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Lors de la rencontre organisée
pour les dix ans de notreUnité ambu-
latoire spécialisée, je me souviens en
particulier d’une patiente qui, retraçant
son parcours de soins, notait un peu
moqueuse, que son thérapeute lui disait
souvent :«Je vous entends, je vous
entends. »Et de préciser :«Je savais
bien qu’il n’était pas sourd… »
Mais dans le cadred’une centrale d’ac-
cueil et d’orientation psychiatrique par télé-
phone, s’agit-il d’entendre ? D’écouter ?
D’écouter avant d’entendre? Dans leur excel-
lent article sur l’entretien clinique au
téléphone, Brigitte Cadéac et Didier Lauru
(1) relèvent que, quelles que soient les
techniques utilisées, les courants théo-
riques s’appuient sur ceux de la relation
d’aide, de la communication, de la psy-
chologie et de la psychanalyse.
En ce qui concerne notre Centrale d’ac-
cueil et d’orientation psychiatrique (AOP),
l’entretien clinique fait référence à l’ap-
proche psychodynamique et psychana-
lytique commune à toutes les unités de
la Fondation de Nant (2). Les missions
d’accueil et d’orientation en sont de fait
largement imprégnées.
Dans ce même article (1), le terme « télé-
phonie clinique »est proposé comme
conséquence du travail réalisé par des pro-
fessionnels formés à l’écoute. À l’origine
le mot « clinique » suppose l’idée d’une
médecine pratiquée au chevet du malade.
Mais l’entretien téléphonique clinique
implique une observation indirecte. On ne
se situe plus sous le regard de l’autre (celui
du soignant et du soigné) mais dans
l’oreille de l’autre… Dans ce non face-
à-face, il s’agit de prêter l’oreille, de se
retrouver avec l’appelant dans un « oreille-
à-oreille », qui suppose une disponibilité
et une attention à la mesuredes inquié-
tudes formulées. Cette préoccupation
doit être sans faille et suppose une atten-
tion entièrede l’écoutant. À l’origine, le
bouche-à-oreille désignait une confi-
dence. On imagine effectivement une
personne chuchoter à l’oreille d’une autre
pour assurer la confidentialité de son
propos. Ce contexte permet d’introduire
deux aspects de la construction initiale
de la rencontre téléphonique : l’accueil
et la confiance.
ÊTRE DISPONIBLE À LA RENCONTRE
Accueillir celui qui appelle, c’est avant
tout se rendre disponible pour la ren-
contre. Rencontre où l’étroite intrication
entre corps et psyché n’est évidemment
pas celle du face à face. Les deux inter-
locuteurs sont en quelque sorte désincarnés,
l’absence corporelle favorisant alors l’émer-
gence de la parole. L’appelant comme
le répondant ne savent pas physique-
ment qui est au bout du fil, et ni l’un ni
l’autre ne sont entravés par un regard
extérieur.C’est ce qui permet à l’appe-
lant de parler de lui, de ce qui l’occupe
et le préoccupe de manière plus libre, avec
moins de gêne et de pudeur. Le ras-le-
bol, les colères, les craintes, les insatis-
factions, les idées noires ou suicidaires
sont exprimées avec moins de retenues,
de façon plus directe. Un peu comme si
l’absence corporelle permettait un lâcher-
prise plus rapide, pour aller à l’essentiel.
S’ajoute à cela le fait que l’appelant est
animé d’une intention. Il sait qu’il contacte
une centrale d’accueil psychiatrique et que
c’est un professionnel qui lui répond. Il
adonc des attentes légitimes souvent
très claires, parfois moins, mais il a tou-
jours des attentes.
Ainsi, un patient suivi dans un de nos ser-
vices peut appeler l’AOP pour se plaindre
de ses thérapeutes, évoquer ses inquié-
tudes après un bilan ou vérifier la perti-
nence de sa médication. Il s’agit alors de
l’aider à fairequelque chose de cette
angoisse, de lui permettre d’énoncer ses
colères, voire ses envies destructrices.
D’autres fois, l’écoutant « étranger », ce
professionnel neutre et bienveillant, lui
permet de clarifier ses pensées, ses repré-
sentations de la maladie et sa relation à
ses thérapeutes.
• Les patients connus…
Pour un patient connu, l’objectif de l’en-
tretien téléphonique est double : évaluer
sa plainte et ses symptômes mais surtout
faireémerger l’origine de son mal-êtreet
lui montrer qu’il en est partie prenante.
