R.S.C.A
RECIT
C’était un dimanche de novembre, pendant ma première garde, quelque temps après le début
de ma nouvelle vie d’interne. En début d’après-midi, après bon nombre de dossiers de
traumatologie plus ou moins bénigne et quelques cas médicaux plus lourds, je m’apprêtais à
m’occuper de mon prochain patient : un cas d’accident d’exposition au sang avec une coupure
de rasoir chez un petit garçon de 3 ans dont la séroposivité du papa avait été découverte
récemment.
Les accidents d’exposition au sang ( A.E.S ) se trouvant être assez fréquents, notamment aux
urgences, je commence par me renseigner auprès de l’équipe soignante sur l’existence
éventuelle d’un protocole pour les AES. On me répond assez rapidement que nous ne
possédons que des kits A.E.S pour les adultes ; je dois donc me renseigner pour connaître les
modalités exactes de l’incident.
Je me dirige lentement vers le box en anticipant au maximum les questions délicates de
l’interrogatoire que je m’apprêtais à mener. En entrant dans la pièce, j’ai été tout de suite
frappée par l’attitude digne et volontaire de la jeune femme de 35 ans qui se tenait devant
moi, ne parvenant tout de même pas à cacher entièrement son désarroi ; à côté d’elle se tenait
un timide petit garçon de 3 ans nommé A., l’air penaud, ne semblant pas trop comprendre où
il était et pourquoi.
Après s’être présentées l’une à l’autre, la mère prit les devants et m’expliqua la situation : la
grande sœur de 7 ans et demi d’A. s’était mise en tête cet après-midi de raser son petit frère
avec de la mousse, comme « papa » et lui avait écorché accidentellement la base du nez ; bien
que peu profonde, la plaie avait tout de même saigné. Le rasoir appartenait au papa, dépisté
fortuitement, séropositif pour le HIV quinze jours auparavant ; l’objet contaminant était
souillé de son sang après une coupure mais non utilisé depuis 48 heures. L’incident s’était
déroulé deux heures auparavant et la maman avait immédiatement composé le numéro vert de
Sida Infos Service qui lui avait conseillé de se rendre le plus rapidement possible aux
urgences de l’hôpital le plus proche. Compte tenu que la nouvelle était assez récente, et
dépassés par les événements qu’ils avaient à affronter, les parents n’avaient pas eu le temps ni
la présence d’esprit de prendre toutes les précautions nécessaires pour prévenir la
transmission du virus au sein de la famille.
Bien que touchée par la situation ( d’autant plus qu’elle concernait cette fois-ci un enfant ), je
tente de rester objective et cherche à connaître le statut HIV du papa : le taux de CD4+ est très
faible à 50/mm³ , il a donc été mis sous prophylaxie par Bactrim la semaine passée et
l’ensemble du bilan, dont la charge virale, mené par le Dr. T. sur le CH, est en route. Il
n’existe pas de co-infection virale notamment par le VHB ou le VHC. Le patient n’est pas
traité pour le moment. Pour sa part, les premières sérologies de la maman sont revenues
négatives et la suite de son suivi sérologique a été mis en place. Du fait de sa séronégativité,
les enfants n’ont pas fait l’objet d’un dépistage particulier.
Je rapporte donc ces faits à mon sénior ; nous décidons d’appeler le médecin de garde pour les
A.E.S sur le site du CH pour nous orienter sur la démarche à suivre. Quasi immédiatement, il
nous faxe le protocole en règle pour les enfants ( suivi sérologique, indications de traitement,
adaptation des posologies ). Le papa étant HIV+ et l’objet souillé, l’enfant est à traiter après
avoir effectué un bilan initial biologique et sérologique.
Le traitement comporte trois antirétroviraux : l’AZT ( RETROVIR ), le 3TC ( EPIVIR ) et le
Nelfinavir ( VIRACEPT ), à mettre en route au maximum dans les 48 heures suivant
l’exposition, puis se mettre en contact dès le lundi matin avec l’un des référents, M. M ou
Mme B, aux urgences pédiatriques de l’hôpital l’ Archet avec prise de rendez-vous dans les
trois jours pour décision thérapeutique : arrêter ou poursuivre le traitement.
