Démocratie et liberté: un nœud gordien à trancher dans le contexte

Germivoire 4/2016 ISSN 2411-6750
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Dotsè Charles-Grégoire ALOSSE : Démocratie et liberté : un nœud gordien à trancher dans le contexte africain
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Démocratie et liberté: un nœud gordien à trancher dans le
contexte africain
Dotsè Charles-Grégoire ALOSSE (Université de Kara, Togo)
Résumé
La démocratie et la liber ont partie liée. Mais cette évidence
s’amenuise dans nos États au fur et à mesure qu’on se confronte à la réali
quotidienne. Le paradoxe est que tandis que les principes démocratiques et les
principes libéraux se soutiennent réciproquement puisqu’ils jaillissent de la même
source, à savoir les Lumières, la réduction des libertés publiques va en
grandissant lorsque l’affirmation des libertés individuelles ou collectives achoppe
sur la loi démocratique de la majorité qui s’impose de droit à la minorité. Les
décisions démocratiques peuvent embrigader les libertés en même temps qu’elles
peuvent les sauvegarder. En conséquence, la -articulation des principes
démocratiques et libéraux s’impose aujourd’hui dans les sociétés africaines la
revendication des libertés par les citoyens est souvent perçue comme un défi vis-
à-vis de l’État.
Mots-clés : démocratie, État, individu, liberté, règle majoritaire.
Abstract
The democracy and the freedom left connected. But this obvious fact
diminishes in our States as we confront with the daily reality. The paradox is that
the democratic principles and the liberal principles support themselves mutually
because they spring from the same source, worth knowing Enlightenments, while
the reduction of the public liberties goes by growing when the assertion of
personal freedoms stumbles over the democratic law of the majority which is
imperative of right upon the minority. The democratic decisions can encroach on
the liberties at the same time as they can protect them. The re-joint of the
democratic and liberal principles is imperative in the African societies today where
the claiming of the liberties by the citizens is often perceived as a challenge
towards the State.
Keywords : Democracy, State, individual, liberty, majority rule.
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Introduction
La démocratie est envisagée comme le rempart contre la tyrannie
réductrice des libertés. Cependant, ce régime politique reste à améliorer à cause
des limites qui lui sont inhérentes. Déjà dans la Grèce antique, les limites de la
démocratie directe se sont révélées au grand jour, en témoigne l’exclusion sociale
de Socrate qui a suscité les distances de Platon vis-à-vis du régime démocratique
de la "Polis". La démocratie représentative telle qu’elle se réalise aujourd’hui,
montre que les représentants, les élus, sont souvent déconnecs des aspirations
de l’électorat, du peuple, parce qu’ils némanent pas véritablement de lui à travers
un processus électoral loyal. Dans la majorité des États africains, le processus de
démocratisation devient paradoxalement celui de la restriction des libertés. Les
élections qui sont des expressions évidentes de la démocratie deviennent un
casse-tête sur le continent par faute du respect des règles du jeu par les
protagonistes ; les revendications identitaires ou corporatistes sont souvent
sources de défi vis-à-vis du pouvoir central, de l’État. La mainmise de l’État sur la
société en vue de son contrôle ne va pas sans restriction des libertés publiques.
Le problème que nous posons est le suivant : la démocratie induit-elle
incontestablement la liberté ? Nous répondons à priori que pour que la démocratie
puisse accomplir sa promesse de liberté, il revient aux pouvoirs politiques et aux
peuples de les articuler à travers la publicité, lintercommunication publique entre
les gouvernants et les gouvernés. Pour y arriver, notre argumentaire procède en
trois étapes : larticulation principielle de la démocratie avec la liberté ; la difficile
relation entre la démocratie et la liberté ; la publicité pour concilier la démocratie et
la liberté.