La téléphonie
clinique àl’écoute
Dans le non face à face de l’entretien d’accueil téléphonique, l’aptitude du soignant à la
rencontre est déterminante pour transformer la crise, c’est-à-dire répondre au besoin
plutôt qu’à la demande, penser plutôt qu’agir.
FrançoiseGONZALEZ
Cadre infirmière, Centre d’intervention
thérapeutique et Centre d’accueil et d’orientation
psychiatrique, Fondation de Nant,
Secteur psychiatrique de l’Est vaudois, Suisse.
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Il arrive en effet souvent que le patient
ne reconnaisse pas spontanément que
ses symptômes et sa souffrance parce
qu’il en attribue l’origine à des facteurs
externes. Le risque est alors que l’infir-
mier-écoutant agisse, qu’il sorte d’une
nécessaire neutralité et se substitue aux
différents acteurs du traitement. L’en-
tretien téléphonique doit au contraire
conduire le patient à une démarche
réflexive, singulière, puisque l’interlocu-
teur n’est pas directement en prise avec
ses intervenants habituels, il se situe
hors de la réalité de l’unité de soin ou de
la relation thérapeutique habituelle.
Pour les patients en cours de traitement,
l’accueil téléphonique se situe essen-
tiellement dans l’énonciation des difficultés,
la clarification et la contenance. La ques-
tion de l’orientation ne se pose pas, sauf
dans les moments d’urgence où nous
évaluons les critères d’une intervention
ou d’une hospitalisation.
…et les appelants inconnus
Il en est tout autrement avec les patients
non connus, et en particulier les « appe-
lants » qui ne sont pas (ou du moins pas
encore) en traitement. Avec eux, il s’agit
vraiment d’accueillir et d’orienter.
Accueillir, c’est dans un premier temps
laisser celui qui appelle direses angoisses,
ses peurs, ce qui ne va pas. C’est aussi
parfois endurer ses projections. Une lutte
peut s’instaurer entre désir de dire et de
taire. Celui qui demande de l’aide peut
se sentir rassuré mais aussi « intrusé »,
voirepersécuté par nos interventions et
nos silences. L’enveloppe offerte par la
parole est créative, réactive, individuelle
et résistante. Flux et reflux du dialogue,
sinuosité des mots, silence contenant
qui permet de se rassembler… Silence
parfois angoissant, qui peut laisser croire
de part et d’autre que l’on n’a pas gagné
l’attention ou pire qu’on l’a perdue. Sou-
vent, nos premiers mots sont : « Dites-
moi. » Àcet instant, celui qui appelle se
raconte à lui-même, comme si l’oreille de
l’infirmier, anonyme en début d’entre-
tien devenait ce média qui permet à l’ap-
pelant de clarifier son monde psychique.
Mais avant cela, dire à l’autre c’est se faire
entendre, être reconnu tout en com-
mençant à exister comme partenaire. La
confiance peut alors s’instaurer. Le plus
souvent, un changement s’opère rapide-
ment : celui qui appelle se pose, se confie,
abandonne une partie de ses réticences et
de ses résistances. Une proximité s’établit.
En référence à Winnicott (3), on peut
parler d’une nouvelle aire d’expérience,
d’un espace transitionnel entre la réalité
extérieureet la réalité interne.
L’aptitude à la rencontre du soignant
passe d’abordpar l’empathie qui sup-
pose des compétences particulières, une
manière d’être (holding), et une aptitude
àaccroître sa disponibilité et sa capacité
d’accueil.
L’accueil téléphonique a ceci de particulier
que c’est la parole seule et non le lien
réel avec le soignant qui rend le patient
disponible à l’engagement dans la rela-
tion et dans le processus de soin.
Comme dans l’intervention de crise (4),
c’est souvent un moment fécond de repé-
rage et de transformation du symptôme.
Ce travail d’accueil téléphonique a peu
de chance d’aboutir à un résultat posi-
tif si l’infirmier n’est pas capable d’uti-
liser, à côté de ses ressources techniques,
sa propre implication affective, son respect
du patient et sa chaleur humaine. Il est
également question de sa propre capa-
cité à tolérer l’angoisse, à contenir et à
assurer notre sollicitude. L’objectif est
de ne pas lâcher la situation avant d’avoir
trouvé ensemble, et avec nos collègues
des différentes unités, le bon lieu de
soin pour ce nouvel arrivant.
