La Philo vagabonde

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La Philo vagabonde
de Yohan Laffort, avec Alain Guyard
Publicado el 04/10/2016
CINE DOCUMENTAL
Sortie en salles le mercredi 5 octobre 2016
Tel Diogène, Alain Guyard porte librement la parole philosophique auprès de ceux qui font appel à lui. Dégagé
de tout carcan académique il intervient, entre autres, dans les prisons, les hôpitaux (psychiatriques ou généraux),
auprès d’éducateurs, d’infirmières, de paysans ou de citoyens. Yohan Laffort l’accompagne au gré de ses
pérégrinations philosophiques atypiques, décalées et subversives.
L’avis du bibliothécaire
Pourquoi aller (re)voir La Philo vagabonde ?
Eh, oui ! Je n'ai pas vu La Philo vagabonde
une fois mais deux et qui sait si je ne
retournerai pas bientôt au cinéma une
troisième fois... car comme dit le proverbe:
« jamais deux sans… »
La Philo vagabonde c’est d’abord la rencontre
avec un homme peu ordinaire, très
original, pour ne pas dire exceptionnel, Alain
Guyard qui, après vingt années passées à
enseigner la philosophie au lycée, a fait le
choix depuis quelque temps de devenir
« philosophe forain » et de battre la campagne.
Non seulement il sort la philosophie des
carcans académiques mais aussi il va, au gré
des invitations tel « un gens du voyage, … un
romanichel de la métaphysique », porter les
mots de la philosophie et les faire vivre là où
on ne les attend pas. Il dispense ainsi des
cours en prison, en hôpital psychiatrique, en
CHU dans le cycle de formation des
puéricultrices, dans une association pour le
développement des soins palliatifs, ou dans
des champs et des grottes, sous un chapiteau,
au pied du Mont Ventoux, en Aveyron ou dans des médiathèques reculées du Grand Sud de la France. Energique,
volontaire, Alain Guyard est un itinérant : il se déplace beaucoup, il voyage, il prend des trains, des avions ou sa
voiture. Il ne se considère pas comme un philosophe porteur d’une philosophie propre qui a vocation à produire des
concepts. Il est un passeur. Riche de son expérience et de sa connaissance des philosophes, il fournit à ses
auditeurs une « boîte à outils qui permet à chacun de s’emparer de l’outil le plus adapté à son défi de
construction ».
Le film de Yohan Laffort s’apparente à un road movie ; le déplacement y est essentiel. L’espace parcouru fait écho à
l’extrême mobilité de la pensée d’Alain Guyard et aux déplacements de sens, à la chasse aux idées reçues et aux
clichés, aux mouvements qu’il entend susciter chez ses auditeurs. Réceptif à la parole de l’autre, Alain Guyard
parle, pense et enseigne mais aussi écoute et rebondit en fonction des interventions de son auditoire. Sa volonté
est d’apporter, d’offrir en partage, ses connaissances de Platon, Socrate, Nietzsche, Jankélévitch, Lucrèce, Epicure,
Diogène, Héraclite et de tant d’autres sans pour autant tomber dans le jargon philosophique. Le film est construit
autour de grandes articulations : la captation des moments de son enseignement, des interviews chez lui, dans sa
bibliothèque et les opinions formulées sur lui par celles et ceux qui assistent à ses performances.
