Jusqu'au moment où ...
• En 2002, je suis parti à Strasbourg en vue de
préparer l'agrégation. Dans la solitude, le silence,
le recueillement, j'ai été saisi par la beauté de la
forêt de la Robertsau ainsi que de la ville elle-
même.
À
l'automne, je me suis pris en flagrant
délit de voir germer en moi un amour qui me
dépassait. En marchant dans la rue, j'éprouvais une
joie gratuite, inexpliquée, un besoin irrépressible
de dire merci pour le fait d'être au monde, d'avoir
reçu l'existence. Les jours précédant Noël, je me
sentais comme «douloureux» d'abriter en moi
quelque chose de nouveau, à la manière, me disais-
je, d'« une femme enceinte ». La veille de Noël,
comme il est chez nous de tradition, ma mère lisait
et commentait un texte de l'Evangile. Ce soir-là,
elle attira notre attention sur le
«
oui» de Marie ...
Que de convergences entre cette joie profonde,
ressentie depuis quelques semaines, et la figure de
la Vierge! En redécouvrant peu
à
peu le christia-
nisme, je me rendais compte que la joie
chrétienne, certes, passait par la mort, mais que
Jésus n'était en rien ce Dieu morbide dénoncé par
Nietzsche. De fait, le christianisme est, par
excellence, la religion de la joie, d'une joie qui
assume le tragique de l'existence. Comme le dit
l'écrivain anglais Chesterton (1874-1936):« La joie
est le prodigieux secret du chrétien ... »
Alors, huit ans après, cette joie-là demeure-t-
elle toujours en vous?
• Oui.
J'ai
vécu un changement très profond. Avant
ma conversion, j'éprouvais deux sentiments va-
riables selon les circonstances; tantôt ma volonté
de puissance était exacerbée au quotidien, lorsque,
par exemple, je brillais en société ... et cela me
rendait joyeux; tantôt elle ne s'exprimait pas et cela
me rendait triste. Après ma conversion, ma joie,
synonyme d'action de grâce, est devenue perma-
nente et indépendante de ces situations; elle est,
aujourd'hui, la basse continue de mon existence.
Mais ce qui m'attriste dorénavant, c'est de voir que
les autres ne participent pas de cette joie profonde,
par excès de souffrance ou d'ingratitude. Ainsi,
quelques heures après le décès d'un de mes amis,
alors âgé de 24 ans, j'ai été, malgré la tristesse,
émerveillé par l'amour qui passait entre ses deux
frères et ses parents autour de lui. Je dirai que la
foi m'a donné un
«
œil» pourvoir l'essentiel au
moment de cette perte insupportable.
Prier n0334 Septembre 2011
Mon conseil d'intériorité
La prière est ce moment où je signe le traité de paix avec ma vie.
Pour entrer dans cette paix, j'apprends peu
à
peu
à
me recevoir
».
recevoir ce que je suis,
à
commencer par ma respiration que je
laisse devenir plus ample, plus profonde. En fin de journée,
recevoir chaque personne rencontrée. Plus important encore,
dans la prière, recevoir ce que je ne suis pas. Acquiescer
à
tout,
même aux conflits qui me traversent. Accueillir tout, même ma
difficulté
à
accueillir. La paix de la prière ne présuppose pas la fin
du conflit: elle s'invente au cœ ur de celui-ci. Comme pour les
soldats lors d'une trêve, comme pour les esclaves des champs de
coton, la prière chante tout, même la douleur. Elle est une sorte de
réconciliation qui ne marque pas la fin de la souffrance, mais une
présence autre
à
celle-ci. Qui, avec l'aide de Dieu, consent.
Martin Steffens
interviendra le 7
octobre 2011,
sur le thème
du bonheur lors
de la 2' édition
des Etats généraux
du christianisme,
ù
l'Université
catholique de Lille.
Inscription ù partir du
8 septembre sur
lavie.fr
Cette joie-là, cette grâce reçue, influence aussi
mon enseignement de la philosophie. Avant ma
conversion, je m'employais à faire éclater les
certitudes de mes élèves en violentant leurs
préjugés (à la manière de Jean-Paul Sartre, où il
convient d'installer l'angoisse, jamais assez
présente). Or j'ai commencé à leur démontrer
qu'ils pouvaient s'appuyer sur le sens, parce qu'il
les précède. En clair, il ne s'agit pas de
«
donner»
du sens à sa vie, auquel cas cela signifierait qu'elle
n'en a pas, car pourquoi lui donner tel sens plutôt
que tel autre? Mais il s'agit bel et bien de
«
trouver» le sens dans lequel sa vie puise son
origine, sa source. Une manière de les aider à
fonder leurs certitudes.
Cette joie profonde et mystérieuse vous a
ouvert les portes de la transcendance, puis
celles de la foi chrétienne et de la prière ...
• Oui, mais après l'agrégation, en 2003, j'ai eu peur
des changements que ma conversion allait entraî-
ner au quotidien; aller à la messe, m'agenouiller,
vivre sous le regard de Dieu ... Et je me suis cram-
ponné aux bars, au rock, à une vie un peu dissolue
pour rester un
«
adulescent » le plus longtemps
possible. Une année de résistance à Dieu que j'ai
conclue par une retraite de discernement chez les
jésuites, à Manrèse.
Là,
j'ai touché au sérieux de