TECHNIQUE ET EMPATHIE
L’entretien clinique téléphonique se situe
entre subjectivité et objectivité. Ainsi,
la subjectivité apparaît autour d’intui-
tions, de sensations, d’impressions. Des
émotions sont induites par la manière
de formuler la demande, par l’intonation,
le rythme, les silences, l’irritation, la
colère, la tristesse perçus au détour du
flux de parole. L’objectivité s’appuie
davantage sur l’analyse du contenu,
comme par exemple l’évaluation du risque
suicidaire auquel une attention particu-
lière est accordée.
Àcet égard, la partde l’écoute télépho-
nique dans la prévention des états de
crises psychologiques est très impor-
tante. Penser le bon lieu de soin et l’orien-
tation adéquate se nourrit du subjectif et
s’enrichit de compétences cliniques et tech-
niques indispensables. La mission de
l’entretien téléphonique clinique est
double. Il faut s’intéresser d’une part à
la plainte, à la symptomatologie, à la
maladie et d’autre part à la personne et
àson entourage puis intégrer ces deux
dimensions. Cette écoute va au-delà des
mots et implique une curiosité et une
distance favorisant l’émergence d’une
relation thérapeutique qui présente de
nombreux points communs avec le tra-
vail de crise.
La détresse psychologique qui s’exprime
parfois de façon bruyante lors de l’appel
intervient à un moment paroxystique de
mal-être dans la trajectoire de l’appe-
lant. Comme au cours du travail de crise,
il faut se poser la question de ce qui fait
urgence dans l’ici et maintenant. Un
débordement émotionnel insupportable com-
mence à êtrecontenu lorsque des hypo-
thèses lui donnent du sens et que le tra-
vail d’orientation montre une possibilité
d’aide. La transformation (donner du
sens, comprendre) de ce qui est souvent
vécu par l’appelant et son entourage
La Centrale d’accueil et d’orientation psychiatrique
et l’antenne téléphonique
La Centrale d’accueil et d’orientation psychiatrique (AOP) de l’Est vaudois, qui a ouvert son
antenne téléphonique en 2010, répond 24 heures sur 24 aux demandes d’interventions
psychiatriques, quel que soit l’âge du patient. Le plus souvent, ce sont des infirmiers qui traitent
les appels. En cas d’urgence,le soignant propose à l’appelant de se rendre dans les locaux
de l’AOP pour un premier entretien. Sinon, il l’oriente vers une structure de soins adaptée.
L’écoute téléphonique se situe au-delà des mots, elle implique une
curiosité et une distance favorisant l’émergence de la relation thérapeutique. »
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comme une crise à laquelle la seule issue
serait l’urgence, doit permettre de répondre
au besoin plutôt qu’à la demande, c’est-
à-dire penser plutôt qu’agir. Cette trans-
formation de l’urgence permet ainsi au
demandeur d’adopter une position active et
de mobiliser des ressources pour tenir jus-
qu’au prochain rendez-vous dans un lieu de
soin, ou parfois jusqu’au prochain appel.
Cette évolution de la demande doit éga-
lement lui permettre d’être davantage
actif dans le futur processus de soin. Il
s’agit évidemment de différencier les
réelles urgences psychiatriques, celles
intriquées avec une composante médicale
qui nécessitent une étroite collaboration
avec nos collègues somaticiens, et les
urgences plutôt situationnelles qui peu-
vent être différées et pour lesquelles une
écoute adaptée, une réassurance, voire
quelques conseils avisés suffiront à pro-
curer un soulagement et un apaisement
attendus.
INFIRMIERS EN PREMIÈRE LIGNE
En 1998, Jean-Christophe Miéville, cadre
infirmier, (5) participait à Bruxelles au
5econgrès mondial des urgences psy-
chiatriques sur le thème Les urgences
psychiatriques dans un monde en chan-
gement. Il relevait alors que depuis deux
ans déjà, l’urgence psychiatrique de son
secteur était assurée en première ligne
par un infirmier.
Aujourd’hui, le travail de précision, de trans-
formation de la demande et de conte-
nance mis en place par l’infirmier dans
le cadre de l’AOP ne diffère pas vrai-
ment du travail décrit par J.-C Miévielle.
Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ?
Pour ma part, je pense que les bonnes
pratiques s’affinent, s’enrichissent, mais
ne changent pas vraiment.