1. L’articulation principielle de la démocratie avec la liberté
La démocratie représentative est la forme de démocratie dans laquelle
les élus représentent le peuple, la volonté générale ; et selon (Rousseau, 1992 :
52), « pour qu’une volonté soit générale, il n’est pas toujours nécessaire qu’elle
soit unanime, mais il est nécessaire que toutes les voix soit comptées ; toute
exclusion formelle rompt la généralité ». En principe, la démocratie favorise la
liberté. Benjamin Constant est l'un des premiers à défendre la nécessité d'un
régime représentatif. C'est pourquoi il défend une démocratie censitaire, estimant
qu'un minimum de propriétés est nécessaire pour pouvoir prendre part à la
désignation des dirigeants de l'État. Il a ainsi perçu significativement la dynamique
historique à l’œuvre dans les sociétés modernes et a tenté, en son temps, de
définir les conditions de viabilité d’un régime démocratique représentatif :
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Le système représentatif n’est autre chose qu’une organisation à l’aide de
laquelle une nation se décharge sur quelques individus de ce qu’elle ne
peut ou ne veut pas faire elle-même. (…) Le système représentatif est une
procuration donnée à un certain nombre d’hommes par la masse du
peuple, qui veut que ses intérêts soient défendus, et qui néanmoins n’a
pas le temps de les défendre toujours lui-même. (Constant, 1980 : 513).
La démocratie exige l'existence et le libre exercice de certains droits
fondamentaux individuels et collectifs. Ce sont, en particulier, le droit à la vie, à la
liberté et à la propriété car, ainsi que le réaffirmait Locke, « nul ne doit nuire à un
autre, par rapport à sa vie, à sa santé, à sa liberté, à son bien ». (Locke, 1992 :
145). Ces droits exigent, pour être effectifs, l'égalité, la non-discrimination, la
liberté d'expression, d’opinion et d’association. Toutefois, l'application équitable et
réelle de tous les droits fondamentaux dépend des lois de procédure qui relèvent
de la nomenclature constitutionnelle de chaque État. Ceux-ci font allégeance à la
Déclaration universelle des droits de l'homme : « Tous les êtres humains naissent
libre et égaux en dignité et en droit » (Nations Unies, 1978 : 1). Les droits de
l'homme et les libertés fondamentales sont inhérents à tous les êtres humains. Ils
sont inalnables et doivent être garantis par la loi. La responsabilité premre des
gouvernements est de les garantir, de les protéger et de les promouvoir.
L’observance et le plein exercice de ces droits promeuvent la liberté, la justice et
la coexistence harmonieuse et pacifique au sein d’un État de droit et
démocratique.
Le gouvernement démocratique repose sur la volonté du peuple,
exprimée à intervalles réguliers par des élections libres, équitables et impartiales
dont les règles de déroulement sont énoncées publiquement, connues et
acceptées de commun accord par les protagonistes. La démocratie est fondée sur
le respect de la personne humaine et des idéaux de l'État de droit. Elle est la
meilleure garantie de la liberté d'expression, de la tolérance envers tous les
groupes de la société. (Walzer, 1997) montre que la démocratie, de par son
caractère représentatif, public et pluraliste, implique la responsabilité de tous les
acteurs, à savoir l'obligation pour les pouvoirs politiques de se conformer à la loi et
de n’agir que dans l’intérêt général, le devoir pour le peuple de participer
activement aux affaires de la Cité, l'exercice impartial de la justice et la
reconnaissance des partis politiques en lutte pour la conquête du pouvoir d’État.
Mais de quelle justice s’agira-t-il si ce n’est celle qui dit le Droit de façon libre et
démocratique, sans par conséquent être téléguidée par les pouvoirs politiques qui
disposent en fait d’une supériori numérique par rapport au reste des
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protagonistes, l’opposition en l’occurrence, puisqu’étant au faîte avec les divers
leviers de l’administration.
La liberté est la quête fondamentale en démocratie. Elle doit être
garantie à tous les citoyens. Elle figure en bonne place dans les symboles des
États qui se veulent démocratiques. En voici quelques exemples : la Statue de la
liberté aux États-Unis exprime la démocratie et la liberté retrouvée par cette nation
américaine ; la devise de la France recherche la conciliation entre les principes
de liberté, d'égalité, et de fraternité ; celle du Togo, le travail, la liberté et la patrie.
Cette conciliation est un enjeu politique qui vise à articuler les valeurs de la
démocratie et celles de la liberté.
De par son histoire, la démocratie s’est toujours illustrée dans la
recherche de la liberté. On peut entrevoir avec (Huntington, 1997) trois grandes
vagues dans les mouvements de la démocratie, entrecoupées toutefois de reflux
autoritaires, lorsqu’il démontre que la démocratisation des pays progresse dans le
monde par vagues successives. Les vagues de la démocratie et les reflux
autoritaires identifiés par Huntington sont évidemment des tendances. !
La première vague de démocratisation s’illustre au début du XIXè siècle.
