Intérêts et enjeux de la recherche sur les cellules souches

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Colonie de cellules souches
embryonnaires (Yacine
Laâbi © Inserm/AbCys)
Intérêts et enjeux de la recherche sur les cellules
souches embryonnaires humaines
Cette dernière décennie a vu la recherche sur les cellules souches
embryonnaires humaines (hES) se développer considérablement. En effet,
ces cellules ne cessent de susciter l’intérêt des scientifiques, notamment pour
leur immense potentiel thérapeutique. L’Inserm ne fait pas exception à la
règle et tente de se faire une place dans ce domaine.
Il y a tout juste dix ans, une lignée de cellules souches embryonnaires
humaines était réalisée pour la première fois au monde par une équipe
américaine*. Depuis lors, les recherches menées sur les cellules hES n’ont
cessé de se développer, en raison notamment des enjeux thérapeutiques
considérables qu’elles suscitent. Néanmoins, l’élargissement de ce domaine
de recherche a dû faire face à un obstacle majeur : la législation, qui
interdisait, dans de nombreux pays, l’accès aux cellules d’embryons humains
dits « surnuméraires », issus de la fécondation in vitro et voués à la
destruction. En France, les chercheurs ont dû attendre fin 2004 pour obtenir
les dérogations nécessaires pour pouvoir travailler sur les cellules
embryonnaires humaines. Depuis, plusieurs équipes se sont formées et ont
développé différents projets, avec l’envie de rattraper le retard accumulé ces
dernières années.
Pourquoi travailler sur des cellules ES ?
Les cellules souches embryonnaires proviennent de l’embryon humain aux
tout premiers stades de son développement, quelques jours seulement après
la fécondation. Ces cellules sont dites « pluripotentes » : elles peuvent se
répliquer indéfiniment (autorenouvellement), proliférer en culture et se
différencier en plus de 200 types de tissus. Au cours du développement, elles
ont vocation à former tous les tissus de l’organisme. C’est notamment sur
cette capacité que reposent les espoirs actuels en termes d’applications
biologiques et médicales. Elles pourraient en effet constituer un réservoir
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permanent de cellules pour réparer les organes malades ou endommagés.
Dans certains cas, elles pourraient même remplacer la greffe d’organes.
(I−Stem, unité Inserm 861 −
Auteur : Laurent Audinet)
Mais qu’en est−il des cellules souches adultes ? N’ont−elles pas autant de
potentiel que les cellules ES ? L’interdiction législative et les nombreux
débats éthiques sur les cellules hES ont poussé les chercheurs à travailler
intensément sur les cellules souches adultes. Présentes dans la plupart de
nos tissus, ces cellules sont dites « multipotentes ». Elles sont également
capables de s’autorenouveler et de se différencier en plusieurs autres types
de tissus, mais elles sont déjà engagées dans une certaine direction, donc
déjà déterminées. Par exemple, les cellules hématopoïétiques des
mammifères donnent des globules rouges, des plaquettes, des lymphocytes
T ou B, des macrophages, mais elles ne peuvent pas donner de cellules
musculaires. Les cellules souches adultes offrent donc un potentiel plus
restreint que les cellules ES, tant sur le plan de la différenciation que de la
prolifération (les cellules souches hématopoïétiques cultivées in vitro ne se
divisent qu’une demi−douzaine de fois).
Les chercheurs plaçaient cependant beaucoup d’espoir dans les cellules
souches adultes, d’autant que leur utilisation ne pose aucun problème
éthique. Mais, au cours des dix dernières années, les travaux menés ont
montré leurs limites. Pour ces raisons, les scientifiques reviennent aujourd’hui
vers les cellules ES, ou tentent par modification génétique de donner toutes
les "qualités" (multipotence et auto−renouvellement) des cellules ES à des
cellules souches adultes.
Des applications porteuses d’espoirs
La thérapie cellulaire est certainement le champ d’application le plus
attrayant, avec des enjeux médicaux considérables. Quel médecin n’a jamais
espéré pouvoir réparer entièrement les tissus endommagés de ses patients ?
Cette médecine régénérative pourrait se substituer à terme aux traditionnelles
greffes d’organes.
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(I−Stem, unité Inserm 861 −
Auteur : Laurent Audinet)
Mais la recherche sur les cellules hES permet également de progresser dans
la connaissance du développement humain. Grâce au criblage de génomique
fonctionnelle et au criblage pharmacologique, les chercheurs espèrent
notamment mieux comprendre le développement de certaines maladies
génétiques et identifier les molécules susceptibles de restaurer un
développement normal. Par ailleurs, l’étude des mécanismes altérant
l’autorenouvellement des cellules ES pourraient à terme permettre d’élucider
certains mécanismes moléculaires à l’origine de la formation des tumeurs.
Enfin, il existe un autre champ d’application qui émerge : la toxicologie
prédictive. L’objectif est de développer des lignées de cellules hES afin de les
utiliser pour des tests cellulaires in vitro. Elles permettraient alors de prédire
les éventuels effets délétères de substances chimiques et d’identifier les
risques pour la santé humaine, mais aussi d’évaluer l’efficacité et l’innocuité
de molécules à visée thérapeutique. Avec un objectif : limiter
l’expérimentation animale.
Plusieurs équipes de l’Inserm s’intéressent à ces différents champs
d’application. Dans ce dossier, certaines d’entre elles nous présentent leurs
travaux, afin d’illustrer et de mieux saisir tous les enjeux et les espoirs placés
dans les cellules hES.
Pour terminer, un retour est nécessaire sur la loi de bioéthique votée en
2004, et encadrant les recherches sur les cellules embryonnaires, afin de
mieux comprendre le cadre très strict dans lequel sont menés ces travaux en
France. Une réforme de la législation étant prévue pour 2009, on peut
également se demander ce que les chercheurs peuvent en espérer.
* Thomson JA, et al. Embryonic stem cells lines derived from human
blastocysts. Science 1998 ; 282 : 1145−7.
Liens utiles :
− Dossier "Cellules souches", Inserm actualités n° 196 (février 2006)
− Dossier d'information Inserm "Cellules souches"
− Programme national de recherche sur les Cellules Souches (PNRCS)
Diversité des recherches Inserm consacrées aux cellules ES humaines
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En France, la majorité des équipes ayant reçu de l'Agence de la biomédecine l’autorisation de
travailler sur les cellules hES appartiennent à la recherche académique, et pour une très
grande part à l’Inserm (22 protocoles sur 35, et 15 des 26 équipes autorisées).
La figure ci−dessous, réalisée avec le concours de Laure Coulombel (unité Inserm 602),
présente l'ensemble de ces équipes, ainsi que l'objectif de leur projet de recherche.
