La Mouette - TNT-Cité

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La Mouette
Revue de presse
Anton Tchekhov / Christian Benedetti
avec Brigitte Barilley, Marie Laudes Emond, Florence Janas, Nina Renaux, Christian
Benedetti, Christophe Caustier, Philippe Crubézy, Laurent Huon, Xavier Legrand, Jean
Lescot en alternance avec Jean-Pierre Moulin
traduction André Markowicz et Françoise Morvan
assistant Christophe Carotenuto
lumière Dominique Fortin
16, rue Marcelin Berthelot
94140 Alfortville
01 43 76 86 56
métro école vétérinaire (ligne 8)
www.theatre-studio.com
samedi 20 – dimanche 21 novembre 2011
Mars 2011
La Mouette
Trente-deux ans après avoir une première fois mis en scène
cette pièce, au sortir du conservatoire, Christian Benedetti
revient à La Mouette d’Anton Tchekhov. Une réflexion sur la
création artistique, sur les troubles de « l’être au monde », à
travers laquelle le directeur du Théâtre Studio d’Alfortville
crée une représentation d’une étonnante vivacité.
« C’est difficile de jouer votre pièce », dit Nina (Anamaria Marinca) à
Treplev (Xavier Legrand) au début de La Mouette, « il n’y a pas de
personnage vivant ». Vieux perfecto et jean élimé, la comédienne d’origine
roumaine entre sur le plateau dans une sorte de quotidienneté dégagée, sans chichi, une simplicité qui confère à ses
répliques, à ses attitudes, quelque chose de juste, d’immédiat, de fortement concret. Ainsi, à l’instar de tous ses
partenaires de jeu (Christian Benedetti - Trigorine, Brigitte Barilley - Arkadina, Nina Renaux - Macha, Marie-Laudes
Emond - Paulina, Christophe Caustier - Medvedenko, Philippe Crubézy - Dorn, Laurent Huon - Chamraïev, Jean-Pierre
Moulin - Sorine), l’actrice apporte un criant contre-exemple aux paroles de Nina. Des personnages vivants, il y en a
bien sûr dans la pièce aux accents tragi-comiques d’Anton Tchekhov, peut-être l’une de ses plus touchantes, mais
également dans la version brute et dépouillée qu’en propose aujourd’hui Christian Benedetti.
Une proposition théâtrale vivante, ouverte, dépouillée
Cette version - servie par des interprètes qui s’inscrivent dans l’espace scénique de manière organique, comme les
acteurs d’une humanité à la fois contemporaine et atemporelle - fait résonner les questionnements de La Mouette (la
vocation artistique, les impulsions de l’amour, les contraintes et les impasses de l’existence…) à travers un « ici et
maintenant » théâtral d’une grande liberté. Réduisant à presque rien les accessoires et éléments de décor de sa
représentation (des chaises, une lampe, un banc, une table…), échappant aux archétypes naturalistes des protagonistes
tchékhoviens, Christian Benedetti crée un spectacle centré sur l’adresse et l’incarnation du texte, un spectacle dont
l’authenticité engendre une poésie de l’espacement et du quotidien. La densité de silences qui parfois se distendent, la
nudité d’un plateau vide au sein duquel surgissent et se découpent les fulgurances de la pièce, la dimension
multifrontale d’une représentation qui multiplie les points de vue et les points d’écoute des spectateurs… Cette Mouette
est intrigante, palpitante. Profondément vivante. Elle nous fait ressentir quelques-uns des aspects les plus troublants de
l’humain.
Manuel Piolat Soleymat
La Terrasse
Sorties théâtre
La Mouette ***
Une Mouette de belle envergure
Christian Benedetti monte un Tchékhov très efficace au Théâtre Studio d’Alfortville.
La plus connue des pièces de Tchékhov n’a pas rencontré immédiatement le succès. La forme
narrative, les propos échappaient sans doute trop au théâtre de mœurs alors en vogue. Certes, La
Mouette comporte des intrigues amoureuses mais ce n’est pas là son propos essentiel. Il tient dans
une fine approche de ce que peut-être l’art et son rôle. Deux des personnages en sont d’ailleurs des
acteurs reconnus, une comédienne et un écrivain. Deux autres ambitionnent de devenir artistes.
Parmi les trois derniers, juste amateurs de la scène, il y a un docteur, double de l’auteur, qui en fait
un sujet de réflexion philosophique. Il y a enfin une simple mouette. Elle sert de métaphore au
destin de Nina, l’apprentie actrice qui va se brûler les ailes au contact du prédateur Trigorine.
L’écrivain l’abandonnera après une liaison mais il lui dérobera le principal: son histoire. La Mouette
s’est souvent perdue aux cours de ses multiples mises en scène dans la chronique nostalgique ou le
didactisme. Christian Benedetti lui donne des nerfs, une vitalité. L’énergie de sa mise en scène met
sous tension le propos de la pièce avec une rare efficacité et un vrai plaisir.
Jean-Luc Bertet
Lundi 21 novembre 2011
La chronique théâtrale de Jean-Pierre Léonardini
Une mouette si bien dessinée
Christian Benedetti reprend sa mise en scène de la Mouette, que nous n’avions pas vue lors de la création (1). Il n’est
jamais trop tard. Réparons donc cette omission, d’autant plus contrit que «•la presse unanime•» a déjà couvert
d’éloges cette réalisation. Nous n’éprouvons aucune honte à nous joindre tardivement au concert, dans la mesure où,
avec la plus stricte économie de moyens (pas seulement au sens financier du terme, vous savez lorsqu’on fait de
nécessité vertu, non, il s’agit également ici d’une visée proprement esthétique issue d’une pensée rigoureuse), Benedetti
parvient, comme en se jouant, à donner à l’œuvre son plein sens à des yeux d’aujourd’hui. Sans décor proprement dit,
avec un rien d’accessoires, en vêtements usuels, l’histoire de Nina qui veut faire du théâtre, séduite et abandonnée par
Trigorine, écrivain fêté et désabusé qui est l’amant d’Arkadina, comédienne à succès et mère de Treplev, jeune poète en
quête d’un art neuf, épris de Nina et appelé par la mort, s’écrit devant nous, spectateurs par à-coups sciemment éclairés,
sur un tempo tout en nerfs qui ne laisse rien dans l’ombre.
