LE MAGAZINE DU PARC NATUREL RÉGIONAL N° 68  OCTOBRE 2015
P. 22 | dossier
Létude
du changement
climatique
P. 28 | VerCors
À ViVre
De cime en cime
P. 14 | demain le VerCors
Énergie renouvelable,
territoire renouvelé ?
25. Les milieux humides
et leur préservation
26. Pour un Vercors
plus sobre en
énergie
27. Énergies
participatives
18. Édito
19. Le réchauffement
climatique pourrait-il
bouleverser nos
modes de vie ?
21. Agriculture et forêt :
objectif excellence
22. Sciences en Vercors :
l’étude du changement
climatique
2Octobre 2015 Le vercors n° 68 3
Le vercors n° 68 Octobre 2015
UN BALCON SUR LE VERCORS  P 2 à 17
2 PANORAMA
4 CŒUR DE NATURE
La Jarjae, un vallon en beauté
7 CAS D’ESPÈCE
Le retour du castor dans le Royans
8 TERRITOIRE INSPIRÉ
Le Vercors, terre de refuge et de méditation
11 PORTRAIT
Un homme grandeur nature !
12 INITIATIVES
Relier, l’or et la pierre
14 DEMAIN LE VERCORS
Énergie renouvelable, territoire renouvelé ?
17 EST LA QUESTION
La nuit, doit-il faire jour ?
LES PAGES DU SYNDICAT MIXTE  P 18 à 27
18 L’ÉDITO
de Catherine Brette
19 ZOOM DU CONSEIL SCIENTIFIQUE
Le réchauffement climatique pourrait-il
bouleverser nos modes de vie ?
21 DÉCRYPTAGE
Agriculture et forêt : objectif excellence
22 DOSSIER
Sciences en Vercors : l’étude du changement
climatique
25 QUI FAIT QUOI ?
Les milieux humides et leur préservation
26 UNE ÉQUIPE, DES MÉTIERS
Pour un Vercors plus sobre en énergie
27 LES PIEDS DANS LE PARC
Énergies participatives
VERCORS À VIVRE  P 28 à 35
28 De cime en cime
30 Le Royans, entre montagnes et rivières
32 Chaud devant… Le Vercors demain ?
34 Aux livres, citoyens !
Le vercors n° 68 Octobre 2015
Le Vercors est une publication du Parc naturel régional du Vercors
Directrice de la publication : Catherine Brette
Directeur de la rédaction : Jean-Philippe Delorme
Conception - Rédaction - Coordination - Suivi de réalisation :
Raphaële Bruyère
Recherche et conseil iconographique : Sandrine Collavet
Ont collaboré à la rédaction de ce numéro : Jeanne Aimé-Sintès,
Marion Blanchard, Dominique Gimelle, Margot Isk, Corine Lacrampe,
Thierry Lebel, Jeanne Palay, Marie Paturel, Laurent Rivet,
Célia Vaudaine, Michel Wullschleger, Bernard Lelièvre
de la Librairie Mosaïque, Claude Ruel de Cuisine et passion en Vercors,
Terre vivante et le CPIE.
À l’illustration : Marc Perotto.
Contributeurs et / ou relecteurs : Nicolas Antoine, Hélène Barrielle,
Benoît Betton, Olivier Bielako, Pierre-Eymard Biron, Armelle
Bouquet, Mireille Delahaye, Patrick Deldon, Stéphane Fayollat,
Dominique Gimelle, Emmanuel Jeanjean, Mathieu Rocheblave.
Remerciements : à toute l’équipe technique du Parc, à l’Oce
du tourisme de Lus-la-Croix-Haute et à Jean-Louis Bernezat.
Réalisation : Corinne Tourrasse
Photographie de couverture : Nicolas Biron
Imprimeur : Imprimerie des Deux Ponts
PNR du Vercors : 255, chemin des Fusillés – 38250 Lans-en-Vercors
Tél. 04 76 94 38 26 – www.parc-du-vercors.fr
Dépôt légal à parution : ISSN 2271-2364
Commission paritaire : 2-123ADEP
PANORAMA
SOMMAIRE
INSOLITE
Les Rochers des Deux Sœurs
dans la montagne de l’Épenet,
autrement dit La Momie du Vercors.