Appartenance des équipes
1 : unité Inserm 602, Villejuif ; 2 : unité Inserm 782, Clamart ; 3 : unité Inserm 846, Bron ; 4 :
unité Inserm 847, Montpellier ; 5 : unité Inserm 861, Evry ; 6 : unité Inserm 596, Strasbourg ; 7
: unité Inserm 790, Villejuif ; 8 : CNRS UMR 1142, Montpellier ; 9 : CNRS UMR 9922, Paris ;
10 : unité Inserm 661, Montpellier ; 11 : unité Inserm 898, Nice ; 12 : unité Inserm 894, Paris ;
13 : unité Inserm 804, Le Kremlin−Bicêtre ; 14 : unité Inserm 632, Montpellier ; 15 : unité
Inserm 903, Reims ; 16 : unité Inserm 893, Paris ; 17 : unité de Biologie des populations
lymphocytaires, Institut Pasteur, Paris ; 18 : unité Inserm 841, Evry.
Bibliographie des équipes
− Assou S, Le Carrour T, Tondeur S, Ström S, Gabelle A, Marty S, Nadal L, Pantesco V, Réme
T, Hugnot JP, Gasca S, Hovatta O, Hamamah S, Klein B, De Vos J. A meta−analysis of
human embryonic stem cells transcriptome integrated into a web−based expression atlas.
Stem Cells 2007 ; 25 : 961−73.
− Tomescot A, Leschik J, Bellamy V, Dubois G, Messas E, Bruneval P, Desnos M, Hagège
AA, Amit M, Itskovitz J, Menasché P, Pucéat M. Differentiation in vivo of cardiac committed
human embryonic stem cells in postmyocardial infarcted rats. Stem Cells 2007 ; 25 : 2200−5.
− Aberdam E, Barak E, Rouleau M, de LaForest S, Berrih−Aknin S, Suter DM, Krause KH,
Amit M, Itskovitz−Eldor J, Aberdam D. A pure population of ectodermal cells derived from
human embryonic stem cells. Stem Cells 2008 ; 26 : 440−4.
− Wianny F, Bernat A, Huissoud C, Marcy G, Markossian S, Cortay V, Giroud P, Leviel V,
Kennedy H, Savatier P, Dehay C. Derivation and cloning of a novel rhesus ES cell line stably
expressing Tau−GFP. Stem Cells 2008 ; Mar 20.
• Intérêts et enjeux de la recherche sur les cellules souches
embryonnaires humaines
• De la particularité des cellules souches : Autorenouvellement et
différenciation
• Modéliser les maladies les plus rares en créant des lignées de cellules
souches
• Rôle potentiel des cellules souches dans la régénération d’organes
• Criblage génomique et pharmacologique : deux techniques exploitant
les cellules souches
• Prédire les effets délétères dans les cultures de cellules
• Loi de bioéthique : des recherches sous haute surveillance
• Entretien avec Marc Peschanski, Directeur scientifique de l'Istem
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Premier symposium FISH−ESC*
Organisé sous l’égide du programme Ingecell du pôle de compétitivité
Medicen, le premier symposium international sur la recherche sur les cellules
souches embryonnaires humaines s’est tenu du 31 janvier au 2 février 2008
au Genopole d’Evry, avec le soutien de l’Inserm, de l’AFM, du PRES
UniverSud et du Conseil Régional d’Ile de France. Des scientifiques du
monde entier se sont rassemblés pour exposer et échanger leurs idées dans
ce domaine d’avant−garde. Ils ont notamment évoqué les nombreuses
difficultés auxquelles sont confrontées les équipe travaillant sur les cellules
souches embryonnaires, qu'elles soient éthiques ou pratiques. En tout, 29
présentations ont été proposées au cours de trois sessions successives :
recherche fondamentale et différenciation, expériences des sociétés de
biotechnologie et programme européen.
Lors de ce symposium, plusieurs intervenants ont présenté leurs travaux
concernant les différents gènes impliqués dans la différenciation cellulaire,
dont une meilleure connaissance permettrait d’améliorer la production de
cellules pluripotentes induites (iPS) à partir de cellules adultes. D’autres
chercheurs ont exposé les données qu’ils avaient recueillies sur les
différentes anomalies génétiques qui engendrent des cellules cancéreuses et
favorisent l’effet « boule de neige » entraînant l’apparition de tumeur. Autres
thèmes évoqués, la potentialité des cellules souches dans la modélisation
des maladies rares et les futures applications thérapeutiques de ce matériel
vivant.
Retrouvez le compte−rendu complet du symposium FISH−ESC dans le
dernier numéro de Médecine/Sciences (avril 2008, volume 24, n° 4,
419−426, disponible en ligne sur BiblioInserm).
* First International Symposium on Human Embryonic Stem Cell Research.
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Pierre Savatier, responsable
de l’équipe Cellules
souches embryonnaires,
autorenouvellement et
différenciation précoce à
l’Institut cellule souche et
cerveau (unité Inserm 846
dirigée par Henry Kennedy).
(unité Inserm 846)
De la particularité des cellules souches :
autorenouvellement et différenciation
Outre leur capacité de pluripotence, les cellules ES sont capables de se
différencier en différentes cellules qui composent les tissus de l’organisme et
de s’autorenouveler. C’est un besoin vital pour régénérer les tissus quand ils
sont altérés. C’est aussi un danger mortel lorsque l’autorenouvellement se
dérègle, dans le cas des tumeurs. Tour d’horizon de ses spécificités.
L’autorenouvellement : une caractéristique spécifique
L’autorenouvellement désigne la capacité des cellules souches à se
reproduire indéfiniment sous forme indifférenciée. Les voies de signalisation
impliquées dans le contrôle de l’autorenouvellement ne sont pas les mêmes
chez la souris et chez l’homme, et le potentiel des lignées humaines semble
pour le moment inférieur à celui des lignées de souris. « Nous cherchons les
gènes ou les inhibiteurs bloquant efficacement la différenciation dans les
cellules ES humaines, explique Pierre Savatier, responsable de l’équipe
Cellules souches embryonnaires, autorenouvellement et différenciation
précoce à l’Institut cellule souche et cerveau (unité Inserm 846 dirigée par
Henry Kennedy). L’enjeu à terme, outre la compréhension de certains
mécanismes moléculaires à l’origine de la formation des tumeurs est de
disposer de lignées stables, de bonne qualité, susceptibles d’être utilisées un
jour dans un contexte clinique hospitalier. » La mauvaise qualité de
l’autorenouvellement se caractérise, d’une part, par la propension des
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cellules ES à se différencier spontanément et perdre leur pluripotence,
d’autre part, par l’accumulation de mutations génétiques, translocation ou
duplication chromosomiques.
