enseignement, trop émietté,
dispersé, et pourrions-nous ajouter "fourre-tout". Il nous semble, qu'en conséquence l'éducation à la
santé à l’école ne réussit pas non plus à réduire les problèmes des inégalités sociales de santé et des
variations individuelles de prise de conscience, selon des décalages culturels et sanitaire entre les uns
et les autres. Accusée de se définir au sein de la dispersion de ses objectifs et de ses actions, ne
pourrait-elle pas au pire les accentuer ? En effet, une étude plus approfondie nous montre déjà les
écarts significatifs des actions en fonctions des établissements, certains n’ayant pas les mêmes
moyens financiers pour payer les intervenants extérieurs19.
Un dernier point de discussion non encore évoqué pour l'instant, mais qui a son importance rappelle
que "se maintenir en santé" revient à "savoir faire des sacrifices" (ne pas manger n'importe quoi, faire
régulièrement de l'exercice, boire avec modération, ne pas fumer etc.). Or s'émanciper implique aussi
de réfléchir à son positionnement par rapport aux sacrifices à effectuer et de prendre de la distance.
En définitive l'émancipation peut revenir à se démarquer considérablement des objectifs promulgués
par l'éducation à la santé, en remettant en question complètement les choix à opérer et donc les
risques encourus pour sa santé. Un effet tout à fait contraire, par exemple, peut s'observer chez
certains des adolescents, qui pour braver l'ordre établi, en reviennent à mettre leur propre vie en
danger, par prétexte de liberté, de libre choix, de prise d'indépendance par rapport aux adultes. Dans
ce cas précis une émancipation non contrôlée peut tourner au cauchemar pour les adultes, comme
pour les adolescents. Raison pour laquelle l'éducation à la santé enseignée ne peut se faire sans
l'acquisition de savoirs de base permettant de réfléchir avec responsabilité aux comportements et aux
fondements des pratiques de santé. Plus généralement, elle doit conduire à la connaissance
d’aptitudes et de constructions de compétences visant l'échafaudage de capacités biopsychosociales.
Ce qui explique bien toute la difficulté pédagogique de l'éducation à la santé, qui en conséquence ne
peut être abordée sans préparation et réflexion par l'enseignant en amont de toute activité et
intervention de classe. Elle ne pourrait se baser que sur de l'improvisation, encore moins sur de
l'approximation, elle a besoin d'être encadrée et dirigée par un adulte formé, et ne pourrait absolument
pas éloigner les familles de ces questions fondamentales autour de cette éducation tout au long d’une
vie. L'éducation à la santé peut alors s'emparer de certains fondements de l'éducation et de la
formation, tels le rôle central de l'élève, l'égalité des chances, la réflexion à de nouvelles pédagogies.
Les acteurs de la formation et de l’éducation construisent alors dans cet espace de socialisation
particulier et émancipateur des approches soumises au jeu complexe du développement du jeune
dans son devenir. Ces nouvelles attentes posent la question fondamentale du rapport entre les formes
scolaires, situées dans l’entre deux de la logique des savoirs et de ses découpages disciplinaires
d’une part, et de celle des valeurs qui les constituent d’autre part. Cette mise en tension situe
l’occasion de son insertion dynamique dans des configurations où les enjeux d’hier éprouveraient à
changer ceux inscrits dans une société en devenir.
Bibliographie
Bardin L. (2007). L'analyse de contenu. Paris : Presses universitaires de France.
Berger D. (dir.) (2010). Éducation à la santé, enjeux et dispositifs à l'école. Toulouse: Presses
universitaires du Sud.
CHALON L. (DIR.) (2011). EDUQUER A LA SANTE : POUR UNE ECOLE EN BONNE SANTE.
CHRONIQUE SOCIALE.
19
Cette recherche est également en cours.
27
Dorison C., Kahn P. « Roger Gal ou les trente glorieuses de la réforme pédagogique », Carrefours
de l’Education, Histoire du mouvement de l’Education nouvelle, n°31, 89-104.
Guiet-Silvain J. (coord.) (2011), Education à la santé : convergences ou émiettements ? Carrefours
de l'Education, vol. 32, C.R.D.P. d'Amiens.
Jacquet-Francillon, F. (1999). Instituteurs avant la République. Lille : Septentrion.
Jodelet D. (1997, 5é éd.). Les représentations sociales. Paris : Presses universitaires de France.
Jourdan D. (2010). Éducation à la santé : quelle formation pour les enseignants ? Saint-Denis :
INPES éd.
Jourdan D. Pizon F. (2010). Tabac, alcool, drogues : la prévention au lycée. Paris : l'Harmattan.
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antialcoolique, 1870-1970. Saint-Étienne : Publications de l'Université de Saint-Étienne.
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PUSE, col. IUFM.
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Parayre S. (2011). L’hygiène à l’école, une alliance de la santé et de l’éducation (XVIIIe-XIXe siècles),
Saint-Etienne : PUSE (Presses Universitaires de Saint-Etienne). Préface de Didier Nourrisson.
Vigarello G. (2010). Les métamorphoses du gras, Histoire de l'obésité du Moyen Age au XXe siècle.
Paris : Seuil.
28
LA SANTE DANS L’EDUCATION THERAPEUTIQUE DU
PATIENT INSCRITE DANS UNE VISEE PROCESSUELLE
D’EMANCIPATION :
CONCILIER HETERONOMIE ET SINGULARITE
Eymard Chantal
UMR P3 ADEF - Aix-Marseille-Université
Perez Jean-Michel
Université Henri Poincaré-Nancy-LISEC Lorraine
Résumé : En construisant les concepts de « santé » et de «maladie » à partir du «corps réifié», les
relations entre « soignants » et « soignés » ont pu longtemps se figer dans un rapport aux personnes
réduites « en actes » au statut « d’objet ». A côté de ce modèle se constitue un modèle dit « biopsycho-social » de la santé, porté par une série de textes législatifs, prescriptifs, encore peu relayés
par une littérature réflexive. Il semble pertinent de considérer la «santé» comme un processus
davantage apte à questionner le formateur, le médecin, le soignant sur son mode d’être au monde
dans son interaction avec autrui. La notion d’émancipation gagnerait alors à être dialectisée dans
cette tension où l’institution (corps social constitué)- est en prise/déprise avec les personnes en
situation de vulnérabilité. Notre projet est de concilier ces paradoxes, entre une aliénation perçue
comme hétéronomie collective (et qui porte en même temps les traces d’une humanité ayant conquis
de nouveaux espaces) ; et le projet d’automisation du patient vulnérable (et qui porte en lui toutes les
traces des défauts de cette conquête déjà entreprise). « L’émancipation est, si elle est collective,
sinon elle n’est rien » (Vygotski, 1985). Les agents des institutions chosifiés qui fuiraient cette
responsabilité signeraient le retour à des idéologies fondées sur l’écrasement des singularités
témoignant d’une régression du processus d’humanisation.
Mots clés : Santé - émancipation – démocratie - hétéronomie- projet d’automisation- processus-
L’éducation thérapeutique du patient : une question d’émancipation collective
L’éducation thérapeutique du patient (ETP) est une partie de l’éducation pour la santé et de façon plus
générique, de la promotion de la santé. En s’inscrivant dans le cadre des maladies chroniques telles
que le diabète, l’asthme, l’insuffisance rénale, les situations de handicap, ou encore de gestion de
risques, elle vise à rendre le patient acteur de sa santé, notamment en lui permettant de gérer sa
maladie, en autonomie, tout en améliorant sa qualité de vie. La littérature distingue l’ETP de
l’éducation pour la santé, par trois régularités (A Lacroix , Assal JP., 1998 ; Bury & Foucaud, 2010 ;
Eymard, 2010) :
‐ La première est en lien avec la temporalité : La personne atteinte d’une maladie chronique ou
d’un handicap se trouve dans des temporalités différentes de celle d’une personne en
« bonne santé ».
‐ La deuxième concerne l’apparition de la maladie comme moment du changement de statut de
l’individu, probablement irréversible. Cette chronicité à des conséquences psycho-sociales et
identitaire et impacte sur la démarche éducative.
‐ La troisième tient aux professionnels impliqués : si L’ E.T.P. trouve ancrage à la fois dans la
médecine, la pédagogie et les sciences humaines et sociales (psychologie, sociologie,
anthropologie), cette approche reposant sur la relation de soin, nécessite l’implication des
soignants. Elle y est inscrite dans la durée et cherche à accorder une place prépondérante au
patient par une approche conjointe.
29
Une inscription législative récente et a contrario de «l’habitus » culturel
Le cadre législatif de l’ETP est assez récent. En 1980, le conseil de l’Europe porte l’accent sur le
« droit que toute personne a de connaître l’information recueillie sur sa santé ». Cependant, c’est
vingt-deux ans plus tard, par la loi du 4 mars 200220 relative aux droits des personnes malades et des
usagers que cette démarche s’inscrit en France «… toute personne a le droit d’être informée sur son
état de santé … toute personne prend, avec le personnel de santé et compte tenu des informations et
des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ». Alors même, qu’il n’y avait
pas eu de loi de santé publique depuis plus de 100 ans, cette question aujourd’hui devient un enjeu
politique, économique et social avec la promulgation de nouvelles lois : celle de 200421 met en
lumière des éléments contextuels en rapport avec les changements liés à la santé ; puis celle encore
plus récente de 2009, portant réforme de l’Hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires
est consacrée à l’éducation thérapeutique du patient. L’ETP est désormais entérinée, comme
thérapeutique à part entière avec son cadre, ses finalités et ses modes de financement dans une loi
de santé publique.
Cette inscription lente et plutôt laborieuse des pratiques de l’ETP dans les démarches de soins peut
témoigner de controverses, de résistances et d’enjeux contradictoires. Elle appelle une enquête
complémentaire sur la place accordée aux personnes en situation de maladie.
Des « habitus » qui font obstacles aux changements de pratiques
L’analyse de la place de la personne en situation de maladie, réalisée à partir des classifications
opérées dans nos sociétés, témoigne d’une orientation particulière du statut même de la maladie
distincte des sujets qui l’éprouvent.
1893 : Classification des causes de décès,
1946 : Classification des maladies,
1980 : Classification des handicaps comme conséquences de maladie (Wood).
Ce statut de la maladie est d’autant plus marqué que celle-ci est chronique, irréductible ou
invalidante. En regard de cette construction historique et sociale, trois conséquences, exprimées dans
la littérature, se dégagent pour les acteurs des sociétés contemporaines.
‐ La première concerne la manière dont la collectivité a élaboré son rapport à la maladie. Il
s’inscrit dans un continuum, avec, à une extrémité, la santé, à l’autre, la mort, et entre les
deux divers degrés de la maladie. La prévention de la maladie est entendue comme une
« lutte contre », comme une « réduction des risques qu’il convient d’éviter à tout prix » (Bury
& Foucaud, 2010). Le sujet et la maladie, sont ici perçus comme étrangers l’un à l’autre. Il
faut, pour le « bien du patient» éradiquer « le mal » qui s’est introduit en lui.
Ce mode d’appréhension de l’homme par l’institution médicale s’est construit à partir des
dissections des corps morts (voir classification de 1893 à 1980). D’où cette naturalisation
dans des pratiques de l’auscultation, pour découvrir, le mal caché dans des organes. Avec le
développement de l’esprit scientifique22, La maladie s’est ainsi construite comme un corps
étranger, à enlever : le « scalpel » devenant l’outil privilégié, le « pansement », le corolaire du
scalpel.
