Jurisprudence récente - Soins et surveillance en psychiatrie

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Jurisprudence récente
Soins et surveillance en psychiatrie
1. Surveillance renforcée
en psychiatrie
Un patient est admis dans une clinique pour subir un lavage d’estomac après une tentative de suicide
par absorption de comprimés.
Connaissant des antécédents cardiaques, il est admis dans le service de cardiologie de la clinique,
selon la décision commune du
cardiologue et du psychiatre.
Le psychiatre envisage pour
le lendemain, en fonction du
contrôle de l’état cardiaque, un
transfert dans une unité psychiatrique. Le personnel soignant
connaît ce contexte immédiat
mais n’a, en revanche, été informé
ni des antécédents dépressifs, ni
du risque de nouvelles tentatives
de suicide. Au demeurant, il n’a
pas été prescrit de surveillance
particulière. Il faut ajouter que,
compte tenu du risque cardiaque,
le service est le seul de la clinique
où peut être admis ce patient. Or,
ce service est situé en étage et, au
cours de la nuit, le patient se défenestre et se blesse grièvement.
Au moment des faits, un médecin
et une aide-soignante sont sur
place mais n’ont rien pu faire.
• Sur recours formé par le patient, la
responsabilité de l’établissement est
retenue.
Cour de cassation, 1re civ., 3 mars 1998, 96.13775.
Explication : Cette décision
constitue un rappel lucide des
principes. On relève trois fautes.
La première est d’avoir admis un
patient dans un établissement qui
n’est pas en mesure d’assurer la
surveillance adéquate compte
tenu de la configuration des lieux.
La deuxième est une faute de diagnostic, le risque suicidaire ayant
été sous-évalué. La troisième est
une faute de prescription, aucune
surveillance particulière n’ayant
été prescrite.
Par contre, la surveillance infirmière n’est pas reconnue fautive,
aucune consigne particulière
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L’hospitalisation de personnes ayant des antécédents
psychiatriques plus ou moins graves mérite une
attention particulière. Plusieurs décisions font jurisprudence quant à la surveillance soutenue de ces
patients, quel que soit le motif de leur admission.
n’ayant été donnée, et aucun signe
ne laissant présager un risque de
passage à l’acte. La clinique aurait
dû, dans cette phase critique, protéger le patient contre lui-même.
2. Faute de diagnostic
et de surveillance
À la suite de manifestations violentes d’agressivité au sein de
la cellule familiale, un homme
connu pour de nombreux antécédents psychiatriques est admis
au service des urgences de l’hôpital général le 21 août et placé
sous traitement neuroleptique
pour être transféré, dès le lendemain, en centre spécialisé. Le médecin psychiatre diagnostique
une schizophrénie paranoïde,
prescrit des traitements adéquats
et décide le maintien du patient
dans le service, mentionnant que
sa sortie est interdite, mais il renonce à procéder à une hospitalisation sous la contrainte.
Une dizaine de jours plus tard, le
patient quitte furtivement l’établissement et se rend dans un
bâtiment voisin, d’où il se défenestre, se blessant très grièvement. Dans le cadre du recours en
responsabilité engagé, les experts
confirment la schizophrénie paranoïde avec effluescence délirante,
dépersonnalisation et hallucinations. Selon eux, ce diagnostic
implique des risques élevés d’hétéro- ou d’auto-agressivité à un
degré tel qu’une hospitalisation
d’office aurait été nécessaire. En
outre, l’absence de surveillance
particulière de la part de l’équipe
infirmière, surveillance de nature
à prévenir une fuite inopinée,
constitue une seconde faute.
• Dès lors, l’hôpital est jugé responsable de l’entier préjudice subi
du fait de la défenestration.
Cour administrative d’appel de Paris, 11 juillet
1977, Jurisdata n° 0150923.
Explication : Il s’agit d’un rappel
des principes établis : il y a faute
dans le diagnostic, car une hospitalisation d’office aurait été nécessaire, et faute dans l’organisation
du service du fait de l’insuffisance
de la surveillance. Les deux fautes
se conjuguent pour engager l’entière responsabilité de l’établissement qui répond ainsi des fautes
cumulées du médecin psychiatre
et de l’équipe infirmière.
3. Surveillance d’un patient agité
Une patiente hospitalisée dans
une clinique psychiatrique pour
troubles dépressifs avec intoxication éthylique tombe de son lit et
se blesse. Pour contester sa responsabilité, la clinique évoque
l’important état d’agitation de la
patiente dû à une alcoolisation aiguë. La juridiction répond que cet
état d’agitation, loin d’exonérer la
clinique, établit la faute.
• L’équipe infirmière aurait dû choisir des mesures adaptées de surveillance, à commencer par l’installation d’un lit équipé de barreaux, le
cas échéant avec un dispositif de
contention.
Cour d’appel de Pau, 18 décembre 1996, RDSS
octobre 1997, p. 840.