Faisceau d'axones issus d'un greffon
de neurones dérivés de cellules ES
de rhésus, marqués par la Green
Fluorescent Protein. (unité Inserm 846)
La différenciation : un mécanisme complexe
« Aujourd’hui, on maîtrise assez bien chez l’homme la voie vers l’ectoderme
(exemple, les neurones), constate Pierre Savatier, probablement parce qu’il
s’agit de la voie par défaut. Mais les résultats sont moins évidents pour le
mésoderme (exemple, les cardiomyocytes), et très pauvres pour l’endoderme
(exemple, les cellules pancréatiques). Ce constat est valable pour les
rongeurs, et signale notre carence dans la compréhension fondamentale des
processus impliqués. Pour cette raison, nous cherchons à identifier les gènes
utilisés par la cellule ES pour orienter sa différenciation vers l’ectoderme, le
mésoderme, et l’endoderme. L’identification de ces gènes permettra à terme
de contrôler le processus de différenciation. »
Du fondamental à la pratique : création d’une lignée de cellules souches
embryonnaires humaines
Après avoir dérivé la première lignée européenne de cellules ES de singe
rhésus en collaboration avec l’équipe de Colette Dehay, Pierre Savatier vient
d’obtenir le même résultat avec la première lignée française de cellules ES
humaines issue d’un embryon sain. « C’est important pour l’indépendance
des laboratoires, commente Pierre Savatier, qui ne sont pas obligés d’utiliser
des lignées produites à l’étranger. Mais c’est aussi important pour la qualité
de celles−ci : elles sont jeunes (moins de 10 passages), alors que les lignées
utilisées internationalement ont couramment 20 à 25 passages. Ce qui se
traduit par un risque accru d’anomalies génétiques. »
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Colonie de cellules ES
humaines (lignée INS−1,
établie au laboratoire de
l'unité Inserm 846), dont on
a révélé l'expression du
gène OCT4 à l'aide d'un
anticorps. (unité Inserm
846)
L’expérience acquise par l’équipe sur les cellules ES de souris et de singe a
permis d’avancer très vite sur les embryons humains lorsque la loi française
l’a permis. « Dans notre laboratoire, nous continuons de travailler sur les
modèles murins et primates, souligne le chercheur. On dispose en effet d’un
recul inégalé sur les cellules ES de souris, étudiées depuis plus de vingt ans,
plus simples à cultiver et sur lesquelles on peut procéder à des altérations
très fines et très complexes du génome. L’intérêt du singe rhésus est bien sûr
qu’il est beaucoup plus proche de l’homme. Des cellules ES modifiées
génétiquement pourront un jour être utilisées pour créer des modèles
primates de pathologies humaines. Et l’on peut bien sûr réaliser des
expériences de greffes cellulaires non réalisables chez l’homme aujourd’hui.
» Ainsi, l’Institut Cellule souche et cerveau travaille actuellement à un modèle
préclinique de thérapie cellulaire de la maladie de Parkinson chez le rhésus,
des travaux encore au stade préliminaire, puisque les premières injections de
neurones dérivés de cellules ES ont été réalisées en février 2008.
Une voie d’avenir : les cellules iPS
L’utilisation d’embryons humains pour obtenir des cellules souches pose des problèmes
éthiques. Il en va de même pour le clonage reproductif, consistant à créer un embryon à partir
d’un noyau de cellule adulte et d’un ovocyte énucléé. Mais à la fin de l’année 2007, deux
équipes de chercheurs ont réalisé une avancée majeure qui pourrait changer le visage de la
recherche dans les prochaines années. Ils sont parvenus à créer des cellules souches
pluripotentes humaines à partir de cellules différenciées adultes (fibroblastes), qui ont
également retrouvé leur capacité d’autorenouvellement « ES−like ». Cette reprogrammation a
été possible en introduisant simplement quatre gènes dans les cellules adultes (OCT4, SOX2,
NANOG, et LIN28 pour l’équipe de James Thompson ; OCT3/4, SOX2, KLF4, et c−MYC pour
l’équipe de Shinya Yamanaka). Ces cellules ont été baptisées « cellules pluripotentes induites
» ou iPS (induced pluripotent stem cells). « Cette percée ne rend pas caduc le travail sur les
cellules ES humaines et animales qui restent la référence, mais pourrait résoudre bien des
questions éthiques, commente Pierre Savatier. De surcroît, les cellules iPS sont par définition
immunocompatibles avec le patient, puisqu’elles dérivent de ses propres cellules. Il reste
cependant une question importante : ce sont des cellules génétiquement modifiées, par
intervention sur quatre gènes avec des vecteurs viraux. On s’oriente donc dans les prochaines
années vers la transformation de fibroblastes en iPS sans altération génétique. »
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• Intérêts et enjeux de la recherche sur les cellules souches
embryonnaires humaines
• De la particularité des cellules souches : Autorenouvellement et
différenciation
• Modéliser les maladies les plus rares en créant des lignées de cellules
souches
• Rôle potentiel des cellules souches dans la régénération d’organes
• Criblage génomique et pharmacologique : deux techniques exploitant
les cellules souches
• Prédire les effets délétères dans les cultures de cellules
• Loi de bioéthique : des recherches sous haute surveillance
• Entretien avec Marc Peschanski, Directeur scientifique de l'Istem
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Annelise
Bennaceur−Griscelli,
directrice d’équipe
dans l’unité Inserm
602 (Villejuif).
Modéliser les maladies les plus rares en créant des
lignées de cellules souches
On connaît aujourd’hui plusieurs milliers de maladies génétiques rares. La
plupart sont dites orphelines, car on ne dispose pas de traitement pour les
soigner. Les cellules souches embryonnaires humaines (hES) sont d’un
intérêt capital pour leur modélisation. Le travail sur les cellules ES permet
d’étudier dans le détail chacune des problématiques liées à ces maladies,
pour élaborer ensuite des pistes cliniques et thérapeutiques. Pour avoir un
matériel en grande quantité et adapté à ce type d’application, il est important
de fabriquer via des plateformes un grand nombre de cellules hES.
