Toute une phraséologie théorique a été imaginée pour tenter de
désigner les relations entre le pouvoir judiciaire et les pouvoirs politi-
ques de façon à légitimer l’exercice du contrôle judiciaire de constitu-
tionnalité4. Le choix de telle ou telle autre expression ou métaphore
sera nécessairement tributaire de la conception que l’on se fait de ce
que devrait être le rôle respectif de chacun d’eux en régime démocra-
tique5, en d’autres termes, de ce qu’implique, d’un point de vue insti-
tutionnel, le principe de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir
judiciaire ou les pouvoirs politiques détiennent-ils le monopole en
matière d’interprétation constitutionnelle ? Si tel n’est pas le cas,
quel est le rôle de chacun d’eux en ce domaine et de quelle source
tirent-ils leur légitimité ? Quoi qu’il en soit des réponses à ces
questions, il reste que, de façon générale, « la légitimité du juge
constitutionnel tient à ce qu’il n’a pas le dernier mot »6. En régime
démocratique, c’est la possibilité ultime de recourir au processus
constituant qui légitime le contrôle de constitutionnalité7.
Au Canada, c’est la métaphore du dialogue qui semble s’être
progressivement imposée comme étant celle en mesure de décrire le
plus adéquatement les relations entre les pouvoirs politiques et judi-
ciaire en matière constitutionnelle. La théorie dialogique a été déve-
loppée par la doctrine et adoptée par la Cour suprême du Canada
dans le contexte du contrôle de constitutionnalité fondé sur les droits
et libertés de la personne enchâssés dans la Charte canadienne8. La
6XIXeCONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT
Mary Jane MOSSMAN et Ghislain OTIS, La montée en puissance des juges : ses
manifestations, sa contestation, Montréal, Éditions Thémis, 2000, p. 28 ; Frederick
L. MORTON et Rainer KNOPFF, Charter Politics, Scarborough, Nelson, 1992.
4. Voir à cet égard, notamment, le « législateur négatif » : Hans KELSEN, « La
garantie juridictionnelle de la constitution », (1928) Revue du droit public et de la
science politique 197, 226 ; Hans KELSEN, « Le contrôle de constitutionnalité des
lois ; une étude comparative des constitutions autrichienne et américaine », (1990)
Revue française de droit constitutionnel 17, 20 ; ou bien le « juge aiguilleur » : Louis
FAVOREU, « Les décisions du Conseil constitutionnel dans l’affaire des nationali-
sations », (1982) Revue de droit public et de science politique 377, 419. Pour une pré-
sentation de ces diverses théories, voir Michel TROPER, La théorie du droit, le
droit, l’État, Paris, P.U.F., 2001, p. 186 et s. Pour un aperçu, voir les articles dans le
numéro spécial publié par Grant HUSCROFT et Ian BRODIE (éd.), « Constitutio-
nalism in the Charter era », (2004) 23 S.C.L.R. (2d).
5. Jean LECLAIR, « Réflexions critiques au sujet de la métaphore du dialogue en droit
constitutionnel canadien », (2003) 63 Revue du Barreau/Numéro spécial 379, 388 et
389.
6. Louis FAVOREU, « La légitimité du juge constitutionnel », (1994) R.I.D.C. 557, 578.
7. Guy SCOFFONI, « La légitimité du juge constitutionnelen droitcomparé : les ensei-
gnements de l’expérience américaine », (1999) 2 Revue internationale de droit com-
paré 243, 260 : « la théorie démocratique suppose l’existence d’une possibilité de
révision constitutionnelle en contrepoids du contrôle de constitutionnalité ».
8. Charte canadienne des droits et libertés, partie I de l’annexe B de la Loi constitution-
nelle de 1982, L.R.C. (1985), App. II, no44.