repères sociohistoriques. Nervure

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Jeux de hasard et enjeux psychosociaux en Amérique du Nord :
repères sociohistoriques
Par Amnon J.Suissa, Ph.D
Professeur, Université du Québec en Outaouais
Département de Travail Social et des Sciences Sociales
[email protected]
Introduction
Le phénomène de la dépendance aux jeux de hasard et d'argent est en constante augmentation et
les problèmes psychosociaux s'y rattachant semblent suivre la même trajectoire (Chevalier et
Allard, 2001; Ladouceur et al, 2000; Topp et Charpentier, 2000; Room, 1998). À part les facteurs
liés à l'acceptation sociale du gambling et à sa légalisation, la multiplication de l'accès aux
espaces de jeu constitue le facteur prépondérant des taux élevés de prévalence pour les joueurs
pathologiques (Castellani, 2000; Govoni et al, 1998). Le Québec n'échappe pas à cette réalité, le
taux de prévalence est passé de 1,2% à 2,1% en l'espace de la dernière décennie pour les adultes
et jusqu'à près de 7% pour les jeunes (Gupta, 2001; Ladouceur et al, 2000). Il y aurait également
des conséquences négatives au niveau d'un certain démantèlement des réseaux communautaires,
d'un affaiblissement des liens sociaux et familiaux, de comorbidité psychiatrique et de tentatives
de suicide (Black & Moyer, 1998). Les populations de jeunes, de femmes, d'autochtones et des
aînés seraient également les groupes sociaux qui sont les plus touchés par l'augmentation de
l’offre et de la participation aux jeux de hasard (Mandal & Vander Doelen, 1999; National
Council of Welfare, 1996, Marshall, 2003). Un autre indicateur important de ce malaise social
croissant est celui de l'augmentation impressionnante des demandes d'aide téléphonique par les
citoyens. Au Québec, en 2002-2003, plus de 17 000 personnes ont eu recours au service
téléphonique d'écoute et de référence de nature anonyme et confidentielle (Jeu : aide et référence,
2003, Chevalier et al, 2003).
Si le gambling, sous une forme ou une autre, a toujours fait partie de la condition humaine,
l’engouement actuel envers ce type d’activité dépasse l’entendement social. Ce qui était
considéré auparavant comme un pêché, un vice, un comportement déviant et une industrie horsla-loi, est aujourd'hui compris comme une maladie, une pathologie psychiatrique teintée d'une
perte de contrôle ou d'une compulsion à laquelle seule l'abstinence saura être une réponse valable
si on veut se débarasser des problèmes de dépendance qui s'y rattachent. Dans ce contexte, le
gambling est présenté par les gouvernements comme une forme légitime de divertissement, un
catalyseur pour le développement économique, une source de revenus et un outil pour la création
d’emplois.
Ce qui apparaissait jusque-là comme une réalité sociale et économique relativement stable, s'est
graduellement transformée en questionnement, voire en débat de société, en particulier avec la
finalité de politiques gouvernementales considérées comme ambigues et contradictoires. Au cœur
de cette phase transition, il y a le rapport du bureau du coroner au Québec qui confirme que 33
suicides dûs au jeu se sont produits en 1999. En 2003, le nombre de suicides en lien avec le
gambling continue d’augmenter et se rapproche plus d’une centaine de cas. Une étude en cours
en collaboration avec le coroner en chef du Québec, devrait nous fournir de précieuses
informations quant à l’ampleur de ce phénomène (Séguin et Suissa, 2004). Ces drames, qui
touchent principalement les joueurs dits compulsifs, ont été des facteurs déclencheurs d'un début
de débat de société au Québec où l'ensemble des médias et des experts interpellent le
gouvernement dans ses responsabilités politiques et sociales dans ce dossier. Devant ces
tragédies, qui sont en fait le symptôme d'un malaise social beaucoup plus graves, plusieurs
instances des autorités politiques publiques et économiques se sont prononcées en réitérant leur
volonté de s'attaquer à ce problème complexe. En bref, les propos de ce type de discours peuvent
se résumer comme suit. Le jeu a toujours existé historiquement et le Québec et le Canada ont
décidé, comme tant d'autres gouvernements, d'exercer le contrôle légal et institutionnel sur les
jeux de hasard pour éviter une erreur historique telle qu'avec la prohibition l'alcool et le crime
organisé. Enfin, on reconnaît, mais du bout des lèvres, que certains types de jeu, tels les machines
VLT, produisent le plus grand nombre de joueurs compulsifs, que les chances de gagner sont très
minces et que le jeu dit compulsif relève principalement d'une responsabilité individuelle propre
à la personne ayant développé cette dépendance en question.