‐ La seconde conséquence concerne les actions des agents de cette collectivité. Au « scalpel »
revient le rôle du médecin (puis du chirurgien), au « pansement » revient le rôle de l’infirmière,
au « mort » revient le rôle du patient. Pour le personnel soignant, la dimension du soin,
l’action avec les personnes concernées s’organise ainsi, à leur « profit » dans cette forme de
rapport de savoir qui peut devenir aussi, un rapport de pouvoir et de comparaison sociale. Le
« contrat » qui s’établit depuis entre les diverses parties est fondé sur cette confiance et
l’absence de jugement, sur le secret ; « le praticien doit à son patient les meilleurs soins, la
20
Loi N°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des personnes malades et des usagers du système de santé
parue au J.O. le 5 mars 2002.
21
Loi N°2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique parue au J.O. du 11 août 2004.
22
Descartes pense que l’esprit n’est pas le corps. A la question du corps, sa réponse est une étendue,
une puissance d’occuper de l’espace (exemple de la cire)
30
‐
meilleure prise en charge diagnostique et thérapeutique, dans les règles de son Art et en
toute indépendance » (Eymard, Peyron-Bonjan, Bonniol, & Perez, 2010). Il ne pourra être jugé
là-dessus que par ses pairs. Cet art et cette indépendance reposent sur les expérimentations,
les preuves et l’évaluation des pratiques. Thérapie et éducation sont ici étrangers.
La troisième conséquence est une organisation du collectif fondé sur un système vertical, de
type directif et de contrôle. Il laisse peu de place effective à des sujets actifs, « mais
seulement à des destinataires de services, d’études etc.. » (Bury & Foucaud, 2010). Il y a une
dissymétrie de la relation qui autorise un partenaire du soin à « parler et à agir » ; et à l’autre
bout de la relation un partenaire qui lui est plutôt autorisé « à se taire ». Le « contrat »,
apparaissant dans les ruptures, de nombreux exemples témoignent de ces constructions
identitaires, surdéterminées et bien souvent transparentes aux acteurs eux-mêmes23.
L’éducation du patient ne va donc pas de soi. En construisant le concept de «maladie » à partir du «
corps réifié », les relations anthropologiques entre « soignants » et « soignés » ont pu longtemps –et
pour longtemps ?- se figer dans un rapport aux personnes en situation de maladie, réduites « en actes
» au statut « d’objet ». « L’hystérésis de l’habitus (Bourdieu, 1972)» qui lui est habituellement
corolaire, engendre des situations d'inadaptation aux conditions nouvelles dans l'espace social. Et si
Don quichotte24, Chevallier d’un autre temps et inapte à faire face à l’effondrement de son univers en
vient à confondre ennemis et moulins à vent, que dire alors du rapport soignant-soigné encadré dans
des référentiels métiers, de formation ou de certification, qui font du patient un objet à découper,
témoignant toujours, et sans doute de manière plus insidieuse, des failles de la pensée déterministe
réduisant le vivant en une série d’organisation minutieuse à traiter.
Non pas que ce modèle, soit à rejeter. Il est aussi le témoignage d’une collectivité cherchant à
cheminer sur les aléas du « faire vivre ». On peut ici s’inspirer de Bachelard et de sa Philosophie du
non (1940). Il ne s’agit pas de rejeter une théorie au profit d’une autre, mais de prendre conscience
que notre manière de concevoir une question est généralement trop étroite et qu’elle a besoin de
s’élargir.
Se rendre disponible à ces émergences, et par là même accompagner des acteurs en santé passerait
alors par la réorganisation de toutes les ressources cognitives pour affronter les nouvelles situations
posées par l’ETP. Dans cette veine, des travaux récents (Eymard, 2010 ; Bury & Foucaud, 2010)
consistent à repérer dans les pratiques des acteurs les modèles implicites à l’œuvre, dans leurs
apories et contractions, repèrent les micro-gestes qui peuvent témoigner de petits pas du quotidien ;
source d’un rebond vers des pratiques inclusives en santé. Ces divers modèles théoriques, de santé,
éducatifs, au service des pratiques de l’éducation thérapeutique interfèrent les uns avec les autres.
L’enjeu des auteurs est d’en dégager une typologie et permettre un repérage dans les pratiques
effectives. Nous poursuivons ce raisonnement en questionnant cette catégorisation et en repérant ce
qui est de l’ordre de « l’habitus dominant », voir des pratiques d’hystérésis et ce qui est de l’ordre de
l’émancipation collective/individuelle.
Des modèles et des pratiques en ETP qui s’inscrivent dans « l’habitus
dominant »
Discours : « Moi je pense que ça part d’en haut, dans le projet d’établissement. Tu as confiance dans
l’institution, le projet d’établissement, jusqu’au patient…. Tout découle du haut… cohérence et
lisibilité».
23
Ainsi, ce médecin du début du xxème siècle interné et radié pour avoir émis l’hypothèse de l’utilité de
se laver les mains ; ou plus récemment la vaccination de masse du BCG qui du jour au lendemain
s’est arrêtée sans que cette scarification du corps et de statut social (un enfant non vacciné ne pouvait
pas intégrer une crèche) n’ai posé le moindre questionnement.
24
Foucault, M. (1966) dans les mots et les choses, Marx (1844) dans le second manuscrit et enfin Bourdieu (1978 et 2002) qui définit
l’effet Don Quichotte par « celui dont l'habitus correspond à un état dépassé de l'ordre social et qui perpétue des dispositions qui tournent à
vide ».
31
De manière générale, mais radicale, tous les modèles et les pratiques visant un changement
correspondant à un attendu déjà fixé par avance font partie de « l’habitus dominant », déterministe et
causaliste où le « soigné » culturellement se doit d’obéir aux prescriptions de l’expert : il a appris qu’il
ne sait rien. Quels apports les sciences de l’éducation par l’entrée éducative permettent –elles de réintroduire dans ce champ de débat ? Si l’on se réfère à la première étymologie latine du verbe
éduquer, à savoir educare, on peut « élever » les patients en leur explicitant les diagnostics, les
conseils et les thérapies choisies par les professionnels, les soignés renforçant les bienfaits des
médications, des traitements, des consignes de bonne santé et de vie plus saine en les comprenant et
en les opérant plus correctement. Cette entrée de l’éducation est celle de l’habitus dominant et la
notion d’éducation thérapeutique est orientée comme une « aide entendue à leurs familles et/ou leur
entourage pour « comprendre la maladie et les traitements, collaborer aux soins, prendre en charge
leur état de santé et conserver et/ou améliorer leur qualité de vie» (Haute Autorité de Santé, 2007).
L’apprentissage est un conformisme, d’une prescription décidée par d’autres. Pris ainsi, cet ancrage
respecte les principes suivants :
tout apprentissage est observable par le changement de comportement qu’il implique ;
les savoirs acquis sont cumulatifs ;
la réussite étant un facteur de motivation, il est important de la renforcer ;
les savoirs compliqués doivent être décomposés en savoirs élémentaires,
les objectifs à atteindre doivent être progressifs pour favoriser la réussite ;
les exercices d’applications favorisent la généralisation et la maîtrise des acquisitions.
(Eymard, 2010)
le contexte environnemental stimule l’apprentissage, l’individu, sa motivation, la réponse
comportementale
Cette éducation privilégie la transmission des savoirs et œuvre pour l’obtention de comportements
adaptés par le patient25. Elle vise la suppression de l’erreur et l’adoption de bonnes conduites en
santé. Le renforcement positif s’appuie autant sur la valorisation des comportements adaptés du
patient que sur les réussites des autres patients du groupe.
Des modèles et des pratiques en ETP qui s’inscrivent –à pas masqués- dans
« l’habitus dominant »
Discours : « Je crois qu’il y a de soi, qui peut générer une situation … ou une autre»
Même lorsque l’éducation thérapeutique vise la connaissance de soi du patient dans un
environnement social ; mais qu’elle exclut -de fait d’interroger la personne du soignant et le cadre
institutionnel, il s’agit toujours du même « habitus » dominant. L’un est autorisé à savoir, l’autre à
obéir. Il peut y avoir ainsi des détournements des auteurs clés des champs tel celui souvent
convoqués de Vygotski. Mais chez lui, une collectivité, qui ne s’interroge pas, « lâche » la personne
en situation de maladie invalidante, tout en construisant le concept « de maladie26». Sa pensée
dialectique renvoie une responsabilisation à la fois collective et à la fois individuelle. Les risques de
dérapages classificatoires sont ainsi toujours présents de même que les risques de retour et de
maintien de la perspective centrée sur l’individu. Ainsi, ci-dessous, nous faisons ressortir les
contradictions posées dans l’éducation thérapeutique du patient, en italique dès lors qu’il s’agit :
‐ de produire du sens commun –mais qui ne concerne que la connaissance des autres
malades ;
‐ d’expliciter son action sans avoir à expliciter celle du soignant ;
‐ d’articuler la théorie existante et la bonne ou mauvaise pratique ;
‐ du rôle social des communications langagières comme les agneaux Nietzschéens se jetant
tous ensemble de la falaise ;
‐ du développement de l’estime de soi, de la confiance en soi assujettis aux rôles sociaux
attendus ;
25
Elle s’inscrit dans une approche behavioriste d’apprentissage par l’action, cognitivo-comportementale, ou
néobehavioriste
26
Nous avons changé les termes. Les propos de Vygotski, portent sur les enfants handicapés : Une collectivité
qui aurait alors « lâché» l’enfant en situation de handicap, tout en construisant le concept « d’altération » ?
32
‐
‐
‐
‐
de l’instruction des patients, leur acquisition des savoirs en santé sans leur dire que c’est l’état
actuel de la science, connue à ce jour, vraisemblable, mais non suffisante ;
de la compliance, en tant que comportement selon lequel la personne prend son traitement
médicamenteux avec l’assiduité et la régularité optimales, selon les conditions prescrites et
expliquées par le médecin », ou l’observance des consignes, des règles et des protocoles. Le
défini éclaire ici suffisamment la définition ;
de l’auto normativité, (Barrier, 2008) : en tant que nouveau rapport à la santé à travers la
maladie. Mais, en privilégiant comme but à atteindre l’observance du patient entendue ici
comme bonne pratique du traitement et de l’hygiène de vie ;
du transfert des compétences du soignant au patient qui s’inscrit dans une logique
gestionnaire des coûts –sans exclure cependant les effets non voulus mais émancipateurs de
la démarche.
Plus insidieux, chaque fois que l’activité tente d’appréhender la globalité d’un sujet-patient positionné
au centre des préoccupations des soignants dans toutes ses dimensions, elle prend le risque de
s’inscrire dans la maîtrise de la situation de santé et du contexte de soin, ne laissant que peu de
place à la singularité du patient. (Eymard, 2010) Chaque fois qu’elle privilégie le respect absolu de la
norme scientifique au détriment des savoirs d’expérience des patients, elle œuvre pour un certain
hygiénisme des comportements humains. Principal acteur de sa santé et sujet à éduquer, le patient
est alors assigné à un changement délibéré : les effets escomptés du programme d’éducation
thérapeutique. Asservi à une norme scientifique qui lui est extérieure, le rôle qu’il peut jouer est
marqué par la soumission, au risque d’être considéré comme responsable de l’évolution de sa
maladie. L’éducation thérapeutique s’inscrit alors dans un rapport de maître à élève où les normes
scientifiques et le savoir académique prévalent sur l’expérience et où le désir du soignant prévaut sur
celui du patient. (Ibid.)
