LE CANCER VÉSICAL AU SÉNÉGAL, EXPÉRIENCE DU LABORATOIRE D’ANATOMIE PATHOLOGIQUE DU C.H.U DE DAKAR (SÉNÉGAL) J.M. DANGOU, V. MENDES, I.A. BOYE, G. WOTO-GAYE, P.D. NDIAYE. RÉSUMÉ Les cancers de vessie sont d’observation courante en pratique quotidienne urologique à Dakar. Entre Janvier 1970 et Décembre 1993, 82 cas de cancer vésical ont été colligés au laboratoire d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques du CHU de Dakar. La prévalence de cette pathologie est située à 2,3% de l’ensemble des cancers au Sénégal. L’âge moyen de survenue est de 46 ans avec atteinte plus précoce de la femme. Le Carcinome malpighien est le type histologique le plus fréquent (62,2%) et n’est pas toujours associé à des lésions bilharziennes. Mots clés : Vessie, cancers, bilharziose SUMMARY Urinary bladder cancers are currently observed during urologic practice in Dakar. F rom January 1970 to December 1993, 82 cases of bladder cancers were received at the department of Pathology of Dakar University Hospital. The main prevalence of this pathology is about 2,3% and it survains generally at 46 years old. Women are pr e c o ciously affected. Epidermoid carcinomias are more frequent (62,2%) and do not always coexist with schistosomiasis. Key-words : Urinary bladder, cancers, shistosomiasis. INTRODUCTION L’un des aspects de la pathologie des Tropiques est sans nul doute le cancer chez le noir. Au Sénégal, les manifestations de cette cancérologie tropicale, sont dominées par les nombreux ulcères cancérisés de jambe, les hépatomes malins, les néoplasmes du col utérin et du sein, rencontrés quotidiennement dans la pratique hospitalière. Les cancers vésicaux, apparemment moins nombreux dans le pays, n’expriment pas moins cette physionomie particuière du “cancer africain”. Entrant dans un écosystème donné, ils posent d’emblée par leur simple présence sur une terre d’endémie bilharzienne le problème étiologique du cancer bilharzien. Il nous a paru intéressant de rapporter l’expérience acquise au cours de ces dernières années au laboratoire d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques du C.H.U de Dakar. MATÉRIEL ET MÉTHODES D’ÉTUDE Le matériel de ce travail concerne des dossiers utilisables de cancers vésicaux colligés au laboratoire d’Anatomie pathologique du C.H.U. de Dakar (Hôpital A. Le Dantec et Faculté de Médecine) entre 1970 et 1993 soit durant 24 années. Dans cette étude rétrospective, nous avons retenu 82 cas concernant des biopsies ou pièces opératoires de vessie tumorale. Nous nous sommes intéressés aux renseignements cliniques et paracliniques et à l’examen anatomopathologique détaillé. La plupart de ces dossiers provient des services chirurgicaux du CHU, de certaines structures sanitaires de Dakar ou des autres régions du Sénégal. L’étude anatomo-pathologique faite sur les prélèvements biopsiques et les pièces opératoires n’a exigé que dans de rares cas des techniques spéciales. Généralement un examen macroscopique a été fait avant et/ou après fixation au formol neutre à 10%. La coloration standard à l’Hématoxyline-Eosine a suffi à faire l’étude microscopique dans la plupart des cas. Cependant certains aspects histologiques particuliers ont nécessité des techniques spéciales telles que le P.AS, le Mucicarmin et le Trichrome de Masson. Laboratoire d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques, Faculté de Médecine Université C. Anta DIOP. Dakar (Sénégal). Médecine d'Afrique Noire : 1996, 43 (6) J.M. DANGOU, V. MENDES, I.A. BOYE, G. WOTO-GAYE, P.D. NDIAYE. 363 RÉSULTATS 1) Prévalence Durant la période étudiée, la prévalence des cancers de vessie par rapport à l’ensemble des cancers se situe autour de 2,3%. 2) Répartition selon le sexe Il y avait dans notre série 39 hommes soit 47,2% et 43 femmes soit 52,8%. 