Explication : Les établissements
de psychiatrie, publics ou privés,
connaissent une obligation de
surveillance renforcée, d’autant
plus marquée que le malade est
agité. Il s’agit de protéger le patient contre lui-même, ce qui suppose un traitement approprié,
pouvant justifier des mesures de
contention. La contention est un
acte thérapeutique, non une mesure de répression. Elle doit être
utilisée avec discernement, mais
avec esprit de décision quand elle
s’avère nécessaire.
Quoi qu’il en soit, la contention,
comme la mise en chambre d’isolement, ne peut pas être considérée comme un acte banal. Il est
d’ailleurs particulièrement regrettable qu’il n’existe pas de référence
législative, alors que, si la conten-
tion ou le placement en chambre
d’isolement peut s’avérer une nécessité, il n’en reste pas moins que
de telles décisions se situent à la limite entre la protection de la santé
et l’atteinte aux droits des personnes. Sur plus d’une question,
on peut faire le constat de législation ou de réglementation surabondante, d’une complexité telle
que ces textes paraissent inapplicables dès qu’ils sont édictés. Sur
d’autres, on constate au contraire
le désert législatif. Et s’il n’est pas
légitime de réclamer du droit écrit
à tout prix, il reste toutefois un
certain nombre de domaines pour
lesquels la marge d’initiative et les
dangers potentiels sont tels qu’un
cadre législatif est nécessaire. La
balle est dans le camp du législateur. Si celui-ci renonce à s’en occuper, la réponse lui sera imposée
par les tribunaux, à l’issue de
contentieux audacieux engagés
par les personnes hospitalisées
elles-mêmes.
Gilles Devers
Polémique
L’infirmière et le député
A en croire Daniel Cohn-Bendit, député européen,
Dominique Voynet, ancien médecin anesthésiste
aurait eu, à l’occasion du naufrage de l’Erika “une
réaction d’infirmière dans une situation de catastrophe”. La polémique politique qui a suivi suffit à
démontrer que le propos n’était pas élogieux. Et la
profession se pose alors la question : n’aurait-elle pas
été quelque peu diffamée ou injuriée ?
L
a loi du 29 juillet 1881 sur la
liberté de la presse définit la
diffamation comme “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte
atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps
auquel le fait est imputé”. L’atteinte à
l’honneur ou à la considération
n’est guère discutable. La considération, c’est l’idée que les autres se
font d’une personne. Porter atteinte à la considération, c’est troubler
la position sociale. La libre critique
est possible, mais elle ne doit ni
atteindre l’honneur, ni tendre au
dénigrement. Des termes qui n’ont
pas en eux-mêmes de caractère
déshonorant peuvent le devenir
s’ils sont utilisés dans des “circonstances spéciales”.
Mais la diffamation suppose l’allégation d’un fait précis, ce qui
marque la différence avec l’injure
qui, elle, ne renferme l’imputation
d’aucun fait. Ainsi, il y a diffama-
tion si l’on peut prouver que l’imputation est inexacte alors qu’il y
a injure quand le propos très général ne permet pas la preuve
contraire. La jurisprudence témoigne de la subtilité du débat :
traiter une personne de “reître” ou
de “flibustier” constitue une injure, alors qu’utiliser le terme de
“repris de justice”est diffamatoire.
Ainsi, la profession infirmière a été
atteinte. En quelque sorte, elle
n’était pas la première visée mais
elle a reçu une balle perdue. Ceci
étant, a-t-elle été diffamée ou injuriée ? Pour le savoir, la meilleure
solution aurait été de saisir la justice, mais cette décision ne semble
pas relever d’une bonne thérapeutique. Elle aurait pourtant été l’occasion de rappeler au député ce
que disent les textes depuis bien
longtemps, à savoir que les soins
infirmiers “préventifs, curatifs ou
palliatifs”, qui sont de nature
“technique, relationnelle et éducative” ont pour objet de “protéger,
maintenir, restaurer et promouvoir la
santé des personnes ou l’autonomie
de leurs fonctions vitale, physique et
psychique, en tenant compte de la
personnalité de chacune d’elles dans
ses composantes psychologiques, sociales, économiques et culturelles”. Le
texte précise encore que l’infirmière prévient et évalue la souffrance et la détresse des personnes,
et participe à leur soulagement.
Cela aurait également été l’occasion de souligner, comme l’a écrit
Catherine Duboys-Fresney, combien ce propos témoigne de mépris pour la profession : « Dans la
situation de Mme Voynet, les infirmières auraient eu beaucoup de
compassion et d’empathie. Elles auraient été très proches des populations, ce qui n’a pas été le cas ».
Bref, un propos déplorable qui
se situe dans une lignée bien
connue et qui justifie les ardeurs
de la profession à défendre sa
spécificité et ses compétences.
Que faut-il en conclure ? Peut-être
que Daniel Cohn-Bendit regarde
trop de mauvais films. Ou encore
qu’il a réagi comme un politique
devant une situation de souffrance
politique.
G. D.
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