« L’habitus» des acteurs, soignants comme soignés, s’expriment d’autant plus profondément qu’il
devient difficile d’aller débusquer les formes d’hystérésis possibles, nichées de plus en plus
profondément, dans des micro-pouvoirs produisant des discours permettant de contrôler qui est ou
non dans la norme (Foucault, 1975). La voie est dès lors ouverte à une éducation du soupçon et à
l’enquête, non dans le soin lui-même –dans un premier temps- mais dans les discours tenus autour
d’eux. Par exemple, lire dans les revues de l’ETP « qu’il faut favoriser le partage de significations
entre patients et entres patients et professionnels de la santé » peut a priori être intéressant pour le
processus d’émancipation recherché, à la condition cependant que ce partage permette à chacun des
acteurs d’apprendre « autre chose » que ce qui avait était prévu au départ. L’inter-action, la construction se limite trop souvent en action, à la sphère exclusive des « soignés ».
Ainsi, l’un des paradoxes du discours soignant, empreint des notions d’autonomie et de
responsabilité, est d’imposer simultanément une norme médicale intransigeante : il est le signe d’une
forme d’hystérésis, d’une confusion liée à l’inadaptation à comprendre l’effondrement d’un univers
intériorisé.
D’où la nécessité de comprendre la notion « d’éducation » dans sa deuxième acception : celle « d’educere » signifiant l’aptitude à « conduire hors de soi » et - à –se- « conduire hors de soi ». Il s’agit,
en éducation, de cette croyance où chacun à des aptitudes ; et que l’enjeu de toute apprentissage
c’est de les faire advenir. S’adresser alors à un enfant, ou plus largement à un être vulnérable, c’est
s’adresser à ce que l’humanité a pu produire de plus abouti –car il est celui qui nous survivra dans
l’univers- et en même temps le plus fragile en tant que témoin fugace et incomplet de l’homo faber.
Mais cette vision de l’enfant et la théorie du développement qui l’accompagne est à contrecourant de
tous nos déterminismes, dans une société où pleurer un enfant mort était répréhensible par la
communauté du XVIIIème siècle (Ariès, 1975).
Sommes-nous alors, irréductiblement, condamnées à une forme d’aliénation collective et individuelle
(Castoriadis & Congress, 1975) ? A quelle condition pouvons-nous, -ou pas- migrer vers une autre
forme d’émancipation ? Autrement dit, pouvons-nous, nous instruire de ce dont nous sommes
ignorants ; et par là même, permettre une interrogation en santé de l’ordre d’une ouverture de
nouveaux possibles ?
33
Des pratiques en ETP qui s’inscrivent dans des petits pas du quotidien pour
favoriser une «émancipation collective »
Modèle a priori de l’émancipation : projets de démarches instituantes inclusives.
Cette notion de l’émancipation collective s’appuie sur une philosophie du « développement des êtres
humains ». Celle-ci a des sources d’origines extrêmement anciennes déjà posées dans les questions
du statut des savoirs et de nos rapports à ces derniers. Nous faisons ici référence à l’ancrage
« complexe et non reconductible » impulsé par Héraclite - par rapport à celui de l’entrée « vérité –
déterministe de Parménide (Besnier, 1996). En raison justement du caractère de reproductibilité, c’est
ce second ancrage seulement, qui a été privilégié par nos sociétés (collectivités) occidentales
modernes. Elles ont pu dès lors, sous l’égide des « progrès » liés au développement des idées
scientifiques puis de leur transmission, se constituer une légitimité culturelle.
La constitution du savoir médical fait partie de cette culture d’où cette historicité des classifications du
handicap, par le repérage des maladies issues de corps qui ne bougent plus. Notre culture en santé,
s’est laissé baigner par ces fonds de croyances, recouvrant ainsi nos rivages sous le voile de
l’« habitus ». Or, si ces divers phénomènes ont pu constituer des sources d’émancipations pour ces
collectivités d’une humanisation en marche, ils peuvent aussi devenir autant « d’obstacles » pour les
agents dans leur inaptitude à s’ouvrir à d’autres possibles et réorganiser alors leurs ressources
(Bachelard, 1993).
Cette « philosophie de l’émancipation », est donc autre. Consciente des apories de la pensée d’un
déterminisme aveugle du néant d’où il est issu, réifié dans un idéal d’expériences culturelles passées,
elle postule que « soit l’émancipation est collective, soit elle n’est rien ». (Vygotski, 1994) De ce fait
elle rend indissociables les questions individuelles des questions sociales, et pose comme nodales
celles des « inter-actions » et des « con-structions », à l’œuvre dans les « phénomènes
d’enseignements et d’apprentissages». Son mode de contrôle appelle des formes de régulation moins
fondés sur « l’imitation au modèle, effigie du système traditionnel-, mais sur des processus de
construction-déconstruction-reconstruction processuelles et toujours inachevées, d’acteurs devenus
« instituant » (Castoriadis & Congress, 1975).
Cette entrée pourrait donc se concilier aux formes d’émancipations précédentes de nos collectivités.
Il s’agirait d’une prise de conscience que «notre manière de concevoir une question est généralement
trop étroite et qu’elle a besoin de s’élargir : « les géométries non euclidiennes n’ont pas supprimé la
géométrie d’Euclide ; elles ont montré que ce n’était qu’un exemple particulier de géométrie, celui qui
colle avec notre perception » (Bachelard, 1940). De même les constructions conjointes soignantsoigné ne suppriment pas les soins à prodiguer, n'interdisent pas le scalpel d’intervenir ; elle montre
que la chirurgie n’était qu’un exemple particulier de la santé, celle qui collait avec notre perception.
Mais comment concilier ces paradoxes, entre d’une part une aliénation perçue comme hétéronomie
collective (et qui porte en même temps les traces d’une humanité ayant conquis de nouveaux
espaces) ; et d’autre part le projet d’automisation du patient vulnérable (et qui porte en lui toutes les
traces des défauts de cette conquête déjà entreprise) ?
Certes, « l’aliénation comme hétéronomie collective et individuelle » (Castoriadis & Congress, 1975)
conditionne les acteurs « au fait de croire ce qu’ils ne sont pas ». Cette « clôture de l’imaginaire » ainsi
institué au nom d’un « bien ou d’un vrai » définitivement accrédité par les différents acteurs devrait
être l’objet de toutes nos défiances car elles en oublient l’irréductible, le presque rien, (Jankélévitch,
1981) ou encore l’élan vital (Bergson, 2008). Cet « hystérésis » constitutive de nos collectivités
(Bourdieu, 1972), cette transparence, cette tâche aveugle du « chaos/Abîme sans-fond » (Castoriadis
& Congress, 1975), qui nous fait courir « sans souci dans le précipice, après que nous ayons mis un
voile devant nous pour nous empêcher de le voir » (Pascal, 1978), ouvrent désormais d’autres voies
pour construire nos questionnements.
L’enjeu est de permettre le retour de « l’imagination radicale » pour un « projet d’autonomie » collectif
et individuel. Il se définit dans une problématisation des situations et renvoie à une culture de
l’appréhension du « chaos-abîme-sans-fond » en tant qu’horizon de finalités confondues, où
s’effondre tout en les ré-instituants, dans le tragique de l’existence même, toutes les normes. Son
mode d’être est la refiguration (Ricoeur, 1991) à savoir l’aptitude à demander à haute voix dans une
relation dissymétrique « est-ce que ce que vous faites est juste ? ». Ce cercle primitif de la création
historique s’inscrit dans une temporalité –qui devient alors la coloration d’un réel- et c’est en
l’exerçant que s’acquiert la responsabilité à l’exercer. Dès lors, nous pouvons enfin nous mettre à
34
l’écoute ce que nous disent les petits pas du quotidien, non pas comme un acte héroïque, mais
comme l’avancée, chez certains de nos acteurs, des prémisses de l’émancipation collective advenir.
Petits pas du quotidien : Discours
‐ «Dans le cadre d’un suivi d’une personne handicapée communiquant par un « oui/non », via
une « tablette de communication », j’avais une nécessité d’inclinaison de son siège afin de lui
faciliter sa respiration. Or, il a eu envie de changer de position, par rapport aux techniques
habituelles. J’ai fini par accéder à sa demande et je suis sorti des chemins battus. Il était
satisfait, mais j’étais inquiète en raison des risques de « fausse route ». Il essaie l’appareil
pendant 2 jours. Et il y a eu déclenchement de « fausse route »…Cela à durée un an... Mais,
c’est aussi laisser une part d’acteur dans ce processus… tout ça pour finir sur une conclusion
que l’appareil ne convenait pas. Et ensemble nous sommes partis sur une autre piste de
travail…. Ensemble…avec les médecins. ».
‐
« Ma maladie a été l’occasion d’un nouveau départ.
‐
« Enfin, moi, je m’adapte à eux… et j’essaie d’avancer, c’est beaucoup à la confiance car
sans confiance dans un travail régulier avec le patient tu n’avances pas … c’est une relation
suivie quand même, tu peux pas faire confiance dès le premier jour, des personnes que tu
vois souvent avec qui tu passes des étapes, avec qui t’es souriant, ce monsieur il m’a fait
confiance ».
Les horizons de l’émancipation collective
L’éducation est aussi une aventure humaine aux franges même de la vie et de la mort. Sur ces
chemins du tragique, dans l’incertitude des situations complexes qui font que dès notre naissance
nous sommes déjà suffisamment vieux pour mourir27, ces petits pas du quotidien s’obstinent à montrer
les chemins de l’émancipation collective. Notre finalité est bien une tentative, de concilier ce vivrepour-mourir ; mais qui, dans une forme de rapport à l’autre, fait apparaître l'œuvre. Cette œuvre, c’est
l’aptitude –ou pas- singulière à «l’homo-faber» (Bergson, 2003) de concilier dans l’instant, l’ancien et
l’improbable dans un processus d’humanisation de construction-déconstruction-reconstruction des
finalités en santé.
Les manifestations de ces pratiques respirent la fragilité, l’humanité, le dépassement ou l’aporie. C’est
une forme de contamination entre personnes dont il s’agit, mais qu’il n’est plus souhaitable de laisser
dans la sphère du privé. Il y a donc une migration de ces questions personnelles à effectuer, vers des
questionnements collectifs, au fondement incertain de tout processus de transmission. Car, la
condition pour pouvoir entrer dans ce monde de l’interaction, de la communauté authentique, semble
désormais, d'être assez fort pour accepter cette fragilité. Ce ne peut donc être aussi qu’une question
politique, organisationnelle tout autant que pédagogique.
Dès lors, les rencontres peuvent advenir -ou pas- mais la maîtrise se dérobe et laisse émerger toute la
déprise possible : lorsque le maître est prêt l’élève arrive. De tout cela, il est question dans les
situations de l’ETP, véritable effet de loupe, de la dramaturgie de l’humain et des apories de notre
système déjà-dépassé d’émancipation. Et chacun d’entre nous, dans nos solitudes irréductibles,
sommes voués à aller, côte à côte, comme des nomades, notamment dans les situations où les
ombres de la vie côtoient le néant d’où elles sont issues ; mais c’est aussi paradoxalement dans la
désespérance la plus totale que l’espérance peut se découvrir.
L’homme est ainsi cloué dans les limites de son appréhension du monde à la croisée de la confiance,
de la croyance et de la raison. Il nous reste alors à travailler à ce que l’on peut faire au mieux de ce
que nous sommes et rejoindre ainsi, sur ce chemin, la pensée Pascalienne : « L’homme n’est qu’un
roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier
s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais quand l’univers
l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt (…) ;
l’univers n’en sait rien. » (Pascal, 1978).
Ainsi, prennent sens les pratiques de l’Education thérapeutique conjointe en santé ou chacun
soignant-soigné, œuvre pour l’émergence et l’autonomie de sa propre existence au service d’autrui.