3) Distribution en fonction de l’âge Elle est reprise au tableau 1. Tableau 1 : Répartition des cas en fonction de l’âge Hommes Age (Années) Femmes Nb % Nb % Total 11-20 2 2,44 1 1,22 3 21-30 4 4,88 9 10,97 13 31-40 4 4,88 14 17,07 18 41-50 10 12,19 7 8,54 17 51-60 8 9,76 10 12,19 18 61-70 7 8,54 2 2,44 9 Plus de 70 4 4,88 0 0 4 L’âge moyen de survenue du cancer vésical est de 51,05 ans chez l’homme, 42,04 chez la femme et 46,69 ans pour les deux sexes. Le patient le plus jeune est de sexe masculin, il a 12 ans et présente un lymphome lymphoblastique sans schistosomiase associée. Le patient le plus âgé a 88 ans et souffre d’un adénocarcinome sans schistosomiase associée. Sur les 82 cas, 51 (62,2%) ont moins de 50 ans et 27 (32,9%) entre 51 et 70 ans. 4) Aspects morphologiques Les examens macroscopiques décrivent une masse à large base d’implantation, nécrotico-hémorragique en surface ; dans d’autres cas, la tumeur est exophytique, remplissant la cavité vésicale, envahissant toute l’épaisseur de la paroi et atteignant les organes voisins avec parfois perméation cutanée. Médecine d'Afrique Noire : 1996, 43 (6) Les tumeurs furent classées histologiquement en 6 groupes selon une légère modification du système du “British Institut of Urology (Dukes ; 1959)” : cancer urothélial, cancer métaplasique de type épidermoïde, cancer anaplasique, adénocarcinome, sarcome et tumeurs rares. Tableau 2 : Répartition des cas en fonction du type histologique Types histologiques Nombre % Cancer malpighien 51 62,2 Cancer urothélial 22 26,6 Adénocarcinome 5 6,1 Sarcome 3 3,7 Lymphome 1 1,2 Total 82 100 Les cancers malpighiens apparaissent histologiquement plus ou moins bien différenciés avec une maturation kératinienne sous forme de perles cornées. 5) Association cancer vésical-schistosomiase Dans 9 cas sur 82 patients soit 11% en valeur relative, nous avons retrouvé au sein de la tumeur ou à son voisinage dans la paroi vésicale, des oeufs de schistosome, il s’agissait de Schistosoma haematobium. La tumeur associée à cette parasitose chez 7 sujets est de type épidermoïde, et, chez les deux autres, elle est papillaire urothéliale. Les autres tumeurs à savoir les adénocarcinomes, les sarcomes et le lymphome ne comportaient pas de signes histologiques de bilharziose sur les prélèvements examinés. 6) Distribution géographique des patients Notre laboratoire reçoit des échantillons venant de Dakar, sa banlieue mais aussi de toutes les régions du Sénégal. Par ordre de fréquence dans notre série, les Ouolofs passent en tête (42,6%), suivis par les Toucouleurs (15,8%), les Peulhs (14,6%) et les Sérères (12,2%). Les autres ethnies se partagent le reste. DISCUSSION Un certain nombre de réserves sont à faire avant tout commentaire. Au Sénégal, comme dans la plupart des pays LE CANCER VÉSICAL… 364 africains et même dans certains pays industrialisés, il n’existe pas de données statistiques précises sur le nombre de patients cancéreux. Le faible nombre de cas dans notre série est dû au fait que de nombreux patients n’ont pu bénéficier d’un examen anatomo-pathologique pour des raisons économiques ou techniques. Nos chiffres sont alors sous-estimés et doivent être revus à la hausse. La prévalence du cancer vésical au Sénégal est de 2,3% de l’ensemble des cancers ; elle est à peu près identique à celle observée en Afrique noire (Tableau 3) et dans la série publiée à Dakar en 1987 par DIAGNE et Collaborateurs (2). Tableau 3 : Prévalence du cancer vésical dans certains pays africains d’après Malick (1) Pays Fréquence Cancer Vésical Kenya (Linsell, 1968) 1,0% Ghana (Edington, 1956) 2,1% Nigéria (Edington, 1967) 2,3% Sénégal (Dangou 1994) 2,3% Sénégal (Diagne, 1987) 2,4% Tanzanie (Linsell, 1968) 2,6% Soudan (Malick, 1975) 3,1% Ouganda (Davies, 1965) 4,1% Mozambique (Pratees, 1958) 7,6% Egypte (A. Nasr, 1962) 11,0% La plupart des travaux de la littérature (3, 4 ,5) montre une prépondérance masculine du cancer de vessie. Mais à Dakar cela n’a pas été