Bien évidemment au SAU, nous ne possédons que des traitements dont la galénique, déjà
problématique pour les adultes, se trouve inadaptée aux posologies de l’enfant notamment de
trois ans ( poids de 18kgs ).
Il fut donc nécessaire de contacter la pharmacienne de garde sur l’hôpital pour réussir à se les
procurer en cette fin de dimanche. Ce type de produits, n’étant pas disponible sur Cannes, elle
devait se renseigner sur les autres sites hospitaliers des environs et me tenait au courant dès
que possible. Pendant ce temps, je décidai alors de m’attacher à informer et à rassurer la mère
d’A .
Le taux de transmission du HIV est faible par rapport aux taux d’attaque d’autres virus, et le
rasoir, bien que souillé, n’avait pas été utilisé depuis 48 heures. D’autre part, le taux de
contagiosité dépendait vraisemblablement de la charge virale présente chez le père. Elle
semblait rassurée, son visage se détendait momentanément. Elle sourit lorsque notre attention
se porta sur notre petit patient ; A. , réservé au départ, s’était émancipé pendant notre
conversation, les jeux de son âge allégeant l’atmosphère de la pièce. J’admirais cette maman
en apparence si calme mais qui devait penser à mille choses à la fois. Elle restait avenante et à
l’écoute de tout ce que je lui rapportais. Passée la phase d’urgence, la tension retomba quelque
peu. Elle se confia : aucun membre de sa famille ni de sa belle famille n’avait été mis au
courant de la situation. Elle ne savait pas vers qui se tourner et craignait que le secret ne soit
découvert avant d’être dévoilé. Elle devait en effet passer le lendemain en famille et, sans
l’avouer, semblait ressentir le besoin d’être épaulée par des proches avertis : ce secret ne
facilitait pas l’ensemble de ses démarches.
Je lui conseillai de sortir faire un tour pour s’aérer, elle et son enfant, et de se représenter à
l’accueil des urgences d’ici trois quarts d’heure.
Entre temps, la pharmacienne de garde avait réussi à trouver les produits en poudre ou en
suspension buvable sur la pharmacie de l’hôpital de Grasse et à envoyer un coursier rapide les
chercher. Nous les avons donc reçus finalement dans un délai relativement court mais qui
avait permis à la maman de déposer son enfant et de revenir accompagnée de son frère et de
sa belle-sœur ( à qui elle s’était confiée ) afin de récupérer le traitement.
Je m’isolais avec elle pour lui expliquer les modalités d’administration ainsi que les
posologies à donner à A. . Tout est bien pensé pharmacologiquement ( seringue graduée,
cuillère à mesure ) mais le traitement n’en reste pas moins lourd et astreignant. Pour diminuer
son inquiétude, je notai lisiblement le récapitulatif de l’ensemble des informations que je lui
transmettais oralement sur une feuille qu’elle emmènerait avec elle en rentrant : DC,
posologies, horaires de prise, numéros à contacter. Le jeune A. souffrant en ce moment d’une
banale gastro-entérite virale, je lui dis d’en profiter pour lui faire prendre les médicaments
sous ce prétexte d’autant plus que ça pouvait permettre de « dissimuler » les effets
indésirables auxquels il était exposé : nausées, vomissements, diarrhées. Elle sembla
reprendre le dessus malgré tous les problèmes qu’elle rencontrait ; restait un dernier souci : il
serait préférable qu’A. n’aille pas à l’école afin de prendre des médicaments et d’aller à la
consultation spécialisée. De son côté, la maman devait elle aussi être arrêtée deux trois jours
sans pour autant que l’école ou l’employeur ne soient mis au courant de la situation réelle.
Pour l’enfant, c’était simple : une dispense scolaire sur les documents administratifs pré-
établis des urgences suffirait. Pour la maman, après renseignements auprès de la secrétaire
hospitalière, un certificat sur papier à entête fut établi attestant que l’état de santé de A.
nécessitait la présence de sa mère auprès de lui.
Après m’être et l’avoir interrogée, il sembla que toutes les mesures d’urgence avaient été
prises. Elle me remercia et prit congé ; de mon côté, les autres patients que je prenais en
charge m’attendaient ainsi que tous ceux qui n’avaient pas encore été vus…. Il m’arriva
plusieurs fois de repenser à eux pendant ma garde mais aussi une fois rentrée chez moi.