27
(Heidegger, Boehm, & De Waelhens, 1964)
35
Elle confronte le patient autant que le soignant à la nécessité de se manifester, de faire avec l’imprévu
et enfin, en ses rares occasions, de choisir. Comme le soulignait en son temps Vygotski, «
l’émancipation est, si elle est collective, sinon elle n’est rien ». Les agents des institutions chosifiés qui
fuiraient cette responsabilité de l’émancipation collective dans des tâches ignorantes de leur finalité
signeraient le retour à des idéologies fondées sur l’écrasement des singularités fugaces témoignant
alors de la régression du processus d’humanisation.
Bibliographie
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Bachelard, G. (1993). La formation de l’esprit scientifique: contribution à une psychanalyse de la
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Barrier, P. (2008). L’autonormativité du patient chronique: un concept novateur pour la relation de soin
et l’éducation thérapeutique. ALTER-European Journal of Disability Research/Revue Européenne de
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Bergson, H. (2008). Les deux sources de la morale et de la religion. Paris : PUF.
Bergson, H., (2003). Evolution créatrice. Paris : PUF.
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Eymard, C., Peyron-Bonjan, C., Bonniol, V., & Perez, J. M. (2010). L’éducation thérapeutique du
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Eymard, C., & Perez, J-M. (2011). A l’ère de l’hypermodernité, la confiance a-t-elle encore un sens ?
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Foucault, M. (1975). Surveiller et punir (Vol. 225). Paris : Gallimard.
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36
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Ricoeur, P. (1991). Temps et récit, tome 3. Paris : Seuil.
Vygotski, L-S. Pensée et langage (1934). Paris : Messidor
Vygotski, L-S. (1994). Déficience et défectologie mentale. Recueil de textes édités sous la direction
de K. Barisnikov et G. Petitpierre (pp. 31-83). Neuchâtel : Delachaux et Niestlé
37
Emancipation et éducation a la santé : analyse des
prescriptions assignées aux acteurs du milieu scolaire
issus de systèmes éducatifs différents
Carine Simar
IUFM Auvergne – UBP Clermont2
laboratoire PAEDI-ACTé EA 4281
Didier Jourdan
IUFM Auvergne – UBP Clermont2
laboratoire PAEDI-ACTé EA 4281)
A. Fitzgerald
M.Ed, HDGT. Educational Consultant and Psychotherapist
Cork, Ireland
Résumé : En milieu scolaire, l’éducation à la santé (ES) se place dans une perspective
d’émancipation du sujet et doit permettre de créer les conditions de possibilité de la réussite de tous
les élèves (Jourdan et Simar, 2008). Selon les systèmes éducatifs, toujours marqués par une histoire
et une culture propre, l’ES tient une place différente (Pommier et Jourdan, 2007). Dans certains pays
(Irlande, par exemple), il s’agit d’une matière scolaire au même titre que les mathématiques, dans
d’autres, c’est un domaine transversal, soit associé à la citoyenneté (France, par exemple) soit au
développement personnel (Portugal, par exemple). Enfin, dans certains cas, comme au Québec, l’ES
est à la fois présente comme discipline (associée à l’éducation physique) et comme domaine
transversal (Grenier, 2009).
Cette communication se propose d’analyser la nature des prescriptions et des tâches
assignées aux acteurs du milieu scolaire compte tenu du statut spécifique de l’ES. Ainsi, la question
se pose de savoir en quoi ces prescriptions seraient susceptibles de permettre l’émancipation de
l’élève dans ce domaine ? Ce travail s’inscrit dans la perspective théorique de l’analyse du travail, plus
particulièrement en lien avec la psychologie ergonomique (Leplat, 1997). Le choix a été fait de
s’intéresser aux systèmes éducatifs français et irlandais (curriculum / cross-curriculum). La
méthodologie combine une approche basée sur les traces écrites et entretiens, et privilégie une
analyse de contenu (Bardin, 2001). A l’issue de cette étude, nous proposerons une modélisation des
prescriptions susceptibles d’éclairer la nature des tâches permettant l’émancipation des élèves en
matière d’ES.
Mots clés : prescription, éducation à la santé, premier degré, analyse du travail, tâche / activité.
Problématique et revue de littérature
Rôle de l’école en matière de santé
Depuis longtemps l’école a été et est le lieu de sollicitations multiples en matière d’action et de
programmes d’éducation à la santé (St Leger, et al., 2007). Il existe un lien historique entre éducation
et santé. En 1951, le comité d’experts des services d’hygiène scolaire de l’Organisation Mondiale de
la Santé soulignait que « pour pouvoir étudier avec succès, les enfants doivent être en bonne santé »
(OMS, 1997, p.2). La santé apparait alors comme un élément essentiel qui conditionne l’entrée puis le
séjour à l’école de l’enfant mais aussi les résultats qu’il y obtient (Levinger, 1994; Pollitt, 1990). En
d’autres termes, « être en bonne santé aide à développer son capital humain (les enfants en bonne
santé apprennent mieux) et la santé est aussi le fruit du capital humain (les personnes les plus
instruites sont généralement en meilleure santé) » (Keeley, 2007, p.105). L’un des avantages les plus
manifestes de l’instruction serait l’amélioration de la santé (OCDE, 2001). En effet, plus le niveau de
formation est élevé, meilleure est l’hygiène de vie (Donkin, Goldblatt, & Lynch, 2002).
38
En outre, une éducation qui apporte à l’enfant, en plus des connaissances, des compétences et des
attitudes relatives à la santé, apparait comme un élément important pour son bien-être physique,
psychologique et social (WHO, 1997). La prise de conscience progressive de ces différentes
dimensions qui influencent la santé a conduit au développement du concept de promotion de la santé
(Deschamps, 1998). Dès lors, le modèle de la santé, ancré historiquement dans une perspective
biomédicale, a fait l’objet d’un déplacement, depuis une entrée relative à la lutte contre les maladies à
une entrée centrée sur bien-être de l’élève (physique, psychique et social) comme condition de la
réussite de l’élève.
Plus qu’un glissement de paradigme, « c’est avant tout un déplacement du rôle de l’Ecole. Ce qui est
valable dans le domaine de la santé l’est bien évidemment dans de nombreux autres domaines de la
vie sociale et civique. L’éducation à l’environnement, au développement durable, à la santé, à la
consommation, à la sécurité émergent du fait d’une forte demande sociale » (Jourdan, 2010, p.49).
Les modèles éducatifs et sanitaires
En référence aux modèles de l’éducation et ceux de la santé définis par Eymard (2010), il
s’agit ici avant tout de replacer l’élève au cœur de l’action. L’Ecole apparait donc comme un lieu de vie
où les dimensions sociales, physiques, mentales et psychologiques de santé ne peuvent se dissocier
(OMS, 1993). L’Ecole occupe une position stratégique dans la vie de l’enfant et apparait comme un
levier pour la santé des enfants et adolescents (Hamel, Blanchet, & Martin, 2001). En effet, si l’École
ne peut agir sur l’ensemble les déterminants de la santé (biologiques, socioculturels,
environnementaux, comportementaux, liés au système de soin), elle est en interaction avec la majorité
d’entre eux (Jourdan, 2010). Ces différents concepts partagent deux grands principes : une approche
globale de l’école et la reconnaissance que chaque aspect de la vie de l’école contribue
potentiellement au développement de la santé à l’école.
L’éducation à la santé à l’école
L’expression de l’éducation à la santé ne saurait ainsi se limiter à la classe et renvoie à des enjeux
partenariaux et politiques (St Leger, et al., 2007). Dans cette perspective, l’éducation à la santé se voit
assigner deux objectifs. Il s’agit, d’une part, de permettre aux élèves d’acquérir les compétences
nécessaires pour effectuer des choix libres et responsables en matière de santé et, d’autre part, de
créer les conditions de possibilité de la réussite de tous les élèves (Jourdan & Simar, 2008). Il existe
alors une tension entre ces finalités et celle du développement de l’élève à partir de l’acquisition et la
construction de savoirs.
En outre, les finalités relatives à l’éducation appliquée à la santé se distinguent de celles de la
prévention. Dès lors, sa finalité ne peut être celle de faire baisser la prévalence d’un comportement
mais bien de permettre l’émergence du sujet c’est-à-dire de contribuer à développer l’autonomie, la
liberté et la responsabilité de l’autre (Jourdan & Berger, 2005). La référence est le sujet et non le
comportement incriminé. L’élève est acteur de sa scolarité, et il doit en être de même de sa santé.
Aussi, l’école doit apparaitre comme un lieu de vie où l’élève va construire son rapport à la santé au
gré d’expériences et d’enseignements, qui lui permettront de bâtir ses connaissances, attitudes et
comportements dans ce domaine.
Mais loin de faire consensus quant à la place de ces questions dans les différents systèmes
éducatifs, toujours marqués par une histoire et une culture propre, l’éducation à la santé tient une
place différente (Pommier & Jourdan, 2008). Lelièvre (2009)28 soulève quant à lui la question de la
formation des élèves aux défis du futur en évoquant la création d’une discipline scolaire dans le
système anglais (PSHE)29. En effet, dans certains pays (Finlande, par exemple), il s’agit d’une matière
scolaire au même titre que les mathématiques ou le français. Dans d’autres, c’est un domaine
transversal, soit associé à la citoyenneté (France, par exemple) soit au développement personnel
28
Il publia un article qui s’intitule « Ils sont fous ces anglais » à propos de la création d’une discipline à part
entière pour aborder les questions d’éducation à la santé
29
PSHE : personal, social and health education
39
(Portugal, par exemple). Enfin, dans d’autres cas comme au Québec, l’éducation à la santé est à la
fois présente comme discipline (associée à l’éducation physique) et comme domaine transversal.
Les pratiques des enseignants du primaire en éducation à la santé
Quelque soit la nature de la prescription, le caractère central de l’appropriation des enjeux spécifiques
de l’éducation à la santé, par les enseignants, a été montré (Rivard et Beaudoin, 2009). Mais le
développement récent d’études à partir des pratiques des enseignants pointent les difficultés pour eux
de s’emparer pleinement de l’éducation à la santé et de manière plus générale, d’un certain nombre
d’éducation à (Audigier, 2006). Par ailleurs, l’influence d’autres déterminants a été mis en évidence,
tels que la présence d’un temps spécifique alloué à ces questions (St Leger, 1999 ; St Leger, Kolbe,
Lee, Mc Call et Young, 2007) ou la nature de la prescription telle qu’exprimée dans les programmes
scolaires (Demeulemeester, 2007). Il ressort des recherches, d’une part, les difficultés pour les
enseignants de s’emparer d’un objet qui reste marginal et d’autre part, l’ampleur des décalages entre
les prescriptions qui leurs sont assignées et leurs pratiques, et cela quelque soit la nature de la
prescription en vigueur (Jourdan, Piec, Aublet-Cuvelier, Berger, Lejeune et Laquet-Riffaud, 2002 ;
O'Higgins, Galvin et Kennedy, 2007 ; Turcotte, Otis et Gaudreau, 2007).
La question se pose de savoir, quelque soit la nature de la prescription de l’éducation à la santé,
quelles sont les tâches qui sont assignées aux enseignants du primaire ?
Cadre théorique
2.1 Les concepts de tâche et d’activité
Le cadre théorique de l’analyse du travail, dans le champ de la psychologie ergonomique s’appuie
notamment sur les travaux d’Ombredane et Faverge qui avancent que le travail est une conduite et
que l’activité professionnelle comporte une part cognitive (Ombredane & Faverge, 1955). Ils
introduisent la distinction entre travail prescrit et travail réel (Leplat & Hoc, 1983). Le travail prescrit
aussi appelé tâche correspond à ce qui est à faire, « elle véhicule l’idée de prescription sinon
d’obligation » (Leplat & Hoc, 1993, p.47). A l’inverse, on parle d’activité pour désigner ce qui est « mis
en jeu par le sujet pour exécuter ces prescriptions, pour remplir ses obligations » (Leplat & Hoc, 1993,
p.47). Les écarts entre la tâche prescrite et l’activité peuvent s’expliquer d’un triple point de vue : celui
de la tâche prescrite (trop complexe), le sujet (manque de compétence, ou des deux (Leplat, 1992a).
