
DÉPRESSION
3
n week-end dans la famille Christen:
dans la chambre d’enfants, trois filles
âgées de 9, 14 et 18 ans se disputent.
Pendant ce temps, Yvonne, leur mère,
range des vêtements qu’elles ont laissés
traîner. Ce faisant, elle passe devant un
tableau que tous les visiteurs remarquent
immédiatement: un morceau de soie sous
verre, représentant des personnages de
dessin animé, et où dominent des tons
clairs comme le jaune, le rose et le bleu.
Ce tableau exprime une grande joie de
vivre. Avant de dîner, Erwin, le père, prend
une douche rapide. Chez les Christen, le
quotidien est tout ce qu’il y a de plus
normal.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Depuis
des dizaines d’années déjà, Yvonne
Christen est dépressive. Elle prend chaque
jour un antidépresseur qui stabilise son
humeur et a, une fois par mois, une
séance de psychothérapie de soutien. En
ce moment, elle va bien. «Mais je peux
m’effondrer à tout moment», explique-
«La dépression
t-elle. Il y a quelques mois encore, il y a
des jours où elle ne savait pas comment
parvenir à accomplir ses tâches de mère,
de femme au foyer et d’épouse.
Bien qu’Yvonne Christen souffre de
dépression depuis son enfance, la maladie
n’est devenue manifeste qu’à la naissance
de sa première fille. «Au lieu d’éprouver
du bonheur, j’avais envie de jeter ma fille
par la fenêtre», avoue aujourd’hui sans
détours cette femme de cinquante ans.
Après la naissance, il lui arrivait de pleurer
des heures entières. «Mes sentiments
basculaient comme si on avait appuyé
sur un bouton», se souvient-elle. Si, avant
la naissance, elle éprouvait encore de la
U
POUR UNE PERSONNE ATTEINTE DE DÉPRESSION, IL EST DIFFICILE DE PARLER DE SON ÉTAT AVEC SES PROCHES.
YVONNE CHRISTEN A TRAVERSÉ DE GRAVES CRISES. SON MARI EST LA SEULE PERSONNE SUR LAQUELLE ELLE
A TOUJOURS PU COMPTER: ERWIN CHRISTEN L’A SOUTENUE DANS LES PÉRIODES DE CRISE ET A CRU EN ELLE.
AUJOURD’HUI, ELLE VA MIEUX. LA DÉPRESSION A SOUDÉ CE COUPLE ENCORE PLUS ÉTROITEMENT.
joie, elle se sentait soudain captive. Pour
comble de malheur, sa fille pleurait sans
cesse: la nuit, Yvonne Christen restait
éveillée pendant des heures pour la cal-
mer. Pendant six mois, elle n’a pas dormi
une nuit entière. Elle se sentait minée,
épuisée. Un médecin lui prescrivit alors
un antidépresseur et la situation com-
mença à s’améliorer.
Au début, son mari Erwin (50 ans) ne
pouvait guère se rendre compte de la
situation. «Dans la journée, j’allais tra-
vailler, j’étais donc absent», explique-t-il.
Mais après son travail, il aidait autant
qu’il le pouvait et soutenait sa femme.
Car il la croyait lorsqu’elle disait qu’elle
était dépressive et avait besoin de sou-
tien. Au contraire des parents d’Yvonne:
«Mon père me laissait entendre que je
n’étais rien, que je ne savais rien faire et,
surtout, que je n’étais pas malade mais
que je faisais des simagrées», raconte-t-
elle. Résultat, la jeune mère se sentait
coupable et blessée. Au lieu de l’aider, on
«Je peux
m’effondrer
à tout moment»
nous a
soudés»