Web 4 Fiche 4.1 LE CONCEPT D'ORGANISME MODÈLE ET SES LIMITES L. Paolozzi QU'EST-CE QU'UN ORGANISME MODÈLE ? La Biologie de la moitié du siècle dernier a connu un développement extraordinaire, qui en a fait une des grandes aventures intellectuelles de l’homme. Ces progrès ont été liés au développement des méthodes d’études des organismes vivants au niveau moléculaire, et à la convergence d’un ensemble de connaissances provenant de disciplines différentes déjà développées, la génétique, la biochimie, la microbiologie, auxquelles se sont adjointes la biologie moléculaire, la microscopie électronique, puis la bio-informatique, et encore d'autres. Ces méthodes ont été appliquées à l’étude d’un nombre très restreint d’organismes par rapport aux millions d’espèces décrites ou répertoriées à travers les siècles par les naturalistes. Ces organismes, dits modèles, correspondent à quelques espèces particulières de plantes, d’animaux, de micro-organismes procaryotes et eucaryotes ou de virus, plus appropriées que d'autres pour étudier un phénomène spécifique ou pour répondre à une question donnée. Les découvertes ou concepts qui dérivent de l’étude d’un organisme ou d’un système modèles conduisent à établir des généralisations, et donc des prédictions pour tous les autres organismes ou systèmes biologiques équivalents. Cette définition peut être étendue à celle de système modèle en biologie, qui se réfère cette fois non plus à un organisme, mais plutôt à un complexe macromoléculaire particulier, constituant une machinerie (appareil de réplication, de transcription, de traduction, moteur flagellaire, etc.), ou à un élément de cet organisme (membranes, systèmes de transport, organites, etc.) ou d'un groupe d'organismes. Ces mêmes principes s’appliquent à l’étude des virus (par exemple les capsides virales comme modèle d’assemblage de protéines en complexes fonctionnels). Le choix d’un organisme plutôt que d’un autre comme “modèle” peut être lié au hasard ou longuement réfléchi. La manifestation d’un phénomène intéressant, encore inconnu chez 1 d’autres espèces, peut devenir rapidement matériel d’étude pour de nombreux chercheurs. Le choix du modèle peut aussi avoir été dicté par des exigences expérimentales. Un certain nombre de critères de choix sont communs à plusieurs organismes modèles ; ils concernent le cycle de développement, qui si possible doit être court, les dimensions de l’organisme (petite taille de l’adulte chez les organismes supérieurs, pour des raisons d’encombrement), la facilité de reproduction en laboratoire ou la facilité à pouvoir en disposer, le coût, et encore d’autres critères. Certains sont plus ou moins spécifiques du domaine d'étude envisagé. Les mêmes concepts s’appliquent aux organismes de tous les domaines et aux virus. IMPORTANCE DU CHOIX D'UN ORGANISME MODÈLE EN BIOLOGIE L’importance du choix de l’organisme modèle pour l’étude d’un phénomène donné trouve de nombreuses illustrations si l’on parcourt quelques-unes des étapes importantes de l’histoire de la génétique. La découverte par Gregor Mendel en 1865-1866 des lois de la transmission des caractères héréditaires, applicables à tout eucaryote ayant une méiose classique, en est un excellent exemple. Le pois (Pisum sativum) fut choisi par G. Mendel car il possédait un certain nombre de caractéristiques favorables pour les études qu'il envisageait : disponibilité de plants avec des couples alléliques bien définis pour plusieurs caractères (couleur et forme des pétales et des fruits, taille de la plante) ; structure de la fleur (avec étamines et pistil enfermés dans le pétale en carène) rendant possible soit l’autofécondation soit des fécondations croisées (en enlevant les étamines avant que le pollen ne soit mûr et en fécondant avec les étamines d’une autre plante). Le temps de reproduction est relativement court (un an) ; les descendants sont nombreux et fertiles, et peuvent être suivis sur plusieurs générations. Un organisme peut être choisi comme modèle pour sa possession d'une manifestation phénotypique ou physiologique inconnue chez d’autres organismes caractéristiques et suscitant l’intérêt scientifique. Citons par exemple la variégation des fleurs ou des feuilles chez certaines plantes. Le concept de mutation, développé durant les années 1901-1903 par le botaniste hollandais Hugo De Vries, prend naissance de l’observation d’une variété de plante herbacée sauvage, l’onagre, ou herbe aux ânes (Oenothera lamarckiana). Cette plante à fleur, originaire d’Amérique du Nord, fut introduite en Europe comme plante ornementale. De Vries s’aperçut qu’un petit nombre de descendants de cette plante présentait des variations brusques et discontinues de leur aspect, apparaissant en une seule génération. Ces différences, si marquées qu’elles pouvaient être interprétées comme représentant de nouvelles espèces, furent décrites comme des mutations. En 1909, Carl Erich Correns, botaniste et généticien allemand, s'intéressa à une autre plante ornementale, la belle-de-nuit (Mirabilis jalapa), en raison de ses feuilles panachées vert et blanc, comme modèle d’étude de l’hérédité cytoplasmique. D’autres organismes devinrent des modèles d’étude dans des domaines plus vastes. C’est le cas de la drosophile, matériel privilégié des travaux de génétique des eucaryotes. Ce choix amena Thomas Hunt Morgan et ses collaborateurs, par sélection de mutants et analyses de croisements entre couples différant par leur composition allélique, effectuées sur la seule espèce Drosophila melanogaster, à établir, en 1915, la théorie chromosomique de l’hérédité. Ce travail colossal jeta les bases de la génétique moderne. La Drosophile est un modèle excellent pour le travail classique de génétique : cycle vital bref (12 jours), élevage facile et peu coûteux, facilité d'obtention de mutants, nombreux phénotypes facilement observables, et se prête bien aux manipulations de biologie moléculaire. À cette même période, un autre organisme, le maïs (Zea 2 mays), devient aussi un modèle grâce à sa souplesse d'utilisation (mutations, reproduction, croisements contrôlés). En 1953, après une vingtaine d’années d’expériences de cytogénétique et de génétique formelle sur cette plante, Barbara McClintock (Prix Nobel de biologie et médecine en 1983) établit le concept de transposition génique. En 1963, Sydney Brenner (prix Nobel de biologie et médecine en 2002) propose d’utiliser le ver nématode Caenorhabditis elegans pour l’étude de la différenciation et du développement des animaux (développement neuronal) par l'approche moléculaire. D’autres modèles, le batracien Xenopus laevis (pour différentes problématiques de biologie moléculaire), la souris (Mus musculus) pour les études d’immunologie et de pharmacologie, sont aussi devenus classiques. Le cas de X. laevis, choisi pour la facilité de son élevage, est intéressant : on peut induire l’ovulation à n’importe quelle période par injection d’hormone gonadotrope, et ses œufs, de grandes dimensions, permettent d’observer facilement l’embryogenèse. La souris est le modèle du mammifère le plus proche de l’Homme, avec un génome de dimension presque identique, dont 99 % des gènes ont un homologue chez l’Homme. DES MICRO-ORGANISMES PROCARYOTES ET EUCARYOTES COMME MODÈLES La première trace d’une formulation du concept d’organisme modèle concerne un procaryote et remonte à 1877-1878. Elle se trouve dans une publication de Joseph Lister dans la revue Transactions of the Pathological Society of London. Le but de cette publication était de prouver de façon définitive l’origine microbienne de la fermentation lactique. Pasteur avait montré en 1854 que les hydrates de carbone présents dans le lait étaient transformés en acide lactique et alcool amylique, et que cette acidification du lait résultait de l’activité d’un « ferment particulier, une levure lactique ». La « levure lactique », écrivait Pasteur était « différente de celle de la fermentation alcoolique ». C’était en fait une Bactérie. La présence dans ces expériences d’autres micro-organismes n'avait pas permis de prouver définitivement le rôle de cette « Bactérie » dans la fermentation. Le mérite de Lister fut d’utiliser pour ses études une culture bactérienne pure, et ainsi d'apporter une preuve définitive du rôle de la Bactérie. Il observa en effet qu’une culture pure de ces Bactéries, qu’il désignait comme Bacterium lactis, ensemencée dans des échantillons de lait stérilisé, permettait d’obtenir la production d’acide lactique et le caillement du lait. La publication de Lister contient en outre la première ou une des premières formulations du concept de modèle en biologie. L’importance des procaryotes, et en particulier Escherichia coli, dont les souches K12 et B, comme organismes modèles possibles ne s’imposera que bien plus tard, dans les années 1940. Cette bactérie, isolée par le pédiatre allemand Theodor Escherich, décrite en 1886 comme Bacterium coli commune, et rebaptisée plus tard Escherichia coli en son honneur, possède un certain nombre de caractéristiques idéales (tab. F4.1-1) qui permettent de réaliser plus facilement des expériences de génétique sur un organisme unicellulaire par rapport à d’autres organismes comme la Drososphile et les mammifères étudiés à cette époque. Choisi comme organisme modèle dès les années 1940 par le « Groupe du Phage » (Web 16, Fiche 16.2) aux Etats-Unis et par celui de Génétique microbienne de l’Institut Pasteur par J. Monod et A. Lwoff puis par F. Jacob, E. coli sera au centre du développement de la biologie moléculaire et des plus grandes découvertes de la biologie du siècle dernier. Citons par exemple l’importante 3 démonstration par S.E. Luria et M. Delbrück en 1943 de l’origine spontanée des mutations et du rôle de la sélection dans ce processus, avec comme modèle la résistance à l’infection au bactériophage T1 (Chap. 10), découverte qui permettra d’étendre les concepts développés dans ce travail à tout organisme vivant, montrant la possible universalité de ce modèle. On disposera très vite d'un vaste nombre de mutants nutritionnels de cette bactérie ; on en découvrira la sexualité, ce qui permettra d’effectuer des croisements génétiques (Chap. 12). Les études effectuées sur cette bactérie, et celles qui continuent de nos jours, constituent une bonne partie du contenu des différents chapitres de ce livre. Tableau F4.1-1 - Caractéristiques principales d’Escherichia coli Caractéristiques Physiologie Facile à cultiver, dans des milieux nutritionnels synthétiques, avec de nombreuses sources alternatives de carbone, ou dans des milieux complexes Temps de génération rapide (de l’ordre de 20 min en milieux riches) Génétique Parmi les nombreuses souches, la souche K12, non-pathogène, est l’un des organismes les plus connus au niveau moléculaire. Système excellent pour l’approche génétique : génome de dimension moyenne parmi les procaryotes, disponibilité d’une vaste collection de mutants, croisements génétiques faciles, hôte de nombreux types de plasmides et bactériophages. Possibilité de transformation artificielle. E. coli K12 et ses phages ont été à la base de découvertes fondamentales en biologie moléculaire et un outil précieux pour la mise au point de techniques de génétique et biologie moléculaire Biochimie et Biologie moléculaire La biochimie de cette bactérie est très développée Hôte excellent de nombreux vecteurs obtenus par les techniques de génie génétique Si E. coli a été un organisme idéal pour l’étude d’un grand nombre de processus de biologie de base, son absence de reproduction par un processus de sexualité a été pour de nombreux chercheurs des années 1940 une limite à l’extension de la génétique mendélienne. Ainsi dès la fin des années 1940, le généticien Boris Ephrusi fit le choix de la levure Saccharomyces cerevisiæ, organisme unicellulaire eucaryote qui se multiplie par division végétative et par croisement, pour les études sur l’expression mendélienne des gènes. Ce choix devait conduire à la découverte inattendue d’une forme nouvelle de génétique dite non mendélienne, celle d’une hérédité « en dehors du noyau », qui a été localisée ultérieurement dans « des particules extranucléaires que sont les mitochondries » comme affirmaient B. Ephrussi et P. Slonimski, dans un article de 1949. Au cours des décennies qui suivront, les études sur S. cerevisiæ devaient conduire au concept fondamental que les principales fonctions cellulaires et leur modalité 4 d’exécution sont conservées de la levure aux mammifères, Homme compris (voir cours de biologie cellulaire). LES LIMITES DU CONCEPT DE MODÈLE Si un organisme modèle donné présente de nombreux avantages d’études, il comporte aussi un envers la médaille, non seulement celui de ses limites intrinsèques, mais aussi celui des limites de la généralisation de son statut de système ou organisme modèle. Aucun organisme modèle ne peut fournir les réponses à toutes les questions que l’on peut se poser en biologie. C'est le danger de la tendance trop facile à l’extrapolation des observations du modèle au reste du monde vivant. Pendant des décennies E. coli et ses virus ont représenté le système vivant le plus étudié au niveau moléculaire. Seules une dizaine d'autres procaryotes, tous des Bactéries, ont été étudiés simultanément, au début uniquement pour quelques caractéristiques importantes absentes chez E. coli (tab. F4.1-2), sans pour autant remettre en question l'« universalité » de cette bactérie comme modèle. C’est le cas par exemple de B. subtilis, dont les études initiales étaient limitées à sa capacité de sporulation et de transformation. Tableau F4.1-2 - Principales espèces bactériennes utilisées comme modèles Espèce Intérêt d’étude Escherichia coli génétique et biologie moléculaire bactériennes Salmonella enterica génétique et physiologie Bacillus subtilis sporulation, transformation, sécrétion de protéines Caulobacter crescentus différenciation Myxococcus xanthus différenciation Synechoccus, Synechocystis photosynthèse, rythmes circadiens Streptomyces spp. métabolisme secondaire, antibiotiques Rhizobium spp. symbiose plante-bactérie (fixation de l’azote et différenciation cellulaire) Agrobacterium tumefaciens Interactions plante-bactérie transgénèse Bactéries pathogènes modèles spécifiques d’une maladie donnée La situation était un peu différente en ce qui concernait les bactéries pathogènes, dont beaucoup ont été isolées pour leur infectiosité spécifique, puis étudiées pour en comprendre la pathogénicité et élaborer des moyens en vue de leur neutralisation (Chap. 17 ; 18). Inversement, la reconnaissance des spécificités des Archées, qui constituent actuellement un domaine distinct, a longtemps été oblitérée. Peu connues encore maintenant en raison de leur identification récente et des difficultés d'étude d'une majorité d'entre elles, ces procaryotes étaient soit ignorés soit assimilés aux autres Bactéries. L'établissement de leurs originalités, et donc la remise en question de la généralisation appliquée antérieurement, ont permis d'enrichir 5 considérablement nos connaissances et notre conception du monde procaryote. Un certain nombre d’Archées, méthanogènes, halophiles, thermophiles, servent actuellement de modèles, probablement bien limitatifs, à ce domaine du monde vivant. Bibliographie Brenner, S. 1974. The Genetics of Caenorhabditis elegans. Genetics 77 : 1–94 Correns C.E. 1909. in Hagemann R. 2000. Erwin Baur or Carl Correns : Who Really Created the Theory of Plastid Inheritance ? J. Hered. 91(6): 435-40 De Vries H. 1901-1903. The Mutation Theory. 2 volumes Leipzig : von Veit Ephrusi B. 1949. in Unités biologiques douées de continuité génétique. Paris, Juin-Juillet 1948, Editions du C.N.R.S. Paris. 165-180 Escherich T. 1886. Die Darmbakterien des Saüglings und ihre Beziehungen zur Physiologie der Verdauung. Stuttgart. Ferndinand Enke Lister J. 1878. On the Lactic Fermentation and its Bearing on Pathology. Transactions of the Pathological Society of London. 29 : 425-467 Luria S.E. & Delbrück M. 1943. Mutations of Bacteria from Virus Sensitivity to Virus Resistance. Genetics 28 : 491-511 McClintock B. 1953. Induction of Instability at Selected Loci in Maize. Genetics 38 : 579–599 Morgan T.H., Sturtevant A.H., Muller H.G., Bridges C.B. 1915. The Mechanism of Mendelian Heredity. New York, Henry Holt, xiii Slonimski, P.P & Ephrussi B. 1949. Action de l'acriflavine sur les levures. V. Le système des cytochromes des mutants "petite colonie". Ann. Inst. Pasteur, 77 : 64-83 6 Web 4 Fiche 4.2 SOUCHE SAUVAGE - SOUCHE PURE J.-C. Liébart DÉFINITION ET LIMITE DE LA NOTION DE SOUCHE SAUVAGE Beaucoup d'expériences de microbiologie nécessitent de travailler sur des populations homogènes de cellules. Une telle population doit être constituée d’organismes appartenant à une même souche, ce que l’on désigne en microbiologie comme souche pure ou clonale. Dans le cas de la plupart des organismes procaryotes modèles, une souche pure est une souche dont on a vérifié les caractéristiques de croissance (milieux de culture et propriétés physiologiques et génétiques). Afin de réduire au mieux les fluctuations dues à la variété des souches disponibles, la communauté scientifique travaille ordinairement à partir d’une souche pure que l’on définit comme sauvage : par exemple, chez E. coli, la souche MG1655. Il faut bien avoir à l’esprit que cette définition est arbitraire. Dans le cas de MG1655, il s’agit d’une souche d'E. coli K12, prototrophe et aisément manipulable génétiquement. Son séquençage a révélé toutefois qu’en fait de sauvage, elle possédait une mutation dans le gène pyrF qui conduisait à une perturbation de la biosynthèse des pyrimidines, non suffisante toutefois pour la rendre clairement auxotrophe pour ces bases. D’autre part, comme toutes les souches K12, elle est auxotrophe pour la vitamine B1. D’autres souches d'E. coli sont également utilisées de façon routinière : citons la souche W3310, dont la différence majeure avec MG1655, outre l’absence de la mutation pyrF, consiste en une petite inversion du chromosome de part et d’autre de l’origine de réplication. Le nombre restreint de souches sauvages de référence permet une confrontation et une reproduction plus fiables des résultats expérimentaux d’un laboratoire à l’autre. C’est à partir d’une de ces souches dites sauvages, qui sont donc aussi des souches pures, ou clones, que l’on peut sélectionner divers mutants, qui constitueront autant de souches pures exploitables expérimentalement. Pour obtenir une souche pure on part de colonies isolées développées après ensemencement sur un milieu nutritif gélosé en boîte de Petri (Web 4 Vidéo 4.1). Ordinairement, plusieurs 7 colonies isolées sont récupérées, mélangées et ré-ensemencées sur le même milieu. On procède ordinairement à un minimum de trois ré-isolements successifs, pour trois raisons : (1) il faut éliminer le cas toujours possible où l'une des colonies, visible sur la boîte comme unique, serait en fait due à la croissance de deux bactéries très voisines ; (2) existe aussi le risque que l'une des colonies repiquées soit mutée (ou contienne des mutants formés au cours de la croissance de la colonie) pour un caractère quelconque non déterminé et non discriminatoire dans les conditions utilisées ; cette éventualité est en fait très probable, compte tenu de la fréquence de mutation spontanée comparativement au nombre de cellules dans une colonie (voir ci-après) ; (3) enfin, compte tenu de la polyploïdie de fait des procaryotes, une cellule pourrait posséder deux chromosomes, dont l’un serait muté par rapport à l’autre. Les ré-isolements successifs de plusieurs colonies minimisent ces risques, et pallient donc au mieux ces inconvénients. Après vérification de leurs propriétés et mise en culture, les « clones » ainsi isolés sont conservés, sous forme d'échantillons provenant d’au moins deux colonies indépendantes (pour ces mêmes raisons), en collection dans des conditions appropriées (Web 4 Fiche 4.5). Toute expérience de microbiologie procaryote implique ordinairement de réaliser une culture de l’organisme à étudier. Habituellement, la souche à étudier, conservée en collection, est remise en culture par ensemencement préalable sur milieu gélosé, ce qui permet d’obtenir des colonies isolées (et de vérifier la « pureté » de l'échantillon) à partir desquelles on peut procéder