Antoine Vitez, devant qui Benedetti, au Conservatoire, esquissait déjà la Mouette il y a trente-deux ans, expliquait le
succès de Tchekhov en URSS par la nostalgie d’un public privé de tout devant l’opulence des mises en scène d’un
Stanislavski alors quasi canonisé. Ici, ni samovar ni armoire de famille. Du jeu. Le seul vrai luxe. Porté par des corps
actuels, avec de soudaines attitudes d’à présent tandis que la sempiternelle opposition entre l’ancien et le nouveau
continue de se faufiler dans l’esprit du temps, ce temps qui est justement, dans le poème dramatique de Treplev qui
ouvre la pièce, l’équivalent d’une éternité d’où l’homme aurait disparu. En scène, aucun temps mort, cependant sans la
moindre fébrilité. Et l’on ne répugne pas aux simulacres les plus osés, depuis l’étreinte ventouse jusqu’à la fellation
contrôlée pratiquée par Arkadina sur un Trigorine tenté de s’échapper.On sait qu’il y a pas mal d’Hamlet dans la
Mouette et que cela éclate dans la scène du pansement, quand Treplev, cette fois sur les genoux de sa mère, refait
l’enfant en un éclair. Benedetti, par analogie, à force de réflexion pratique, rejoint de son côté l’enfance de l’art, à ce
point où la plus suave simplicité dans le traitement s’avère le fruit de la préméditation la plus aguerrie. Peut-on parler de
réalisme à des fins immédiatement contemporaines, à l’opposé du naturalisme où le Théâtre d’Art de Moscou englua
sensiblement Tchekhov à son corps défendantಞ? Oui, sans doute. La preuve en est dans la figuration de la mouette tuée
par un chasseur. Elle n’est pas naturalisée, soit empaillée, mais dessinée à la craie sur le sol, le trait rappelant l’emblème
du Théâtre d’Artಞ! Ainsi se mesure à sa longue histoire la mouette symbolique. Parvenu au terme de cet article, on
s’aperçoit que pas un nom de comédien n’a encore été écrit. Injustice crasse. Brigitte Barilley, Florence Janas, Nina
Renaux, Marie-Laure Emond, Xavier Legrand, Benedetti lui-même, Philippe Crubézy, Jean Lescot, Christophe Caustier
et Laurent Huon sont les combustibles de cette machine théâtrale qui carbure au désir.
(1) Jusqu’au 10•décembre au Théâtre Studio d’Alfortville, puis en tournée durant toute la saison 2012-2013.
Christian Benedetti, metteur en scène résistant
12 février 2011 1 commentaire
Christian Benedetti aime travailler avec des auteurs contemporains. Il a fait découvrir Sarah Kane au public français
(Blasted en 2000 aux Amandiers), il a travaillé avec Biljana Srbljanovic, Gianina Carbunariu, Christophe Fiat. Dans son
Théâtre Studio d’Alfortville, il revisite La Mouette de Tchekhov, 32 ans après une première mise en scène. Anamaria
Marinca joue le rôle de Nina. Un théâtre brut, à fleur de peau, sans effet. Rencontre avec un metteur en scène résistant.
Vous revenez à Tchekhov, 32 ans après votre première mise en scène. C’est l’envie de revenir à un classique ?
Pour moi ce n’est pas un classique. J’avais besoin de faire un point. La Mouette a été ma première mise en scène quand
je suis arrivé à Paris et c’est une pièce qui m’a appris énormément de choses, elle a été le point de départ, et après 15
ans de travail avec des auteurs contemporains, il fallait que je revienne la visiter pour savoir si je m’étais perdu, si
j’avais été fidèle à mes rêves, si j’avais fait des concessions, des compromis. C’est un peu revenir à la maison, faire un
point pour repartir, pas pour arriver et puis mourir, mais repartir.
Quel lien faites-vous entre la Mouette et votre travail au Théâtre Studio sur les auteurs contemporains ?
La problématique centrale de la pièce, c’est « qu’est ce que c’est que le contemporain ? » C’est passionnant de voir
comme Tchekhov traite de cela et met en perspective la nécessité d’écrire. Treplev a la sensation de vivre dans un siècle
brisé, il n’a pas les mots pour verbaliser cela et il a la sensation qu’il faut qu’il meure pour être contemporain. On dit
souvent qu’un bon auteur et un auteur mort. Il prend en pleine face les faisceaux des ténèbres de son temps, c’est très
difficile pour lui de les mettre en perspective. Nina est dans la fascination d’un besoin de reconnaissance par rapport à
ses parents qui l’ont déshérité. Elle est à la mode, elle est fascinée par l’auteur connu. Elle joue la pièce de Treplev. Au
début elle ne sait pas jouer, elle dit que ça n’a pas d’intérêt, elle signe l’arrêt de mort de ce texte et à la fin elle revient et
la rejoue, et elle la trouve formidable. C’est comme les défilés de mode, le short on en fait plus et puis 15 ans après Jean
Paul Gautier dit: « le short c’est formidable ». Et tout le monde le dit….On recycle. Et le seul vraiment contemporain
dans la pièce c’est Dorn qui a la capacité de recul et de réflexion et de mise en perspective de la temporalité. Il est
proche de l’origine, c’est le seul qui voyage.
C’est aussi une pièce sur le questionnement de l’artiste, qu’est ce qu’un artiste ?
C’est-à-dire que ce questionnement, il est mis en écho par Médvendeko l’instituteur. Il est confronté à ce monde
inconséquent, ces gens qui écrivent, qui se plaignent, qui voudraient écrire mais qui ne peuvent plus…Et en fait il pose
lui la question de l’utilité de l’art, et il demande pourquoi ils n’écrivent pas une pièce sur les instituteurs. Personne ne
peut lui répondre. Si on n’est pas utile, à quoi on sert ? Il est regardé par les autres comme un parasite, parce que ce sont
des gens vulgaires qui ne font que se regarder eux-mêmes. Et Tchekhov pensait que les instituteurs étaient plus
importants que les artistes.
Vous êtes un metteur en scène sans concession, vous n’êtes pas dans l’institution, avez-vous le sentiment d’être un
artiste en résistance ?