L’activité est considérée selon Leplat comme une succession de tâches à réaliser : la tâche
représentée (la façon dont l’opérateur se représente ce qui est attendu de lui), la tâche redéfinie (la
façon dont l’agent se définit sa propre tâche en fonction de ses caractéristiques, de son histoire et en
fonction de ses propres buts) et la tâche réalisée (ce que l’agent effectue réellement) (Leplat & Hoc,
1993).
En outre, la tâche comporte plusieurs dimensions qui peuvent être analysées (Rogalski, 2010), à
savoir : téléologique (nature et organisation des buts), praxéologique (ressources et contraintes) et
axiologique (systèmes de critères et de valeurs). L’analyse des tâches prescrites en éducation à la
santé qui a été conduite s’efforce donc d’identifier les objectifs, les buts (objet de l’action) et les
conditions (moyens) qui sous-tendent les tâches.
Les prescriptions dans le système éducatif
A la suite des travaux de Leplat (1997), la prescription est considérée de tout ce que l’institution
scolaire définit et communique au professeur pour l’aider à concevoir, à organiser et à réaliser son
travail : les programmes d’enseignement et autres instructions officielles, les lois et règlements de la
fonction publique d’État, l’évaluation du travail enseignant réalisée par les inspecteurs de l’Éducation
nationale, l’évaluation des acquisitions des élèves, etc. (Daguzon & Goigoux, 2007). Cet ensemble
40
constitue la prescription primaire du travail, qu’il faut distinguer de la prescription secondaire30, qui,
elle, relève des instituts de formation (Goigoux, 2005).
Cette étude prend place dans un travail plus large d’analyse de la redéfinition de la tâche
d’enseignants du primaire issus des systèmes éducatifs français et irlandais (Simar, 2010). Le choix a
été fait de présenter pour cette communication les résultats relatifs à l’analyse des tâches prescrites.
Il s’agit, à partir de l’analyse des prescriptions primaires, de définir en quoi les tâches assignées aux
enseignants du premier degré sont susceptibles de permettre l’émancipation de l’élève que
l’éducation à la santé s’inscrive dans une logique transversale ou disciplinaire.
Méthodologie
L’étude s’appuie sur une étude des traces écrites qui sont composées principalement des
textes législatifs. Dans le système éducatif français, la recherche documentaire a été réalisée de
manière systématique à l’aide du moteur de recherche « Mentor ». Concernant les documents
irlandais, ils ont été récupérés directement auprès des formateurs en éducation.
Puis l’ensemble des documents a été indexé dans un tableau afin d’identifier les tâches
assignées en éducation à la santé. Pour ce faire, les objectifs, les buts et les conditions ont été
recherchés.
Résultats
Les tâches assignées aux enseignants français du primaire
Les objectifs assignés à l’éducation à la santé
L’éducation à la santé s’inscrit dans une perspective émancipatrice dans les objectifs qui lui sont
assignés dans le système éducatif français : « A l’opposé d’un conditionnement, l’éducation à la santé
vise à aider chaque jeune à s’approprier progressivement les moyens d’opérer des choix, d’adopter
des comportements responsables, pour lui-même comme vis-à-vis d’autrui et de l’environnement. Elle
permet ainsi de préparer les jeunes à exercer leur citoyenneté avec responsabilité, dans une société
où les questions de santé constituent une préoccupation majeure » (Circulaire n°98-237 du 24
Novembre 1998). Il s’agira alors de développer les compétences susceptibles de permettre à l’élève
d’opérer des choix favorables à leur santé, leur bien-être et leur épanouissement mais aussi de
construire le lien social nécessaire à l’apprentissage de la citoyenneté. Outre le développement de ces
compétences, il s’agit également d’accompagner l’élève dans la construction et la réalisation de leur
projet personnel et professionnel en développant une dynamique d’éducation à la santé, à la
sexualité, et à la prévention des conduites à risques (Circulaire n° 2001-012 du 12 Janvier 2001).
Les buts relatifs à l’éducation à la santé
L’identification des buts qui sous-tendent les tâches en éducation à la santé s’articulent autour de
plusieurs dimensions :
- Travailler avec les élèves sur leurs attitudes, leur rapport aux normes et aux valeurs, à la loi
et à la règle. Il est notamment question ici de travailler sur l’estime de soi, le respect des autres, la
solidarité, l’autonomie, ainsi que la responsabilité (Circulaire n° 98-108 du 1er Juillet 1998),
- Sensibiliser les élèves au respect du corps et à l’apprentissage des règles d’hygiène
(Circulaire n° 98-108 du 1er Juillet 1998),
- Développer la responsabilité de l’élève face à sa santé (Socle commun, pilier 3),
- Transmettre les connaissances nécessaires pour éduquer l’élève à la santé, à la sexualité et
à la sécurité (Socle commun, pilier 6),
« Cette dernière est élaborée et diffusée par des formateurs qui non seulement reformulent,
interprètent ou concrétisent les injonctions officielles mais développent de surcroît un ensemble de
recommandations autonomes » (Daguzon & Goigoux, 2007, p.2).
30
41
- Faire acquérir à l'élève les attitudes telles que le respect de soi, des autres, de l'autre sexe,
de la vie privée mais aussi de la résolution pacifique des conflits (Socle commun, pilier 6),
- Développer les capacités de l’élève afin de l'amener à savoir reconnaître et nommer ses
émotions et porter secours ou bien encore avoir une bonne maîtrise de son corps (Socle commun,
pilier 7),
- Intéresser l’élève à l’hygiène et à la santé, notamment à la nutrition (Bulletin officiel hors
série n°1 du 19 Juin 2008 - Maternelle)
- Apprendre aux élèves à mieux se connaître, à mieux connaître les autres, mieux connaître
leur corps, éduquer à la sécurité et à la responsabilité, transmettre des valeurs morales et sociales
(respect de règles, respect de soi-même et d’autrui) (Bulletin officiel hors série n°1 du 19 Juin 2008 EPS)
- Familiariser les élèves avec une approche sensible de la nature, ils apprennent à être
responsables face à l’environnement, au monde vivant, à la santé. (Bulletin officiel hors série n°1 du
19 Juin 2008 - Sciences expérimentales et technologie)
1.1.1 Les conditions en matière d’éducation à la santé à l’école
Dans la circulaire de 1998 (Circulaire n° 98-237 du 24 Novembre 1998) il est précisé que les
questions d’éducation à la santé et à la citoyenneté peuvent être abordées par les enseignants, à
travers les enseignements, via l’ensemble des « activités éducatives ». Cette transmission de savoirs
et connaissances peut s’opérer dans l’organisation du « cadre de vie » de l’école et des « activités
éducatives », incluant la prévention. Il doit exister une pérennité et une progression dans les actions
mises en place, car il est mentionné que ces actions se déroulent tout au « long de la scolarité » et
présentent une progression.
Ces questions doivent faire l’objet d’une formalisation dans le « projet d’école ». La mise au
point de projets mobilisant les divers membres de la communauté éducative doit être faite en
respectant les compétences de chacun et la proximité des questions de santé avec l’intime de l’élève,
renforce la nécessaire association des « parents » aux actions. Les adultes au sens large et plus
particulièrement les enseignants doivent « associer au maximum l’élève » à la réflexion et prendre
part à l’élaboration des activités. Le travail autour de ces questions de santé et de citoyenneté ne
résulte pas uniquement de la transmission de savoirs et de connaissances.
Cela se traduit aussi à travers la dimension éducative de leur métier, à savoir lorsque les
adultes adoptent dans « l’exercice de leur autorité, des attitudes de respect, de dialogue à l’égard des
élèves, d’une prise de conscience de la valeur d’exemple » de leurs comportements. Si certains
enseignements contribuent directement au développement de l’éducation à la santé et à la
citoyenneté, pour autant quelle que soit la « matière, chaque enseignant contribue à l’éducation des
élèves ».
Mais plus généralement de nombreux enseignements, dont les programmes n’ont pas
directement traits à la santé, peuvent cependant permettre la mise en œuvre d’activités, d’exploiter
des situations, des textes ou des supports utiles à l’éducation à la santé. Par ailleurs, la contribution
des enseignants peut aussi se traduire par leur « association à la préparation des actions des services
de santé et sociaux » afin de rendre l’élève en mesure d’en comprendre le sens.
Enfin, trois axes sont mentionnés pour effectuer la liaison avec les partenaires : le
« diagnostic » à partir d’indicateurs, la « coordination » et le « suivi » des interventions des différents
partenaires, ainsi que la réalisation d’un bilan annuel des actions conduites dans le domaine de
l’éducation à la santé et à la citoyenneté.
D’autres conditions ont pu être identifiées afin de permettre aux enseignants d’atteindre les buts soustendant les tâches en éducation à la santé :
- Apprentissage des règles élémentaires de l’hygiène du corps, de sécurité personnelle et
collective (découverte du monde),
- Faire acquérir les notions liées aux caractéristiques du vivant comme la nutrition et
l’apprentissage de quelques règles d’hygiène et de sécurité personnelle et collective (découverte du
monde),
- Développer chez les élèves les prises de risques contrôlées (EPS)
42
- Aider l’élève à identifier les actions qui sont bénéfiques ou au contraire qui peuvent altérer
les comportements notamment dans le domaine du sport, de l’alimentation et du sommeil (Sciences
expérimentales et technologies).
Les tâches assignées aux enseignants irlandais du primaire
Les objectifs assignés à l’éducation à la santé
C’est le « National Council for Curriculum and Assessment» (NCCA, 1999), qui a eu pour mission de
redéfinir et d’évaluer les contenus en éducation à la santé à délivrer. L’ambition était de mieux prendre
en compte les besoins des enfants dans le monde moderne. La discipline scolaire, éducation à la
santé, intitulée Social Personal and Health Education, est l’un des six domaines d’enseignement avec
le langage, les mathématiques, l’environnement social et scientifique, l’éducation artistique ainsi que
l’éducation physique et l’éducation sociale (NCCA, 1999). La mise en place de la discipline SPHE
s’est traduite par un temps spécifique alloué dans la semaine (créneau horaire de 30 min), la
production d’une prescription détaillée (programmes d’enseignement), la réalisation de manuels
scolaires et de guides ressources destinés aux enseignants. A travers la discipline SPHE, l’enseignant
doit permettre le développement d’habiletés, de connaissances et d’attitudes chez l’élève qui lui
permettront de prendre des décisions personnelles, sociales ou bien encore liées à sa santé,
maintenant et dans le futur. De manière générale, l’objectif est d’aider l’enfant à se préparer en vue
d’une citoyenneté active et responsable. En outre, les professeurs disposent d’un ouvrage de
référence qui lui sert de guide pour enseigner le SPHE et des manuels scolaires ont été réalisés à
destination des élèves. Enfin, une personne ressource est nommée dans chaque école (comme c’est
du reste le cas pour chaque discipline scolaire).
Les buts relatifs aux taches en éducation à la santé
Parmi les buts qui sous-tendent les tâches en éducation à la santé, on distingue à travers l’analyse
des programmes d’enseignements :
- Permettre à l’enfant de se connaître, de développer des relations avec les autres et d’établir
des comportements en santé,
- Sensibiliser l’enfant aux questions de sécurité en veillant au respect de son corps,
- Permettre à l’élève de résister à l’influence des publicités, à la pression des pairs et aux
autres facteurs susceptibles d’interagir sur son style de vie,
- Sensibiliser l’élève aux notions de compréhension, d’empathie et de respect mutuel,
- Faire acquérir à l’élève les notions d’équité, de droits de l’homme et des devoirs, de justice et
de démocratie.
