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Les mouvements politiques de gauche en Amérique latine
Thomas Chiasson-Lebel
Détenteur d’une maîtrise en sociologie à l’UQÀM et membre du conseil
d’administration d’Alternatives.
Intervention le 12 juin 2009 dans le cadre du Séminaire du CISO (Centre
international de solidarité ouvrière) sur « Les mouvements de gauche en
Amérique latine. »
Étude de cas sur le Venezuela effectuée par Thomas Chiasson-Lebel
Relations entre les syndicats et l’État dans ses processus de transformations
sociales
Au Venezuela, il existe une situation de tension causée d’une part par la volonté
d’indépendance des organisations ouvrières et par la transformation sociale
proposée par le régime d’Hugo Chávez. Cela n’exclut pas le fait qu’un bon nombre
de travailleurs et de travailleuses au sein d’organisations ouvrières appuient le
gouvernement de Chávez.
Avènement de Chávez au pouvoir et transformations sociales et institutionnelles au
Venezuela.
La production de pétrole revêt une importance majeure dans l’économie
vénézuélienne. Dans les années 60 et 70, les revenus liés à la production de l’or noir
et l’application de mesures de redistribution sociale-démocrate ont permis de
développer une démocratie relativement stable. Cette stabilité a fait naître l’espoir
que les conditions de vie de la population s’amélioreraient. Cependant, au tournant
des années 80 (1983), une grave crise économique ébranle le pays, entraînant une
partie de la population dans un état d’appauvrissement important. Les
gouvernements ont tenté en vain de mettre en place des plans de relance
économique pour faire taire la grogne de la population. Toutefois, en 1989, des
émeutes importantes finissent par éclater à Caracas après que le gouvernement de
Carlos Andrés Perez ait tenté d’appliquer une politique de redressement économique
fortement inspirée des mesures dictées par le FMI. Les émeutes se sont terminées
dans un bain de sang. La crise économique s’est mutée en crise politique, et on a
assisté à l’effondrement du bipartisme qui caractérisait le paysage politique
vénézuélien depuis 1958.
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Suite à l’affaiblissement des deux partis qui dominaient la scène politique, de
nouvelles coalitions se sont formées. Hugo Chávez a pris les rênes du pouvoir en
1999, après avoir participé à une tentative de coup d’État pour renverser le régime
de Carlos Andrés Pérez en 1992. On assiste alors à une transformation
institutionnelle avec l’adoption par référendum d’une nouvelle constitution
bolivarienne, somme toute assez progressiste en matière de reconnaissance des
droits de l’homme. Cette transformation institutionnelle n’est pas née d’un discours
révolutionnaire. Si Chávez est aujourd’hui reconnu pour son discours agitateur, il
n’en a pas toujours été ainsi. Sa prise de position anti-impérialiste et la promotion
qu’il fait de la révolution socialiste sont relativement récentes. Avant 2004, il appelait
surtout à une transformation générale des structures sociales et politiques. Son appel
à la libération du peuple pauvre doit être entendu non seulement comme un appel à
la libération des travailleurs syndiqués, mais également à la libération des 5.6
millions de personnes qui travaillent dans le secteur informel et dont la situation est
particulièrement précaire.
Bien qu’elle soit progressiste à plusieurs égards, certaines dispositions de la nouvelle
constitution ont été vertement critiquées. C’est le cas des articles 95 à 97 qui
concernent la liberté syndicale et qui imposent l’alternance des membres, des
représentants et des directions syndicales par le biais d’un suffrage universel. L’OIT
n’a pas manqué de dénoncer cette ingérence de l’État dans l’action syndicale. Le
gouvernement de Chávez a introduit cette disposition afin de tenter d’éradiquer la
corruption au sein de la CTV, car depuis 1958, la seule grande centrale syndicale
existante, la Confédération des travailleurs vénézuéliens (CTV), entretenait des liens
très étroits avec les principaux partis politiques, notamment avec le parti de l’Action
Démocratique (AD), responsable des émeutes sanglantes de 1989. Selon Chávez,
cette proximité entre l’AD et la CTV témoignait de l’implication de certains dirigeants
syndicaux dans le pillage du peuple.
Le gouvernement de Chávez n’est pas le seul à avoir tenté de mettre un terme à la
corruption au sein du mouvement syndical. Depuis le milieu des années 80 déjà, des
groupes comme la Causa R tentaient de regagner une certaine autonomie syndicale
à la base.