J’espère, en tout cas je résiste à la tentation. Je ne vois pas quelle autre position adopter. Résister à la pensée unique, à
ce mouvement complément fou de cette société de ce mouvement où l’on veut nous faire croire que l’Histoire n’existe
pas. Quand Sarkozy dit qu’il n’y a pas de continuum historique, c’est complément aberrant, c’est un mensonge total. Et
que l’on soit conduit par des gens d’une inculture, d’une vulgarité, c’est terrible. La seule solution c’est de rester
debout. Il faut sortir de cet espace consanguin comme les politiques. On dirait un film de Depardon, on dirait un village
du Massif Central, ils ont tous baisé entre eux ! Ils sont tous niailles. Il faut réfléchir, être debout et marcher, marcher
vers les autres. Tant que j’ai la chance de rencontrer des gens qui me tiennent debout que ce soit Edward Bond, Gianina
Carbunariu, Christophe Fiat et qui m’ont fait l’honneur de travailler avec eux et m’ont fait comprendre le monde
autrement, mais de façon plus douloureuse, ça fait avancer la pensée. La seule solution c’est d’être intranquille, dès
qu’on est tranquille on est foutu, on est mort. Une proposition de création pour moi, c’est comme un braquage, et on
braque les spectateurs à un endroit où ils ne s’attendaient pas être braqués. Si on fait cela pour que les gens voient
tranquillement ce qu’ils s’attendent à voir, je ne vois pas l’intérêt de le faire. D’autres le font mieux que nous, avec tout
l’argent nécessaire pour le créer. Mais on s’en fout.
Justement dans cette pièce, vous braquez les spectateurs en laissant la salle allumée…
Oui car c’est un vrai dialogue. Moi je ne crois pas aux personnages, c’est une structure qui se met en dialogue avec les
spectateurs, on parle. On a gardé ce qui était strictement nécessaire pour jouer la pièce. Et encore je pense qu’il y en a
encore trop. Une scénographie juste indicative, allusive est suffisante. Il faut faire confiance à l’imaginaire du
spectateur. Il sait bien qu’il n’est pas à la campagne. Ce n’est pas la peine de lui mettre des photos de faux arbres. C’est
juste pathétique, c’est moche et ça coute de l’argent. Je pense comme Francis Bacon que cela ne sert à rien de continuer
à peindre des arbres. Il faut trouver une nouvelle façon de les peindre. Il faut amener le spectateur à avancer avec nous,
pas juste être là et regarder. C’est pour cela qu’on les regarde et on leur parle, on les met face à leur présent. On ne peut
pas faire comme si on ne savait pas que des gens nous regardent.
Les scènes nationales vont fêter leurs 20 ans, vous dirigez le Théâtre-Studio à Alfortville. Est-ce que vous
regrettez de ne pas avoir accepté à un moment donné une direction de structure publique ?
Il m’est arrivé d’être candidat parce que le Théâtre-Studio était en grande difficulté et que j’avais la charge de l’équipe.
J’ai développé un projet et cela ne s’est pas fait. L’hypocrisie fondamentale, où tu fais parti de ce milieu, et tu joues le
jeu, ou alors on te tolère, mais tu restes quand même en dehors. J’ai assez vite compris cela, en sachant que le jeu des
nominations est truqué. Lorsqu’un poste est libre, on sait bien que le Ministère téléphone à tel ou tel pour qu’il soit
candidat. Il faut être naïf pour penser comme le dit si bien Sarkozy que c’est au « mérite ». C’est intéressant de voir ce
que cela produit au bout du compte. Les choses sont formatées. Toutes les scènes sont faites sur le même modèle. Je
suis très heureux d’être à Alfortville dans cet espace de liberté. Je peux avoir une idée à 3 heures du matin et réveiller
mon équipe, on a les clefs, on vient quand on veut. J’aime bien avoir un cadre et peindre à côté aussi. C’est une liberté
qui se paye très chère. Il faut inventer des moyens, on retire de l’argent. Un Ministre m’a dit qu’est ce que vous faites
dans un espace à la limite de la légalité. Je lui ai répondu qu’il y était venu et qu’il le subventionne. Ca veut dire quoi, il
faut être dans un espace de police, c’est ça ? Mais il y en a déjà assez. C’est pour cela qu’il n’y a pas de pensée
culturelle, c’est un espace de police qui se transforme. Du coup on doit réinventer au Théâtre-Studio. Comment
produire un spectacle ? Comment le diffuser ? Comment envisager son économie ? On a cette flexibilité. On est dans
notre monde, et pas hors du monde. Quand on voit le coup de certaines scénographies, c’est aberrant, je ne comprends
pas. On peut entendre de façon réactionnaire ce que je dis, mais je ne peux pas imaginer montrer sur un plateau une
scénographie qui est trois fois le salaire de ce que gagnait ma mère. C’est dégueulasse, même si on dit le théâtre c’est le
rêve. Ce n’est pas vrai. C’est de la connerie ça. C’est un outil le théâtre. Personne n’est dupe. Et moralement ce n’est
pas bien, alors effectivement on résiste et ça nous oblige à inventer tout le temps. Et c’est très bien au bout du compte.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
La mouette
Par Jean-Claude RONGERAS pour France2.fr
Tchekhov bien servi par Benedetti emmène avec une grande douceur vers un gouffre
L'action se déroule en deux épisodes. Le premier lors d'une réunion dans la propriété d'un haut
fonctionnaire, où se retouvent amis et famille, et la seconde deux années plus tard au même endroit.
La littérature, les amours, le temps qui passe et l'impossibilité de choisir à temps, forment
l'argument de cette pièce, qui a l'allure d'une comédie mais est une tragédie.
Comme dans toutes les pièces de Tchekhov on est sous l'emprise des conversations, des allées et
venues des personnages, des évènements de cette grande fresque où tout se déroule agréablement,
aigreur et palinodies comprises. Tout est possible et presque rien n'arrive. Il y a en fait une sorte de
malédiction au-dessus des protagonistes. Invisible, l'épée de Damoclés finira par tomber sur l'un des
êtres les plus fragiles qui ne peut vivre selon ses désirs.
Konstantin, fils d'une actrice à la mode, écrit une pièce d'un grand modernisme qui déplait à sa
mère, Arkadina. Cette dernière est la maîtresse de Trigorine, écrivain de deuxième ordre, qui note
les situations qu'il vit pour ses romans. Nina, une jeune actrice qui monte à Moscou pour tenter de
faire carrière est amoureuse de lui...
Voilà un aperçu de l'intrigue. Konstantin aime Nina, qui lit au début du spectacle les premières
pages d'une pièce du jeune auteur. Mais Konstantin, incompris, n'arrivera jamais à ses fins avec la
jeune actrice, au coeur pur, qui rate sa carrière.
Le metteur en scène et acteur Christian Benedetti, qui a monté la pièce il y a trente ans, s'est à
nouveau piqué au jeu pour ce théâtre "réaliste" structuraliste avec l'ambition "de déplacer le
spectateur pour l'obliger à regarder à côté... juste à côté". Dans un décor quasi nu, à part des
meubles en bois, des chaises qui changent de place, un vieux fauteuil à roulettes très chouette, il a
su s'entourer d'une bande d'excellents comédiens -dont il fait partie. Ils les fait jouer avec une
certaine distanciation, sur un plateau presque nu, respectant des moments de silence. Résultat: une
langueur un peu étrange qui séduit.
