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III. De l’importance du rire
Monter L’Avare consiste à chercher à raconter l’histoire !
La contrarier ou chercher à en tordre le fond pour dire quelque chose qui aurait à voir
avec un quelconque reflet actuel du monde ne mène qu’à des impasses.
C’est une démarche qui n’aboutit pas, ou en tout cas, qui n’aboutit pas si on veut
garder le texte dans son intégralité, et surtout dans sa langue, laquelle produit un indéniable
effet d’éloignement d’avec le monde actuel.
Dès lors, c’est avec cette langue qu’il nous faut raconter l’histoire et pour la raconter,
il nous faut travailler sur les caractères de chacun des personnages de la pièce, au sens où
chacun des personnages de la pièce est en soi plus un « caractère » qu’un personnage.
C’est dans cela qu’il faut chercher le type de jeu : dans le caractère de chacun.
La pièce est encore très proche de la Commedia Dell’Arte. Par moment, on sent que
c’est une farce qui se rapproche de la comédie, mais qu’elle n’en est pas encore
complètement une. Je dirais qu’elle est une pièce hétéroclite dans sa texture même. Elle
n’est pas une œuvre littéraire comme le théâtre de Shakespeare peut l’être par exemple. Elle
est tissée de diverses manières, tantôt annonciatrice d’un genre nouveau, tantôt
traditionnelle de la commedia dell’Arte et tantôt pur délire d’improvisations d’acteurs ou farce.
Il y a aussi par exemple des personnages qui apparaissent pour disparaître aussitôt : je ne
dirais pas que ceux-ci ne servent à rien, puisque souvent, ils servent de point d’appui à un
détail du texte, mais en même temps, on a parfois l’impression qu’ils sont là, peut-être
simplement parce qu’ils faisaient partie de la troupe de Molière et qu’ils étaient donc intégrés
au scénario. Allez savoir.
En tout cas, c’est cela que nous tentons de construire scène après scène et de
restituer, cette hétérogénéité car si nous suivons ce fil hétéroclite, l’histoire se raconte
beaucoup plus que si nous tentions d’apposer sur le tout une couche d’homogénéité.
L’avare, Harpagon donc, est avare jusqu’à l’obsession et cette obsession le conduit à
une solitude totale, voire morbide. Il est avare, mais il est aussi acariâtre, très acariâtre. En
même temps, il y a une faille dans cette carapace : Harpagon aime à être flatté. Même si ce
penchant à la flatterie ne le conduit jamais à perdre son avarice, il va par contre être utilisé
par son environnement.
Car comme Harpagon est au centre de l’histoire, ses traits de caractère vont avoir un
effet d’entraînement chez tous les autres personnages. Les traits de caractère d’Harpagon
constituent l’argument autour duquel la machine théâtrale va se mettre en place et se
décliner.
Chacun des autres personnages va donc se comporter et se déterminer en fonction
du caractère d’Harpagon, de ce que chacun veut de lui et selon son degré de relation avec
lui : le fils et la fille par rapport au père ; le valet par rapport au maître ; le cuisinier, la Flèche,
etc. Chacun va user de sa tactique pour arriver à ses propres fins, et tenter de détourner
Harpagon des siennes : en vain d’ailleurs, puisque la fin arrivera par un tout autre biais. Et
la tactique de chacun donne à chacun un trait de caractère qui le détermine à son tour.
C’est le rouage comique de la pièce. C’est là qu’elle est une comédie : nous savons
ainsi, nous spectateurs, des choses que Harpagon ne sait pas. Il n’y a pas de suspens, mais
il y a des intrigues (au sens de gens qui intriguent pour arriver à leurs fins), et bien sûr, des
quiproquos.