La première lignée française de cellules souches embryonnaires
humaines
Dès que la loi a autorisé, en 2006, les travaux sur les cellules souches,
Annelise Bennaceur−Griscelli a contribué à mettre en place une plateforme
de dérivation de nouvelles lignées de cellules ES. Ces dernières sont
essentiellement issues d’embryons porteurs d’une maladie monogénique
incurable, type mucoviscidose, maladie de Huntington ou syndrome de
Fanconi… « Mais nous cherchons aussi à développer des lignées de cellules
embryonnaires porteuses de déséquilibres chromosomiques, à l’origine de
défauts majeurs du développement, ou responsables de cancers. Les lignées
embryonnaires normales sont quant à elles indispensables pour analyser les
différences de développement entre le tissu sain et le tissu pathologique. Il en
existe environ 200 dans le monde, toutes accessibles en France », souligne
la chercheuse. En octobre 2007, son équipe a été la première, en France, à
créer une lignée de cellules hES. Obtenue en collaboration avec les services
des Professeurs Frydman et Tachdjian, de l’hôpital Antoine−Béclère à
Clamart, cette lignée dérivait d’un embryon, non viable, porteur d’une
monosomie partielle du chromosome 21 et d’une trisomie partielle du
chromosome 1.
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Bouton embryonnaire en
culture (unité Inserm 602)
Comment obtenir une « bonne » lignée de cellules hES ?
Il faut d’abord partir d’un embryon sélectionné par diagnostic
pré−implantatoire (DPI), avec l’accord des parents. L’embryon est mis en
culture jusqu’au stade blastocyste (5 à 7 jours de développement), étape à
laquelle le bouton embryonnaire est disséqué. Les centaines de cellules
souches qui en sont issues sont alors mises en culture, sur une couche
nourricière de fibroblastes, en présence d’un facteur de croissance, le bFGF
(basic fibroblast growth factor). En moyenne, environ 30 % de ces cellules
aboutiront à une véritable lignée ES. Les cellules souches adhèrent, survivent
et prolifèrent pour former, au bout de quelques mois, les premières colonies
de cellules. Il faut encore attendre au moins 6 mois pour permettre aux
colonies de s’expandre par autorenouvellement, et obtenir plusieurs milliards
de cellules à l’identique. On vérifie ensuite leur pluripotence, ainsi que leur
conformité au génotype d’origine. « Notre plateforme a pour ambition de
produire des lignées embryonnaires établies à partir de maladies incurables
dont le diagnostic est pratiqué en DPI. Mais nous développons aussi la
stratégie de reprogrammation de cellules somatiques en cellules souches
pluripotentes iPS, car elles sont source d’une plus grande variété de modèles
pathologiques. Ces lignées seront à la disposition des chercheurs pour toutes
sortes d’études physiopathologiques » précise Annelise Bennaceur−Griscelli.
Quant aux protocoles de différenciation des cellules ES, ils sont développés
par les chercheurs experts dans leur propre domaine.
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Inserm−Actualités
La première lignée de
cellules ES humaines en
France, dérivée en octobre
2007 à partir d'un embryon
non viable. Expressions
d'OCT4 (en haut) et de
TRA1−60 (en bas), en
passage 12. (unité Inserm
602)
De la complexité de la différenciation
Maîtriser la différenciation est bien sûr indispensable à la modélisation des
maladies. Or cette pratique est loin d’être acquise. Pour le tissu
hématopoïétique, par exemple, il n’existe pas encore de protocole efficace
pour produire des cellules souches hématopoïétiques multipotentes durables,
et transplantables comme le sont les cellules souches adultes de la moelle
osseuse ou du sang de cordon. Un vrai défi, puisqu’elles sont à l’origine de
toutes nos cellules sanguines lorsqu’elles se différencient : érythropoïèse
formant les globules rouges, leucopoïèse fabriquant les leucocytes,
thrombocytopoïèse produisant les plaquettes. « Nous parvenons aujourd’hui
à produire des cellules érythrocytaires, myéloïdes mégacaryocytaires et
lymphocytes natural killer, mais avec un rendement encore insuffisant. Ces
populations cellulaires correspondent à un stade primitif et transitoire du
développement. Chez la souris, il faut passer par une modification génétique
comme l’expression ectopique d’HoxB4 pour parvenir à une reconstitution
durable du tissu hématopoïétique après greffe. Et c’est encore plus complexe
chez l’homme », explique Annelise Bennaceur−Griscelli. Pourquoi cette
difficulté ? Au cours des neuf mois du développement fœtal, les cellules
hématopoïétiques rencontrent au cours de leur migration de nombreux
micro−environnements guidant la programmation, la spécialisation et
l’amplification cellulaire. Le foie, notamment, joue un rôle crucial pour
l’amplification et la transition fœtal/adulte des cellules souches
hématopoïétiques. Les avancées de la recherche fondamentale, comme
celles de ses applications cliniques, nécessitent donc de reproduire ces
micro−environnements en laboratoire, sur des cellules humaines, mais aussi
sur des modèles animaux (poisson−zèbre, souris ou primate non humain).
Comme le souligne Annelise Bennaceur−Griscelli, « la biologie du
développement est fondamentale pour comprendre l’émergence, la
spécialisation et la différentiation des cellules souches. »
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• Intérêts et enjeux de la recherche sur les cellules souches
embryonnaires humaines
• De la particularité des cellules souches : Autorenouvellement et
différenciation
• Modéliser les maladies les plus rares en créant des lignées de cellules
souches
• Rôle potentiel des cellules souches dans la régénération d’organes
• Criblage génomique et pharmacologique : deux techniques exploitant
les cellules souches
• Prédire les effets délétères dans les cultures de cellules
• Loi de bioéthique : des recherches sous haute surveillance
• Entretien avec Marc Peschanski, Directeur scientifique de l'Istem
Pourquoi travailler sur… le poisson zèbre?
Le poisson zèbre (Danio rerio) est apprécié des aquariophiles… et plus
encore des laborantins. À première vue, il peut sembler étrange que le travail
sur un poisson puisse être de quelque utilité pour comprendre certains
aspects du développement humain. Mais en fait, il existe au commencement
de tout être une cellule unique qui se divise, et les mécanismes
fondamentaux sont conservés à travers les espèces, les genres et les règnes
du vivant. Les poissons présentent en outre de nombreux avantages pour le
travail de recherche : disponibilité, profusion, production de millions
d’ovocytes transparents et simplicité relative des cycles de régulation.
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Michel Pucéat a rejoint
l’I−Stem en 2006. (I−Stem,
unité Inserm 861)
Rôle potentiel des cellules souches dans la régénération
d’organes
Chaque année, malgré le développement du don d’organes, plus de 200
malades décèdent en raison du seul déficit chronique de greffons,
c’est−à−dire de tissus ou d’organes compatibles. Avec leurs propriétés
d’autorenouvellement, de différenciation et de prolifération, les cellules
souches présentent un véritable potentiel dans ce contexte, d’autant que leur
champ d’application en thérapie cellulaire est immense : nos organes
subissent en effet aussi bien les agressions de maladies (monogéniques ou
multifactorielles, aiguës ou chroniques) que celles du vieillissement.