Christian Benedetti, joue avec une gourmandise un peu altière le rôle de Trigorine, chacun de
ses pairs faisant vivre avec bonheur ce monde tchekhovien. Au sein du groupe, l'une des
comédiennes attire particulièrement l'attention, Anamaria Marinca, né à Iasi (Roumanie), jeune
actrice formidable, faible et forte selon l'instant.
Tout s'écroule brutalement, le monde ressemble à une scorie, mais le théâtre a triomphé.
Une « Mouette » qui s’envole et nous emporte
Marie Tikova - www.lestroiscoups.com
Au Théâtre-Studio d’Alforville, Christian Benedetti présente sa version de « la Mouette »
dans une mise en scène minimaliste et dépouillée de tout artifice. La traduction
d’André Markowicz et Françoise Morvan donne à la pièce toute sa dimension actuelle. C’est
vivant, bouleversant et drôle, tout simplement magistral.
Dans la Mouette, il est question d’amours contrariées ou impossibles, d’éternelles discussions sur
l’art, source permanente de conflits, de théâtre dans le théâtre. Mais aussi de la mouette, cet oiseau
blanc qui vole au-dessus des mers ou des lacs, symbole de la liberté de l’artiste et de la vie de Nina.
Nina, fille d’un riche propriétaire terrien, qui rêve de devenir actrice. Follement amoureux d’elle, le
jeune Treplev lui écrit une pièce. Medvedenko, l’instituteur, en pince pour Macha, qui, elle, est
amoureuse en secret de Treplev. Arkadina, actrice célèbre et mère de Treplev, est très éprise de son
amant Trigorine, écrivain à la mode. Quant à Nina, elle est fascinée par Trigorine. Le malaise est
partout, dans chacun des personnages, mais aussi dans les relations entre eux. Une étincelle et tout
s’enflamme.
Au quatrième acte, soit deux ans plus tard, Treplev, après une première tentative de suicide ratée,
continue à écrire, et il est toujours amoureux de Nina. Nina et Trigorine ont vécu un temps
ensemble à Moscou, puis Trigorine a quitté Nina pour retrouver Arkadina. Macha, toujours
amoureuse de Treplev, a finalement épousé Medvedenko. Nina revient, elle rôde près du lac puis
repart aussitôt. Treplev se suicide. L’histoire de cette ronde amoureuse se joue dans les silences, les
non-dits, les incompréhensions.
Anton Tchekhov, grand nouvelliste et dramaturge russe, écrit la Mouette en 1896. Il y bouscule les
codes de la dramaturgie de l’époque et s’inscrit déjà dans la modernité. Dans leur traduction,
André Markowicz et Françoise Morvan situent la pièce ici et maintenant. Tout devient évident, le
texte fait écho, son actualité résonne. C’est drôle et tragique à la fois, comme la vie.
« Ça c’est le théâtre, comme décor, rien »
Le Théâtre-Studio est une belle salle tout en bois avec la pierre à nu. Sur le plateau, un cadre
recouvert d’un drap blanc ; côté jardin, quelques chaises entassées en désordre ; de ci de là, des
ampoules qui pendent : « Ça c’est le théâtre, comme décor, rien » dit Treplev dans la Mouette.
Christian Benedetti, metteur en scène du spectacle, semble être parti de cette phrase pour penser son
espace de jeu. En tout cas, ça marche, tout comme les tracés au sol pour définir un lieu, ou bien
cette mouette morte tuée d’un coup de fusil que Treplev dessine aux pieds de Nina.
Formidable idée aussi que d’avoir situé hors champ toute la scène de la partie de cartes : on entend
le texte en « off » face à un plateau vide. Les gradins, sur lesquels une foule nombreuse de
spectateurs a pris place, sont éclairés et le resteront durant la quasi-totalité de la pièce, tandis que
pendant les changements de décor, la salle s’éteint pour éclairer la scène. C’est dans cette inversion
des conventions théâtrales qu’il y a tentative par le metteur en scène « d’obliger le spectateur à
changer de point de vue ». Le dépouillement de la mise en scène et cette mise à nu de la pièce
donnent à cette représentation une profonde vérité.
Dirigés de main de maître, les acteurs sont tous formidables. Leur jeu nerveux et le débit rapide de
la parole créent une tension. Les silences longs, figés, sont d’autant plus lourds et chargés de sens.
Magnifique Nina, jouée par Anamaria Marinca, actrice au jeu dense et inattendu. Nina Renaux est
bouleversante dans le rôle de Macha, qui trimbale son mal-être et se noie dans l’addiction par
l’alcool et les drogues. Il faut les citer tous : Brigitte Barilley, Marie-Laudes Emond,
Christian Benedetti, Christophe Caustier, Philippe Crubézy, Laurent Huon, Xavier Legrand et JeanPierre Moulin. Cette Mouette-là s’envole et nous emporte. ¶
Christian Benedetti revisite « La Mouette » de Tchekhov
18 février, 2011
Chloé Valette, pour La Russie d'Aujourd'hui
Près de trente ans après avoir mis en scène « La Mouette », Christian Benedetti revient sur l’œuvre
majeure de Tchekhov, en privilégiant la dimension textuelle et le jeu des acteurs. Dans la lignée de
Meyerhold, il tente de bousculer les conventions théâtrales au profit de la contemporanéité.
Mettre en scène Tchekhov, c’est épouser les questionnements de l’auteur, retrouver une parole qui
porte une pensée. Dans « La Mouette », le metteur en scène et acteur marseillais Christian Benedetti
explore la problématique du contemporain, de l’utilité de l’art, du temps et de la mort.
Comme le héros de « La Mouette » Treplev, Christian Benedetti cherche « de nouvelles formes ».
Sur la scène, pas de rideaux, de coulisses ou d’espace vide, mais une intimité confinée avec le
public. Le metteur en scène brise les codes scéniques et dramaturgiques en supprimant toute
frontière entre acteurs et spectateurs. Aux décors et costumes excessifs, il privilégie le rythme et les
personnages de la pièce.
Pour lui, l’imaginaire du spectateur est suffisant, et la scénographie doit être juste allusive,
indicative. Rien ne doit être laissé au hasard. Et si la traduction a été revisitée et le langage
actualisé, c’est pour faire revivre Tchékhov à travers toute sa modernité.