INCOMPRÉHENSIBLE
Monter si haut pour un acte si petit :
un petit pin à crochets a été coupé
sur le mont Aiguille. En prenant
une forme rabougrie, l’arbre était
parvenu à s’adapter aux conditions
climatique et de vent.
PHOTO : Raphaële Bruyère
PHOTO : Jean-Louis Bernezat
PHOTO : Bernard Bellon
PHOTO : Bernard Angelin
PHOTO : Musée de la Résistance et Déportation de l’Isère
PHOTO : Stephane Desrousseaux
SOUTIEN AU NÉPAL
Une femme assoupie au Pashupatinath, le temple hindou
le plus important du Népal. Pour soutenir le pays,
se rapprocher de l’association Himalayak Solidarité.
plus d’infos : www.himalayak.fr
RENCONTRE DE LA RÉDACTION
Le 4 juin dernier, le comité de rédaction
du Journal Le Vercors a proposé
un temps de rencontre avec les rédacteurs
et photographes. Une occasion pour
échanger et mieux se connaître
(croqué par le dessinateur espiègle).
LE TÉTRASLYRE
Skieurs, randonneurs, pour une bonne cohabitation,
respectez les zones refuges indiquées par les panneaux
sur les pistes et sentiers.
PRENDRE LE MAQUIS
Chantier de la jeunesse du Vercors,
une page du livre Prendre le maquis,
à paraître en mars 2016 aux éditions
Libel, en co-édition avec le réseau
Mémorha dont le Parc du Vercors
est membre.
Lionel Terray
et Jacques Soubis
sur le Mont Huntington
en Alaska (1964).
4Octobre 2015 Le vercors n° 68 5
Le vercors n° 68 Octobre 2015
possède à la Jarjae les plus beaux spécimens de
« fayards » et de sapins, une magnifique hêtraie-sapi-
nière. C’est de cet écrin forestier que se détachent les
Aiguilles si caractéristiques du vallon, « qui font partie
du patrimoine géologique du Vercors et de Rhône-
Alpes » précise Benoît Beon. Le site de Combe Obscure
porte également bien son nom, accueillant un phéno-
mène particulier à l’abri d’un éboulis calcaire dénommé « éboulis
froid ». Sous la face nord de la Rama, la circulation d’air froid à
travers les vides du pierrier crée une anomalie thermique froide, à
seulement 1 500 mètres d’altitude. La flore qu’on y rencontre
brouille les pistes, puisqu’elle se trouve habituellement…
1 000mètres au-dessus ! Aux côtés de bouleaux rabougris, c’est le
domaine du lycopode à rameaux annuels (Lycopodium annoti-
num), qui évoque davantage la toundra que la Drôme, ou de la
cystopéride des Alpes, fougère rare et protégée. Ce milieu particu-
lier retient l’aention de nombreux chercheurs associés qui tentent
de mieux connaître son fonctionnement à travers des
mesures du sol et de la végétation et un suivi ther-
mique.
… ou se fait discrète !
Cependant, « la nature n’est pas toujours démonstra-
tive » explique Alain Matheron. « Même s’il est bien sûr
plaisant de surprendre un groupe de chamois jouer sur un névé au
printemps, la particularité du vallon de la Jarjae vient de pré-
sences beaucoup plus secrètes. » Aux côtés du cortège habituel de
la faune et de la flore alpine, chamois, marmoes, gentianes…,
d’autres espèces retiennent l’aention. C’est par exemple le cas de
la sanguisorbe, plante herbacée plutôt discrète qui joue le rôle
« d’étendard de ralliement entre deux espèces qui vivent en com-
plémentarité : l’azuré de la sanguisorbe et la fourmi ». La femelle
de ce petit papillon bleuté pond en effet ses œufs exclusivement
sur la sanguisorbe, où ils trouveront refuge et nourriture. Puis ses
De la lavande au génépi
Vallon d’extrêmes et de contrastes, la Jarjae donne au Parc du
Vercors son visage résolument alpin, mais aussi son point culmi-
nant drômois, le Rocher Rond, perché à 2 453 mètres. C’est l’un
de ses rares secteurs, avec les crêtes de la bordure orientale du
Vercors, marqué par la présence de l’étage alpin. Là, au-dessus
de 2000 mètres d’altitude, les landes et les pelouses remplacent
la forêt. Benoît Beon, chargé de mission Biodiversité au Parc,
note : « L’influence du Dévoluy donne au vallon de la Jarjae
une structure géologique différente, qui se lit dans les pay-
sages ». Sur près de 1 500 mètres de dénivelé, « le vallon de la
Jarjae concentre des milieux et des ambiances très différents,
en quelques heures de marche seulement » explique à son tour
Alain Matheron, maire de Lus-la-Croix-Haute et président de la
Communauté des Communes du Diois. Une impression souli-
gnée également par « le contraste entre un adret sec et ensoleillé
et un ubac plus humide ». La situation climatique du vallon
ajoute sa touche : à la limite entre influences méditerranéenne et
continentale. « Ici se côtoient des ambiances très marquées Sud
et Nord. Ce qui explique, par exemple, la présence de la lavande
et du génépi, presque deux extrêmes » ajoute-t-il. Et puis de
noter : « La Jarjae offre une très large palee de biodiversité.