Ce constat soulève des questions d’ordre social mais également politique et éthique. En effet, et
dans la mesure où les gouvernements impliqués dans la promotion du jeu utilisent des techniques
de marketing des plus sophistiquées auprès de groupes sociaux, généralement parmi les plus
faibles, sont les mêmes instances qui sont censées protéger les populations et l’intérêt public,
nous assistons alors à un double discours teinté de conflit d'intérêt et à des contradictions
fondamentales qui méritent d’être soulignées. Dans cette perspective, on peut se poser certaines
questions. Jusqu’à quel point les citoyens sont réellement informés des enjeux psychosociaux
entourant le gambling? Sur quelles bases s'appuient les divers gouvernements pour légitimer le
type de discours social actuel? Quels sont les enjeux réels ou non dits entourant ce problème
social complexe?
Face à ces questions de fond, nous proposons de faire un bref tour d’horizon du phénomène des
jeux de hasard. Ne prétendant pas couvrir l'ensemble des facettes, nous nous restreindrons à
effectuer un survol de certains déterminants majeurs au plan historique et social en privilégiant
une analyse psychosociale critique. De cette manière, nous espérons ainsi contribuer à
l’avancement du débat sur cette question complexe que représente le gambling. Pour des raisons
pratiques, le terme anglais gambling est utilisé tel quel dans le texte comme signifiant l'activité
de s'adonner aux jeux de hasard que ce soit les machines vidéo poker, le casino, les diverses
formes de paris ou des loteries.
Que nous apprend l'histoire: quelques repères ?
Le gambling, sous une forme organisée ou pas, légal ou non, a été présent à travers l'histoire de
l'humanité depuis toujours. Certaines études rétrospectives sur le développment du gambling
mentionnent que celui-ci a fait partie de la condition humaine et se retrouve dans le temps inscrit
dans nos premières connaissances du comportement humain (Castellani, 2000; Bybee, 1996;
Rychlak, 1992). Des traces de l'emprise du jeu ont été découvertes dans toutes les cultures et
sociétés. À titre d'exemples, une version première du jeu de la coquille (shell game) a été trouvée
sur un mur d'une voûte de cimetière en Egypte 2500 ans avant notre ère. Des excavations
récentes à Londres ont révélé des vestiges de jeux de dés, vieux de 2000 ans avant Jésus-Christ.
Un siècle avant notre ère, les Chinois jouaient déjà au Kéno, et plusieurs cultures dont les
Hébreux, les Japonais, les Indiens, les Allemands, les Grecs, les Romains ont laissé des preuves à
cet effet.
L'histoire des législations sur le gambling constitue également une source précieuse
d'informations dans la saisie des repères ayant marqué la situation actuelle à travers le monde.
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Selon Preston et al (1998), les gouvernements se sont adonnés à la promotion du jeu ou à sa
prohibition selon des cycles et des fluctuations qui se sont répétés dans le temps et ce, incluant le
vingtième siècle. De la commission de régulation du jeu ayant eu lieu aux Indes en 321 avant
notre ère, aux infrastructures légales modernes de ce début de troisième millénaire, le débat social
sur les jeux de hasard s'avère bel et bien d'actualité.
En Europe, et en France en particulier, les loteries royales sous François 1er en 1539 ont été
appliquées pour financer les dettes de l'État et pour construire des églises sous Louis XIV. En
Angleterre, les décrets de statuts par Charles II en 1661 introduisent des règlements concernant
les fraudes ou l'abus du jeu associé au gambling. Au nom de l'éthique au travail, l'Angleterre
déclara le jeu comme interdit au 19 ième siècle. Selon Munting (1996), les formes populaires de
gambling en Angleterre au 20 ième siècle sont plus marquantes durant la période entre les deux
guerres mondiales, les classes ouvrières y voyant une certaine réponse à leurs conditions
difficiles au plan social et économique. Dans une certaine mesure, des contextes similaires ont eu
lieu en Italie, en Espagne et dans la majeure partie de l'Europe. Il faut toutefois souligner, que si
plusieurs pays Européens étaient déjà familiers avec la présence des casinos, ces derniers étaient
généralement de petite taille, hautement taxés et réservés plutôt à des élites.