Rappel historique
Les premières transfusions sanguines ont eu lieu en 1818, les premières
greffes de peau en 1868. Depuis, les greffes se sont généralisées (cornée,
rein, foie, poumon, cœur, moelle osseuse) et l’idée que l’altération d’un tissu
ou d’un organe n’est pas une fatalité est apparue. Parallèlement, et dans le
cadre du travail sur ces transfusions et transplantations, les chercheurs sont
parvenus à identifier des cellules souches. Les précurseurs hématopoïétiques
de toutes les cellules sanguines ont été observés en 1932, puis est
intervenue une cascade de découvertes allant en s’accélérant ces dernières
décennies, depuis la réalisation des premières cultures de cellules souches
embryonnaires (ES) de souris (Evans et Kauffman en 1981) jusqu’à celle des
cellules ES humaines (Thompson en 1998). Actuellement, la thérapie
cellulaire désigne la fusion de ces deux lignes de recherche : utiliser des
cellules souches pour restaurer la structure ou la fonction de tissus altérés.
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Inserm−Actualités
Cellules souches
embryonnaires humaines
dans leur culture de cellules
nourricières (I−Stem, unité
Inserm 861)
L’importance des cellules souches
L’intérêt des cellules ES provient d’abord des limites observées depuis 10
ans dans les thérapies faisant appel aux cellules souches adultes. « Les
nombreux débats éthiques sur les cellules ES ont poussé les chercheurs à
travailler intensément sur les cellules adultes, explique Michel Pucéat qui
dirige le programme de recherche sur les ischémies et cardiomyopathies au
sein de l’I−Stem, des cellules présentes dans la plupart de nos tissus et dont
on espérait beaucoup. Les thérapies cellulaires ont eu le mérite de démontrer
la faisabilité d’une injection dans un tissu, mais il faut reconnaître que leur
efficacité s’est révélée faible, voire nulle. Les cellules souches adultes sont
d’abord peu accessibles. Elles ne se remettent pas en fonction lorsque
l’organe est altéré, sauf pour certains tissus gardant une bonne capacité de
prolifération, comme les muscles ou le foie. Et surtout, elles ne sont pas aussi
multipotentes qu’on l’espérait initialement. Pour toutes ces raisons, on revient
aujourd’hui aux cellules souches embryonnaires. »
Des mécanismes cellulaires complexes
Chaque tissu a ses spécificités : si quelques milliers de cellules rétiniennes
suffisent pour essayer de rendre la vue à un patient, il faut plusieurs
centaines de millions de cardiomyocytes pour restaurer son cœur. Et les
voies de la recherche sont souvent imprévisibles : « Nous révisons nos
objectifs à mesure que nous progressons, remarque ainsi Michel Pucéat. Par
exemple, nous portons la plus grande attention à la reprogrammation des
cellules somatiques – iPS (induced pluripotent stem cell) – et notre
expérience des cellules ES va contribuer à évaluer leur potentiel. De même,
on a constaté que les injections de cellules souches ne produisent pas
seulement une régénération tissulaire dirigée, mais stimulent aussi in situ des
effets protecteurs endogènes, de type paracrine, dont nous essayons de
définir les mécanismes. D’autres pistes en cours d’exploration concernent
l’injection elle−même, et la difficulté à maintenir la viabilité des cellules ES.
Des matrices−supports en collagène, colonisées in vitro et greffées par la
suite, pourraient permettre d’améliorer la différenciation et de jouer un rôle
modulateur du point de vue immunitaire. »
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Inserm−Actualités
(I−Stem, unité Inserm 861 −
Auteur : Laurent Audinet)
Application : des cellules ES humaines dans un cœur de rat
En 2007, en collaboration avec l’unité Inserm 633 dirigée par Philippe
Menasché, l’équipe de Michel Pucéat a publié les premiers travaux français
réalisés avec des cellules souches embryonnaires humaines*. « Toutes nos
équipes ont une composante fondamentale et une composante pathologie
cible, explique−t−il. Nous travaillons sur les maladies neurodégénératives
(maladie de Huntington), les maladies neuromusculaires et celles du
motoneurone (maladie de Steinert), la myopathie de Duchenne ou, encore,
les génodermatoses (maladie de Clouston). Et, dans le cas de mon équipe,
sur les dégénérescences du myocarde, qu’elles soient d’origine génétique,
congénitale ou ischémique. » Les chercheurs se sont donc intéressés aux
cellules souches embryonnaires pour régénérer le tissu endommagé du cœur
dans les cas de défaillance de sa contractilité. Cette maladie, dont l’origine
est multifactorielle (infarctus, cardiopathies ou dystrophies musculaires,
défaut génétique…), est une des principales causes de mortalité dans la
plupart des pays développés, dont la France. Les chercheurs ont exposé des
lignées de cellules souches embryonnaires humaines à un facteur de
croissance (BMP2) leur permettant de se préparer à une éventuelle
différenciation. Les cellules souches ainsi « orientées » ont ensuite été
implantées au niveau des tissus cardiaques endommagés de rats
immunodéprimés, victimes d’un infarctus. Au bout de deux mois, les cellules
cardiaques humaines s’étaient développées dans la zone endommagée.
Dans cet environnement propice, les cellules souches se sont différenciées
en cardiomyocytes et les tissus cardiaques ont commencé à se régénérer. De
plus, aucune tumeur (tératome) ni inflammation n'ont été détectées, ces effets
secondaires indésirables étant les plus fréquents après ce genre de
transplantation.
Retrouvez le communiqué de presse.
* Tomescot A, et al. Stem Cells 2007, 25 : 2200−5.
16
Inserm−Actualités
• Intérêts et enjeux de la recherche sur les cellules souches
embryonnaires humaines
• De la particularité des cellules souches : Autorenouvellement et
différenciation
• Modéliser les maladies les plus rares en créant des lignées de cellules
souches
• Rôle potentiel des cellules souches dans la régénération d’organes
• Criblage génomique et pharmacologique : deux techniques exploitant
les cellules souches
• Prédire les effets délétères dans les cultures de cellules
• Loi de bioéthique : des recherches sous haute surveillance
• Entretien avec Marc Peschanski, Directeur scientifique de l'Istem
17
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Sandrine Baghdoyan
(I−Stem, unité Inserm 861)
Criblage génomique et pharmacologique : deux
techniques exploitant les cellules souches
Comment une maladie d’origine génétique se développe−t−elle dans
l’organisme ? Et quelles molécules seraient susceptibles de restaurer un
développement normal ? Les cellules souches embryonnaires humaines
peuvent apporter une contribution fondamentale pour répondre à ces deux
questions, grâce au criblage de génomique fonctionnelle et au criblage
pharmacologique.