Grâce à ces nouvelles dispositions, Chávez a pu changer la direction de l’entreprise
pétrolière nationale. Les négociations entre les dirigeants de l’entreprise et le
syndicat (dirigé par Carlos Ortega) ont été très laborieuses puisque la CTV, proche
des anciens partis, rejetait le nouveau pouvoir établi. Les négociations se sont
soldées par une grève qui a donné gain de cause aux travailleurs.
En 2000, pour mettre un terme à la corruption des syndicats, Chávez lance un
référendum visant à suspendre les pouvoirs de la direction syndicale et ainsi
permettre au pouvoir électoral fédéral (indépendant) d’organiser une nouvelle
élection. Ce référendum a permis d’instaurer un débat au sein de la société
vénézuélienne, car de nombreux travailleurs au sein des organisations syndicales
soutenaient l’effort visant à remplacer les chefs syndicaux corrompus proches des
anciens partis politiques (AD). Le référendum a été victorieux, et de nouvelles
élections syndicales ont été organisées. Ces élections ont été favorables aux
dirigeants anti-chavistes de Carlos Ortega, proches des anciens partis politiques. 4
grèves générales ont alors été déclenchées afin de tenter de renverser le
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gouvernement de Chávez. Une de ces grèves a mené à la tentative de coup d’État
d’avril 2002. La situation était des plus exceptionnelles, car dans sa quête
d’indépendance, la CTV en est venue à s’allier à la Fedecamara, l’équivalent du
Conseil du patronat du Québec et à provoquer le coup d’État. Chávez a été écarté
du pouvoir pendant deux jours, mais a rapidement pu recouvrer ses fonctions grâce
à l’appui de l’armée et l’appui populaire.
Un appel lancé par l’opposition incitant les travailleurs de l’industrie pétrolière à faire
la grève a eu des répercussions désastreuses sur l’économie vénézuélienne et a
créé des tensions entre une partie des dirigeants militaires désireux de renverser le
gouvernement, la Fedecamara, favorable au bocage pétrolier et la centrale
syndicale. Une mobilisation populaire a permis de reprendre le contrôle de
l’entreprise pétrolière, non sans heurts : en représailles aux grévistes, 18 000
travailleurs de l’entreprise pétrolière ont été mis à pied. En 2003, toutes ces tensions
mènent à la scission de la CTV et à la formation de l’Union nationale des travailleurs.
L’UNT est cependant le théâtre des mêmes querelles intestines. Certaines
organisations veulent maintenir leur indépendance pendant que d’autres sont
désireuses de se rapprocher du gouvernement de manière à l’appuyer en cas de
tentative de coup d’État. 2005 marque le début des réformes socialistes, et avec
elles, les tentatives d’organiser des entreprises sur la base d’un contrôle ouvrier. On
assiste à la création de coopératives et à la récupération d’entreprises qui avaient
fermé leurs portes. Certaines entreprises sont rachetées par l’État et une cogestion
se développe entre l’État et les travailleurs. Des mesures incitatives sont mises en
place pour inciter les patrons à appliquer ces processus de cogestion en échange de
subventions.
Il y a un potentiel de contrôle ouvrier au sein des industries, mais les tensions
subsistent au sein des syndicats parce que certains pensent que la cogestion profite
à l’entreprise au sein de laquelle le syndicat ne jouit d’aucun pouvoir décisionnel. Les
syndicats s’inquiètent également du fait que les petites coopératives contribuent au
nivellement des conditions de travail vers le bas. En 2007, d’autres tensions
émergent lors d’une nouvelle tentative de réforme de la constitution dans laquelle il
était question de créer des Conseils ouvriers dont le rôle était mal défini. Certains se
sont demandé s’ils visaient à détourner l’indépendance des organisations syndicales.
Enfin, en 2008, la tension s’est manifestée avec la formation d’une nouvelle centrale
syndicale, la confédération socialiste des travailleurs (CST), qui dit vouloir défendre
les orientations gouvernementales. Chávez s’est dit déçu de la formation de cette
centrale car il préférait que les travailleurs soient unis dans une même centrale.
Conclusion
Dans un processus de transformations sociale et institutionnelle, la question de
l’indépendance des travailleurs est très complexe. Bien que certains affrontements
soient bénéfiques, l’exemple de l’UNT témoigne des difficultés d’organisation. Par
ailleurs, la mobilisation proposée par Chávez n’est pas une mobilisation des
travailleurs développée sur une base indépendante afin d’appuyer une
transformation sociale. Il s’agit davantage d’un processus de transformation sociale
issu de l’accession au pouvoir d’un gouvernement qui s’est enraciné dans ce milieu
ouvrier et populaire à partir du pouvoir et qui est donc à l’origine de certaines
tensions et difficultés d’autonomie rencontrées au niveau des organisation
syndicales.
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