à une culture en milieu liquide. LIMITE DE LA NOTION DE PURETÉ D'UN CLONE - DÉRIVE GÉNÉTIQUE Comme la définition, assez arbitraire, de sauvage d'une souche donnée, la notion de souche pure est sujette à caution. Dans les conditions canoniques, une culture microbienne est le résultat de la croissance clonale d’une seule bactérie initiale. Cette population est théoriquement très homogène ; mais elle n’est cependant pas exempte d'« impuretés », à savoir de mutants. En effet, un calcul simple (voir simpliste) dans le cas d'E. coli, valable évidemment pour toute autre espèce ou souche, peut montrer l’importance de ce fait. Le nombre de gènes d'E. coli est approximativement de 5 x 103. Chaque gène subit en moyenne une mutation donnée (un changement de base donné à un site donné du gène) avec une fréquence de 10 -7 par génération. En conséquence pour tout gène d’une colonie comptant 109 individus, il y aura 102 cellules présentant cette mutation. En supposant (assez arbitrairement) qu’on n'a affaire systématiquement qu'à des simples mutants, il y aura 5 x 107 mutants, différents, dans cette colonie. Ce calcul, très approximatif, ne tient pas compte notamment du fait que beaucoup de gènes sont essentiels, leur mutation conduisant à un phénotype plus ou moins délétère et donc rapidement contre-sélectionné. En outre, un nombre non négligeable de mutations affectant des gènes non essentiels peut aussi aboutir à une contre-sélection des mutants ainsi obtenus (déficience plus ou moins importante dans les conditions utilisées d'un trait physiologique). Toute souche dite pure contient donc systématiquement, et de façon impossible à éviter, une proportion importante de mutants de toutes natures. Ne peut être évitée que la présence d'une proportion importante de cellules portant la même mutation (ce qui pourrait se produire si une seule colonie était prélevée à chaque isolement). 8 Il est fondamental de toujours avoir à l’esprit cet état de fait. Notamment, la conservation d’une souche oblige à procéder à une vérification systématique de son phénotype au cours des réensemencements successifs, le séquençage du génome total n’étant pas encore suffisamment routinier et bon marché pour assurer ce genre de vérification. C’est la meilleure garantie du maintien en l’état de la souche, évitant au mieux tout risque de dérive génétique. Il est bien sûr licite de se poser la question de l'influence d’une telle dérive dans les conditions naturelles pour les procaryotes, qui sont de fait des organismes à croissance clonale. Il est probable que les conditions imposées aux organismes vivant dans ces milieux n’ont rien à voir, notamment au niveau de la compétition intra- ou interspécifique, avec les conditions édéniques de la croissance en laboratoire, et qu’une telle situation assure un maintien relativement stable du génotype des organismes microbiens par le jeu permanent de la compétition du plus performant et du plus apte à s'adapter en réponse aux fluctuations de ce milieu (Chap. 2). 9 Web 4 Fiche 4.3 L’ÉTAT VIABLE MAIS NON CULTIVABLE (VBNC) DES BACTÉRIES J.-C. Liébart Dans des conditions hostiles à la croissance, certaines Bactéries peuvent survivre sous forme de structures particulières : les spores (chez Bacillus subtilis), qui résistent à de nombreux stress (déshydratation, radiations ionisantes, choc thermique) (Chap. 15) ; les cystes (chez Azotobacter vinelandii), structures moins résistantes à la dessiccation ou à une augmentation de température ; enfin les akinètes (chez les cyanobactéries telles Anabæna, ou chez les spirochètes tels Borrelia), des cellules physiologiquement inactives enveloppées d'une carapace protectrice. Comment les bactéries qui ne développent pas de telles structures de résistance survivent-elles aux conditions hostiles ? Certaines peuvent maintenir une activité métabolique détectable sans pour autant être cultivables (c'est-à-dire se multiplier) selon les critères classiques. Cet état a été défini comme « viable mais non cultivable » (VBNC), une définition un tantinet contradictoire avec le fait qu’on définit ordinairement les micro-organismes à partir de leur cultivabilité, la non cultivabilité étant considérée comme non viabilité. D’autres ont suggéré la définition cellules « actives mais non cultivables » (ABNC). PROPRIÉTÉS DES BACTÉRIES VBNC L’étude de l'état VBNC a permis l’identification d’un certain nombre de propriétés tant morphologiques que physiologiques spécifiques de cet état. Les cellules ont en particulier tendance à avoir un volume plus réduit que celui de la souche en croissance. Elles montrent une activité transcriptionnelle et traductionnelle. Des RT-PCR réalisées sur les cellules VBNC du pathogène Vibrio vulnificus montrent que dans cet état, celles-ci continuent de synthétiser une cytotoxine hémolytique présente chez la bactérie en croissance. Ceci semble généralisable aux bactéries pathogènes. 10 Par ailleurs, une étude protéomique réalisée sur Enterococcus fæcalis montre des profils d’expression différents dans les trois états physiologiques étudiés, croissance exponentielle, bactéries carencées, bactéries VBNC. Dans ce dernier cas, la synthèse de plusieurs protéines impliquées dans les voies cataboliques est fortement diminuée, en accord avec une diminution de l'activité métabolique chez ces bactéries. Il est possible que des voies alternatives de synthèse soient au contraire activées pour permettre la survie en conditions défavorables. Ainsi la surexpression de la fructose–bisphosphate aldolase, une enzyme clé du métabolisme des sucres, pourrait aider à remplir ce rôle. LES ESPÈCES DONNANT LIEU À L'ÉTAT VBNC La capacité de former des VBNC se rencontre chez des espèces tant Gram+ que Gram-, ceci chez des genres très variés : Campilobacter, Klebsiella, Legionella, Lactobacillus, Micrococcus, Mycobacterium, Pseudomonas, Escherichia, Enterobacter. L’existence de telles formes n’est actuellement pas prise en compte dans l’estimation des populations naturelles de ces espèces, notamment dans le cas de l’estimation de contamination fécale par les deux derniers genres cités. INDUCTION DE L'ÉTAT VBNC On peut avancer deux hypothèses pour rendre compte de la mise en état VBNC. Celui-ci pourrait effectivement correspondre à une forme transitoire de résistance permettant de reconduire à une croissance normale une fois les conditions hostiles passées. Par ailleurs, les conditions de stress inductrices de l’état VBNC conduisent une partie de la population à excréter des molécules organiques (amino-acides, protéines et hydrates de carbone) qui peuvent être absorbées et métabolisées par une autre partie de la population. L’état VBNC pourrait alors être considéré comme une étape intermédiaire vers une mort altruiste en vue de la survie de l’espèce. Les méthodes d’induction artificielles utilisées reposent toutes sur l’utilisation de stress correspondant à des conditions qui peuvent effectivement être subies par ces espèces au cours de leur existence. Citons, de façon non exhaustive, les stress osmotiques, thermiques (incubation prolongée à 5 °C pour V. vulnificus), chimiques (traitement par HClO de Legionella et E. coli, par H2O2 pour E. coli). RÉVERSIBILITÉ DE L’ÉTAT VBNC Il est difficile de démontrer qu’une cellule en état VBNC est capable de redonner naissance à une cellule « normale ». Or cette démonstration est nécessaire pour établir qu’un tel état correspond à une étape possible du cycle de vie de l’organisme. Les techniques disponibles limitent l'étude à des populations mixtes VBNC + cellules en croissance. Il est donc pratiquement impossible de savoir si une reprise de croissance observée est due à la présence de cellules « normales » ou à la résurrection des cellules VBNC. Plusieurs techniques ont été proposées pour isoler des cellules VBNC exemptes de contamination par leurs homologues « normales ». Elles sont le plus souvent basées sur des méthodes de dilution généralement associées à l’utilisation d’inhibiteurs de réplication, dans le but de minimiser la croissance de la fraction viable résiduelle. Une autre approche est basée sur 11 la séparation des deux types cellulaires en gradient de densité. Les résultats obtenus restent contradictoires. Certains auteurs font état de résurrection de l’état VBNC, d’autres ne l’observent pas. Il est clair qu’une telle résurrection aurait des conséquences importantes, notamment dans le cas de bactéries pathogènes. Toutefois, indépendamment ou non de cette propriété potentielle de résurrection, l’état VBNC joue sans aucun doute un rôle important dans le fonctionnement des écosystèmes microbiens. Bibliographie Barcina I. & Arana I. 2009. The Viable but non Culturable Phenotype : a Crossroad in the LifeCycle of Non-Differentiating Bacteria ? Rev. Environ. Sci. Biotechnol. 8 :245-255 Hayes C.S. & Low D.A. 2009. Signals of Growth Regulation in Bacteria. Curr. Opin. Microbiol. 12(6) : 667-673 Ducret A., Chabalier M., Dukan S. 2014. Characterization and Ressucitation of «Nonculturable » Cells of Legionella pneumophila. BMC Microbiology 14(3) 12 Web 4 Fiche 4.4 LES CULTURES DE PROCARYOTES L. Paolozzi et J.-C. Liébart « Un fluide nutritif stérile est placé dans un flacon désinfecté, afin d'être à l'abri d'un contaminant. Ce fluide est inoculé avec le matériel contenant les micro-organismes que l'on veut obtenir en culture pure. S'il y a croissance dans ce premier flacon, des inoculations seront pratiquées à partir de là dans des récipients préparés comme l'a été le premier. En fait, c'est presque exactement ce qui se produit quand une maladie infectieuse se transmet d'un animal à un autre. »… Il est indispensable que « le produit inoculé ne contienne que le micro-organisme dont la culture pure est souhaitée ». Robert Koch, in Encyclopaedia Universalis Les besoins nutritionnels d'une cellule peuvent être déduits en bonne partie de sa composition chimique élémentaire, mais leur connaissance dérive surtout de données empiriques, quoique le séquençage ouvre dans ce domaine de nouveaux horizons. Une bactérie comme E. coli est constituée (Chap. 1) pour 95 % de son poids sec de six éléments, C, O, H, N, S et P. C’est ce que l’on définit comme les macro-éléments, ou encore macronutriments, qui sont à la base de la construction des macromolécules biologiques. Les 5 % restant sont constitués essentiellement des ions K+, Ca++, Mg++, Fe++, qui ont le rôle de cofacteurs d’activités enzymatiques ou de constituants de macromolécules (par exemple le Fe++ des cytochromes). De nombreux autres éléments sont présents sous forme de traces. 