Les contenus des enseignements liés au SPHE se divisent en trois parties : « moi-même » (identité,
rapport au corps, croissance et développement, sécurité et protection), « moi et les autres » (familles,
amis et autres personnes) et « moi dans le monde en général » (citoyenneté, éducation aux médias et
protection de l’environnement).
Les conditions relatives aux tâches en éducation à la santé à l’école
La nature et la complexité propres aux questions d’éducation à la santé est telle que sa prise en
compte ne peut se réduire à son enseignement en classe. Ainsi, il est précisé que trois domaines sont
concernés. Le premier a trait au climat d’école, le second à l’intégration de ces questions dans les
différentes disciplines scolaires et le troisième correspond au temps spécifique alloué à
l’enseignement du SPHE.
En outre, des situations très concrètes et précises ont été définies à travers l’ensemble des ouvrages
à disposition afin d’atteindre les buts qui sous-tendent les tâches en éducation à la santé. La
particularité du manuel « Earth link » est d’offrir des situations d’enseignement permettant d’aborder
les notions du SPHE via l’intégration dans d’autres disciplines notamment celles du SESE telles que
les sciences, l’histoire et la géographie. Le second ouvrage, « Bi Follain », se distingue du précédent
43
dans son contenu, car des approches thématiques de la santé se rapportant au corps y figurent
contrairement au précédent. Les thématiques retenues dans ce second ouvrage sont la nutrition,
l’hygiène, la sécurité, le développement social et personnel, la sensibilisation à l’environnement, et les
médias. L’ouvrage « be safe » propose quant à lui permet d’aborder les questions de protection et de
sécurité de l’élève, dans les situations de danger liées au feu, à l’eau et au milieu routier. A travers le
manuel « resource materials for relationships and sexuality » (« ressources documentaires pour les
relations sociales et l’éducation à la sexualité »), les questions des relations amicales, affectives et
liées à l’éducation à la sexualité sont abordées. Il est destiné majoritairement aux grandes classes
(5th and 6th classe) qui correspondent à des enfants âgés de 10 à 12 ans. L’ouvrage « Walk tall »
(« marche la tête haute ») a été conçu afin de prévenir l’abus de consommation de produits
psychotropes. Des contenus adaptés sont proposés à chaque niveau de la scolarité depuis la
maternelle jusqu’à l’élémentaire. Le dernier ouvrage a trait au programme « stay safe program » et
concerne la prévention des abus sexuels et la maltraitance. Il s’agit d’un programme de
développement des compétences personnelles.
Conclusion
L’étude des prescriptions primaires en France et en Irlande nous a permis d’identifier les tâches
assignées aux enseignants du premier degré en éducation à la santé et d’interroger en quoi elles
seraient susceptibles de permettre l’émancipation des élèves. Cette partie sera développée au cours
de la communication. Les perspectives de ce travail se situent dans l’influence de la nature de la
prescription dans la redéfinition de la tâche des enseignants et du rôle des prescriptions secondaires.
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46
Le devoir-agir, un concept pour comprendre les
obstacles à l’émancipation en santé et éducation
Emmanuel TRIBY
Université de Strasbourg, LISEC (EA 2310)
Résumé : Dans le prolongement de recherches antérieures et dans le cadre de la thématique
générale du colloque, nous proposons d’approfondir le travail conceptuel autour du « devoir-agir ». En
effet, tentant de se tenir à distance de l’impératif éthique autant que des “nécessités“ économiques,
l’approche des activités humaines par le devoir-agir autorise à la fois la prise en compte des
« conceptualisations en actes » propres aux individus et les exigences du développement durable
dans lesquelles ces activités doivent finir par trouver leur usage.
L’approche de l’agir est aujourd’hui dominée par des conceptions pragmatiques fondées sur
un effort de formalisation susceptibles d’offrir le sentiment de maîtrise du réel. Ces conceptions ne
peuvent suffire pour comprendre les résistances des acteurs concernés, notamment les adolescents,
ainsi que les modalités de l’instrumentalisation des projets d’action éducatives par les partenaires
impliqués. De même, la perspective éducative suggère qu’il est décisif de pouvoir identifier l’ensemble
des éléments qui limitent plus ou mois drastiquement le pouvoir d’agir, en somme, les obstacles à
l’émancipation, conçus surtout comme les leviers possibles de l’agir.
Le cadre théorique de notre travail emprunte à la socio-économie de l’activité, mais également
aux apports de la didactique professionnelle. Croisant l’éducation à la santé et la formation des
professionnels du soin, ce cadre se nourrit des résultats à moyen terme - 3 ans - d’une rechercheintervention longue (5 ans), le projet ICAPS, et des premiers acquis d’une recherche et
développement auprès de cadres de santé engagés dans la réforme de la formation des soignants.
Mots-clés : activité, conceptualisation, pouvoir d’agir
Introduction
Dans cette contribution, nous tentons de faire avancer notre travail de conceptualisation du champ de
la santé et éducation dans une double perspective : croiser les questions d’éducation à la santé et les
questions liées à la formation des professionnels de la santé, d’une part, centrer l’analyse sur l’activité
des individus, son fonctionnement et ses issues, en somme son économie, d’autre part. La part des
résultats empiriques apparaîtra modeste, alors qu’en réalité, c’est l’importance de ces résultats (Simon
et alii, 2011 ; Triby, 2010) qui autorisent aujourd’hui ce travail plus résolument conceptuel, destiné
entre autres à réorienter les recherches de terrain.
Dans de précédentes contributions, nous avions travaillé sur le concept de « régime d’activités »31. Ce
dernier nous avait permis à la fois d’identifier les cohérences qui peuvent s’établir entre les différentes
activités d’une personne, particulièrement dans un projet d’action éducative, et de nommer ainsi « le
travail de la norme » à l’œuvre dans ces activités. Ce concept a rencontré un champ d’activation bien
adapté à l’occasion du bilan du projet ICAPS32, mais trouve ses limites lorsqu’il s’agit de comprendre
les résistances à l’action éducative. Ces limites deviennent encore plus sensibles quand il s’agit de
comprendre les freins apparaissant notamment dans la mise en œuvre d’une réforme de la formation
des soignants. Dans la perspective exposée plus haut, il est indispensable de construire une théorie
de l’activité dans le champ de la santé qui intègre le jeu des contraintes et le jeu avec les contraintes
qui impliquent les acteurs concernés. Le concept de devoir-agir » pourrait y concourir.
31
Notamment, dans un article à paraître dans un ouvrage collectif coordonné par Klein, Paraire et Simar aux
éditions De Boeck : l’éducation à la santé aux prises avec le régime d’activités ; et également Triby, 2010.
32
Pour la présentation, l’analyse et les perspectives d’action en économie et santé, à partir du projet ICAPS, se
reporter à Rostan, Simon et Ullmer, 2011.
47
Démarche d’investigation
Pour comprendre les origines de cette réflexion et ses orientations, il convient de rappeler
succinctement les différents projets de recherche réalisés dans le champ de la santé et de l’éducation
à la santé, et surtout l’évolution des objets de recherche auxquels ils correspondent. Deux phases
assez distinctes sont à repérer.
Phase 1. Le développement de l’éducation et santé
Une première phase de notre travail de recherche dans ce champ concerne spécifiquement
l’éducation à la santé. Elle a été marquée par la participation à trois projets d’éducation et santé, dont
le projet ICAPS qui nous a occupé réellement durant six années. Dans ces projets, notre point de vue
était celui de l’évaluation des dispositifs existants ou des effets d’une action particulière, mais
également d’une fonction de conseil et d’intervention active dans une démarche qui, pour une part,
s’apparentait à une recherche-action.
De ces projets, nous tirons différents types de matériaux mobilisés aujourd’hui pour nourrir et fonder
cette contribution
- des données quantitatives descriptives de dispositifs d’éducation à la santé, en milieu scolaire
ou en lien avec ce milieu, soit institutionnels (donc proprement scolaires), soit expérimentaux,
relevant alors d’une démarche d’expérimentation scientifiquement menée ;
- des données épidémiologiques issus d’un recueil systématique avant, pendant et au terme
d’une longue expérimentation « en vraie grandeur », le projet ICAPS ; le fait d’avoir pu
combiner l’expérimentation et la recherche-action a littéralement multiplié les résultats
aujourd’hui disponibles (Simon et alii, 2011)
- des résultats plus qualitatifs concernant la compréhension des représentations et des modes
d’implication des acteurs de ces projets, et également les configurations d’acteurs à construire
et mobiliser dans des projets d’éducation à la santé. Ces résultats qualitatifs sont
nécessairement influencés par le regard disciplinaire porté, à savoir la socio-économie de
l’activité.
Phase 2. De l’éducation à la santé à la formation des professionnels de santé
Une seconde période de recherche est centrée davantage sur la formation des professionnels de la
santé. L’éducation à la santé y devient un savoir professionnel, à la fois champ de connaissances et
champ d’intervention pour des professionnels des soins infirmiers ou des soins d’urgence. Cependant,
ce glissement ne nous paraît pas le plus décisif ; ce qui importe surtout est qu’avec recherches plus
récentes, l’activité devient forcément centrale puisqu’il s’agit de comprendre comment les
professionnels intègrent les changements économiques et institutionnels en cours dans leur activité
professionnelle.
Cette centration sur l’activité est directement imputable à l’objet de la recherche et aux appuis
méthodologiques mis en œuvre. En effet, il s’agit essentiellement d’un travail d’accompagnement
collectif d’une démarche de validation de son expérience par des cadres de santé formateurs en
Instituts de formation en Soins Infirmiers (IFSI). Le matériau que nous en tirons pour l’instant est
essentiellement un vaste corpus de dossiers de recevabilité et de validation en cours de construction,
ainsi que les traces des séminaires praticiens – chercheurs mis en place à cette occasion, dans le
double objectif de soutenir le travail individuel sur son expérience et ouvrir d’autres perspectives sur la
professionnalité de ces acteurs.
Par ailleurs, le suivi de deux médecins dans leur travail de thèse nous permet d’enrichir ce regard sur
les instruments de la formation des professionnels : le raisonnement clinique et la simulation. Dans
ces travaux, la didactique professionnelle sert de support principal à l’analyse de ce qui se joue entre
formation et activité.
Le croisement des deux champs d’activité s’est imposé, dés lors que les changements dans la
formation des professionnels ont mentionné spécifiquement l’éducation à la santé parmi les
compétences à acquérir, mais surtout lorsqu’il fût avéré que les changements en cours à l’hôpital
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mettaient en œuvre les mêmes tensions entre la prescription et le réel, entre le formateur et
l’apprenant, entre les règles émergentes dans l’institution, l’école comme l’hôpital, et les valeurs qui
soutiennent l’engagement dans l’activité des personnes, que ce soient des jeunes ou des adultes « en
éducation à la santé », ou des professionnels, soignants et médecins, en formation.
Contextualisation : quelques phénomènes liés
Le devoir-agir est une notion complexe. Pour tenter de l’éclairer, il convient de distinguer les éléments
du contexte social et historique dans lequel elle se construit et vient prendre ses appuis, d’une part, et
de repérer ses différentes composantes ou dimensions, d’autre part.