Quasiment toutes les espèces faunistiques et floristiques de la
Drôme répondent présentes. »
Quand la nature brouille les pistes…
Pas étonnant que dans ce cadre particulier, quelques raretés se
dévoilent, ajoutant encore une valeur écologique au vallon !
Lus-la-Croix-Haute, première commune forestière de la Drôme,
La Jarjatte,
un vallon
en beauté
À la limite du Vercors, influencé par le
Dévoluy, le vallon de la Jarjae étonne
par ses spécificités. Les paysages se
démarquent du caractère de plateau,
trait habituel du Parc et s’enivrent de
pics et d’aiguilles émergeant de la forêt.
Un régal lorsque le vallon se pare
de couleurs d’automne…
CŒUR DE NATURE
la JarJatte
donne au ParC
du VerCors
son Visage
résolument
alPin
par Jeanne Aimé-Sintès
PHOTO : Prises 2 vues (m)
PHOTO : Marc Pavier
PHOTO : Marc Pavier
PHOTO : J.-M. Jacquet
PHOTO : Christian Wolf
PHOTO : Christian Wolf
6Octobre 2015 Le vercors n° 68 7
Le vercors n° 68 Octobre 2015 7
Le vercors n° 68 Octobre 2015
Le retour du castor
dans le Royans
Le retour des castors sur la Bourne –
une espèce sensible à la pollution – est
une preuve de l’amélioration de la
qualité de l’eau. La mise en fonction des
centres de traitement des eaux usées de Vil-
lard-de-Lans et de Saint-Nazaire-en-Royans
explique peut-être ce progrès. Une étude de
2009 (de Jean-Pierre Choisy - PNRV) rap-
pelle que des castors ont été réintroduits
près des barrages de Pizancon et de Beau-
voir-en-Royans. Vraisemblablement les
nouveaux habitants de la Bourne sont des
enfants du castor de l’Isère.
Chez le castor, la cellule sociale de base
est la famille, composée d’un couple
adulte, des jeunes de plus d’un an et de
ceux de l’année. Les naissances (deux
jeunes par portée en moyenne) ont lieu en
mai après 105 jours de gestation. En
France, l’habitat du castor se situe entre la
plaine et l’étage collinéen (rarement au-
delà de 800 m d’altitude). Dans le Royans,
ils sont installés entre 180 m et 220m d’al-
titude. Une famille occupe en général un
territoire qui varie de 500 m à 3 km le long
d’un cours d’eau selon les ressources ali-
mentaires des berges.
Le régime alimentaire du castor est exclu-
sivement végétarien : écorces, feuilles et
jeunes pousses des plantes ligneuses,
hydrophytes, fruits et végétation herba-
e. Environ une trentaine d’espèces
d’arbres peuvent être consommées (Cor-
nouiller sanguin, Noisetier, Orme cham-
pêtre...), les Salicacées (Saules et Peupliers)
étant les plus recherchées. L’essentiel des
coupes concerne des arbres et des branches
de 2 à 8 cm de diamètre.