13 COMPOSITIONS CHIMIQUES DES MILIEUX DE CULTURE Un milieu de culture est un mélange équilibré des éléments nutritionnels nécessaires pour permettre le développement d'un organisme. Les milieux de cultures peuvent être soit liquides (pour la culture des micro-organismes), soit solidifiés par addition d’une substance gélifiante, en général de l’agar ; ces milieux solides sont la plupart du temps préparés dans des récipients stériles fermés, les boîtes de Petri étant les plus courants, permettant toutes les manipulations de la bactériologie classique comme celles de génétique et de biologie moléculaire. Les cellules peuvent être ensemencées soit en surface du milieu solidifié, soit dans le milieu lui-même. On distingue ordinairement deux types principaux de milieux de culture : les milieux dits synthétiques, dont la composition est contrôlée et connue, et les milieux complexes, ou bouillons, dont le contenu n’est généralement pas connu de manière exhaustive. Parmi les milieux complexes, une place importante est occupée (dans la recherche de base et surtout dans la bactériologie médicale) par l’emploi des milieux dits différentiels (tab. F4.4-1). L’élaboration d’un milieu de culture synthétique consiste à préparer une solution dans laquelle les concentrations des macro-éléments et des micro-éléments sont ajustées en proportions bien définies, en relation avec l'organisme à cultiver. Les concentrations requises des éléments nécessaires en traces sont si basses que la quantité contenue normalement à l'état d'impuretés dans l’eau est suffisante. Il faut en général ajouter à ce milieu une source de carbone et d’énergie, dont la nature varie selon les groupes trophiques des organismes traités (Chap. 2), et souvent des vitamines, ou d'autres petites molécules organiques, dont la nature et le nombre dépendent des espèces. En effet, si bon nombre de procaryotes sont capables d’assurer la synthèse de l’ensemble de leurs vitamines et des constituants de leurs macromolécules (ils sont donc prototrophes pour ces molécules), certaines espèces ne le sont pas (elles sont auxotrophes pour ces produits) ; leur milieu doit donc être complémenté par un apport exogène de ces molécules, dits facteurs de croissance. C’est le cas de la vitamine B1 pour Bacillus anthracis, de la riboflavine pour Clostridium tetanii, de la vitamine B12 pour Lactobacillus spp., de la nicotinamide pour Proteus vulgaris. Les bouillons de culture sont des milieux riches en matériaux organiques, qui fournissent aux cellules les constituants élémentaires, comme les milieux synthétiques, mais pour l'essentiel sous forme de petites molécules organiques (amino-acides, nucléotides, sucres, acides gras, vitamines, etc.) directement assimilables par les cellules si elles peuvent les intérioriser. Tous ces précurseurs et facteurs de croissance sont issus de différents types d’hydrolysats de viandes ou d'autres substances riches. Généralement la composition chimique exacte de ces milieux n’est pas déterminée. Les espèces cultivables en milieu synthétique le sont la plupart du temps aussi en milieu riche. Cette règle, qui pourrait sembler logique, est vraie pour la majorité, mais pas toutes, des souches devenues des « bêtes » de laboratoire, mais ne l’est pas pour les souches isolées dans les environnements naturels qui bien souvent exigent des milieux plus pauvres pour croître. À l’opposé, nombres d’espèces ne consentent, au moins en l'état de nos connaissances, à croître que dans des milieux complexes, bien que cette limitation puisse quelques fois être levée (Web 4 Fiche 4.5). 14 Tableau 4.4-1 - Quelques milieux sélectifs gélosés MILIEUX Milieu Chapman Milieu Hektoen CARACTÉRISTIQUES fortes concentrations en NaCl permettant la croissance d’halophiles contient deux indicateurs : bleu de bromothymol (indicateur de pH) et fuschine acide (qui se colore en présence d’aldéhyde) SÉLECTIVITÉ Staphylococcus, Micrococcus, Enterococcus, Bacillus et quelques GramColonies saumon : Escherichia, Citrobacter diversus, Klebsiella, Enterobacter, Serratia, Yersinia Colonies saumon à centre noir : Citrobacter freundii, Proteus vulgaris Colonies bleu-vert à centre noir : présomption de Salmonella Colonies bleu-vert ou vertes : présomption de Salmonella ou de Shigella Gélose SS présence de sels biliaires, vert en présence de lactose permet brillant, fortes concentrations en d’identifier les Lac+ (colonies citrate de sodium rouges) des Lac- (colonies incolores) Ce milieu empêche la croissance des Gram+ Milieu EMB contient éosine et bleu de méthylène + Élimine la flore Gram (sauf les Streptocoques). Les Entérobactéries Lac+ sont favorisées par rapport aux Lac- Colonies violettes : E. coli Colonies violettes avec centre gris : Klebsiella Colonies grisâtres : Salmonella, Shigella Colonies grisâtres avec pellicule : Proteus morganii Colonies punctiformes et grisâtres : Enterococcus 15 Milieu MacConkey contient deux inhibiteurs des Gram+ (des sels biliaires et du cristal violet) permet l’isolement de Gram– : Salmonella, Shigella, les coliformes de l’eau permet de distinguer les Lac+ (colonies rouges avec halo opaque) des Lac- ( colonies jaunes ou incolores) Gélose au sang CONDITIONS Milieu enrichi avec du sang sur lequel pousse bien Streptococcus PHYSICO-CHIMIQUES permet la lecture des caractères hémolytiques des souches DE LA CULTURE BACTÉRIENNE Un certain nombre de paramètres physico-chimiques doivent être assurés pour permettre la croissance en conditions artificielles comme celles du laboratoire. Ils varient considérablement d’une espèce bactérienne à une autre. Il s’agit notamment de la température, du pH, de la pression osmotique, de l’oxygénation, de la force ionique, voire de la pression (Chap. 2 ; 4). La réalisation de ces conditions est plus ou moins simple pour un certain nombre d’espèces et assez complexe dans le cas d’organismes extrêmophiles (et en particulier ceux exigeant des températures ou des pressions élevées). Un certain nombre de dispositifs expérimentaux sont utilisés dans ces buts. Dans beaucoup de cas un bain thermostaté dans lequel sont immergées les fioles de cultures est suffisant pour maintenir une température constante. L’agitation de la plateforme du bain (par rotation ou par un système de type va-et-vient) permet en outre l’aération des cultures dans le cas d'espèces aérobies. On peut aussi, pour assurer cette condition, insuffler de l’air stérilisé par passage dans du coton hydrophile. Pour des organismes exigeant des conditions anaérobies facultatives on a recours, outre l’absence d’agitation des cultures, à un remplissage maximal des fioles de culture de façon à réduire le plus possible le volume d’air. Pour la culture en milieu solide de cette catégorie d'organismes, les boîtes de Petri sont placées dans des conteneurs hermétiques où l’O2 de l’air est éliminé : par catalyse avec du palladium il se forme de la vapeur d’eau par combinaison avec de l’hydrogène libéré par un réactif présent dans le conteneur. Ce système est pourvu d’un indicateur, tel le bleu de méthylène, qui perd sa coloration en absence de O2. Dans le cas d’organismes exigeant des conditions extrêmes, l’approche expérimentale reste pour l’instant très difficile, sinon impossible. CONSERVATION DES SOUCHES Les souches en usage dans les laboratoires de recherche, les souches pathogènes de référence, ou celles utilisées dans les activités industrielles, exigent toutes qu'un système de conservation soit disponible, pour éviter leur perte par mort au terme de leur croissance. Généralement, les cultures liquides peuvent être conservées à la température ambiante ou à 4 °C, ceci pour des périodes très variables selon les espèces (quelques jours, semaines, parfois mois). Pour les 16 souches cultivées sur milieux solides, des milieux gélosés en boîtes de Petri peuvent être conservés pour de courtes périodes à 4 °C, en évitant leur dessiccation. Ces modes de conservation, outre leur aspect temporaire et encombrant lorsque le nombre de souches à conserver est grand (centaines, milliers, sinon plus), ont aussi le désavantage de permettre l'accumulation de mutations, puisque ces conditions correspondent à une phase stationnaire prolongée (Chap. 4). De nombreux systèmes de conservation ont été développés, comme l’ensemencement des souches dit « en gélose profonde » (tubes stériles contenant un 1 ou 2 mL de milieu gélosé complet peu riche). Ces tubes, fermés de façon hermétique, permettent la conservation des souches pendant des années. D’autres systèmes, beaucoup plus sûrs et plus pratiques, sont la conservation par congélation en tubes scellés, en milieux additionnés de glycérol stérile (20 %) à -20 ou -80 °C, et la lyophilisation. L'ajout de glycérol protège les structures cellulaires, et amoindrit ainsi la mortalité liée à ce processus. La seconde technique est une cryo-dessiccation, c'est-à-dire une dessiccation poussée, compatible avec de longues durées de conservation. Le redémarrage des cultures se fait en mettant des aliquotes des suspensions conservées dans les conditions appropriées pour leur croissance. Ces procédures ne sont cependant pas (ou pas toutes) compatibles avec toutes les souches. REMISE EN CULTURE DES SOUCHES Toute culture repart d'une culture préalable, dite préculture. Celle-ci peut provenir soit de l’ensemencement du milieu de culture avec un aliquote d’une culture précédente fraîche, soit d’échantillons conservés par l’une des méthodes décrites ci-dessus. L'efficacité du redémarrage, outre dépendre de la souche considérée, varie généralement en fonction de l’âge et des conditions de conservation de l'inoculum. La durée de la latence (Chap. 4) peut être de quelques dizaines de minutes jusqu'à des heures ou des jours. L’échec d'un redémarrage s’observe pour des souches mal