ANALYSE DES PROBLEMATIQUES POSEES PAR LA SITUATION
Cette situation s’est avérée complexe pour moi pour différentes raisons :
- Elle concernait bien évidemment un enfant, très jeune, mais aussi finalement toute la
« cellule » familiale : la mère présente, qui se retrouvait au centre des problématiques, le père
absent, qui semblait être complètement dépassé ( et on le comprend ) par la situation et deux
jeunes enfant à qui toutes ces informations « échappaient » pour le moment mais qui en sont
venus à être directement touchés par le sujet.
- Toutes les « étapes » de la prise en charge ont été humainement complexes : l’interrogatoire
initial, l’examen clinique, la décision de mise sous traitement, l’organisation du suivi ….
Le comportement de la maman avait été adapté à tous les moments ; mais bien évidemment
elle ne réussissait pas à cacher son inquiétude et il était important pour moi de garder un
certain recul tout en faisant preuve de la compassion que j’éprouvais.
Par exemple, au moment de la décision de mise sous traitement, une certaine ambivalence
s’est installée. Je crois que quelque part, la maman espérait que nous ne mettions pas son
enfant sous prophylaxie ce qui sous-entendait que le risque aurait été moindre ; le fait de le
traiter lui a fait prendre conscience brutalement de la possibilité réelle de contamination.
- Il a fallu aussi de manière concomitante créer un climat de confiance vis-à-vis du jeune A.
afin qu’il ne soit pas trop effrayé. J’ai réussi à les tenir à l’écart de la frénésie des urgences la
plupart du long temps qu’a pris leur prise en charge.
Le comportement de la maman n’a pas montré d’agacement, d’irritation ou d’énervement
particulier ; de son côté, A. ne s’est pas agité même si le temps a bien fini par lui sembler
long.
- Mon inexpérience dans le domaine des accidents d’exposition et des conduites à tenir en cas
d’exposition m’a posé des difficultés : à répondre aux premières questions posées par la
maman, puis dans la recherche du protocole, puis sa lecture et compréhension.
Heureusement, celui-ci était bien construit et m’a permis de faire face convenablement à la
situation en répondant à ses attentes.
Elle avait aussi été « rassurée » par ma démarche de récupération de toutes les informations
nécessaires, par l’existence d’un protocole dans ce genre d’incident, et par les moyens mis en
œuvre pour essayer de résoudre efficacement les problèmes rencontrés.
OBJECTIF D’APPRENTISSAGE / RECHERCHE DOCUMENTAIRE
I) PROTOCOLE A.E.S URGENCES PEDIATRIQUES ( utilisé sur le C.H de Cannes
ainsi qu’aux urgences pédiatriques de l’ Archet ) :
Attention ne concerne que les risques liés au VIH ; ne pas oublier les autres risques infectieux.
ON TRAITE
Les accidents d’exposition sexuelle lorsque le sujet source est inconnu ( viol )
Les accidents d’exposition sexuelle lorsque le sujet source est VIH séropositif
Les piqûres accidentelles ou expositions cutanéo-muqueuses avec plaie lorsque le
sujet source est identifié comme VIH séropositif
ON NE TRAITE PAS
Les piqûres accidentelles superficielles cutanéo-muqueuses faites avec une seringue
sur la voie publique
Les accidents d’exposition sexuelles lorsque le sujet source est identifié comme VIH
séronégatif
ON DEMANDE
L’accord des parents ou tuteur pour la mise en place
De la surveillance
Du traitement au cas échéant ( faire signer la feuille de consentement )
ON SURVEILLE
1. Pour les sujets traités
Sérologies VIH-1 et 2 ( T0, M1, M4 )
PCR-RNA ( charge virale plasmatique à M1 )
2. Pour les sujets traités ( notre cas ici )
Sérologies VIH-1 et 2 ( T0, M1, M4 )
PCR-RNA ( charge virale plasmatique à M1 )
NFS-plaquettes, réticulocytes, Profil avec SGOT, SGPT ( J15, M1 ),
amylasémie, lipasémie
ON PRESCRIT
1. GRANDS-ENFANTS – ADOLESCENTS ( sup. à 12 ans )
COMBIVIR ( AZT + 3TC ) = 1cp matin et soir – 4 semaines
VIRACEPT ( Nelfinavir ) = 5cp matin et soir – 4 semaines
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