Les conditions nécessaires à l’implanta-
tion du castor sont donc : une densité suf-
fisante de la ripisylve (formations boisées,
buissonnantes et herbacées sur les bords
d’un cours d’eau), la présence perma-
nente d’eau avec une profondeur mini-
mum de 60 cm (l’accès au gîte est
immergé). La pente du cours d’eau et la
vitesse du courant doivent être relative-
ment faibles. La présence de barrages
hydroélectriques infranchissables ou
incontournables est en revanche un fac-
teur qui limite sa colonisation.
L’inventaire de la faune menacée en France
(1994) mentionne le castor comme « espèce
à surveiller ». Depuis, la population est en
expansion. On estime aujourd’hui la popula-
tion a plus de 14 000 individus sur une cin-
quantaine de départements. Pour la gestion
de cee espèce, il convient de favoriser
les possibilités de franchissements des
ouvrages, de ménager des « corridors verts »
le long des cours d’eau (une bande arbus-
tive d’au moins 5m de large de Salicacées),
d’adapter la lue contre les rongeurs
nuisibles comme le ragondin avec lequel
il est parfois confondu, de réhabiliter les
cours d’eau dégradés et de développer une
gestion soucieuse des équilibres écologiques
dans le cadre notamment de Contrats de
rivière.
CAS D’ESPÈCE
par Dominique Gimelle
chenilles tombent au sol et sont alors recueillies par des fourmis,
qui les nourrissent et en prennent soin dans leur fourmilière. Au
printemps suivant, des papillons s’envoleront de leur gîte, renou-
velant ce surprenant manège autour d’une symbiose entre une
plante et deux insectes.
Un mini-village de montagne
Le hameau de la Jarjae, l’un des vingt-trois ensembles bâtis dis-
persés sur la commune de Lus-la-Croix-Haute, fonctionne presque
comme un mini-village. Il compte aujourd’hui une trentaine d’ha-
bitants à l’année, autour de son cimetière, de son ancienne école,
de sa chapelle et de ses maisons conservées dans leur architecture
originelle. Il accueille également des hébergements touristiques,
ainsi qu’une ferme proposant la vente directe de ses produits fro-
magers. Maisons bioclimatiques, labels bio et Marque Parc, très
présents dans le hameau, témoignent d’une vraie recherche de
cohérence. Dans un paysage en patchwork, la forêt laisse la place
aux cultures, en fond de vallon, ainsi qu’aux prairies d’altitude. À
la belle saison, l’ensemble des montagnes est occupé par les trou-
peaux, dont la descente, en octobre, annonce l’automne. Au final,
forêts, falaises, torrents, champs, hameaux… composent « une
montagne vivante que de nombreuses personnes aiment retrou-
ver en toutes saisons, autant pour pratiquer une activité que pour
aller chercher le lait à la ferme. Le vallon de la Jarjae, c’est à la
fois un terrain d’initiation au ski, à la rando pédestre ou à la via
ferrata et une Mecque de la cascade de glace et du ski de randon-
née » conclut Alain Matheron.
Classe : mammifère
Ordre : rongeur
Famille : Castoridés (castoridae)
Poids : 20 à 22 kg en moyenne
Longueur totale du corps : 80 à 110 cm
Queue : 29 à 31 cm pour la partie externe,
aplatie dorso-ventralement et apparence
écailleuse. Base de section circulaire cou-
verte de poils.
Pelage dense, poil brun jaunâtre.
Pattes antérieures (mains) : 5 à 6 cm
de long, 5 cm de large. 5 doigts munis
d’ongles forts et recourbés.
Pattes postérieures (pieds) : 15 cm de
long, 10 cm de large. 5 orteils, palmure
complète.
Formule dentaire : 20 dents, mâchoires
supérieure et inférieure similaires : 2 inci-
sives, 2 prémolaires, 6 molaires.
Longévité : 10 à 15 ans en moyenne ; 15 à
20 ans en captivité.
Période d’activité : crépuscule et nuit.
Les castors commencent à s’installer sur les bords de la Bourne. Ce sont des castors
d’Eurasie appelés encore « Castor fiber », seule espèce que l’on rencontre en France.
Les castors sont difficiles à voir, en effet ils vivent la nuit et préfèrent les endroits
inaccessibles pour vaquer à leurs occupations.