« Docere et placere »…. « Le style c’est l’homme »
Performances oui, il s’agit bien de performances. Les interventions d’Alain Guyard sont à chaque fois des petits
exploits sportifs et intellectuels (s’il improvise, c’est à la manière d’un jazzman qui sait qu’un blues est en douze
mesures). Certes, il a préparé son cours en fonction du lieu dans lequel il intervient mais rien n’est figé, rien n’est
gravé définitivement dans le marbre : la souplesse de son esprit est telle qu’il peut bifurquer, choisir en cours de
route de prendre un chemin de traverse. Le tracé de sa pensée est changeant, sinueux ; oui, sa philo est
vagabonde, libre, mais l’errance, l’instabilité dont elle se nourrit a sa « grille d’accords » ; elle est mue par une
éthique. Selon Alain Guyard, il y a deux manières de vivre la philosophie : soit elle est une plus-value pour briller
dans les salons mondains (« et ça c’est à gerber ») ; soit « tu vis la philosophie comme une manière de t’épurer, de
revenir à l’os… tu dois te confronter à des questions qui te laissent pantelant. La philosophie ne t’apporte rien mais
elle te met face à l’expérience nue de la vie, et ça c’est un bien inestimable parce que ce n’est pas un bien, ce n’est
pas un bonus, c’est un décapage, c’est un décrassage, ce n’est pas un atout, un profit ou une plus-value dans l’
existence, c’est au contraire un renoncement, une belle ascèse. »
Alain Guyard a sa manière bien à lui de transmettre la philosophie. Son style est dans un entre deux, entre
enseigner ( docere) et plaire ( placere). Il n’hésite ni à se mettre en scène, ni à jouer sur différents registres de
langage (la plaisanterie, le jeu de mot, l’argot, les anachronismes, les multiples associations d’idées, de mots, la
référence aux étymologies grecques et latines). Son style fait référence au spectacle vivant itinérant : ne se définit-il
pas comme « philosophe forain». Sa place, sa position, la justesse de sa posture est « entre Coluche et la
métaphysique ». Ses cours aux très solides fondements culturels ont une dimension rabelaisienne et jouent sur le
plaisir, la joie d’être ensemble. Son style, c’est aussi son corps qu’il a tatoué (par exemple : sur quatre premières
phalanges d’une main « tout » ; sur les quatre autres de l’autre main « rien »). Alain Guyard pratique la course à
pied. Cet entraînement est primordial car il permet « l’état second », la sensation du « corps du second souffle » où
adviennent les idées.
Son style ce sont aussi ses mains que la caméra suit dans leurs mouvements singuliers, dans le prolongement de la
pensée qu’elles expriment. La main (« l’homo faber ») est une des composantes majeures du corps qui pense : « La
main c’est l’interface entre le moi et le monde… comment je serre la main de l’autre, comment je travaille la pâte à
pain, comment, en tant que forgeron, je travaille sur mon enclume, comment, en tant que boxeur, j’envoie les coups,
… tout ça c’est des rapports au réel… Le rapport au réel se fait par le prolongement de moi qui est ma main. »
L’éthique en marche d’Alain Guyard, personnage charismatique en diable mais jamais tenté d’être un gourou est
aussi une résistance. Assis à sa table, entouré de ses livres tels sont les mots qu’il adresse au réalisateur :
« …donner aux uns et aux autres la possibilité de fabriquer une langue, une langue forte, discursive, armaturée sur
le plan logique afin que nous puissions, nous aussi, bâtir une stratégie pour répondre à celle du pouvoir. Je pense
que l’un des grands enjeux d’aujourd’hui est la maîtrise de la langue, la maîtrise de la capacité à la narration, la
maitrise à raconter des histoires… La philosophie est une manière de raconter l’histoire du monde… Et moi je fais
de la narration et toi aussi tu en fais quand tu fais des films… Nous racontons des histoires, … et ce faisant nous
restituons aux hommes leur vertu première, leur force première qui est l’exercice de la langue par quoi ensuite ils
peuvent nommer le monde et le maîtriser et c’est aujourd’hui cette compétence et cette force qu’on nous refuse…
Le véritable combat, l’action directe aujourd’hui est une action où nous sommes directement les auteurs et les
responsables de nos narrations, des histoires que nous racontons et du langage que nous employons. »
Rappel
La Philo vagabonde de Yohan Laffort avec Alain Guyard, Mille et Une productions, Les Films des deux rives, 2015,
1h 38 min
Distributeur : Les Films des deux rives
La philo vagabonde - Bande Annonce from Mille et Une Productions on Vimeo.
A propósito del autor
Isabelle Grimaud
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