Un parti pris exigeant
La mise en scène se veut entièrement fidèle au texte, jusque dans les moindres détails. Chaque
temps y est soigneusement respecté, interprété par de longues pauses où les personnages se figent,
laissant place au questionnement. Pas de temps d’arrêt, en revanche, entre les sorties et entrées des
personnages. Ainsi Tchekhov a-t-il conçu sa pièce : exit les scènes successives, place au
déroulement par mouvements ou tableaux, par actes.
« Mon obsession, c’est représenter le sens de l’auteur. Pour moi, le sens de ces pauses, c’est la
persistance rétinienne et acoustique. Des moments où Tchekhov nous propose un dialogue
formidable », explique Christian Benedetti.
Certes, la première partie de la pièce prend un air badin. On y fait preuve d’humour et d’inventivité.
Et puis l’atmosphère s’alourdit, la tension dramatique s’intensifie crescendo. L’humour léger se
transforme en ironie sauvage. Plus que jamais, la pièce repose sur le jeu des acteurs.
Sur scène, chacun utilise son grain de folie pour conquérir le spectateur. Mais « finalement, le seul
qui est vraiment contemporain, c’est Dorn », raconte Christian Benedetti. « Il est capable de prendre
la réalité du temps qu’il traverse et de le mettre en perspective avec le passé et le futur ». Un casting
minutieux, où Christian Benedetti interprète lui-même le personnage de Trigorine (l’homme de
lettres). Le rôle de Nina est brillamment interprété par la jeune actrice roumaine Anamaria Marinca.
Amoureux et connaisseur de la culture russe, Christian Benedetti parle la langue et a déjà effectué
plusieurs voyages en Russie. « J’ai une passion pour la littérature russe », confie-t-il, « c’est un pays
que j’aime, avec toutes ses contradictions ». Il a côtoyé les plus grands artistes russes du XXème
siècle, comme l’acteur et auteur Vladimir Vysotsky ou le cinéaste Andreï Tarkovski.
En 1980, à la sortie du Conservatoire auprès d’Antoine Vitez, Christian Benedetti monte une
première fois « La Mouette » de Tchekhov. Aujourd’hui, c’est dans son propre théâtre qu’il revient
avec cette pièce à l’exploration infinie.
La Mouette de Tchekhov - Mise en scène de Christian
Benedetti au Théâtre-Studio d’Alfortville
par Philippe Delhumeau
La Mouette
D'Anton Tchekhov
Mise en scène de Christian Benedetti
Avec Brigitte Barilley, Marie-Laudes Edmond, Anamaria Marinca, Nina Renaux, Christian
Benedetti, Christophe Caustier, Philippe Crubézy, Laurent Huon, Xavier Legrand et Jean-Pierre
Moulin.
Au Théâtre-Studio d'Alfortville du 28 février au 2 avril
Vertige du désir… L’amour comme une œuvre d’art
La Mouette d'Anton Tchekhov bat des ailes, côté Seine, sur une mise en scène de Christian
Benedetti. Amoureux de grands textes, entre ceux considérés par l'auteur et ceux brillamment
interprétés par la compagnie, le plaisir vous donne rendez-vous au Théâtre-Studio.
Quand Anton Pavlovitch Tchekhov eut l'idée d'écrire cette pièce, il voulut qu’elle soit interprétée
comme une comédie. En fait, La Mouette tombe la plume sur le théâtre d'un genre nouveau au
XIXème siècle, le théâtre réaliste. Le metteur en scène, Christian Benedetti, a scrupuleusement
respecté les thématiques fondamentales mises en valeur dans l'écriture de l'auteur : l'amour, l'art et
le théâtre. Des passions, des conflits intérieurs, la détermination des personnages de parvenir à leur
fin. La Mouette, une pièce ténébreuse qui évolue sans encombre sur le plateau composé d'éléments
de décor éphémères.
La sobriété de la mise en scène se fond dans une intrigue complexe où chaque personnage se voit
confronter à une perspective avant-gardiste, son histoire. Théâtre de formes nouvelles, dans la
pièce, il y a peu d'actions, juste un texte à dire. Le mouvement se définit dans l'espace-temps par la
présence simultanée de deux comédiens, un homme et une femme. L'amour donne du mouvement
au fil conducteur de l’intrigue. Paulina se détache de Chamaiev, laquelle séduit Dorn, lui-même
charmé par Arkadina, amoureuse de Trigorine, adulé de Nina, aimée de Treplev, ce dernier attire
Macha qui aime Medviedenko.
La pièce se déroule dans la maison de la mère et du beau-père de Nina. Une grande et jolie datcha
qui ouvre ses fenêtre sur un lac attenant et un théâtre à l'abri du vent en amont. La Mouette et Nina
ne font qu'une. L'une et l'autre ont les ailes de leur destin brisé par la faute des hommes. Sur la
scène, les personnages sont le public. Ils vont et viennent de part et d'autre du plateau avec une
rapidité déconcertante et désordonnée. Des destins de vie tracée sur une ligne brisée. Des fragments
d'existence controversés entre pulsion intérieure et conflit d'intérêt. L'amour et l'art ne se conjuguent
pas au même temps. Le premier se décline au présent, le second au conditionnel, pas si simple.
La cupidité des sentiments se fige dans une esthétique théâtrale surréaliste. Chaque mot, chaque
phrase est un message adressé à qui le comprendra. Les regards marquent l'expression du jamais vu.
Les protagonistes sont tour à tour témoins et complices de leur propre vie. Une existence cousue de
scène épiques et anecdotiques comme au théâtre. Les comédiens puisent leur énergie dans l'attribut
du rôle avec lequel ils font corps. Immersion au plus profond de la considération humaine et de la
quête de l'insondable, les sentiments. Passions et pulsions se frottent les ailes. Mention particulière
pour Anamaria Marinca, l'interprète de Nina. Un talent qui prend son envol pour longtemps. Une
mise en scène de qualité et dans le respect d'un travail d'orfèvre soigné où les détails naturalistes
s'invitent au premier plan chez Tchekhov. Christian Benedetti, un metteur en scène au service du
grand Théâtre.
Sapho chante Léo Ferré
LA MOUETTE
Théâtre-Studio d'Alfortville (Alfortville ) mars 2011
Comédie dramatique de Anton Tchekhov, mise en scène de Christian Benedetti, avec Brigitte
Barilley, Marie-Laudes Emond, Anamaria Marinca, Nina Renaux, Christian Benedetti, Christophe
Caustier, Philippe Crubézy, Laurent Huon, Xavier Legrand et Jean-Pierre Moulin.