conservées (techniques mal maîtrisées, ou conditions incompatibles pour la souche étudiée), ou conservées pendant de trop longues périodes. CULTURE A TERME ET CULTURES « INFINIES » Généralement les cultures des laboratoires sont dites à terme. Il s’agit d’une condition où des cellules sont ensemencées dans un nouveau lot de milieu, dans lequel la croissance se poursuit jusqu’à la phase stationnaire, par épuisement du milieu ou autres conditions (Chap. 1 ; 4). Dans certaines activités expérimentales il peut être nécessaire de maintenir la croissance de façon continue. Formellement, si l’on dilue de façon périodique une population en croissance exponentielle, celle-ci peut théoriquement être maintenue en croissance indéfinie (par exemple dilution d’un facteur 10 dès que la culture arrive à la limite inférieure de sa concentration de phase stationnaire, et ainsi de suite). Cette population oscillera en fonction du temps entre deux concentrations sans jamais atteindre la phase stationnaire. Des systèmes automatiques appelés chémostats permettent de réaliser ces conditions. Ces chémostats sont constitués d’une chambre de culture stérile, où le volume du milieu de culture reste fixe par retrait d'un volume de culture identique à l'ajout de milieu neuf adéquat pour la dilution de la culture (fig. F4.4-1). Dans la chambre de culture le milieu frais est ajouté soit de façon périodique, soit en continu, le volume d’entrée étant coordonné à la vitesse de duplication des cellules. La modulation de la vitesse 17 d’entrée du milieu permet en outre une modulation du taux de croissance (nombre de divisions par heure), ce qui peut être précieux pour des expériences portant par exemple sur l’expression de certains gènes en fonction du taux de croissance. Ces dispositifs sont donc très précieux pour étudier (ou exploiter industriellement) des organismes dans un état physiologique déterminé. Les chémostats ont été et sont également l’outil de choix pour des expériences de compétition soit interspécifique soit intraspécifique (Encart F4.4-1). Figure F4.4-1. Culture en chémostat. La densité de la population est contrôlée par la concentration d’un nutriment limitant dans le milieu contenu dans le réservoir. Le taux de croissance est contrôlé par le flux de milieu frais. L’expérimentateur peut agir sur les deux paramètres. Encart F4.4-1 - Compétition entre souches en culture en chémostat Un exemple de compétition interspécifique est fourni par le comportement de différentes espèces de Streptococcus hôtes de la cavité buccale : S. mutans, S. sanguis et S. milleri. Des cultures mixtes en concentration limitante de glucose montrent l'élimination de S. mutans par l’une ou l’autre des deux autres espèces. Les compétitions intraspécifiques permettent de définir l’avantage ou le déficit sélectif d’une souche mutante par rapport à la souche sauvage ou à une autre souche mutante. Les expériences consistent ordinairement à mélanger les deux souches à étudier en quantités égales dans les conditions de croissance choisies, puis à réaliser des prélèvements périodiques pour analyse de l’évolution de la population. C’est ainsi qu’a été abordée l’étude de l’avantage sélectif potentiel conféré par les éléments mobiles. Pour certains d’entre eux (tels que le phage-transposon Mu ; Chap. 16) les résultats restent assez contradictoires. D’autres cas montrent clairement un 18 avantage sélectif de la présence de l’élément mobile. Il en est ainsi du transposon Tn5 : il semble que l’avantage sélectif qu’il confère serait dû à son gène conférant la résistance à la bléomycine, antibiotique génotoxique ; la résistance conférée par ce gène est due à une plus grande efficacité de la réparation de l’ADN. La présence de Tn5 améliore aussi la survie des souches porteuses de ce transposon en phase stationnaire. Le cas du transposon Tn10 est plus difficile à expliquer ; en co-culture en chémostat de la souche sauvage et de la souche porteuse de Tn10, la compétition conduit à l’élimination de la souche sauvage, mais avec sélection de souches porteuses d’une seconde insertion de Tn10, toujours localisée dans le même gène, désigné fit ::Tn10. Jusqu’à présent, la fonction de ce gène n’a pas été identifiée. D’une façon globale, le caractère mutateur des éléments mobiles a été évoqué pour expliquer l’avantage sélectif qu’ils pouvaient procurer. Cela est à rapprocher de l’avantage sélectif que confèrent les gènes mutateurs impliqués dans l’élimination des mésappariements (mutS, mutL, mutH) (Chap. 10) en coculture en chémostat avec la souche sauvage. CONTRÔLE DES GÉNOTYPES ET COLLECTIONS DE SOUCHES Toutes les souches en usage pour la recherche ou les productions industrielles, ainsi que les nouveaux isolats, sont contrôlés pour leur génotype par les méthodes classiques de la génétique des procaryotes ou par des techniques modernes d’identification. Outre les collections propres à chaque laboratoire ou industrie, ces souches sont présentes dans de nombreuses collections, contenant plusieurs milliers ou dizaines de milliers de spécimens, dans un certain nombre de centres de référence en Europe et aux États-Unis, et dont le matériel est disponible pour la communauté des chercheurs. Bibliographie Robert Koch. in J. Bretey : « Koch Robert (1843-1910) », Encyclopædia Universalis. en ligne : http://www.universalis.fr/encyclopedie/robert-koch/ 19 Web 4 Fiche 4.5 LA NOTION DE CULTIVABILITÉ EN LABORATOIRE J.-C. Liébart Les conditions d’études en laboratoire imposent habituellement d’utiliser des cultures pures d’un organisme donné (Web 4 Fiche 4.2). Il va de soit que ces conditions ne sont pas celles des milieux naturels. Rappelons d’autre part que l’immense majorité des espèces procaryotes n’est actuellement pas cultivable, les raisons de cette non cultivabilité n’étant généralement pas connues. Toutefois, certains cas de non cultivabilité peuvent être abordés expérimentalement. Nous en citerons deux : le cas assez général de la syntrophie, et le cas particulier de la Bactérie Tropherima wippleii. SYNTROPHIE : LE CAS DE METHANOBACILLUS OMELIANSKII On définit comme syntrophie les coopérations entre espèces dont les partenaires dépendent l’un de l’autre pour assurer une activité métabolique donnée, et donc leur croissance (Chap. 17). Methanobacillus omelianskii avait été décrite comme un organisme anaérobie strict capable d’assurer la conversion anaérobie de l’éthanol en acétate. Il s’agit en fait de l’association de deux procaryotes, une Bactérie acétogène (souche S) et une Archée méthanogène (souche MoH) qui assurent deux réactions successives : Souche S : 2 CH3CH2OH + 2 H2O 2 CH3COO- + 2 H+ + 4 H2 ∆G’O = + 19 kJ pour 2 moles d’éthanol Souche MoH : 4 H2 + CO2 CH4 + 2 H2O ∆G’O = –131 kJ par mole de méthane Co-culture : 2 CH3CH2OH + CO2 2 CH3COO- + 2 H+ + CH4 ∆G’O = -112 kJ par mole de méthane 20 Ces deux souches prises séparément ne peuvent pas métaboliser l’éthanol. Leur association est nécessaire, la seconde maintenant une pression partielle en H2 suffisamment faible pour permettre thermodynamiquement la première réaction. Cette dépendance s’est avérée problématique dans la définition d’un milieu permettant la co-culture de ces deux espèces de procaryotes. À l’heure actuelle, il est possible de cultiver les partenaires d’une syntrophie donnée sous forme de culture pure à partir d’une combinaison précise de substrats. En conséquence, la syntrophie n’est pas un état obligé pour les différents systèmes syntrophiques connus, même si l’obtention de cultures pures de ces micro-organismes s’avère parfois acrobatique. Dans l'exemple précédent, le maintien de l’hydrogène à très faible pression partielle par des moyens non biologiques s’avère peu efficace pour permettre l’oxydation de l’éthanol. Une culture pure de souches telles que la souche S peut cependant se réaliser en utilisant comme substrats des molécules plus oxydées que l’éthanol telles que l’acétylène, selon le scénario suivant : C2H2 + H2O CH3CHO ∆G’O = –111,9 kJ 2 CH3CHO + H2O CH3CH2OH + CH3COO- +H+ ∆G’O = –17,3 kJ par mole d’aldéhyde Il demeure que l’obtention de cultures pures, pour certains organismes, peut s’avérer délicate, le type d’association observé révélant un mode de vie guère prévisible. Le même problème se rencontre pour les associations multi-spécifiques appelées consortiums, que l’on trouve dans les conditions naturelles et qui peuvent contenir des microorganismes non cultivables en cultures pures. Le problème peut être en partie le reflet de l'organisation en associations syntrophiques difficiles à reconstituer en laboratoire. FAUX PARASITES OBLIGÉS : LE CAS DE TROPHERYMA WHIPPLEII, AGENT DE LA MALADIE DE WHIPPLE À l’opposé des espèces cultivables en milieu synthétique ou en milieu pauvre, nombre d’espèces bactériennes ne consentent à croître que dans des milieux complexes. Dans ce cadre, il est intéressant de s’attarder sur le cas d’une bactérie pathogène de l’homme responsable de la maladie de Whipple, Tropheryma whippleii, identifiée en 1907. Jusqu'à récemment résolument réfractaire à toute croissance en culture axénique, cette bactérie ne pouvait se reproduire que dans une lignée de fibroblastes, ce qui pouvait donner à penser qu’elle devait être internalisée dans des cellules hôtes, la classant alors comme organisme intracellulaire obligatoire. Les techniques de métagénomique ont permis de définir la séquence et la taille de son génome (0,9 mégabases). L’analyse fonctionnelle réalisée à partir du séquençage a révélé de nombreuses déficiences métaboliques. Cette bactérie est incapable de synthétiser dix amino-acides (his, trp, leu, arg, pro, lys, met, cys, asp, phe) en raison de l’absence totale ou partielle des gènes codant les enzymes de leur voie de biosynthèse. En outre, l’absence de cycle de Krebs fait qu'elle ne peut synthétiser ni le glutamate ni la glutamine. Un milieu complémenté contenant tous ces amino-acides, du sérum de veau fétal et de la L-glutamine a permis de la cultiver de façon axénique, avec un temps de génération de 28 heures à 37 °C. 21 Ce cas est intéressant à plus d’un titre. Il montre que le séquençage et l’analyse informatique peuvent permettre l’identification du génome d’une espèce bactérienne sans nécessairement passer par des cultures pures. Il en a été de même pour Wolbacchia, un parasite intracellulaire des insectes, dont la drosophile (Chap. 5 ; 17). Il révèle en outre que l’analyse informatique des données issues du séquençage apporte des informations précieuses sur les capacités et les exigences métaboliques d’une espèce donnée, avec pour conséquence une approche moins incertaine, moins empirique, de la définition d’un milieu de culture potentiel. Enfin, dans le cas de la maladie de Whipple, elle a ainsi révélé que la bactérie responsable n’était pas un hôte obligé des cellules humaines mais pouvait se développer dans des conditions axéniques. Bibliographie Renesto P., Crapoulet N., Ogata H., La Scala B., Vestris G., Claverie J-M., Raoult D. 2003. Genome Based Design of a Cell-free Culture Medium for Tropheryma wippleii. The Lancet 362 : 447-449 Singh S., Eldin C., Kowalczeweska M., Raoult D. 2013. Axenic Culture of Fastidious and Intracellular Bacteria. Trends Microbiol. 