En Chine, les fameuses maisons de coutisanes de Shanghai durant le 19 ième et le 20 ième siècle,
ont, jusqu'à un certain point, joué un rôle similaire à celui des Casini en Italie. Fréquentées par les
élites chinoises, principalement masculines et urbaines de l'époque, le gambling y occupait un
rôle prépondérant au plan social. Alors que les maisons de prostitution vivaient avec la vente de
services sexuels, les maisons de courtisanes retiraient la plus grande partie de leurs revenus des
sessions de gambling et de grands banquets (Henriot, 1999).
De l'autre côté de l'Atlantique, et durant les colonies en Amérique du Nord, les divergences entre
les tenants du discours moral visant à dissuader les activités de gambling versus ceux qui
prêchaient le développement économique à travers les jeux de hasard, étaient déjà très
apparentes. Les premières lois et règlements dans le nouveau monde étaient véhiculés par les
Puritains et reflétaient grandement la protection des valeurs sacrées de l'Éthique Protestante. Déjà
en 1660, les parieurs étaient punis durant les colonies et étaient sujets au fouet en public. Ainsi,
on dénoncait le fait que, si quelqu'un était capable de gagner de la richesse sans travailler, la
valeur du travail en serait alors minée. D'une part, le jeu était donc perçu comme un danger et une
source potentielle de désordre social, de l'autre, des accommodements et des exceptions étaient
accordées selon les circonstances et le pouvoir des acteurs sociaux et politiques en présence.
Quant à la légalisation du gambling, ce n'est qu'en 1931 que le jeu est officiellement légalisé à
Las Vegas dans l'État du Nevada. Il faut rappeler que le contexte de la dépression économique de
la fin des années vingt, constituait un facteur important dans le recours au jeu comme une
stratégie de sortie de la crise. Depuis cette date, le modèle du Nevada est devenu la norme à
travers le continent Nord-Américain et le reste du monde dans la mise en place des lois et
règlements visant à implanter des casinos et des espaces de jeux.
En ce qui concerne l'origine de Gamblers Anonymes, c'est en 1957 que deux ex-gamblers fondent
cette organisation à Los Angeles. Comme avec la réalité historique du phénomène de l'alcoolisme
en Amérique du Nord avec Alcooliques Anonymes, ce mouvement d'entraide eut la collaboration
des instances médicales du pays. Cette situation a conduit en 1972 à la formation officielle du
Conseil National du joueur compulsif par Gamblers Anonymes et ce, avec la collaboration du
corps médical, du clergé, des associations d'avocats, etc. C'est dans ce contexte, que la diffusion
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du discours médical associant la dépendance au jeu à une maladie prit son envol pour enfin
l'inscrire en 1980 comme une maladie psychiatrique et une pathologie telle que cela existe de nos
jours avec le DSM IV (manuel statistique et diagnostique des désordres mentaux).
L'ampleur du phénomène: une réalité sociale explosive
Dans le champ du gambling, on peut parler d'un large mouvement réformateur qui s'appuie en
majeure partie sur deux assises. D'une part, il y a le niveau du discours actuel et dominant en
Amérique du Nord qui associe le gambling à une maladie/pathologie, ce qui permet alors de déresponsabiliser, jusqu'à un certain point, les gouvernements, défaillance individuelle oblige. De
l'autre, il y a le processus social et institutionnel de légalisation et de socialisation des jeux de
hasard qui est devenu un instrument majeur de légitimation idéologique pour les politiciens,
l’industrie privée des casinos et plusieurs communautés autochtones en Amérique du Nord. Parmi
ces dernières, certaines n’hésitent pas à parler de succès en termes d’opportunités, de
développement économique et de création d’emplois alors que d’autres y voient une source de
brisure familiale, communautaire, sociale et idenditaire.
En l’espace de quelques décennies, nous assistons à une augmentation sans précédent de l’accès à
des formes légales de gambling dans le continent Nord-Américain. Légitimé comme une activité
de loisir acceptable au plan social, et en réponse à des coupures budgétaires par les
gouvernements fédéraux et à un certain déclin de revenus de taxes au plan provincial, le
processus de légalisation des jeux de hasard s’est mis en branle avec une grande rapidité. Au
Canada, c’est en 1969 qu’une réforme du code criminel permet la légalisation des jeux de hasard
par les provinces. Déjà en 1996, le rapport de congrès national du bien-être social révèlait que
plus de la moitié des Canadiens s’étaient adonnés au jeu occasionnellement avec un nombre
signicatif de personnes sur une base hebdomadaire (National Council on Welfare, 1996).
