Rencontre avec Gildas Bourdet Dans votre carrière, Molière a sa petite place: au tout début d’abord avec La vie de JeanBaptiste Poquelin dit Molière en 1973 au Théâtre de la Salamandre et puis Le Malade imaginaire que vous mettez en scène à la Comédie Française en 1991, un spectacle qui sera repris ensuite à Lille au Théâtre Roger Salengro. Mais ce Malade imaginaire vous poursuit puisque vous le remonterez en 2001 au Théâtre National de Marseille - La Criée et en 2002 au Théâtre de l’Ouest Parisien à Boulogne-Billancourt. Par ailleurs, les statuettes de Molière sont souvent proches de vous et vous recevez, en 1997, le Molière du meilleur spectacle de décentralisation pour Les Jumeaux vénitiens de Goldoni et, en 1999, le Molière du meilleur metteur en scène pour L'Atelier de J.-Cl. Grumberg. Comment abordez-vous votre prochaine mise en scène de L’Avare ? J’aborde cette mise en scène en Belgique! Je l’aborde avec des acteurs exclusivement belges dont certains que je connais pour avoir déjà travaillé avec eux et d’autres que j'ai choisis au cours auditions et que je vais découvrir pendant nos répétitions. Au cours de ma carrière, je crois avoir travaillé avec dix acteurs belges et à chaque fois, cela a été un réel bonheur, sans doute à cause de l'absence, en Belgique, du vedettariat qui gangrène les scènes françaises. J'espère qu'il en sera de même avec L'Avare. L’autre donnée, c’est la particularité de Villers-la-Ville. On ne fait pas une mise en scène dans un lieu pareil comme on fait une mise en scène dans un théâtre traditionnel doté d’une cage de scène! La prise en compte du lieu passe beaucoup par un travail de scénographie qui intègre l'abbaye elle-même. En ce qui concerne Molière dont j’avais déjà monté Georges Dandin au tout début de ma carrière, il est pour moi comme un compagnon tutélaire. Souvent, lorsque j’écris ou que je mets en scène, je me demande comment il aurait fait. J’ai le sentiment d'une certaine familiarité, d'une certaine intimité avec lui. Mais bien entendu, c'est un maître et un peu un guide, plus que n'importe quel autre dramaturge (sauf peut-être Brecht) j'ai le sentiment d'entrer très naturellement dans son écriture peut-être à cause de l’importance de ce qui tient à l’humour et à la mise à distance de luimême et des autres qu'il a toujours pratiquée. Je le tiens pour un pessimiste gai, ce qui est à mes yeux une qualité majeure. Malgré le fait que ce soit une comédie, on peut dire que cette pièce a des tonalités sombres, due à la nature des personnages. De ces deux aspects, en privilégierez-vous un ? Je vais tenter de respecter l’équilibre voulu par Molière entre la noirceur de cette pièce où les personnages semblent prêts à tout pour satisfaire leurs intérêts, ou dans le cas d'Harpagon leur obsession, et la part de farce burlesque qui joue comme un contrepoids à cette noirceur. L'Avare est un chef-d'œuvre de notre théâtre comique et j'entends bien m'employer à faire rire. Mais je ne peux évidemment pas ignorer qu'Harpagon est le sujet d'une pathologie inquiétante et dévastatrice qui fait de lui un pater familias omnipotent et menaçant. Un pas plus loin et son état psychique justifierait son enfermement dans ce que l'on appelait à l'époque les "petites maisons", qui étaient les ancêtres de nos asiles psychiatriques. On aurait tendance à penser que cette pièce est peu morale. Mais faut-il y chercher une morale ? Non. Si Molière avait voulu écrire une pièce édifiante, il l'aurait fait. Le seul enseignement moral pourrait être que les très jeunes filles ne doivent pas épouser des vieillards et que le mariage d'inclination est préférable au mariage par internet. Mais le théâtre précieux où les bergers épousent des princesses chante cela sur tous les tons depuis longtemps. L’important est plutôt que comme Orgon dans le Tartuffe, comme Arnolphe dans L'Ecole des femmes, comme Jourdain dans Le Bourgeois gentilhomme ou encore comme Argan dans Le Malade imaginaire, Harpagon est un portrait d'homme possédé par une passion névrotique qui le coupe de son entourage et fait de lui un danger pour ses proches. Ce qui passionne manifestement Molière, c'est bien la limite de la pathologie psychique, comme si lui-même pouvait en être potentiellement le sujet. La morale n'a évidemment pas grand-chose à voir dans dérèglements de l'esprit humain. Cette pièce repose sur une maîtrise absolue des effets comiques, notamment grâce à l’exploitation des quiproquos. Peut-on dire que cette mécanique impose en grande partie sa logique à la mise en scène ? Oui! Il est pour moi impossible que le quiproquo n’occupe pas toute sa place ! Parce que le quiproquo est à la fois ce qui nous fait beaucoup rire et quelque chose qui nous met systématiquement au bord de la catastrophe, de la découverte ou de la prise de conscience. Donc, le quiproquo crée une sorte de vertige et ne pas le mettre en avant serait une erreur de lecture. Comment abordez-vous le travail avec les acteurs ? Je crains d'être un metteur en scène horriblement directif et tatillon. Mais en même temps, j'aime vraiment les acteurs et je leur fais confiance, à condition qu'ils veuillent bien être les interprètes de la partition. Moi-même, je me vis plus comme un chef d’orchestre, c'est-à-dire comme un interprète qui dirige d'autres interprètes, que comme un créateur. Le créateur ici, c'est Molière. Nous autres metteurs en scène, nous sommes des artistes interprètes. A partir du moment où les acteurs font ce que je leur demande et y ajoutent leur génie propre, cela ne peut que bien se passer ! Avez-vous l’expérience du théâtre en plein air et comment se répare un metteur en scène face à un projet de cette envergure? Il achète un parapluie et un petit tube de crème solaire !! J’ai peu pratiqué le théâtre en plein air, et j'ai un très fort attachement pour la boîte à images qu'est la cage de scène. Mais j'aime aussi varier les règles des jeux auxquels je me soumets. Le plein air va me dicter ses lois. Il faudra faire les choses en plus grand et trouver la manière de préserver les nuances. Mais je crois que j'ai réuni une distribution tout à fait capable de faire ce travail. Pour le reste, me préparer à un tel projet, c'est avant tout pour moi chercher à comprendre ce que la pièce dit au plus secret de l'écriture.