21(2) : 92-9 22 Web 4 Fiche 4.6 TECHNIQUES DE MESURE DE LA CONCENTRATION D'UNE SUSPENSION DE MICRO-ORGANISMES J.-C. Liébart et L. Paolozzi Plusieurs méthodes classiques de suivi de la croissance d'un micro-organisme sont disponibles. Plus ou moins faciles à mettre en œuvre, elles n'apportent pas les mêmes informations. Un choix doit donc être effectué en fonction des impératifs expérimentaux ou des disponibilités. COMPTAGE DIRECT DES CELLULES AU MICROSCOPE Ce comptage se réalise au microscope optique, sur des échantillons de dilutions appropriées de la suspension à mesurer, déposés sur des lames de microscope calibrées à un volume précis, dites Chambre (ou cellule, ou lame) de Petroff-Hausser, utilisées par ailleurs pour les déterminations de formules sanguines (dites aussi hématimètres) (fig. 4.6-1). Le comptage réalisé permet, en tenant compte de la dilution, de définir la concentration cellulaire de la culture. Il permet un comptage assez précis du nombre total des cellules présentes, et peut éventuellement, moyennant des processus de distinction, permettre un dénombrement séparé des cellules mortes et vivantes. 23 Figure F4.6-1 - Chambre de Petroff-Hausser. COMPTAGE ÉLECTRONIQUE DES CELLULES Il existe des systèmes de comptage de particules utilisés notamment en analyse médicale (par exemple comptage d’hématies) qui peuvent être adaptés au comptage de cellules de tout microorganisme ou cellule isolée. Cette méthode permet aussi d’estimer la taille, et la répartition en tailles, de la population. Le comptage est rapide et précis, mais ne distingue pas les cellules vivantes des cellules mortes. Le même défaut existe pour les deux méthodes décrites ci-dessous. On peut éventuellement pallier cet inconvénient par des techniques cytologiques. Citons par exemple le système « Syto9-iodure de propidium », incluant deux fluorophores. Le premier (syto9), un marqueur de l’ADN double-brin, pénètre dans toute cellule, morte ou vivante, et produit une fluorescence verte. Le second (iodure de propidium) ne pénètre que dans les cellules mortes et émet une fluorescence rouge qui masque celle du Syto9. Les cellules vivantes émettent donc une fluorescence verte et les mortes une fluorescence rouge. TITRE DES CELLULES VIABLES D'UNE SUSPENSION - CAPACITÉ À FORMER DES COLONIES Le dénombrement (ou titre) des cellules viables d’une suspension exploite la capacité de nombreuses espèces à former des colonies sur milieu gélosé contenu dans des boîtes de Petri (Web 4 Fiche 4.4). Cette méthode de comptage est applicable dans les situations où la fréquence de cellules viables est proche de 1, et peut être considérée comme précise dans la limite attendue des erreurs d’échantillonnage. Toutefois, il n’en va pas ainsi soit dans certaines conditions physiologiques telles qu’un stress oxydatif, ou pour certains mutants affectés dans le processus de recombinaison homologue (Chap. 9), ou encore lorsque les cellules ont subi une longue 24 carence nutritionnelle. Cette méthode permet en outre, en modifiant la nature du milieu ou les conditions de croissance, de dénombrer sélectivement différentes populations dans la suspension (par exemple clones auxotrophes ou mutants thermosensibles parmi des cellules sauvages). Son inconvénient réside dans le délai nécessaire, variable avec les espèces (de un à plusieurs jours), de formation de colonies discernables à l’œil. La technique consiste à diluer la culture en examen et à ensemencer une série de boîtes de Petri contenant le milieu approprié avec des échantillons dilués (généralement 0,1 mL) (Web 4 Vidéo 4.2). Après incubation des boîtes le temps nécessaire à la température voulue, on compte les colonies présentes sur ces boîtes. On choisit les boîtes dont le nombre de colonies est compris dans une marge de l’ordre de 50 – 200 colonies (pour éviter les erreurs d’échantillonnage lorsque le nombre des colonies est trop bas, et les erreurs de lecture par superposition des colonies lorsque le nombre de celles-ci est trop élevé). Dans ces conditions, le nombre, de colonies, multiplié par 10 (pour rapporter ce nombre à un volume d’1 mL) et par le facteur de dilution, permet de déterminer le titre de la culture, exprimé en ufc (unités formant colonies) par mL. Les erreurs d’échantillonnage sont déterminées en effectuant des prélèvements et titres indépendants sur plusieurs boîtes et en appliquant aux résultats l’analyse statistique classique. Cette technique est couramment utilisée dans toutes les manipulations de génétique et de physiologie bactériennes. NÉPHÉLOMÉTRIE ET TURBIDIMÉTRIE À partir de environ 107 unités/mL, une suspension cellulaire devient trouble, et sa turbidité augmente proportionnellement à la concentration des cellules, au moins jusqu'à une certaine limite. Cette propriété peut être mise à profit pour déterminer la concentration cellulaire, après étalonnage. Il est possible de mesurer ce trouble (turbidité) par spectroscopie. La néphélométrie mesure la quantité de lumière diffractée par passage du faisceau à travers les obstacles que représentent les cellules, qui bloquent le transfert des photons. C'est donc une mesure directe de la densité de la suspension. La turbidimétrie renseigne sur la quantité de lumière diffusée après passage à travers la suspension cellulaire. C'est donc une mesure par différence entre influx et efflux de lumière. Ce système exploite la loi de Beer-Lambert qui établit la relation entre l’intensité de la lumière incidente et celle transmise lorsqu’un faisceau de lumière monochromatique traverse un milieu absorbant. Dans ces conditions l’absorbance (A) est donnée par la relation : A = log Io/I = e l c où (e) est le coefficient d’extinction molaire, (l) la longueur de traversée du faisceau de lumière dans la suspension, (c) la concentration du solvant (ici milieu de culture), (I0) l'intensité de la lumière incidente et (I) celle de la lumière transmise. Dans le cas des suspensions de microorganismes, (A) est appelé densité optique (DO). La suspension à mesurer, diluée pour être dans les limites de sensibilité de l'appareil de mesure, est placée dans une cuve dont la longueur de traversée par le faisceau lumineux, (l), est connue (généralement 1 cm). La lumière peut être blanche (néphélométrie) ou monochromatique (turbidimétrie). Dans ce cas il est préférable d'utiliser une longueur d'onde non absorbable par des constituants (pigments) cellulaires, dont la concentration pourrait varier 25 avec l'état physiologique, ce qui perturberait l'étalonnage, donc la mesure. Pour des cellules non pigmentées, telles E. coli ou B. subtilis, cette longueur d'onde est ordinairement 600 nm. Ces méthodes sont très simples et très rapides. Dans les deux cas elles nécessitent un étalonnage du spectrophotomètre permettant d’établir la correspondance entre quantité de lumière mesurée et concentration cellulaire, pour chaque espèce considérée. Des variations de taille importantes au cours de la croissance peuvent modifier la valeur de l'étalonnage. MÉTHODES BIOCHIMIQUES Outre les méthodes décrites ci-dessus, les études de biochimie ont souvent recours à d’autres systèmes pour déterminer la concentration cellulaire. Celles-ci peuvent être la détermination directe de la masse de matériel cellulaire soit en poids sec (au moins 10 11 quand il s'agit de bactéries, lavées, desséchées et pesées) ou encore en poids humide (un échantillon adsorbé sur filtre, pesé après élimination de l’eau adsorbée par séchage à 40 °C). Il est aussi possible de déterminer la concentration de composants structurels (lipides, protéines de membranes, protéines totales, ou autres composants). CONTRÔLES AUTOMATISÉS DE LA CROISSANCE Dans les processus industriels, et lorsque l’on travaille sur des volumes à grande échelle (Chap. 19), il est souvent nécessaire d’effectuer un contrôle rapide des conditions de croissance à l’intérieur d’un bioréacteur (fermenteur) pour éviter des pertes économiques importantes. Les méthodes rapides décrites ci-dessus sont en général applicables. Pour cela un certain nombre de senseurs, en contact avec le liquide de culture, permettent de fournir de façon instantanée la variation de tout paramètre associé à la croissance. D'autres paramètres peuvent être la consommation de la source de carbone ou de l’oxygène, ou encore la production de CO2. Ces contrôles permettent de réajuster, ou même de modifier si nécessaire, les conditions de croissance. 26 Web 4 Fiche 4.7 LES CELLULES PERSISTANTES J.