J.-C. Miéville notait que le travail télé-
phonique de l’infirmier se fait au travers
d’une démarche au cours de laquelle
plusieurs points sont abordés :
le degré de danger pour le patient et
les autres ;
son appréciation de la réalité ;
l’étayage sur lequel il peut s’appuyer ;
sa capacité à mobiliser ses ressources,
ses antécédents ;
la perception que ses proches ont de
son vécu ;
sa capacité à supporter l’exacerbation
de ses symptômes.
Au cours de cette évaluation, il s’agit de
laisser suffisamment de place à l’appe-
lant pour que les professionnels instal-
lent une écoute partagée où la parole de
celui qui énonce son mal-être reste com-
plémentaire de celle du spécialiste.
Le fonctionnement de l’AOP repose essen-
tiellement sur les infirmiers, situés donc
en première ligne. Mais cela suppose une
étroite collaboration avec les médecins
de la Fondation de Nant, ceux des urgences
somatiques, les libéraux ou encoreles
médecins de garde via les urgences. Néan-
moins, la collaboration médico-infirmière
n’est pas acquise. Il faut sans cesse y
apporter un soin et une attention toute par-
ticulière. Certains médecins supportent
encore mal que des infirmiers soient en
première ligne de l’accueil et de l’orien-
tation psychiatrique.
Il semble donc nécessaire que chacun
poursuivre un travail de formation et d’in-
formation. Ainsi, les infirmiers doivent
s’extraire d’une position d’exécutant d’un
soin délégué et se donner les moyens,
en termes de compétences et de forma-
tion mais aussi d’identité professionnelle,
d’assumer et de gérer l’urgence. Le sou-
tien de la Direction dans son ensemble
(médicale, administrative et soignante)
est pour cela indispensable.
L’entretien clinique au téléphone fait par-
tie du champ de compétence de l’infirmier
et il doit être reconnu par chacun des
acteurs de la santé comme un soin à
part entière avec les bouleversements
institutionnels que sa mise en place peut
entraîner. Il importe aussi de l’intégrer à
une pratique d’équipe pluridisciplinaire
tenant compte des différents domaines
de compétences et des complémentari-
tés de chacun.
Ces paramètres qui relèvent à la fois du
fonctionnement institutionnel et d’une
philosophie des soins permettent aux
infirmiers de supporter le poids de leur
investissement et de leur engagement et
contribuent à préserver leur autonomie ainsi
qu’un plaisir certain à soigner.
1– Cadéac B., Lauru, D. L’entretien clinique au téléphone.
Le carnet psy, 2007/8, 121, p. 22-24
2– Issue d'une initiative privée en 1943, la Fondation de
Nant (FdN) est au service des personnes souffrant de mala-
dies psychiques. Reconnue d'intérêt public dès 1961, elle
organise les soins hospitaliers psychiatriques de l'Est vau-
dois depuis 1968. La FdN établit sa cohérence institutionnelle
sur une référence commune psychodynamique et psycha-
nalytique. Son activité est fondée sur les compétences,
l’engagement, l’implication et la responsabilisation de son
personnel.
3– Winnicott D.W. Jeu et réalité. Gallimard. Col. Folio
essais, 1975 ; La préoccupation maternelle primaire in De
la pédiatrie à la psychanalyse. Science de l’homme, Payot,
1995
4– Coulon De N. La crise, stratégies d’intervention théra-
peutique en psychiatrie. Paris : Gaëtan Morin éd., 1999
5– Miéville, J.-C. Urgences psychiatriques : première ligne
infirmière. L’Écrit, n° 14, novembre 1998.
Cet article est issu de la conférence
de Françoise Gonzalez à l’occasion de
l’inauguration de l’AOP, le 5 mai 2010 à Vevey.
Résumé :
Lentretien clinique téléphonique avec des patients souffrant de troubles psychiques suppose de solides références théoriques et une
capacité d’analyse clinique des situations. Lauteur, cadre infirmière, décrit le travail d’écoute et d’orientation des patients, qu’ils soient déjà connus ou non
par l’hôpital psychiatrique. Elle souligne l’importance de la formation et de l’investissement pour les infirmiers, en première ligne sur cette antenne.
Mots-clés : Accueil – Écoute – Confiance – Entretien infirmier – Infirmier de secteur psychiatrique – Soin psychiatrique – Téléphone.
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