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Luc STRENNA, la philosophie vagabonde, 12 03 17.
l’enfance et son innocence consubstantielle. Il en va de même quand il évoque par exemple
HERACLITE, PLATON, SPINOZA, JANKELEVITCH, HEGEL, SOREL ou DEBORD. J’ai beaucoup aimé son
analyse de la liaison Ulysse-Circé qui évoque le « on peut mourir d’être immortel » de NIETZSCHE,
même si sa vision de PLATON me semble parfois réductrice.
A la manière de tout bon philosophe, ainsi ZENON D’ELEE, Alain Guyard excelle à jouer des
paradoxes, comme on joue des coudes, avec par exemple la reprise de l’idée pascalienne des Pensées,
selon laquelle toute la philosophie consiste à renoncer à la philosophie ou selon laquelle la conscience
ne peut être ni dans, ni en dehors de l’action (je ne peux me regarder pédalant en pédalant). C’est
d’autant plus amusant qu’il se situe aux antipodes de PASCAL, en proposant une éthique de la joie, et
en proclamant la préséance du corps sur l’esprit (voir son interprétation de la célèbre formule
d’HERACLITE : « les dieux sont aussi dans la cuisine »).
Si « faire de la philosophie» à des détenus (centre de détention de Marche en Fammeure en Belgique)
ou des patients d’hôpital psychiatriques (accueil psychiatrique à Uzès) se révèle si crucial, c’est bien
parce que toutes les formes d’enfermement, et plus généralement d’exclusion, replient la pensée sur
elle-même (ALAIN affirmait que « penser sa pensée, c’est proprement philosopher »). L’on peut y
mettre le feu, pourvu que l’on fasse jaillir la bonne étincelle quand et là où il faut. N’oublions pas que
Socrate a connu la prison avant d’être condamné à boire la cigüe et que, selon le Criton de PLATON, il
aurait refusé de s’évader, choix proprement incompréhensible au départ pour les détenus mais
qu’Alain Guyard semble leur faire comprendre in fine.
Alain Guyard évoque la distinction classique entre docere (enseigner, faire apprendre) et placere
(plaire, « ensucrer les viandes » aurait dit MONTAIGNE) qui, en termes platoniciens, recouvre, en gros,
l’opposition entre la rhétorique et la philosophie. Toute la difficulté consiste, bien sûr, à régler le
curseur. Peut-être est-il possible, dans cette perspective, de lui reprocher une fréquentation douteuse
du placere, au risque de par trop adopter la position du séducteur. Le culte de la personnalité
s’approche alors à grands pas.
Mais la principale critique que j’adresserai, je ne sais si c’est au film ou au philosophe lui même,
réside dans le trop peu de dialogue entre lui et ceux auxquels il s’adresse. Cela est singulier pour qui se
place, plus ou moins implicitement, sous l’ombre tutélaire de Socrate, inséparable du dialogue. De
plus, l’absence d’opposition frontale à la philosophie ou au personnage qui la véhicule est choquante
au regard du recul, du décalage et de la distorsion qu’elle implique. Jamais Alain Guyard n’est mis en
difficulté. Sans aller jusqu’à reprendre ceux qui le considèrent, malgré son refus d’être prescripteur,
comme un gourou vampirisant ses auditeurs, ce film manque d’esprit critique et n’évite pas une forme
d’hagiographie qui, même si elle ne pouvait être complètement extirpée, aurait pu, pour le moins, être
combattue davantage et mieux.
Cela dit, le film, qui retrace une authentique aventure philosophique, est fort bien venu et nécessaire,
en ces temps où la philosophie, mise à toutes les sauces, représente un phénomène de mode
cosmétique, invoqué par ceux qui précisément créent les conditions pour qu’elle ne puisse s’exercer.
Le propre du capitalisme libéral est bien de transformer l’homme en marchandise des marchandises
qu’il convoite dans la consommation, ce qui l’empêche de penser. Alain Guyard, qui ne cache pas son
esprit libertaire, en opère la critique radicale. MARX affirmait d’ailleurs qu’ « être radical, c’est
prendre les choses à la racine », ce qui pourrait être plus qu’un commencement de définition de
l’attitude philosophique.
Luc STRENNA