-C. Liébart La phase de croissance exponentielle d’une population de cellules a pour caractéristique une bonne homogénéité de l’état physiologique des cellules, réparties uniformément depuis des celles qui viennent de se diviser jusqu’à celles en cours de division. Toutefois, même dans une telle phase de croissance, on peut observer une fraction de la population dont les propriétés physiologiques tranchent clairement avec celles de la majorité des cellules. Cet état physiologique particulier, défini comme cellules persistantes, a été décrit en 1944. Un traitement à la pénicilline d'une culture de Staphylococcus aureus aboutit à une lyse massive des bactéries, avec toutefois une fraction survivante de l’ordre de 10-4. Ces survivantes, remises en culture, maintiennent le même comportement de sensibilité à la pénicilline, ce qui exclut qu'il s'agisse de la sélection de mutants résistants à l’antibiotique (fig. F4.7-1). Ce sont ces cellules que l’on nomme persistantes. Observé initialement à partir d’une culture en phase exponentielle, ce type de cellules se révèle dans d’autres situations physiologiques telles que les biofilms, chez les Gram+ comme chez les Gram–. L’étude expérimentale de ce problème n’a été reprise que tardivement en utilisant l'approche génétique. Elle a impliqué la sélection de mutants conduisant à une fréquence accrue de cellules persistantes après sélection à la pénicilline. Deux cribles sélectifs, l’un assez ancien (1983), l’autre plus récent (2006), appliqués à E. coli, ont été utilisés (Encart F4.7-1). 27 Figure F4.7-1. Fréquence de cellules persistantes de Staphylococcus aureus au cours du traitement à la pénicilline. La courbe obtenue (ci-dessus le premier cycle de traitement) est la même pour 4 cycles successifs de traitement à l’a pénicilline. Encart F4.7-1 - Sélection de mutants augmentant la fréquence de cellules persistantes chez E. coli. Premier crible sélectif Après mutagénèse, une culture en phase exponentielle de la souche sauvage d'E. coli est traitée à la pénicilline, un inhibiteur de la synthèse du peptidoglycane (Chap. 1). Après lyse de la culture, les bactéries survivantes sont centrifugées et lavées pour élimination de la pénicilline. Remises en phase exponentielle, elles subissent une deuxième fois le même traitement, puis sont ensemencées sur milieu solide contenant de la pénicilline. Après 20 heures d’incubation, les boîtes sont traitées par pulvérisation de pénicillinase, ce qui détruit la pénicilline, puis réincubées pendant 20 heures. Un deuxième enrichissement similaire est réalisé à partir des colonies apparaissant après ce traitement. Celles-ci sont récupérées, ré-ensemencées sur milieu solide contenant de la pénicilline, puis incubées 24 heures. La pénicilline est éliminée par pulvérisation de pénicillinase et les boîtes à nouveau incubées 10-20 heures. Ne sont finalement 28 conservées que les colonies qui ne croissent pas sur milieu additionné de pénicilline mais qui croissent sur le même milieu débarrassé de l’antibiotique. Les mutants ainsi obtenus ont été nommés hip (HIgh Persister). Ces mutants, après traitement à la pénicilline, présentent une fraction survivante de 10-2 alors que celle-ci est de 10-6 chez la souche sauvage. Il ne s’agit pas de mutants résistants à l’antibiotique, l’immense majorité de la population de ces mutants se comportant comme la souche sauvage dont ils dérivent (voir ci-dessous). Deuxième crible sélectif Un certain nombre d’expériences suggéraient que les cellules persistantes correspondaient à un état de dormance cellulaire. Ceci impliquait que, dans une population de E. coli en phase exponentielle, il devrait exister une fraction de la population physiologiquement en vie ralentie, avec notamment une synthèse protéique diminuée. Une telle population peut être repérée grâce à une construction génique comportant un marqueur instable, le GFP (Green Fluorescent Protein), dont le gène est placé sous le contrôle d’un promoteur d’ARN ribosomal. Cette construction donne des cellules fluorescentes en phase exponentielle mais qui deviennent non fluorescentes en phase stationnaire (non-expression des gènes ribosomaux). Les techniques de cytométrie de flux associées à la détection de la fluorescence permettent d’identifier dans la population en croissance deux sous-populations de bactéries : l’une majoritaire et fluorescente, et l’autre minoritaire, aux cellules plus petites et non fluorescentes, phénotype similaire à celui observé avec les cellules en phase stationnaire. Il est possible de différencier ces deux populations en les traitant par un antibiotique, l’ofloxacine, qui tue les bactéries, en croissance ou non. Les résultats montrent que la sous-population non fluorescente est 20 fois moins sensible à l’antibiotique que la sous-population fluorescente. C’est le phénotype attendu des cellules persistantes. Transcriptome des deux populations Il est également possible d’étudier le profil d’expression des gènes de ces deux populations. Cette analyse révèle une expression génique modifiée : chez la fraction persistante, 45 gènes présentent une expression accrue et 5 une expression diminuée par rapport à la fraction non persistante. Pour comparaison, dans une population en phase stationnaire, la différence est beaucoup plus marquée, avec 420 gènes à expression accrue et plus ou moins autant à expression atténuée. Parmi les gènes à expression atténuée se trouvent les gènes flagellaires, ce qui est en accord avec un état de dormance. Par ailleurs, les gènes exprimés différemment chez les cellules persistantes sont distincts aussi bien de ceux affectés en phase stationnaire que de ceux exprimés en phase exponentielle. Cette classe définit donc bien un état physiologique distinct. 29 MUTANTS PRÉSENTANT UNE FRÉQUENCE ACCRUE DE CELLULES PERSISTANTES a) Persistance et système toxine–antitoxine hipA est le premier gène identifié comme conférant le phénotype « persistant ». Il appartient à un système toxine-antitoxine (TA). Ces systèmes ont été d’abord identifiés chez certains plasmides, dont le facteur F : ils consistent en un opéron de deux gènes, l’un synthétisant une toxine stable, l’autre une antitoxine instable. Si une bactérie perd son plasmide, elle ne contient plus que la toxine, l’antitoxine étant instable, ce qui conduit à son élimination, ou au moins à sa non-prolifération. En conséquence, l’ensemble de la population contient essentiellement des cellules possédant le plasmide. D’autres systèmes similaires (dont celui codé par hipA) sont localisés sur le chromosome, leur rôle n’étant pas clairement défini. Le système hipA est classique, avec un opéron de deux gènes, hipAB. HipA, la toxine, est une kinase qui phosphoryle la protéine EF-Tu, un facteur d’élongation de la synthèse peptidique (Chap. 13), ce qui inhibe la traduction et conduit à un état de dormance de la cellule. HipB est un inhibiteur de l’activité kinase de HipA. L'inhibition se fait par interaction protéine-protéine. Chez le premier mutant hipA isolé, l’interaction entre HipA et HipB est atténuée, ce qui permet le maintien d’une activité kinase de HipA, et l’inhibition du facteur de traduction EF-Tu. Le second crible génétique a permis d’identifier des gènes de systèmes toxine-antitoxine (dinJ, yoeB et yefM), qui sont sur-exprimés chez les mutants, conduisant au phénotype de cellules persistantes. Le gène yoeB est un homologue de relE, qui fait lui-même partie d’un système TA et qui code un inhibiteur des synthèses protéiques ; la surexpression de RelE conduit au phénotype cellules persistantes. Un autre gène ainsi identifié, ygiU, est également induit dans les biofilms. Il constitue un opéron avec le gène ygiT, l’ensemble ressemblant aussi à un système TA. b) Persistance et résistance aux antibiotiques La surexpression de relE ou de hipA, outre le phénotype cellule persistante qu’elle confère, conduit à une tolérance multidrogues. RelE protège contre des aminoglycosides et des fluoroquinolones, et HipA contre tous les antibiotiques testés. Par contre ygiU, dont la surexpression conduit aussi à un arrêt rapide de la croissance, permet une grande tolérance à seulement plusieurs antibiotiques : l’ofloxacine (inhibiteur de la gyrase) et le cefotaxime (un ßlactame). Quel mécanisme invoquer pour la tolérance aux antibiotiques des cellules persistantes : l’effet létal des antibiotiques est fréquemment lié à la synthèse de produits toxiques par la cellule soumise au traitement. Ainsi la streptomycine, par action sur la traduction, conduit à la synthèse de peptides toxiques. Les ß-lactames induisent la production d’autolysines conduisant à la mort cellulaire. Les fluoroquinolones convertissent la gyrase en endonucléase. Les cellules persistantes, par blocage de la cible des antibiotiques, éliminent ou au moins diminuent la possibilité de générer ces produits toxiques (fig. F4.7-2). 30 Figure F4.7-2. Cellules résistantes et cellules persistantes. Chez les cellules résistantes la cible de l’antibiotique est modifiée et échappe à son action (flèche bleue). Chez les cellules sensibles, la cible est reconnue par l’antibiotique. Outre l’effet inhibiteur du fonctionnement de cette cible, celleci conduit à la formation de produits toxiques pour la cellule. Chez les cellules persistantes, cet effet annexe n’a pas lieu. Certaines protéines des cellules persistantes agissent par blocage de la cible de l’antibiotique. Les cellules ne croissent pas mais ne sont pas tuées. (D’après K. Lewis, 2010). LA BANQUE DE KEIO ET LES CELLULES PERSISTANTES La banque dite de Keio est une collection de souches mutantes d'E. coli possédant chacune une « cassette » de résistance à la kanamycine (Chap. 7) inactivant chacun des gènes non essentiels de cette bactérie. Aucun des mutants de la banque ne conduit à un phénotype de perte de cellules persistantes. Cependant, certains mutants conduisent à une diminution de leur nombre : il s’agit de mutant affectés dans des régulateurs globaux tels que HupAB et IhfAB, deux protéines hétéro-dimériques se liant à l’ADN. Il semble donc que la formation de cellules persistantes puisse être le résultat de plusieurs mécanismes indépendants, cet état conférant bien sûr un avantage adaptatif à la bactérie. FACTEURS RESPONSABLES DE LA MISE EN PLACE DE LA PERSISTANCE On peut envisager soit un phénomène aléatoire soit un phénomène déterministe. Les systèmes TA sont régis par des protéines présentes en faible nombre par cellule ; aussi des fluctuations aléatoires de leur concentration ou de leur transmission au cours des divisions peuvent conduire à l’établissement transitoire de cellules persistantes en l’absence de toute mutation. 