Auparavant, seuls les grands laboratoires de l’industrie pharmaceutique
avaient la capacité financière de s’équiper en robot de cultures cellulaires,
d’acheter des collections et de travailler à haut débit. Toutes ces techniques,
nécessaires pour effectuer les criblages génomique et pharmacologique,
n’étaient pas accessibles aux laboratoires publics, faute de moyens.
Désormais, ce n’est plus le cas. Cette évolution a permis une accélération
considérable de la recherche fondamentale et clinique, y compris sur les
maladies orphelines.
Le criblage génomique
Le criblage de génomique fonctionnelle consiste à induire la surexpression
ou, au contraire, l’extinction de certains gènes dans une cellule. Imaginons
que chaque gène est l’interrupteur et le modulateur d’une lampe : l’éclairage
peut être éteint ou allumé avec une intensité variable. Selon son état, les
effets ne seront pas les mêmes sur l’environnement – en l’occurrence, les
autres gènes présents dans la cellule ou les produits de ces gènes, des
protéines, et, au final, sur les organismes. Grâce aux techniques de haut
débit (96, 384, 1 586 puits, puces à cellules), on peut désormais analyser la
quasi−totalité des gènes présents dans un noyau cellulaire, en utilisant
certaines molécules capables de moduler leur action : des siRNA (small
interfering RNA) (extinction) ou des plasmides (extinction ou surexpression),
18
Inserm−Actualités
notamment. L’objectif est d’identifier les « portes d’entrée » d’une maladie,
afin de proposer des cibles thérapeutiques.
Robot de culture cellulaire Biocell 1800
(gauche). détail de bras robotique tenant
une plaque à 384 puits (droite). (I−Stem,
unité Inserm 861)
Le criblage pharmacologique
Le criblage pharmacologique vise, quant à lui, à étudier l’effet de composés
chimiques sur le développement de cellules normales ou pathologiques. Ce
criblage à haut−débit (HTS, pour high troughput screening) permet de
confronter plusieurs milliers de molécules potentiellement thérapeutiques à
un modèle biologique pertinent d'une maladie génétique. À l’arrivée : des lots
de molécules candidates pour le traitement de chaque maladie. La
découverte de nouvelles molécules s’en trouve optimisée, du fait du très
grand nombre de tests réalisés. Les deux formes de criblage sont bien sûr
complémentaires.
L’intérêt spécifique des cellules souches embryonnaires humaines
« Avant, nous devions travailler sur des cellules immortalisées, souvent
dotées d’un caryotype anormal et dans lesquelles on avait induit
artificiellement l’expression de la maladie, souligne Sandrine Baghdoyan,
responsable de la plateforme de génomique fonctionnelle de l’I−Stem. Les
lignées de cellules hES porteuses d’une mutation génétique identifiée lors
d’un diagnostic pré−implantatoire représentent un modèle bien plus proche
du cadre physiologique réel. On peut alors disposer d’une source cellulaire
largement amplifiable, du fait de la capacité d’autorenouvellement des
cellules ES, et apte à se différencier vers un grand nombre de types
cellulaires. Les cellules souches embryonnaires nous donnent là un contexte
génétique et cellulaire très réaliste, qui limite le fort taux de faux positifs et
faux négatifs observé lorsque le modèle cellulaire pathologique ne reproduit
qu’imparfaitement la maladie. »
19
Inserm−Actualités
Exemple de criblages
L’équipe de Sandrine Baghdoyan travaille sur la dystrophie myotonique de type 1 (DM1, ou
maladie de Steinert), due à une mutation du gène DMPK, qui code pour une protéine kinase. «
Grâce à la lignée hES porteuse de la mutation causale de la DM1, explique Sandrine
Baghdoyan, nous devrions mieux comprendre la maladie. Mais nous pourrons aussi
développer un véritable savoir−faire en criblage, applicable à d’autres types de maladies
monogéniques dès que nous disposerons des lignées mutantes correspondantes. Nous
pouvons également travailler sur des lignées non mutées pour l’étude des programmes de
différenciation tissulaire. » Ainsi, des lignées de cellules ES, modifiées de telle sorte que
certains gènes caractéristiques de la différenciation soient porteurs d’un marqueur fluorescent,
devraient permettre de détailler la façon dont certains gènes ou composés chimiques peuvent
favoriser la différenciation vers tel ou tel tissu, avec, à terme, la possibilité d’étendre le nombre
de contextes tissulaires dans lesquels on peut observer l’expression de la maladie, et donc
étudier les possibilités d’intervention thérapeutique.
Des cellules souches aviaires pour fabriquer des vaccins
L’industrie pharmaceutique s’intéresse de près à l'apport des cellules souches embryonnaires
dans les processus de développement des applications thérapeutiques. C’est notamment le
cas de la société Vivalis, née en 1999 de la rencontre entre des agriculteurs de Cholet et des
scientifiques issus de l’Ecole normale supérieure de Lyon. Cette société s’est depuis
spécialisée dans l’utilisation des cellules souches embryonnaires (ES) pour la production de
vaccins viraux et la production de protéines recombinantes.
En partant du constat que la plupart des vaccins actuels sont fabriqués sur substrat d’œufs de
poule, l’équipe de chercheurs de la Société Vivalis a développé une lignée cellulaire aux
caractéristiques conformes à la réglementation, et supportant sans dommage une exploitation
industrielle : immortalité et stabilité génétique. Seules candidates, les cellules souches
embryonnaires. Spécialisée dans le monde aviaire, la société Vivalis travaille sur les cellules
ES de canard. « En créant un milieu de culture entièrement sécurisé et contrôlé en absence de
sérum bovin, explique le Dr Majid Mehtali, directeur général et scientifique de la société
Vivalis, nous avons réussi notre pari et avons breveté la lignée cellulaire sous le nom EBx®. »
A partir de ces cellules souches spécifiques, ils fabriquent des vaccins en partenariat avec 22
sociétés pharmaceutiques dans le monde, ainsi que des protéines recombinantes, notamment
des anticorps monoclonaux à visée anticancéreuse.