L'année 2010 fut l'année Tchekhov et les spectateurs ont été gavés de lectures ou relectures plus ou
moins bien inspirées du consensualisme dramaturgique quant à la reconstitution de l'atmosphère fin
de siècle en Russie qui préside à représentation de ses oeuvres.
En début d'année 2011, Christian Benedetti, metteur en scène radical et officiant du théâtre pauvre,
propose une version aussi déconcertante que vitezienne de "La mouette".
Elagueur hardi qui s’est toutefois contenu avoue-t-il, "On a gardé ce qui était strictement nécessaire
pour jouer la pièce. Et encore je pense qu’il y en a encore trop", Christian Benedetti adopte des
parti-pris drastiques en expurgeant la partition originale de toute connotation spatio-temporelle pour
y substituer une contemporanéité parfois néanmoins anachronique, gommant l’humanité des
personnages en ne conservant que leur défroque archétypale et retenant une focale unique, la
problématique du contemporain, qu’il s’agisse du temps ou de l’écriture dramatique.
La salle en plein feux, une scénographie rudimentaire, le rapport scène-salle explosé, les comédiens
en costumes de ville vrais faux bohême/saltimbanque grunge décomplexés et jeu frontal, voilà pour
les conventions scéniques "arte povera" qui cadrent une représentation composée de ruptures
alternant frénésie et arrêts sur images.
En accentuant la structure syncrétique de la pièce, dramatique comédie de moeurs et assemblage
kaléidoscopique de micro-actions, avec son triangle d'amours contrariés et ses désillusions en
chaîne, qui mêle les genres, du vaudeville au mélodrame en passant par la drame romantique et
vogue entre naturalisme et symbolisme, la mise en scène de Christian Benedetti s'inscrit à contre
courant de son traditionnel traitement choral.
Chaque personnage, interprété avec acuité par des comédiens qui sont, pour la plupart, ses
compagnons de route, est englué dans un certain immobilisme : les victimes de l'ordre ancien par
déterminisme social, l'intendant (Laurent Huon), sa femme résignée (Marie-Laudes Emond), sa
fille désespérée (Nina Renaux) et l'instituteur (Christophe Caustier) comme les nantis du
moment, la mère comédienne frénétique pour qui bouger s'est vivre (Brigitte Barilley) et son trivial
amant et écrivain célèbre qui pisse l'encre (Christian Benedetti savoureux) comme Treplev dévasté
par le spleen de l'écrivain qui n'a pas les moyens de ses ambitions (Xavier Legrand).
Restent ceux qui semblent intemporels l'oncle (Jean-Pierre Moulin très juste) et le médecin à la
lucidité désenchantée (Philippe Crubézy excellent).
Et puis, au-dessus plane la mouette, Anamaria Marinca, jeune actrice roumaine très
judicieusement distribuée, dont le physique et la qualité sensible du jeu correspond parfaitement au
symbole de vie du rôle-titre. Un régal.
M M
Théâtre du Blog
La Mouette
Dans La Mouette, Treplev écrit une pièce pour Nina, dont il est amoureux, et veut la présenter à
toute sa famille réunie dans la maison de campagne. Il souhaite obtenir l'estime de sa mère, entichée
d'un écrivain à la mode, Trigorine. Nina en est amoureuse et elle le suivra dans l'espoir de devenir
une actrice reconnue. Treplev, lui, aspire à changer les choses à travers l'écriture, mais il finit par y
renoncer - et c'est ce rapport à l'œuvre d'art qui semble être au cœur de cette pièce.
Chaque personnage est confronté à ses aspirations artistiques mais aussi à l'échec, la désillusion. La
lumière de la salle reste allumée. Pour tout décor, il y a sur la très profonde scène du Pôle Culturel
un cadre de porte couvert d'un drap blanc, une servante éteinte, des chaises empilées sur les côtés,
que
les
acteurs
manipulent
quand
c'est
nécessaire.
En fond de scène côté jardin, il y a une porte ouverte. Nina entre par là, accourant pour la pièce de
Treplev qu'elle doit jouer. Quant aux autres personnages, ils arrivent un à un , par la salle,
empruntent
la
porte
d'entrée
et
entrent
sur
scène.
Procédé qui établit un certain rapport avec le public, puisqu'il brise le fameux quatrième mur de la
représentation théâtrale. Les comédiens sont remarquables et possèdent une solide technique. JeanPierre Moulin interprète un Sorine à la santé fragile mais à la voix assurée : il entre par la salle et
s'assoit sur un fauteuil du premier rang pour discuter avec Treplev, et, malgré ce long moment dos
au public, celui-ci ne perd pas une miette de ses paroles. Philippe Crubézy est un Dorn jovial, au
rire contagieux, véritable image du médecin de campagne que fut Tchekhov en son temps.
Mais, parfum nouveau, Nina est interprétée par Anamaria Marinca, actrice roumaine qui joue ici
pour la première fois en Français au théâtre, et de façon limpide, et qui donne une saveur toute
orientale à son jeu. Avec ses choix soulignés, Christian Benedetti donne à voir une Mouette
contemporaine. Dans le choix des costumes d'abord: Nina porte un débardeur et une veste en cuir,
Dorn un simple gilet et un chapeau noir et Arkadina, qui qui est pourtant une actrice renommée
dans son milieu, se contente de vêtements simples aux tons violets et d'un pull noué à la ceinture.
Le summum de ce qu'on pourrait appeler une recherche de la banalité: Trigorine, joué par Benedetti
lui-même, porte un simple polaire rouge, ce qui souligne ses plaisirs simples comme la pêche à la
ligne.
La Mouette s'ouvre par une mise en abyme du théâtre avec la pièce que donne Treplev, avec Nina
dans le jardin. Cette recherche formelle est loin d'être insignifiante, comme le souligne Dorn : « Je
n'y comprends peut-être rien ou je suis devenu fou, je ne sais pas ; mais cette pièce m'a plu ». Et le
metteur en scène va plus loin qu'une simple actualisation: la mouette tuée par Treplev devient juste
un dessin à la craie sur le sol, tout comme le domaine qu'observe Nina et Trigorine parle de
célébrité et de littérature les mains dans ses poches, en haussant les épaules.
Mais l'usage récurrent des passages dans la salle par les personnages semble estomper et user le
lien plus direct au public. Notamment, quand Nina finit l'extrait de la pièce de Treplev assise au
milieu du public, ou quand elle écoute Trigorine, assise sur une marche de la salle, comme si elle
n'était
qu'un
prolongement
de
l'espace
de
jeu
scénique.
Benedetti pourrait se tromper quand il actualise La Mouette, devenue aujourd'hui un classique.