FICHE SIGNALÉTIQUE
LA JARJATTE GÉRÉE DURABLEMENT
Enclave sud-est du Parc du Vercors, le vallon de la Jarjatte et l’en-
semble de la commune de Lus-la-Croix-Haute ont rejoint la belle
aventure du Parc naturel régional du Vercors en 2008. « Notre
adhésion, sur proposition du Parc, peut paraître surprenante dans
une logique de massif » précise Alain Matheron, « mais s’inscrit plei-
nement dans une logique environnementale ». Plusieurs mesures de
protection assurent une préservation et une gestion durables du
vallon : site classé en 2012 sur près de 3 000 hectares, il est reconnu
en tant que paysage remarquable. La zone de protection géologique
de Combe Obscure va dans le même sens en le protégeant sur
10 hectares. Le vallon de la Jarjatte fait également partie du réseau
Natura 2000 sur plus de 3 600 hectares. Cette mesure de l’Union
Européenne vise à préserver des espèces protégées et à conserver
des milieux, en tenant compte des activités humaines. Dans cette
logique, des contrats Natura 2000 de gestion durable de la forêt
sur 30 ans ont été mis en place.
CŒUR DE NATURE par Jeanne Aimé-Sintès
PHOTO : J.-M. Jacquet
PHOTO : Christian Wolf
PHOTO : Mille traces
PHOTO : Christian Wolf
8Octobre 2015 Le vercors n° 68 9
Le vercors n° 68 Octobre 2015
TERRITOIRE INSPIRÉ
par Margot Isk & Michel Wullschleger
Massif et altier, le Vercors dresse ses versants abrupts entre
le sillon rhodanien et les grandes Alpes. Les premiers
moines trouvèrent l’isolement et le silence indispensables
à leur retraite spirituelle en s’enfonçant dans quelques plis secrets
de ses piémonts. On ne sait dire aujourd’hui qui furent les pion-
niers de ce Vercors monastique. Était-ce ce couvent construit en
610 dans le vallon de Combeau, haute combe verdoyante proche
du col de Menée ? Il fut incendié en 735 par les Sarrasins. Quant
aux premiers chanoines réguliers, mention est faite de leur pré-
sence à Sainte-Croix dans le pays de Quint dès 1095. L’heure des
puissants pères ermites du Vercors allait alors bientôt sonner ! Des
Chartreux grimpèrent d’abord dans les Écouges
(1116) pour installer une chartreuse dans l’étroite
vallée de la Drévenne, sous les rochers de
Cumacle dans l’axe de l’entaille s’ouvrant de la
plaine de Saint-Gervais. Vingt-huit ans plus tard,
d’autres disciples de Saint-Bruno montèrent
jusqu’au fond d’un val étroit ouvert sur le Royans
pour bâtir une seconde chartreuse, dans un cirque isolé, séparé du
vallon principal par un étroit défilé taillé par le ruisseau de Chail-
lard. Reçue en donation du Dauphin, cee terre accueillit leur
monastère baptisé Chartreuse du Val Sainte-Marie de Bouvante.
Douze moines de l’ordre des Cîteaux avaient alors déjà choisi de
s’établir au fond de la vallée de la Lyonne, au cœur d’une petite
dépression à plus de 900 mètres d’altitude. Ils y fondèrent Léoncel
en 1137, la plus ancienne des abbayes cisterciennes du Vercors.
Enfin d’autres Cisterciens s’aventurèrent au pied de la montagne
de Glandasse, ce lieu grandiose et sévère, à tout juste 6 km de Die.
Le monastère fut installé à 650 mètres d’altitude, un peu à l’aval
de la source d’eau donnant naissance au ruisseau de Valcroissant.
Il en prit le nom.
frères convers entrés au monastère pour assumer les tâches maté-
rielles. Ils cultivent des céréales sur les meilleures terres, tra-
vaillent vignes et chènevières et pratiquent l’élevage des ovins
pour la laine et le lait, des bœufs, chevaux et mules pour le trait
ou le voyage. La forêt leur permet de satisfaire leurs besoins en
bois divers et en produits de cueillee. Plus tard, ils déploieront
même des activités connexes, comme la métallurgie par l’édifica-
tion à Bouvante de martinets pour traiter le minerai.