Leurs cellules souches EBx® ont une autre particularité essentielle, celle de posséder un profil
de glycosylation proche de celui des cellules humaines. Cette caractéristique permet la
production de protéines ayant un taux réduit de fucose, un élément associé à une
augmentation de l’efficacité des molécules anticancéreuses. Vivalis s'est donc lancé aussi
20
Inserm−Actualités
dans ce type de production. « En obtenant naturellement cette spécificité, sans avoir recours
à des modifications génétiques, constate le Dr Majid Mehtali, nous avons un avantage
important sur nos concurrents. »
SI les cellules EBx aviaires constituent une alternative prometteuse aux œufs de poules pour
la production industrielle de la majorité des vaccins, certaines souches vaccinales ne peuvent
croître que sur un substrat d’origine humaine. Pour pallier ce problème et étendre ainsi la
gamme des vaccins pouvant être produits sur cellules EBx, la société Vivalis se lance un
nouveau défi : créer des cellules EBx pluripotentes humaines, pour l'instant à partir de cellules
souches adultes induites par modification génétique de cellules différenciées.
Production de vaccins viraux sur oeufs
embryonnés et sur cellules EBx® dérivées
de cellules ES aviaires. (Vivalis)
• Intérêts et enjeux de la recherche sur les cellules souches
embryonnaires humaines
• De la particularité des cellules souches : Autorenouvellement et
différenciation
• Modéliser les maladies les plus rares en créant des lignées de cellules
souches
• Rôle potentiel des cellules souches dans la régénération d’organes
• Criblage génomique et pharmacologique : deux techniques exploitant
les cellules souches
• Prédire les effets délétères dans les cultures de cellules
• Loi de bioéthique : des recherches sous haute surveillance
• Entretien avec Marc Peschanski, Directeur scientifique de l'Istem
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(I−Stem, unité Inserm 861 −
Auteur : Laurent Audinet)
Prédire les effets délétères dans les cultures de cellules
Avancée innovante en recherche thérapeutique et en pharmacologie, la
toxicologie prédictive est actuellement en plein essor. Fondée sur le suivi de
biomarqueurs et de réponses cellulaires, cette nouvelle technique permet une
évaluation plus précoce du potentiel toxique de substances chimiques.
L’utilisation de nouveaux modèles cellulaires, notamment issus de cellules
souches humaines, devrait, à terme, permettre de reproduire plus fidèlement
ce qui se passe dans le corps humain.
Qu’est−ce que la toxicologie prédictive ?
Cette technique repose sur la réalisation de tests cellulaires permettant de
détecter les dommages provoqués par des substances chimiques, afin
d'évaluer leurs risques pour la santé humaine. Dans un premier temps, ces
techniques ont surtout été utilisées pour tester la toxicité d’agents
environnementaux, en essayant de travailler dans des conditions proches du
réel (exposition chronique à des mélanges de faibles doses d’agents
chimiques). Aujourd’hui, ces tests sont aussi adaptables à l’évaluation de
l’innocuité, mais aussi de l’efficacité, de molécules à visée thérapeutique. «
De tels développements constituent un des axes majeurs de la toxicologie
prédictive, explique Jean−Emmanuel Gilbert, président de la société de
biotechnologie Vigicell. En effet, les nouveaux modèles cellulaires
apporteront une plus grande fiabilité aux tests de toxicité in vitro, mais aussi
aux différentes autres applications de la recherche thérapeutique, notamment
en matière d’études pharmaco−cinétiques. Ces outils devraient notamment
permettre de faire un criblage plus fin et plus rapide des molécules nocives
pour les cellules, et donc, pour le corps humain. » Pour l’industrie
pharmaceutique, il s’agit là d’un gain de temps et d'argent.
22
Inserm−Actualités
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Auteur : Laurent Audinet)
L’Europe au cœur de cette technologie innovante
Dans le cadre du 7e PCRD (Programme−cadre de recherche et
développement) de l’Union européenne, qui poursuit la mission de ses
prédécesseurs pour une durée de 7 ans, la Commission européenne
s’apprête à lancer l’une des premières plateformes technologiques
européennes, qui sera consacrée aux médicaments innovants : Innovative
Medicines Initiative (IMI). Les enjeux de ce programme résident dans le
développement d’outils d’aide à l’élaboration de nouvelles molécules
thérapeutiques dans le cadre de cinq domaines de la pathologie. L’accent est
mis sur deux grands thèmes : la sécurité et l’efficacité. L’utilisation des
cellules souches en toxicologie prédictive entre dans cette logique. « Cette
nouvelle approche, souligne Philippe Arhets, responsable du pôle affaires
européennes de l’Inserm, est particulièrement axée vers la recherche
industrielle et concerne les laboratoires pharmaceutiques, les PME en
biotechnologie, les partenaires académiques habituels en recherche clinique.
» Les projets retenus par l’IMI devraient pouvoir être mis en oeuvre dès la fin
de l’année 2008.
(I−Stem, unité Inserm 861 −
Auteur : Laurent Audinet)
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Une méthode alternative dans un contexte particulier
La directive européenne 86/609 CEE, relative à la protection des animaux
utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques, est en cours
de révision. Et les premiers échos penchent vers une réglementation plus
drastique. « D’autre part, souligne Jacques Demotes−Mainard de l’Inserm,
coordinateur du projet européen Ecrin (European Clinical Research
Infrastructure Network), on estime actuellement que seulement 70 % des
effets indésirables peuvent être prédits à partir de l’expérimentation animale.
C’est certes important, mais pas suffisant ; d’autres tests effectués sur des
cellules humaines sont donc nécessaires. » Les modèles biologiques utilisés
actuellement sont assez éloignés de l’homme et, par conséquent, de la
réalité. La toxicologie prédictive pourrait donc s’inscrire comme une méthode
alternative permettant un criblage plus pertinent des agents thérapeutiques.
Grâce aux cellules souches, il sera possible de les tester sur différents tissus
humains. Dans le cas des maladies neurodégénératives, par exemple, les
chercheurs pourront vérifier si l’agent thérapeutique est capable de traverser
la barrière hémato−encéphalique, et s’il ne l’endommage pas. Plus on
dispose de techniques fines permettant de prévoir assez tôt les risques de
toxicité d’une molécule, plus on évite des développements inutiles et coûteux.
Plus les modèles in vitro seront fiables, moins les laboratoires auront recours
à l’expérimentation animale.
• Intérêts et enjeux de la recherche sur les cellules souches
embryonnaires humaines
• De la particularité des cellules souches : Autorenouvellement et
différenciation
• Modéliser les maladies les plus rares en créant des lignées de cellules
souches
• Rôle potentiel des cellules souches dans la régénération d’organes
• Criblage génomique et pharmacologique : deux techniques exploitant
les cellules souches
• Prédire les effets délétères dans les cultures de cellules
• Loi de bioéthique : des recherches sous haute surveillance
• Entretien avec Marc Peschanski, Directeur scientifique de l'Istem
IngeCELL
IngeCELL est un projet de recherche collaborative, piloté par la société
Biotech VigiCell durant la première année et par la société Celogos depuis
mars 2008, dans le domaine des cellules souches embryonnaires humaines.