retrouvé. La répartition des cas selon l’âge fait apparaître que 62,2% des patients ont moins de 50 ans et l’âge moyen du cancer vésical est de 46 ans. L’atteinte plus précoce de la femme ne trouve pas de justification. DIAGNE et co-auteurs (2) dans une série de 336 observations trouvent que l’âge moyen de survenue se situe autour de 35 ans. L’analyse des données ethniques est peu probante et sujette à de nombreuses cautions. A Dakar, la population est cosmopolite et on y retrouve un panorama des différentes ethnies sénégalaises. L’origine géographique exacte des patients est alors difficile à préciser. Les données histopathologiques montrent une prépondérance du Carcinome malpighien (62,2%). Ce chiff r e concorde avec celui des pays où l’endémie bilharzienne sévit (1). Mais nos coupes ne retrouvent des lésions bilharziennes que dans 11 cas. Ce taux est relativement faible compte tenu de l’importance de l’endémie bilharzienne sévissant essentiellement dans la partie nord du Sénégal et dans le bassin casamançais. Il est à noter que sur une biopsie l’absence d’oeufs de bilharzie n’exclut pas une infestation bilharzienne ; l’appréciation d’une relation entre le degré d’infestation et le type de cancer est alors délicate. Ceci nous amène à nous interroger sur le rôle étiopathogénique de la bilharziose dans la survenue du cancer vésical au Sénégal. Trois grands groupes de facteurs sont incriminés dans la genèse du carcinome vésical ; les agents infectieux au 1er rang desquels arrivent la bilharziose, jouent indubitablement un rôle déterminant. Mais comme le montrent nos échantillons les lésions bilharziennes ne coexistent pas toujours avec le cancer. Les agents carcinogènes vésicaux “certains” (essentiellement toxiques) n’ont pas été retrouvés dans les antécédents de ces patients. Il est permis de penser qu’en dehors de la bilharziose, en Afrique un nombre non négligeable d’autres facteurs, en l’occurrence irrittatifs et viraux concourent à la genèse de ce néoplasme. L’hypothèse d’une infection virale par un type du groupe des Papoviridae (HPV) mérite de retenir l’attention. CONCLUSION Le cancer vésical à Dakar présente une physionomie particulière ; cette étude ne nous apporte aucun fait permettant d’affirmer de façon formelle l’étiologie exclusivement bilharzienne de ces cancers. Mais de nombreuses observations cliniques et épidémiologiques nous incitent à penser que la bilharziose vésicale comme du reste les cystites chroniques diverses, les rétentions d’urine, les lithisases vésicales et les prédispositions raciales et individuelles, apportent quelque contribution dans la genèse de ces tumeurs. Médecine d'Afrique Noire : 1996, 43 (6) J.M. DANGOU, V. MENDES, I.A. BOYE, G. WOTO-GAYE, P.D. NDIAYE. 365 La lutte contre le sous-développement par les travaux d’irrigation en zone tropicale risquent d’en augmenter la fréquence. Il devient primordial d’affiner les méthodes de diagnostic précoce que sont la cytologie urinaire et la cystoscopie, afin d’appliquer des thérapeutiques adéquates et efficaces au moment opportun. BIBLIOGRAPHIE 1 - M.O. MALICK, B. VERESS, E.H. DAOUD, A.M. EL HASSAN Pattern of bladder cancer in the Sudan and its relation to schistosomiasis : a study of 225 vesical carcinomas. J. Trop. Med. Hyg. 1975 78 (10-11) : 219-223. 2 - B.A. DIAGNE, M. BA, S.M. GUEYE, A. WANDAOGO, A. TOURE, A. MENSAH Les particularités des cancers vésicaux en milieu sénégalais : analyse de 336 observations. Bull. Soc. Frçse. Canc. Privé 1987 16 (6) : 95-100. 3 - K.G. BRAND Médecine d'Afrique Noire : 1996, 43 (6) Schistosomiasis-cancer : etiological considerations. Acta Tropica, 1979, 36, 203-214. 4 - J.P. COULAND, A. MOULONGUET Le cancer sur vessie bilharzienne : A propos de six observations. Annales d’Urologie, 1986, 20 (3) : 213-217. 5 - J. DOCQUIER, B. SOURABIE Cancer de vessie. 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