Mais dans Des Classiques dans Le théâtre des idées, Vitez, qui fut son professeur au
Conservatoire, dit bien : « Il ne faut nullement chercher à les reconstituer tels quels mais il faut
s'efforcer au contraire d'en faire des reconstitutions imaginaires » ; et de préciser plus loin : « Et ce
qui est important, c'est de rendre bien étranges, bien surprenantes, bien insolites ces œuvres, au
lieu de les rapprocher de nous, tout à fait artificiellement, par l'actualisation ».
La démarche ici adoptée, que l'on peut apprécier ou non pour des raisons diverses, reste cependant
passionnante, puisqu'elle touche à la conception même de la mise en scène. Ce qui prime ici, c'est le
texte, et, sur ce point, l'on peut faire confiance à la langue de Tchekhov.
Une fauteuil pour L'orchestre.com
« La Mouette » de Tchekhov mis en scène par Christian Benedetti
par Anne-Marie Watelet et Camille Hazard -
« Je suis si fatiguée. Il faudrait se reposer… se reposer ! Je suis une mouette… Ce
n’est pas cela… je suis une actrice… Mais oui lui aussi [Trigorine] est ici !
Il ne croyait pas au théâtre, il se moquait toujours de mes rêves ; et moi j’ai
cessé également d’y croire… » Nina
Les choses sont claires. Cette pièce est celle qui se caractérise le plus, chez Tchekhov, par l’absence
d’unité d’action, d’histoire, réaliste ou non. Plutôt des instants, des moments dramatiques révélés
par des dialogues ténus, dont le thème récurrent est la création artistique.
Un jeune dramaturge, Treplev, vient d’écrire une pièce que va interpréter Nina, jeune ingénue dont
il est amoureux. Cette pièce, ainsi que la nôtre d’ailleurs, va se jouer dans la propriété de Sorine,
sexagénaire amer de n’avoir pas su réaliser ses désirs jusque-là, et qui affirme, lui, contre le docteur
et sa sœur surtout, sa volonté de rattraper le temps perdu. Présents également : Irina, sœur de Sorine
et mère de Treplev, une actrice renommée, qui vit – au diable les conventions sociales ! – avec son
amant Trigorine, un écrivain à succès; Dorn, le docteur, que plus rien n’étonne, se contente de vivre
le blues du présent ; Pauline et sa fille Macha, dont l’amour fou, mais sans espoir, pour Treplev, lui
fera épouser le maître d’école.
Au fil des dialogues, on découvre des personnages qui s’éloignent d’eux-mêmes, et courent
inexorablement à leur perte. Et pourtant…
Pourtant, nous sommes pris d’espoir à entendre certaines conversations émaillées d’humour et de
rêves. Pure illusion ! La chute se fait attendre subtilement et de façon réaliste : celle de Treplev,
dépressif : son indécision sur le plan artistique va le perdre (velléités de renouveau dans les formes
d’écriture), et sa pièce, dès le début, se solde par un échec. Il prône une esthétique décadente, à la
sensibilité onirique et symboliste – celle qui apparaît en Europe en cette fin de siècle – et méprise
celle que revendique Trigorine, la copie du réel. Il finira par déchirer son manuscrit avant de
disparaître. Ce Trigorine, qui, malgré son succès, redoute avec raison la comparaison avec les
grands Maîtres russes, et ne se sent pas à la hauteur de sa vocation.
Ce que l’on ressent chez ces êtres, c’est la peur de la mort, la mort qui rôde au fond de leur âme, tel
un chien blessé que rien n’apaisera, faute de pouvoir agir et avancer.
Des idées mises en corps
Le metteur en scène, Christian Benedetti, “revisite” cette pièce, qu’il avait déjà monté en 1980, il
incarne
une
nouvelle
fois
le
personnage
de
l’écrivain
Trigorine.
Il extirpe les idées du texte de Tchekhov et leur donne chair à travers les personnages, on assiste à
un processus inversé : les personnages ne vivent pas sur le plateau en incarnant la pensée de
l’auteur, ce sont bien les pensées qui vivent à travers un corps. De ce fait, on assiste parfois à des
échanges intellectuels dans lesquelles la vie semble éteinte.
Pas de décors, juste quelques accessoires nécessaires à l’action, pas de costume, pas de repère
temporel ni spatial, les personnages flottent dans un univers vague. Ce parti pris de mise en scène
crée chez les spectateurs un effet de distanciation. Effet accentué par des arrêts sur image : les
scènes sont entrecoupées de pauses comme si l’on prenait en photo les regards des personnages,
leurs expressions. Temps furtifs où l’on peut digérer les idées denses qui imprègnent les dialogues
mais manquant de repère et d’univers, nous avons du mal à nous identifier aux personnages.
Christian Benedetti donne à sa mise en scène un aspect didactique ; on suit, on comprend, mais on
s’ennuie un peu… Si Cette œuvre de Tchekhov ne déroge pas à la règle est que le pessimisme le
plus noir prend ses quartiers tout au long de la pièce, les personnages ont, par moments, des sursauts
de vie, un besoin de se faire violence, une rage foudroyante. Mais ici (mise à part l’excellente
comédienne Brigitte Barilley) cette rage se transforme plutôt en trémolo et les quelques moments
d’espoir où tout pourrait basculer deviennent sans vie, en demi-teinte. Le côté didactique est
pourtant intéressant : il renforce le côté exacerbé de ses personnages emblématiques. Mais pourquoi
déshabiller cette pièce de tout repère ?
Les acteurs tiennent tous leur partition avec finesse ; Christian Benedetti dans le rôle de Trigorine
est tout en retenue, aussi brillant que fatigué et désabusé. Brigitte Barilley incarne une mère
dévorante qui irait certainement jusqu’au meurtre pour protéger son image de femme épanouie à qui
tout réussit. Sa famille et ses amis deviennent des proies. Elle tourbillonne sur scène avec fièvre et
rage ; c’est là que le désespoir le plus sombre se fait sentir, malgré son sourire infatigable…
Anamaria Marinca (Nina) impose un naturel touchant et évident. Lorsqu’elle revient dans la
propriété de Sorine après quelques années d’absence, la figure de la mouette s’est ancrée dans son
corps : les cheveux ruisselant de pluie, elle se pose, vole, se cogne.
Une mise en scène qui nous imbibe d’idées, où l’on reçoit parfaitement les propos denses de
Tchekhov sur la nature humaine et sur la création mais le manque d’atmosphère et d’univers fait
défaut : nous avons beaucoup entendu à défaut de voir et de sentir.