Sans viser la totale exhaustivité, ni un classement par ordre d’importance, il est possible de relever
d’abord le recul d’une morale collective combinée à la montée en puissance de l’économie ; ce double
mouvement touche directement ce qui fait lien, lien social, relations organiques et fonctionnelles entre
les individus. De ce fait, un fondement traditionnel du devoir-agir s’en trouve affaibli au profit d’un
nouveau, les contraintes économiques. Ou plutôt, le poids des contraintes économiques subit surtout
une réactualisation et une nouvelle modalité d’urgence dans l’agir contemporain (Laval, 2007) ; une
prégnance telle que l’économique tend à fonctionner comme une morale, comme un système de
légitimation.
La montée en puissance de l’objectivité scientifique dans la culture contemporaine (Daston et Galison,
2012) pourrait constituer un autre élément de contexte. La compréhension du devoir-agir est
inséparable d’une réflexion sur la subjectivité contemporaine, et donc bien sûr de son pendant, non
symétrique mais dialectiquement lié, l’objectivité (comme le jour et la nuit33). L’histoire de l’objectivité
montre une évolution en « trois épisodes » qui ne s’excluent pas mais se cumulent et s’entrecroisent :
« la vérité d’après nature, l’objectivité mécanique, l’œil exercé ». La vérité d’après nature culmine au
XVII et XVIIIème siècles avec des savants comme Linné, Buffon, Albinus34…., quand « l’histoire
naturelle » de la science dominante rejoint la « leçon de choses » de nos écoles primaires ferrystes.
L’objectivité mécaniste est de son côté, contemporaine de la naissance et du développement de la
photographie : l’instrument ouvre le regard à une réalité non directement visible et pourtant
littéralement concevable.. « L’œil exercé » est, enfin, contemporain de la « société pédagogique »,
mais aussi de cette sorte culture identifié par ce courant d’analyse critique Science Technique
Société, qui a largement concouru à faire comprendre comment la science pouvait se constituer en
idéologie lorsqu’elle s’insère aussi étroitement dans nos existences et la communication sociale (LévyLeblond, Jurdant…). Symptomatiques de ce changement, les nanotechnologies réalisent un pas
décisif pour entrecroiser définitivement la science et ses « applications » ; l’ingénierie en est
l’avènement, quand la représentation conception est faite pour faire avancer la pensée.
Dialectiquement articulée au précédent, la valeur de subjectivité constitue un autre élément de
contextualisation du devoir-agir contemporain. Que cette valorisation prenne la forme de la
subjectivisation, dans les orientations du management d’aujourd’hui, ou de la répression de la
subjectivité, dans une perspective critique, ce sont là les deux faces d’un même phénomène : la
naissance de l’individu moderne dans la « gouvernementalité » propre au système économique actuel
(Foucault, 2009). Deux faces que l’on peut d’autant moins séparer qu’elles correspondent à la
« double vérité du travail » telle que nommée par Bourdieu (1996). Saurait-il y avoir une éducation à la
santé si les activités humaines, même hors du travail, ne comportaient pas à la fois une perspective
de développement et d’émancipation, et un versant de contrainte et de limitation plus ou moins
radicale ? Ces deux dimensions doivent fonctionner simultanément pour produire du changement.
La reconnaissance des savoirs d’expérience comme pouvant dialoguer avec les savoirs savants
constitue certainement un contexte propre à influencer la constitution du devoir-agir contemporain.
Cette question recouvre trois phénomènes emboîtés : l’élaboration de dispositifs tendant à accorder
une valeur à l’expérience (comme la VAE en France) ; l’émergence de nouvelles modalités d’exercice
33
Pour dépasser la métaphore en la matière, on se reportera à l’ouvrage de Dominique Lecourt : Bachelard, ou le
jour et la nuit. Un essai de matérialisme dialectique, paru et réédité aux éditions Grasset.
34
Carl von Linné (1707-1778), naturaliste suédois, fondateur de la systématique moderne ; Gerges-Louis Leclerc,
Comte de Buffon (1707-1788) naturaliste, mathématicien, biologiste) ; Bernhard Albinus (et ses types de
squelettes), professeur d’anatomie à Leyde (1653-1721,)
49
de la démocratie, entre controverses et mises en débat public, plus ou moins médiatisé ; l’émergence
d’un besoin de reconnaissance, une « quête » sociale tendant à s’emparer de chacun. Ce triple
changement est indissociable de l’actualité d’une philosophie empirique inspirée par John Dewey,
notamment (Fabre, 2009) autant que de la montée en puissance du modèle de « l’économie de la
connaissance » depuis la fin du siècle dernier.
Les composantes d’une notion complexe
Nous proposons cette notion de devoir-agir, non pour compléter ou compliquer le triptyque de G. Le
Boterf, mais au contraire, pour le mettre en question. Le Boterf distingue, en les articulant étroitement :
le vouloir-agir, le pouvoir-agir, le savoir-agir (Le Boterf, 1999). Le devoir-agir n’est pas vraiment le
nouvel angle d’un triangle devenu carré. Il constituerait plutôt comme une 4ème dimension par rapport
à laquelle les trois autres doivent se situer.
Afin d’éviter quelques confusions, il convient d’affirmer nettement que le devoir-agir, c’est d’abord une
manière de maintenir à distance deux conceptions du devoir, particulièrement prégnantes et pourtant
très distinctes de ce que nous voudrions avancer :
- la morale en ce qu’elle est porteuse d’un discours qui tout au plus se discute pour en définir
l’opportunité au sens strict, mais qui, notamment en matière de santé, risque toujours de se
perdre dans un discours totalisant que l’idée même d’universalité, bien comprise, rend
proprement impossible (Grandjean, 2009)
- le réalisme économique ou le « respect des contraintes » et des exigences du calcul
économique rationnel. Nous ne sommes pas loin de ce réalisme quand il est écrit à propos de
la « promotion de la santé » dans un document à visée de vulgarisation : « il est important de
noter que certains déterminants échappent au contrôle de l’individu. Il s’agit des conditions
sociales, économiques et environnementales, ainsi que de l’offre des services de santé »
(Rostan, Simon, Ullmer, 2011, p.143). À juste titre, il est question de contrôle de soi, mais seul
l’assomption de « lois économiques et sociales » peut laisser penser que des conditions
s’imposent à l’individu.
Le “devoir” contemporain, tel qu’il s’inscrit aujourd’hui dans l’agir, recouvre quatre éléments distincts
mais très entremêlés.
L’obligation réglementaire. Celle-ci est à rapporter à la contrainte qui est de l’ordre économique, qui en
fait désigne, pour une large part, l’économie même ; la contrainte réglementaire est d’un autre ordre
mais elle est une manière de traduction de la contrainte économique. Cette obligation est de nature
strictement juridique ou simplement de l’ordre des références écrites pour contrôler, organiser,
éventuellement sanctionner. C’est assez typiquement le cas des « démarches qualité ». Rattachée au
champ professionnel, cette obligation a quelque chose à voir avec la déontologie dans l’ordre
professionnel mais elle ne s’y épuise pas puisqu’il y a des règles (écrites) auxquelles le professionnel
doit se soumettre (c’est bien le cas de le dire). Elle est en phase, sans s’y assimiler, avec les
obligations du fonctionnaire par exemple, même si ces obligations sont pourtant d’une autre nature,
mélange de règles écrites et de pratiques postulées, évoluant avec les transformations de la figure de
l’Etat et les avatars de la gouvernance actuelle. En somme, l’obligation réglementaire au sens large
est pour nous une formalisation des contraintes économiques.
Ce devoir-agir est à la fois une possibilité, une autorisation, un accès, une perspective d’intégration ou
d’adhésion, et une contrainte, une limitation, source d’usure et de démobilisation. Ceci permet
d’insister dès à présent à la fois sur la forte ambivalence que comporte le devoir-agir, ainsi que sur sa
forte composante épistémique et cognitive. Il y a des textes derrière ce qui détermine notre agir, des
textes qui mettent en forme le réel et concourt à lui donner un sens ; ils constituent donc bien un
savoir. Ces textes doivent être sus et appropriés, ils composent ainsi avec nos manières d’agir notre
rapport au réel et notamment au travail.
Les normes. Les normes sont autant celles d’un individu ou d’un groupe, groupe restreint ou groupe
social, que des normes sociales, plus larges, plus diffuses, et surtout plus constitutives, fondatrices.
Leur domaine est immense, nous ne relevons ici que ce qui nous occupe, les aspects plutôt cognitifs
et épistémiques. Dans cette perspective, nous pouvons avancer que le savoir professionnel est bien
de cet ordre normatif. Ce savoir est élaboré et transmis dans des dispositifs réservés à cet usage :
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c’est un patrimoine. En la matière, deux éléments distincts doivent être relevés : les savoirs pratiques
accumulés et les savoirs professionnels institués. Le dualisme du savoir professionnel est à relever
pour comprendre comment il se situe et fonctionne dans la formation. Ce savoir entre en interaction
avec les savoirs pratiques générateurs de routines, protectrices, rassurantes, mais également
d’évènements déstabilisateurs, perturbants. C’est au cœur même de cette confrontation entre les
normes du savoir professionnel et les bricolages des savoirs pratiques que, à notre sens, le devoiragir se constitue et s’exerce en formation, i.e. en éducation comme dans la formation professionnelle.
Les valeurs. Ou plus précisément les comportements, attitudes, pratiques, inspirés par des valeurs.
Les valeurs, forcément « en débat », recouvrent deux thématiques : la responsabilité, telle que
l’envisage Jorro notamment (2009), s’inspirant de Ricœur, et celle de ce que l’on doit appeler des
valeurs en actes. La responsabilité place le collectif humain au départ de l’action individuelle ; et celleci est à placer au-delà même du groupe, professionnel ou social. Dans une société de « droits »
marquée notamment par l’exigence d’équité, c’est cette tension entre le collectif et le social, dans leur
devenir respectif et leurs interactions, qui définit le champ des valeurs.
En nous appuyant notamment sur Jorro (ibid.), trois questions seraient à travailler dans ce domaine
des valeurs :
- la légitimité elle-même liée à la question de la crédibilité ; la légitimité est un crédit posé ou offert
dans la perspective d’une potentialité de l’agir.
- l’identité elle-même liée à la question du langage ; une pertinence est à trouver, pour soi et pour les
autres. « Etre à la hauteur », « se mesurer » sont des visées concernées par l’identité ; elles ne
comportent pas forcément de dimension quantitative pour autant ; ce qui compte, c’est la position que
pourra occuper le sujet dans l’interaction avec les autres.
- l’axiologie proprement dite, i.e. les principes mobilisés dans l’action, l’action située. Ces valeurs en
actes sont une manière d’instaurer de la cohérence afin de parvenir à une action juste,
Ces trois dimensions de la problématique des valeurs ne constituent pas seulement les conditions de
l’affirmation d’un être, d’une existence dans un milieu donné ; elles sont les conditions de l’efficacité
même de l’activité. Elles n’existent pas a priori, elles se construisent ; elles dépendent ainsi d’un
processus d’appropriation par la personne. Dans le champ de la formation ou du travail, on parlera à
ce propos de « renormalisation » (Schwartz) ou du « métier entré dans l’individu » (Clot). Cela
s’applique tout aussi bien aux activités quotidiennes.
Le besoin de reconnaissance. La reconnaissance n’est pas (seulement) un désir, une inspiration ou
une « quête », elle est un besoin, donc une nécessité pour le sujet, une nécessité sociale, collective.
Comme toutes les activités sociales, mais sans doute avec une prégnance augmentée, l’activité de
travail comporte un besoin de reconnaissance (Dejours, 2003 ; Baron, 2009). Cela ne signifie pas
seulement que l’individu attend de l’organisation ou de la société une contrepartie à cet effort ; cela
signifie aussi que l’individu fait porter son effort sur un désir de « bien faire », de réaliser un service de
qualité. En ce sens, la qualité visée aujourd’hui dans toutes les activités productives, marchandes ou
non, ne peut des restreindre à des règles d’effectuation et de conformité, ce à quoi elle se réduit
souvent ; elle relève alors des contraintes réglementaires (non juridiques) relevées plus haut.