… bousculé dès le xiiie siècle
Dès le xiiie siècle, la vie monastique devient plus difficile : aux
guerres féodales s’ajoutent les épidémies de peste, les pillages
des mercenaires de la guerre de Cent Ans et la revendication de
droits d’usage en alpage et en forêt par les communautés villa-
geoises unies et combatives. Ce fut notamment le cas aux
Écouges. Les moines demandèrent, et obtinrent, en 1294, l’auto-
risation de délocaliser leur chartreuse à Revesty, au pied de la
montagne, mais ils restèrent en haut pendant encore un siècle
avant de tout quier en 1391. Même les puissantes Abbaye de
Léoncel ou Chartreuse de Val Sainte-Marie souffrent. Elles
peinent à recruter suffisamment de frères convers pour exploiter
un temporel (un domaine) toujours plus grand. Elles confient
alors leurs biens fonciers et leur bétail à des laïcs, des paysans
pour l’essentiel. Mais les conflits se multiplient, les procès aussi.
Et la situation s’envenime avec la Réforme de l’exploitation
forestière impulsée par la monarchie et son service des Eaux et
Forêt, grande source de revenus pour tous, moines et laïcs, sei-
gneurs et villageois. Les monastères sont invités à cantonner les
droits d’usage des villageois, c’est-à-dire à en limiter l’exercice
dans le temps et surtout dans l’espace. Les tensions se multi-
plient. La Révolution met définitivement fin à cee forte pré-
sence monastique. Seuls quelques bâtiments témoignent de
cee puissance, à l’instar de l’église abbatiale de Léoncel, ins-
crite en 1840 sur la première liste des monuments historiques
établie par Prosper Mérimée.
Un système agro-sylvo-pastoral...
Nul besoin de s’enfoncer alors plus profondément dans le Vercors.
L’isolement est déjà total, la nature potentiellement nourricière et
l’eau présente. Comme celle du désert, la géographie de l’eau a
pesé sur le choix des sites. Proches de la vallée du Rhône, l’un des
axes d’échanges les plus fréquentés de l’époque, et de la ville de
Die, devenue siège épiscopal au iiie siècle au même titre que
Valence et Vienne, ces lieux isolés en piémont permeent aux
moines de sortir du monde comme l’avaient enseigné leurs
devanciers égyptiens, l’ermite Antoine (251-356) et la commu-
nauté de moines créée par Pacôme (286-346). Ils sortent du
monde mais leur rôle est de prier pour l’humanité.
On retrouve le mythe du désert favorable à l’ascé-
tisme, à la contemplation et à la prière qui
éloignent les tentations du diable. Les Chartreux
des Écouges ou du Val Sainte-Marie tentent alors
de réaliser une synthèse en associant la vie érémi-
tique des pères qui vivent, lisent et prient dans la
solitude de maisonnees individuelles de la maison haute et celle,
cénobitique (communautaire), des frères convers qui habitent la
maison basse dite correrie ou courerie. Chez les Cisterciens,
moines profès et frères convers vivent en communauté dans un
même lieu regroupant église, cloître et ailes des moines, des
convers et des services. Dans les deux cas, les moines tirent leur
subsistance des terres qu’ils occupent. Soucieuse de son salut, la
société féodale se montre généreuse, faisant don de terres, bois et
alpages. À l’exception du temporel de Valcroissant, entravé dans
sa croissance par la présence trop proche du siège épiscopal de
Die, les autres finissent par étendre leur domaine aux plaines bor-
dières. Tous réalisent d’abord leur exigence d’autarcie en prati-
quant le « faire valoir direct » : les domaines sont exploités par les
Le Vercors,
terre de refuge
et de méditation
Le Vercors, éternel refuge spirituel ? Le massif
a très vite séduit moines, chanoines et autres
hommes de foi. Dès le xiie siècle, certains trouvèrent
leur « désert » dans ses contreforts. Les religions
changent, mais cet appel spirituel perdure.
la PuissanCe
d’attraCtion du
« désert » du VerCors
Perdure. dePuis
le moyen-âge !
L’abbaye cistercienne de Léoncel.
Le monastère Saint-Antoine à Saint-Laurent-en-Royans.
PHOTO : SCIC SA Nouveau MonastèrePHOTO : Sebastian Giner
PHOTO : Sebastian Giner
PHOTO : Fabian Da Costa
1 / 19 100%