Mediapart.fr
La Mouette de Tchekhov, par Benedetti : l’envol d’une grâce
limpide
04 Mars 2011 Par JJMU
Du 28 février au 2 avril 2011, Théâtre Studio d'Alfortville.
Les traductions d'André Markowicz et Françoise Morvan sont sonores. Tout naturellement, leurs
vibrations aux oreilles de ceux qui les entendent sonnent des voix qui les portent et résonnent de
celles qui les ont écrites.
Portés avec Vitez au conservatoire voilà trente ans, leurs textes construisent désormais leurs
personnages par la variété même des partitions vocales des comédiens plus que par l'intrigue des
situations ou les jeux de scène. Et, comme les paroles de la terre de Tchekhov se débattent aux airs
des tragédies shakespeariennes, leurs mots d'amour prennent le fer et le feu des références
théâtrales. Par le son, ils s'enracinent aux sens les plus divers auxquels puisent acteurs et
scénographes. Par la langue, ils tissent les basses et les aigus de phrases qui inscrivent leurs motifs
dans la pensée.
Structurellement et métaphoriquement, la Mouette est cette espérance qui, à la fois, va, court, vole
vers d'autres formes que le protocole et, à la fois, inféconde ou stérile, un peu infanticide par ses
adresses amoureuses, va finir par perdre et fracasser celui-là même dont elle est l'unique objet de
désir. Le parti pris des compagnies, ces dernières années, y compris au Conservatoire, est celui de
l'ordinaire. Un ordinaire sombre porté par tous les personnages, et que perçoit très vite, devant
l'arbre du lac, le personnage de Nina, qui dit courir comme une mouette pour rejoindre le jeune
auteur, Kostia, tout aussi incapable que l'instituteur du village d'échapper matériellement à ses
origines, et qui, parce qu'il pressent rapidement qu'elle aspire à des ailleurs qu'il n'a pas les moyens
de lui accorder, lui offrira en symbole le cadavre d'une mouette tuée après qu'il aura eu tenté de se
suicider puis voulu défier son rival, Trigorine, lequel est en même temps le taciturne amant de
l'actrice Irina Arkadina, sa mère...
Pour sa mise en scène, Christian Benedetti choisit la sobriété. Les lieux sont ordinaires, le décor, les
chaises, les habits ordinaires et le récitatif ordinaire. Les spectateurs sont dans la lumière de la salle
jusqu'à la fin, et cet ordinaire-là, confondu à celui de la représentation transforme le spectacle en
une zone trouble et délicieuse à la fois où se distingue mal ce qui serait distanciation et ce qui serait
identification : depuis les coups de marteau du théâtre qu'on installe au théâtre, sous nos yeux,
jusqu'au coup de fusil qui ponctue l'action, les phrases alternent entre envie et colère, entre intérêt et
séduction. La sensualité en sort grandie, exaltée, exacerbée. Exaspérée. Une mélodie
dysharmonique en accompagnement, celle de l'histoire engagée par les appels et les refus qui se
succèdent dans un affolant vertige. Comme au billard, se répercutent, brusquement et en désordre,
les lignes de fuite des protagonistes.
Mais au théâtre, il faut au texte d’autres artifices qui soulignent la voix ou la nuancent, la
contredisent ou la confortent : les décalages, les tensions, les redondances, les complémentarités du
jeu grandissent la portée de ce qui est dit. Les personnages se passent les signes ; ils ne s’en passent
pas. Avec le même blanc du bâton de craie qui avait inscrit la mouette sur le sol, on placera le
nouvel interlocuteur dans le paysage lacustre qui lui reste à voir. Avec la croix que l’actrice
supersticieuse se marque sur le front c’est le bâton de rouge et les lèvres qui vont passant du front
du fils au sexe de son rival... Les destins les plus antagoniques tentent de se fuir en même temps
qu'ils ont à se fréquenter, c'est aussi élémentaire que complexe, symbolique.
Il arrive que les refrains de chansons populaires traversent l'ordinaire et atteignent ainsi des points
d'orgue (ou d'opéra ?) poignants et, quelquefois, révélateurs de conflits enfouis, ou mal dits, ou trop
dits. Il y a du motet originel dans cette modulation ondoyante des envolées de récits de vie,
pathétiques, qui se trouvent trop à l'étroit au contact de leurs familiers, mais dont la négligence
écrasera irrévocablement les plus faibles. Pure fiction, cette force peut s'ignorer en se dévidant sous
les yeux du spectateur, seulement, le spectateur, lui, sait. Il sait qu'en dépit des variations, l'issue
tragique est, inéluctable, l'inéluctable. C'est une figure d'Hamleth que ce jeune Kostia contient en
lui. La plus élémentaire psychologie fait de sa mère une femme amoureuse de tout sauf de lui. Mais
ces deux êtres participent d'un jeu convenu d'avance entre eux : Brigitte Bariley est solaire face à un
fils pierrot lunaire joué par Xavier Legrand, leur lutte produit l'encens, les effets de poudre, le rouge
au front, ou les bandages défaits dont ils se servent. L'ordinaire, ils n'en veulent pas, ils se débattent
comme un auteur écrit, comme on peut. Face à eux, Trigorine, l'auteur, et Christian Benedetti, qui
en joue le rôle, Trigorine en personne met en scène, à travers sa posture d'homme blasé, une figure
mélancolique et lucide à la fois, sans doute irresponsable des événements qu'il provoque, et sans
doute aussi manipulateur des instruments de son seul plaisir. Méphistophélique et angélique à la
fois.
-
Un ange passe.
-
Je dois y aller.
C'est Nina qui vient de répondre. La mouette :
, Tchaïka, terme que certains rapprocheraient
du verbe espérer (
), elle est jouée, dans la mise en scène de Christian Benedetti, par une
jeune actrice roumaine, Anamaria Marinca, dont l'accent détonne avec une pointe d'exotisme sur
l'ensemble ambiant. Partie d'une exaltation apparemment factice, sans doute décalée, elle
déconcerte en imposant une jolie candeur au récitatif du poème dramatique de Treplev, et elle passe
par une interrogation fascinée pour le succès de Trigorine, fascination qui cache mal un amour aussi
candide que fragile dont l'aboutissement la transformera en tragédienne de sa propre existence, dans
la désolation la plus sombre et la plus intense, inondée de pluie et de larmes face à un voyage
déceptif d'une cruauté rare.
et de la pensée. Cette « Mouette » pourrait être l’emblème d’un théâtre
humble qui ne se nourrit pas d’illusion mais de lucidité.
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Les Soirées de Paris
Une Mouette plane sur Alfortville
Publié le 20 novembre 2011 par Philippe Bonnet
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