31 CELLULES PERSISTANTES ET PATHOLOGIES L’échec du traitement de maladies infectieuses par antibiotique est assez fréquent, même lorsque le pathogène responsable reste sensible à l’antibiotique. Dans la plupart des cas, de telles infections chroniques s’accompagnent de la formation de biofilms, forme sous laquelle les bactéries présentent un phénotype de plus forte insensibilité à l’ensemble des antibiotiques (Chap. 14). Cette résistance apparente peut être attribuée aux cellules persistantes présentes dans la population du biofilm. Le modèle explicatif peut se résumer ainsi : lors du traitement, l’antibiotique tue la majorité des cellules du biofilm ; de même, les cellules détachées du biofilm sont prises en charge par l'antibiotique et/ou sont éliminées par le système immunitaire. Seules survivent les cellules persistantes maintenues au sein du biofilm ; celles-ci, à la suite de l’arrêt du traitement, peuvent le recoloniser. Ce modèle a pu être testé ; une application périodique à un biofilm d’une dose létale d’antibiotique conduit effectivement à une augmentation du niveau de cellules persistantes. De même, des patients atteints de mucoviscidose et traités périodiquement par le même antibiotique montrent une augmentation du niveau de cellules persistantes de Pseudomonas æruginosa au fil du traitement. On peut rappeler le cas de Mycobacterium tuberculosis, qui conduit à une infection chronique échappant au système immunitaire. L’infection peut disparaître soit spontanément soit après thérapie antimicrobienne. Mais dans les deux cas, le pathogène demeure sous une forme latente. On sait peu de chose sur cet état latent, mais des données récentes montrent l’existence de cellules persistantes de M. tuberculosis. Comme d’autres bactéries, dont E. coli, M. tuberculosis est doté de nombreux systèmes TA. On ne sait pas actuellement si les cellules persistantes caractérisées chez cette dernière sont également affectées dans l’expression d’un ou plusieurs de ces systèmes. Il demeure que l’existence de cellules persistantes représente un sérieux problème dans le traitement des maladies infectieuses, problème qui jusqu’à présent avait été plus ou moins ignoré. À l’heure actuelle, on ne connaît pas de méthode apte à éliminer cette fraction de cellules présente dans toute population bactérienne. Bibliographie Lewis K. 2010. Persister Cells. Annu. Rev. Microbiol. 64 : 357-372 32 Web 4 Fiche 4.8 LA PHASE STATIONNAIRE PROLONGÉE J.-C. Liébart Nous avons vu (Chap. 4) que chez une bactérie telle que E. coli, la phase stationnaire n’était en rien un état statique et passif, mais correspondait à la mise en place d’un véritable programme génétique sous le contrôle d’un gène, le régulateur positif rpoS (Chap. 13). Celui-ci contrôle, directement ou non, 10 % des gènes de la bactérie. On peut observer qu’il y a encore des bactéries en division active après 10 jours de phase stationnaire. En outre, il est possible d’observer une survie importante (de l’ordre de 10-3) de la population bactérienne maximale mesurée en début de phase stationnaire, et ce, selon certains auteurs, même après plusieurs années de culture (fig. 4.8-1). Cette longue phase de survie est appelée phase stationnaire prolongée. Comme pour la phase stationnaire, on observe une gestion programmée de cette phase par la bactérie, grâce à la mise en place de nouveaux facteurs permettant la survie d’une partie de la population. L’approche génétique en est simple. À partir de cultures bactériennes en phase stationnaire depuis des temps variés, on réalise des mélanges de deux populations d'âges différents : une majorité de cellules en phase stationnaire récente (1 jour), avec une minorité de cellules en phase stationnaire plus ancienne (10 jours). Les deux populations sont repérables chacune par un marqueur génétique neutre facilement identifiable. L'incubation prolongée entraîne une élimination totale de la population en phase stationnaire récente par la population ancienne. Ce phénomène n’est pas dû à une adaptation physiologique mais est le résultat de mutations. Il est probable que l’avantage sélectif des bactéries en phase stationnaire depuis dix jours est dû à leur plus grande efficacité dans l’utilisation des nutriments relargués par les cellules mortes. Le phénotype de ces mutants a été baptisé GASP (Growth Advantage in Stationary Phase) par R. Kolter. D’autre part, il se produit une apparition et une disparition séquentielles de mutants GASP en fonction du temps passé en phase stationnaire. Les mutations GASP peuvent affecter différents gènes, et certaines d’entre elles restent difficiles à interpréter. Nous n’aborderons ici que celles pour lesquelles une interprétation a pu être proposée. 33 Figure F4.8-1. Survie de E. coli en fonction du temps. (D’après S.E. Finkel, 2006). REMANIEMENT DU GÈNE RPOS La première mutation obtenue est le résultat d’un remaniement (rpoSalt) du gène rpoS, codant pour le facteur sigma impliqué dans les états de stress (Chap. 13). Cette mutation conduit au remplacement des 4 derniers amino-acides de la protéine par 39 nouveaux résidus. La protéine RpoSalt est moins active que la protéine sauvage. Cette activité résiduelle semble cependant nécessaire. En effet, le remplacement de rpoS sauvage par une mutation nulle du gène ne conduit pas au phénotype GASP. D’autre part, le remplacement du gène rpoS sauvage par rpoSalt dans une souche sauvage suffit pour conférer le phénotype GASP. L’explication fournie pour ce phénotype est un déséquilibre de la compétition de liaison à l’ARN polymérase des différents facteurs sigma, dont RpoD, le sigma « de ménage » intervenant entre autre dans l’assimilation du glucose, et RpoN, intervenant dans l’assimilation de l’azote et des aminoacides. RpoD intervient aussi dans le stress alcalin, conditions engendrées dans les expériences de Kolter par l'utilisation d'un milieu complexe, qui s’alcalinise au cours de la croissance. Une diminution par mutation de l’activité de RpoS pourrait favoriser un nouvel équilibre des facteurs sigma envers l’ARN polymérase. Les mutants rpoSalt, s’ils ont un avantage sélectif en phase stationnaire, sont contresélectionnés dans la plupart des autres conditions de croissance. L’analyse des souches dites sauvages révèle une assez grande diversité du gène rpoS, avec chez la plupart une activité atténuée mais non nulle du produit de ce gène. 34 DÉLÉTION DE LRP, UN RÉGULATEUR TRANSCRIPTIONNEL DE LA PHASE STATIONNAIRE Une deuxième mutation entraînant ce phénotype est une délétion partielle du gène codant le régulateur transcriptionnel intervenant en partie dans la phase stationnaire, le gène lrp (Leucineresponsive Regulatory Protein). Le taux d'expression de lrp est inversement proportionnel au taux de croissance. La protéine Lrp sauvage, active sous forme dimérique, affecte l’expression de 400 gènes, dont les trois quarts sont des gènes de phase stationnaire, y compris ceux impliqués dans la réponse à la carence en nutriments. Cette mutation de lrp conduit à la production d'une protéine tronquée qui, associée au produit du gène fonctionnel, conduit à un dimère inactif, comportement classique d’un dominant négatif. L’avantage d’un tel mutant est de conduire à un phénotype d’inactivation de la fonction directement observable et à action immédiate au niveau phénotypique. Ces mutants ont l’aptitude de piéger efficacement les amino-acides relâchés par les cellules mortes, en particulier la sérine, la thréonine et l’alanine. Cependant, cette propriété ne rend pas compte à elle seule du phénotype GASP. Il est probable que, comme pour le mutant rpoSalt, la protéine étant un régulateur global, la mutation affectant lrp agit sur d’autres facteurs qui restent à déterminer. De même, chez Pseudomonas aureofaciens, une mutation dans le gène lysR, un autre régulateur global, conduit au phénotype GASP. AUTRES RÉGULATEURS AFFECTÉS DANS LE PHÉNOTYPE GASP Si de telles mutations sont assez aisément explicables, il n’en est pas de même pour d’autres qui pourtant conduisent également au phénotype GASP. C’est le cas de mutations affectant l’opéron bgl, impliqué dans le métabolisme des β-glucosides (la salicine et l’arbutine). Cet opéron est normalement non exprimé et la bactérie sauvage ne peut pas croître sur les β-glucosides (phénotype Bgl-). Les mutants aptes à croître sur β-glucosides (phénotype Bgl+) s’avèrent présenter le phénotype GASP. Ce comportement est dû à une surexpression du gène oppA par le biais du régulateur positif de l’opéron bgl, le gène bglG. OppA est un transporteur d’oligopeptides. Cette action est donc comparable à celle observée pour les mutations GASP affectant rpoS et lrp, et conduisant à une utilisation accrue des nutriments issus des cellules mortes et lysées. Des mutations affectant Hn-S, un autre régulateur global, conduisent aussi à un phénotype Bgl+ et GASP. GÉNÉRALITÉ DU PHÉNOMÈNE Décrit initialement chez E. coli, le phénotype GASP a été également observé chez d’autres entérobactéries telles que Enterobacter cloacæ, Salmonella enterica ou Shigella dysenteriæ, mais aussi chez d’autres Gram– (Pseudomonas putida, Vibrio choleræ, Geobacter sulfuroreducens) et chez des Gram+ (Mycobacterium smegmatis, Staphylococcus aureus, Listeria monocytogenes). Il a été également observé chez l'eucaryote Saccharomyces cerevisiæ. Il semble donc que le phénotype GASP corresponde à une réponse du monde microbien soumis aux conditions de carence générées par la phase stationnaire. Rappelons enfin que c’est dans les 35 conditions de phase stationnaire prolongée que se révèle le phénomène connu entre autres sous le nom de mutagénèse adaptative (Chap. 10). Bibliographie Finkel S.E. 2006. Long Term Survival during Stationary Phase : Evolution and the GASP Phenotype. Nature Reviews Microbiology 4 : 113-12 Harwani D., Zangaoui P., Mahadevan S. 2012. The β-glucoside (bgl) Operon of E. coli is Involved in the Regulation of oppA, Encoding an oligopeptide Transporter. J. Bacteriol. 194(1) : 90-99 Zambrano M.M. & Kolter R. 1996. GASPing for Life in Stationary phase. Cell. 86 : 181-184 Zambrano M.M., Almiron M., Tormo A., Kolter R. 1993. Microbial Competition : E.coli Mutants that Take Over Stationary Phase Cultures. Science 259 : 1757-1760 Zinser E.R & Kolter R. 2000. Prolonged Stationary Phase selects for lrp Mutants in E coli K12. J. Bacteriol. 182 : 4361-65 36