Celle-ci commence avec les révolutions libérales qui traversent de nombreux pays
européens, mais concerne également les pays qui sont connus comme les
premières démocraties d’Amérique, comme les États-Unis et le Canada, avec
l’octroi du droit de vote à une vaste proportion de la population masculine aux
États-Unis pour se prolonger jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale,
avec la rechute démocratique généralisée que l’on a observée au moment de la
guerre. La deuxième vague commence avec la libération de nombreux pays
d’Europe occidentale par les Alliés durant la Seconde Guerre mondiale, auxquels
s’ajouteront des pays d’Amérique latine et des pays issus de la décolonisation.
Avec le triomphe des Alliés, cette vague de démocratie se manifeste avec la
création de l’Organisation des Nations Unies qui entérine la démocratie comme
régime politique libérateur. La troisième vague commence au milieu des années
1970 avec la chute des dictatures au Portugal puis en Espagne. Dans les années
1980, de nombreux pays latino-américains reviennent à des gouvernements civils.
Au début des années 1990, la chute de l’URSS permet le développement de la
démocratie dans de nombreux pays d’Europe centrale et orientale. Même si
Huntington ne se prononce pas sur la suite du processus de démocratisation, celui
qui va toucher l’Afrique à partir des années 1990 notamment, cette troisième
vague témoigne, n’en point douter, de l’aspiration d’un grand nombre de peuples
africains à la démocratie, mais aussi avec des rechutes et des retours
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sporadiques à la dictature et à la confiscation des libertés fondamentales à cause
des velléités autoritaires de certains chefs d’État et de leur entourage (Caillé,
2006).
Le Printemps arabe comme l’ont appelé (Basbous, 2011),
(Guidère, 2011), et (Filiu, 2011), en comparaison au Printemps des peuple de
1848 ou au printemps de Prague de 1968, ou encore à la chute du Rideau de
fer en 1989, ces mouvements de contestation dans certains pays du Maghreb et
du Proche-Orient comme l’Egypte, la Tunisie, la Libye, la Syrie et Bahreïn, pourrait
marquer le début d’une quatrième vague de démocratisation. Les principales
causes de ces mouvements à forte dimension sociale sont le manque de libertés
individuelles et publiques, le chômage, la misère, le coût élevé de la vie ainsi
qu'un besoin de démocratie qui ne soit pas une simple façade. Le bilan étant pour
le moins mitigé, il est possible de parler de reflux autoritaire dans la plupart des
cas puisque très peu parmi ces États ont pu instaurer des gouvernements
démocratiques, les mouvements de la société civile étant dans la plupart des cas
étouffés dans lœuf, mais aussi avec quelquefois des révolutions réussies tout au
moins à défaut de leffectivité des réformes (Piot, 2011). Des vents similaires
soufflent encore sur le continent, au Burkina Faso, au Burundi, en République
démocratique du Congo par exemple, avec des réussites ou des échecs.
La lutte des peuples pour la démocratie va toujours de pair avec la
recherche de plus en plus grande de liberté bien que les reflux autoritaires
guettent le processus. Ce fait illustre le danger qui menace les démocraties
libérales. (Goyard-Fabre, 1998 : 129, 131, 165) parle à ce propos des « vertiges »,
des « dilemmes » ou des « distorsions » de la démocratie. Chez (Aristote, 1941)
par exemple, la démocratie est la forme la plus proche du gouvernement
constitutionnel. Et pourtant, si proches soient-ils, les deux termes ne désignent
pas la même chose. Aristote refuse de faire de la démocratie une sorte de bon
gouvernement, en comparaison avec d'autres constitutions qui seraient pires. La
démocratie, pour lui, loin d’être le meilleur régime politique, est plutôt un régime
dévié. Contre Platon, il refuse de considérer une constitution déviée comme
bonne : « Nous, par contre, nous disons que ces constitutions sont complètement
viciées, et qu'il n'est pas juste de dire que telle oligarchie est meilleure qu'une
autre : elle est moins mauvaise ». (Aristote, 1960-1989 : 1289 b8).
Aujourd’hui encore, la question de la liberté est d'autant plus
fondamentale qu’elle constitue selon (Kä Mana, 1991) l’essentiel de la lutte des
peuples africains, celle-ci étant reconnue comme la condition première de la
réalisation d’une vraie démocratie. Comment expliquer la difficile relation entre la
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