Selon plusieurs sources, les montants dépensés dans les activités de jeux de hasard au Canada
sillonnaient entre 20 et 30 milliards de dollars, dont 4.6 milliards sous forme de loteries, alors
qu’aux Etats-Unis les montants d’argent légalement investis dans cette industrie depuis vingt ans
ont augmenté de 3000 % (Canadian Foundation on Compulsive Gambling, 1999:12; Peacock,
Day et Peacock, 1999: 7). À titre d’exemple, les Américains ont dépensé la somme de 586.5
milliards de dollars dans les activités de gambling durant l’année 1996 seulement (Pasternak, A,
1997).
En ce qui a trait au domaine de la création d’emplois, cet essor s’est traduit également par une
augmentation de la main d’oeuvre canadienne oeuvrant dans cette industrie qui est passée de
8262 en 1985, à 24.297 douze ans plus tard. Ce contexte, vu comme favorable, a permis
l’ouverture de casinos permanents à l’échelle du pays en Ontario (Windsor, Orillia, Chutes du
Niagara, Gloucester), au Québec (Montréal, Hull, Charlevoix) en Nouvelle Écosse (Halifax et
Sydney), au Manitoba (Winnipeg), en Saskatchewan (Régina) et dans plusieurs communautés
autochtones. Au Québec, et selon Topp et Charpentier (2000), l’exercice financier de Loto
Québec en 1998-1999 montre un nouveau record de chiffre d’affaires de plus de trois milliards de
dollars avec un bénéfice net de 1,2 milliard de dollars pour le trésor public.
S'il y a apparence d’un certain bien-être économique avec l’introduction légale des jeux du
hasard, plusieurs individus, organisations et communautés s’opposent à la multiplication des
casinos, aux loteries de toutes sortes, aux appareils de loterie vidéo et aux machines à sous. Pour
une variété de raisons, qui vont des croyances religieuses aux impacts psychosociaux négatifs
auprès des personnes qui développent des problèmes de dépendance, certains voient dans
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l’étalement des espaces de jeux de hasard une exploitation étatique et privée des plus pauvres, ou
comme dirait Eadington (1995) une « taxe pour les stupides ». D'ailleurs, des enquêtes menées
aux États-Unis depuis une trentaine d'années, montrent que les pauvres investissent un plus grand
pourcentage de leurs revenus dans les loteries et autres jeux que les milieux aisés (Brenner et
Brenner, 1993).
Il y aurait également des conséquences négatives au niveau d’un certain démantèlement des
réseaux communautaires et des liens sociaux et familiaux existants, qui peuvent se traduire par un
nombre de plus en plus élevé de sans-abris ayant eu une trajectoire de joueurs invétérés
(Castellani et al, 1996), de comorbidité psychiatrique et de tentatives de suicide (Black et Moyer,
1998). Les populations de jeunes, de femmes, d'autochtones et des aînés seraient également les
groupes sociaux qui sont les plus touchés par l'augmentation et l'incidence des jeux de hasard
(Mandal et Vander Doelen, 1999; National Council of Welfare, 1996).
De plus, la dépendance mixte au jeu, à l'alcool ou aux drogues en contexte de gambling,
produirait une prévalence qui serait 5 à 10 fois plus élevée dans une population de joueurs
pathologiques en traitement que dans la population en général (Daghestani, Elenz et Crayton,
1996). Dans cette perspective, une étude en Alberta révèle un taux de 63,3 % dalcooliques parmi
les joueurs pathologiques, comparativement à 19% dans le reste de la population et 23,3 % des
individus ayant un problème de jeu sont également toxicomanes, comparativement à 6,3 % au
sein de la population en général (Bland, Newman, Orn et Stebelsky, 1993). L'intensité du jeu
serait également corrélée à l'usage abusif du tabac et à l'état d'ébriété auprès de jeunes adultes
universitaires (Lesieur et al, 1991).
Un autre indicateur important de ce malaise social croissant est celui de l'augmentation
impressionnante des demandes d'aide téléphonique par les citoyens. Au Québec, en 2002-2003,
plus de 17 000 personnes ont eu recours au service téléphonique d'écoute et de référence de
nature anonyme et confidentielle (Jeu : aide et référence, 2003, Chevalier et al., 2003). Il faut
rappeler que ce service est financé par Loto-Québec et ses filiales qui sont organisations
gouvernementales exploitant les activités de jeux de hasard et d'argent..