Cependant, si la reconnaissance est un besoin, cela implique que, dans l’activité même, quelque
chose tient ensemble l’individu et son travail, la personne et l’organisation qui rend possible cette
activité. Cela implique également que le sens de l’activité n’est ni un donné préalable, ni la charge de
l’un ou de l’autre des parties prenantes de l’activité, mais quelque chose qui se construit à travers les
dispositions à agir, les signes et les ressources que chacune est susceptible d’apporter. Ajoutons que,
dans cette perspective, le besoin de reconnaissance ne peut plus se résoudre ni dans une simple
rétribution, de nature forcément diverse, ni dans un temps particulier, l’évaluation ou le contrôle,
notamment ; elle est simultanément l’agir et sa contrepartie, et exige de s’inscrire dans un processus
continu, comportant sans doute quelques moments-clés (Pierre et Jouvenot, 2007), En somme, la
reconnaissance au travail git dans la valeur que l’individu est susceptible de produire et la valeur que
l’organisation ou la société est prête à donner à cette production.
Le besoin de reconnaissance interroge les autres composantes du devoir-agir. D’abord, si ce besoin
nous parle de la qualité du travail, dans le travail, ce n’est pas en référence à des consignes et des
règlements issus d’une « démarche qualité » mais à la qualité substantielle ; non pas objectivisée par
des critères et des normes qualité, mais objective. Le besoin de reconnaissance renvoie bien sûr à
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des normes, professionnelles ou sociales, mais comme des références ou des inscriptions historiques
plus ou moins lointaines, mais une ressource dans l’activité, matériau et dynamique à la fois. De plus,
les valeurs sont bien évidemment en jeu dans ce processus, c’est dans les rapports qu’elles sont
susceptibles d’entretenir avec la valeur. Enfin, elle ne prend toute sa portée que rapportée à
l’individu ; mais non pas l’individu et sa subjectivité, le travailleur et sa subjectivisation, au contraire,
l’individu en quelque sorte objectif, constitutif de son activité.
Devoir-agir en éducation à la santé et formation professionnelle des
soignants : convergences
Afin de conforter notre analyse et aussi sans doute de la mettre à l’épreuve, nous présentons deux
extraits de deux dossiers VAE en cours de construction
Le contexte dans lequel se situent ces deux situations est identique : les changements en cours à
l’hôpital et dans la formation des soignants. Il s’agit effectivement d’un mouvement conjoint : on ne
peut comprendre le sens et la portée du « Nouveau Référentiel de Formation » des soignants si on ne
le situe pas parmi les changements qui affectent le fonctionnement hospitalier. Un double processus
de rationalisation est à l’œuvre, à l’hôpital et dans la formation ; ce processus vise principalement la
mise en œuvre d’un degré supérieur de normalisation de l’activité, l’activité prescrite, les tâches,
autant que l’activité réelle des soignants par la formation. C’est cela l’essentiel : pousser la
prescription jusqu’au cœur de l’activité par la formation fondée sur les compétences et surtout de
nouvelles modalités d’évaluation.
Extrait n°1. « Aujourd’hui, la nécessité de rationaliser les coûts, la réalisation des démarches qualité et
l’aspect « gestion » dans tous les domaines sanitaires, ne permettent pas toujours aux infirmiers
d’investir pleinement leur rôle propre en prenant en compte le sujet dans sa globalité toutes structures
confondues »
La situation décrite ici relève d’un constat assez généralement formulée dans la profession depuis que
l’hôpital est entré dans une nouvelle logique budgétaire et financière. Cet extrait nous paraît situer
assez clairement la problématique centrale de l’activité soignante aujourd’hui entre l’émergence de
contraintes réglementaires de plus en plus denses et sophistiquées, d’un côté, et la place
problématique des valeurs professionnelles autant que des normes issues de la formation, de l’autre.
Or cette problématique se retrouve dans le champ de l’éducation à la santé, même si les acteurs sont
différents. Dans ce domaine, les règles issues d’une politique volontariste des dépenses de santé
entrent en conflit avec les normes que développent l’organisation et l’instrumentation du mode de vie
des personnes. A ce propos, on pourra relever que ce rapprochement signale que l’opposition ne
s’établit pas forcément entre des contraintes matérielles (jugées) forcément pitoyables et des normes
sociales (jugées) nécessairement justes. Elle met plutôt en rapport deux modes d’organisation de
l’activité, deux économies dont il faut percevoir les « fonctionnalités » respectives.
Extrait n°2. « L’analyse de la mission 2 s’attache à mettre en évidence ces points de tension (dans la
formation en situation professionnelle) tout en dégageant les enseignements suivants :
- (…) l’enjeu de la réforme des études en Soins Infirmiers, consistant à déplacer le cœur de la
formation vers les services hospitaliers (apprendre des compétences et moins des savoirs), est
générateur d’inquiétudes pour des professionnels non formés aux nouvelles modalités pédagogiques
d’apprentissage en stage.
- l’ancrage méthodologique envisageant l’apprentissage des compétences, par des situations et
l’analyse de celles-ci pose des difficultés aux professionnels non formés au tutorat, qui
« s’accrochent » au modèle behaviouriste antérieur. La métacognition constitue donc un axe fort de
formation pour les futurs tuteurs.
- être professionnel compétent ne signifie pas forcément être bon pédagogue…La difficile déclinaison
de ce nouveau programme sur le terrain en est la preuve (…) »
Les « points de tension » dont il est question ici s’inscrivent clairement dans l’évolution du devoir-agir
soignant, notamment lorsqu’il est conçu et mis en œuvre dans leur formation. Ils concernent
notamment : le déplacement des normes professionnelles des IFSI vers les services hospitaliers,
inversant le rapport entre les fonctions de service et les fonctions formatives des soignants dans les
services, tant au niveau des fonctions elles-mêmes que des savoirs et des savoir-faire mobilisés pour
52
les remplir. Les savoirs de référence, véritables matrices du « genre » des activités, viennent à être
partagés autrement entre les deux principaux acteurs de la formation des soignants : les cadres
formateurs et les tuteurs. Avec la primauté de la situation et la place concomitante de la mise en
situation pour la formation, l’approche par les compétences déplace le centre de gravité du devoiragir : les règles pesant sur l’activité et les normes de l’organisation fabricant ces situations prévalent
sur les normes professionnelles et les valeurs. En outre, ce qui faisait le cœur de la reconnaissance
des soignants, la capacité de produire un service et d’en transmettre les savoir-faire, est aujourd’hui
mis en question.
Il est possible de rapporter ces « points de tension » dans le champ de l’éducation à la santé. Le
repositionnement des savoirs de référence par rapport à l’activité qui les mobilise et leur donne un
sens et une valeur. L’importance prise par les situations traversées par les personnes, par les jeunes
notamment, en rapport aux exigences sociales de santé et de pérennité. Des comportements en
quelque sorte conditionnés mais la capacité de se regarder en train d’agir (la « métacognition »). Le
dualisme inhérent aux pratiques de référence des adultes, entre le dire et l’agir, le discours de
l’enseignement et le faire adulte, bricolage et opportunisme mêlés.
Le management de l’existence, dans et hors du travail
L’approche de l’activité et du travail par le devoir-agir vise également à instruire la critique du discours
managérial, plus ou moins conceptualisé par les sciences de la gestion. L’agir y est assez
systématiquement rapporté à la capacité de l’individu à se défaire de ce qui le contraindrait afin de
retrouver la piste de la réalisation de son être. Un ouvrage récent l’exprime avec une belle ingénuité :
« se déployer professionnellement amène à s’affranchir de ce qui nous entrave, y compris sur le plan
de l’héritage familial, afin de nous positionner autrement dans le présent et d’envisager de nouvelles
pistes pour l’avenir, plus libres, plus significatives, plus ajustées à ce que nous sommes en réalité. »
(Allais et Goutman, 2012 : 7).
Deux orientations conjointes sont identifiables et formulées presque au premier degré dans l’extrait cidessous, alors même qu’elle engage la personne dans un mouvement d’individuation assez radical :
- se défaire, littéralement, de ses appartenances, particulièrement celles qui s’inscrivent dans la
trajectoire proprement historique du sujet ;
- s’engager dans la construction d’un être d’autant plus plausible qu’il est, en quelque sorte,
déjà là.
L’inspiration apparemment philosophique ne doit pas troubler ici. Il s’agit d’un procédé assez facile de
décontextualisation permettant d’isoler l’individu du milieu dans lequel il vit et travaille, ce milieu qui
justement est au cœur de son devoir-agir.
Rappelons à ce propos que lorsqu’il est question de contraintes, l’économique n’est jamais loin ; non
pas en tant que tel – toute contrainte ne fait pas l’économique – mais en référence à un principe
d’efficience particulier. Et le discours qui entoure et formalise ce principe d’action s’articule étroitement
aux « nécessités du changement » que les crises structurelles de notre système productif nous
obligent à intégrer dans notre univers cognitif et social. Il y a une « pédagogie de la crise »,
notamment à partir des années 1970, qui tend à installer un certain nombre d’évidences nouvelles
dont le management moderne va largement s’inspirer tout en continuant à les confortant voire à les
alimenter.
Cette approche managériale contemporaine doit être d’autant plus analysée qu’elle puise aux mêmes
idéaux que maints discours de la prévention, et que, en retour, sous prétexte de rationalité et
d’autonomie des acteurs (Laval, 2007), elle tend à imprégner les conceptions de l’action en matière de
santé. La problématisation autant que la conceptualisation en matière de santé et plus encore
d’éducation à la santé doivent tenir le plus grand compte de ces conceptions.
Perspectives : régime d’activités et devoir-agir
Afin de clore provisoirement cette contribution, il convient de la réinscrire dans le travail théorique
développé précédemment (Triby, à paraître). Il sera alors possible de peser les acquis de ce travail et
d’identifier des projets à venir.
53
Osons l’affirmer : avec le régime d’activités, concept clé de notre contribution précédente (non encore
éditée), on n’est déjà pas loin du devoir-agir. Ce dernier intègre nécessairement ce que désigne un
« régime d’activités » : interdépendance entre différentes activités (Curie, 2002), principes directeurs
communs, cohérence dépendante du contexte, inscription dans une trajectoire sociale et historique.
Cependant, il ajoute les éléments suivants :
- l’intentionnalité (cf. Maggi, 2011) qui, elle-même, s’inscrit dans un rapport à la responsabilité
ainsi que dans la capacité de mettre en projet une « dynamique identitaire » (Kaddouri, 2011),
et ainsi résister à un régime d’activités plutôt dépendant ou contraint ;
- le rapport subjectif – objectif, et la primauté du travail du subjectif pour contenir voire intégrer
le devoir-agir objectivement identifiable ;
- le lien entre l’individuel et le collectif, et le point de vue individuel impliqué dans l’activité. Entre
la « société pédagogique » conçue comme « projet politique de gestion sociale » (Beillerot,
1982, p.10) et « l’obligation partagée de formation » (Tarby,1998, p.163-164), se déclinent
toutes les combinaisons de l’individuel et du collectif. Cela doit nous rappeler qu’en matière de
santé comme d’éducation, le processus d’individuation reste profondément limité ; dans ces
matières, le réel est immédiatement collectif, social.
Nous sommes bien conscients de l’état encore exploratoire de cette contribution, mais il nous paraît
suffisamment avancé pour le présenter à la discussion et la critique dans le cadre d’un symposium
scientifique.
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