Il a été labellisé en janvier 2006 par le pôle de compétitivité mondiale
Medicen Paris Région (http://www.medicen.org/). Regroupant onze équipes
de recherche académiques franciliennes reconnues dans le domaine des
cellules souches, ainsi que le Généthon et six PME de biotechnologie,
24
Inserm−Actualités
IngeCELL rassemble des fonds et des compétences venant à la fois du public
et du privé. Ce projet vise à produire six lignées cellulaires d’étude
expérimentale dérivées des cellules souches (endothéliales, hépatocytes,
neurones, musculaires, cardiomyocytes, hématopoïétiques), afin de
constituer une offre industrielle correspondant à des marchés immédiats,
comme la thérapie cellulaire ou la toxicologie prédictive.
25
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Auteur : Laurent Audinet)
Loi de bioéthique : des recherches sous haute
surveillance
Les travaux de recherche menés sur les cellules souches embryonnaires
humaines sont strictement contrôlés par la loi de bioéthique et l’Agence de la
biomédecine. Une révision de la loi est prévue pour 2009. Peut−on espérer
une ouverture de ce cadre légal très restrictif ?
La recherche sur l'embryon humain est actuellement interdite en France,
selon la loi de bioéthique du 6 août 2004, dont les décrets d'application ont
été publiés le 6 février 2006. Néanmoins, cette même loi autorise, à titre
dérogatoire et pour cinq ans, les recherches sur l’embryon et les cellules
embryonnaires dans des conditions strictement contrôlées et lorsqu’elles sont
susceptibles de permettre des avancées thérapeutiques majeures. Ainsi,
l'ensemble des recherches menées sur les cellules souches embryonnaires
humaines et les cellules dérivées doit viser à l'élaboration ou à la validation
de thérapeutiques applicables à des maladies graves.
En pratique, les chercheurs autorisés peuvent travailler sur deux sources de
cellules souches embryonnaires (ES) : des lignées de cellules ES dérivées
hors de France, et des lignées de cellules ES dérivées en France à partir
d’embryons surnuméraires conçus dans le cadre d'une fécondation in vitro, et
que les parents choisissent de céder à la recherche. Une autre technique
consiste à créer des embryons par transfert du noyau d’une cellule du patient
dans un ovule privé de son noyau. Mais cette méthode appelée « clonage
thérapeutique » est interdite par la législation française, comme l’est toute
création d’embryon à visée de recherche.
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Auteur : Laurent Audinet)
Sous le contrôle de l’Agence de la biomédecine
Les projets de recherche sur l’embryon humain et les lignées de cellules ES
sont autorisés par dérogation de l'Agence de la biomédecine. Placée sous la
tutelle du ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, l’Agence
examine et autorise les protocoles de recherche proposés par les équipes
scientifiques françaises, les demandes d’importations et d’exportations de
cellules ES humaines, ainsi que les demandes de conservation. L’Agence
garantit également l’identification et la traçabilité des embryons humains
utilisés pour les recherches, ainsi que des lignées de cellules ES créées à
partir de ces embryons, ou bien importées de l’étranger.
Les travaux autorisés sont strictement encadrés par l’Agence de la
biomédecine qui s'assure, à chaque étape, de leur conformité avec le cadre
légal et les règles éthiques, en procédant régulièrement à des inspections. En
cas de non−respect des conditions d’autorisation, elle peut suspendre ou
retirer l’autorisation délivrée, et donc stopper les travaux en cours. Chaque
équipe autorisée pour une recherche doit transmettre à l’Agence un bilan
annuel de ses travaux.
La liste complète des projets autorisés en France est disponible sur le site de
l’Agence de la biomédecine.
En 2009, l'Agence de la biomédecine et l'Office parlementaire d'évaluation
des choix scientifiques et technologiques (OPECST) établiront chacun un
bilan rétrospectif des recherches autorisées sur l’embryon humain. Ces
rapports serviront de base à un réexamen des dispositions de la loi de
bioéthique par le Parlement. Que peut−on attendre d’une réforme de la loi ?
De leur côté, les scientifiques estiment que les travaux menés depuis
l’application de la loi confirment l’immense potentiel des cellules ES humaines
en matière de recherche biomédicale. Au minimum, ils souhaitent pouvoir
continuer dans cette voie, mais souhaiteraient également aller plus loin. En
effet, les chercheurs espèrent que cette réforme élargira le champ d’action
des recherches menées sur les cellules embryonnaires humaines, tout en
maintenant un contrôle strict de l’Agence de la biomédecine.
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Auteur : Laurent Audinet)
Les pistes de réflexion pour 2009
La question majeure est de savoir si la législation restera sur un régime de
dérogation pour 5 ans, ou passera à un régime d’autorisation, c’est−à−dire
que le travail sur l’embryon soit librement autorisé, avec éventuellement un
peu plus de souplesse décisionnelle pour l’Agence de la biomédecine,
l’encadrement restant aussi strict.
La notion « d’avancées thérapeutiques majeures » devra également être
rediscutée au moment de la révision de la loi. En effet, même si des
avancées notables ont été réalisées, il faudra encore attendre quelques
années pour montrer l’efficacité clinique de cellules ES dans une stratégie
thérapeutique. Par ailleurs, aucun essai clinique n’a pour l’instant démarré au
niveau mondial. Il semble donc souhaitable d’atténuer cette notion dans le
projet de réforme, afin de ne pas léser les projets prometteurs en cours.
Enfin, se posera également la question d’un plus grand accès aux cellules
embryonnaires. Le clonage thérapeutique pourrait répondre à cette
problématique. Mais il n’est pas raisonnable d’envisager une ouverture dans
ce domaine. La création d’embryons pour la recherche pose un grand
nombre de problèmes éthiques qui doivent encore être soumis à réflexion.
En bref, une ouverture législative permettrait d’accélérer le développement de
projets de recherche en France et d’attirer plus de chercheurs dans ce
domaine, mais également plus d’investisseurs. Notre pays pourrait alors
tenter de rattraper son retard dans ce domaine (voir Entretien avec Marc
Peschanski).
L’Agence de la biomédecine organisera début 2009 les Etats généraux de la
bioéthique, qui seront à la base de la réflexion parlementaire sur la réforme
de la loi. Ce texte devrait être débattu au cours de l’année, mais ne sera pas
voté avant 2010. L’important est qu’il le soit avant le 6 février 2011, date à
laquelle les premières dérogations délivrées en France deviendront
caduques. Dans le pire des scénarios, les projets de recherche autorisés
pour seulement 5 ans devront alors cesser si l’autorisation législative n’est
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pas renouvelée.
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