D'un point de vue économique, il ne fait pas de doute que les jeux de hasard représentent une
occasion d’enrichissement pour des groupes financiers privés qui excellent dans le « marketing
social » et dans la promotion des espaces de jeux présentés comme une occasion unique de
développement économique et touristique. Au plan social et politique, certains voient dans la
situation actuelle un signe de « banqueroute politique », dans la mesure où le débat réel sur une
certaine ambiguité des rôles de l’État n’est pas effectué et ce, en mettant principalement en
veilleuse les dimensions sociales sous-jacentes à ce phénomène. Dans cette optique, une étude de
Govoni et al (1998) sur l’impact des casinos dans la communauté de Windsor en Ontario, révèle
que les problèmes psychosociaux reliés au gambling sont en forte augmentation depuis les deux
dernières décennies. Ainsi, l’augmentation de l’accès aux casinos explique la corrélation d’une
plus grande prévalence de problèmes de dépendance au jeu et de comportements considérés
comme pathologiques. Déjà en 1976, une étude scientifique à l’échelle nationale du phénomène
démontrait qu’à Las Vegas, l’accès généralisé à diverses formes de gambling se traduisait par un
taux de dépendance au jeu qui est était trois fois supérieur à la moyenne nationale (Castellani,
2000).
La conception du phénomène de la dépendance: le cœur du débat
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En termes de diagnostic, rappellons que le premier instrument d'évaluation conçu pour définir le
jeu pathologique auprès des adultes a été le questionnaire de Gamblers Anonymes à la fin des
années 50. Reprenant la logique du questionnaire appliqué par Alcooliques Anonymes, celui du
gambling comportait 20 questions qui vont, du temps et à l'argent accordés au jeu, aux questions
affectives, conjugales, familiales, financières et juridiques. Dernièrement, une tentative de mettre
à jour les instruments de mesure sur une base plus globale a été effectuée par des chercheurs
canadiens sous l'égide du Centre canadien sur lutte à la toxicomanie (Canadian Centre on
Substance Abuse) pour étudier spécifiquement au niveau inter-provincial les problèmes reliés au
gambling (Ferris & Wynne, 2001). Cette démarche s'est traduite par un étalon de mesure
composé de 31 références appelé Indice canadien sur le jeu excessif (ICJE ou le CPGI, Canadian
Problem Gambling Index). Bien que le CPGI constitue un instrument d'évaluation intéressant
pouvant être appliqué dans des recherches futures, il demeure à ce stade-ci, par sa nouveauté
relative, un instrument d'évaluation peu utilisé au plan de la recherche scientifique.
Ceci étant, les études scientifiques portant sur la prévalence du jeu pathologique dans le monde
s'appuient principalement sur deux outils principaux pour évaluer l'ampleur du phénomène, soit
le DSM-IV, la quatrième version du manuel diagnostic et statistique des désordres mentaux tel
que développé par l'Association Américaine de Psychiatrie (Diagnostic and Statistical Manual of
Mental Disorders) et le SOGS (South Oaks Gambling Screen). Ces deux instruments représentent
aujourd'hui les références officielles dans le monde quand on veut évaluer les situations d'abus et
de dépendance dans les activités de jeu. Depuis son inclusion au DSM-IV en 1980, la nouvelle
édition en 1994 introduit certains critères nouveaux appliqués au jeu considéré comme
pathologique. En fait, depuis 1990, neuf instruments pour adultes et trois pour adolescents ont été
élaborés, dont quatre s'appuient sur les critères du DSM-IV. Parmi ceux-ci, il y a celui de Fisher,
le Diagnostic Interview for Gambling Severity, le Diagnostic Interview Schedule et le DSM
Screen for Gambling Problems (Hargreave & Csiernik, 2000:78).
Quant au South Oaks Gambling Screen, cet instrument de dépistage est passé dans sa première
version de 60 à près de 20 questions ou critères. Décrivant le jeu dans un continuum de gravité, la
prévalence est alors mesurée selon le nombre de conditions trouvées chez le patient en question.
Ainsi, 5 conditions et plus correspondent potentiellement à un joueur pathologique, alors que 3
critères désignent un joueur problèmatique. Ceci étant, l'appliquation de l'outil peut différer selon
les milieux, les chercheurs et les contextes différents.
En bref, nous pouvons souligner que les deux instruments officiels que sont le DSM-IV et le
SOGS ne font pas référence à l'abus du jeu en tant que phénomène multifactoriel de dépendance.
Sur ce point, on peut souligner que même si le gambling est un problème psychosocial de plus en
plus reconnu et pouvant affecter des dizaines de milliers de personnes, il n'en demeure pas moins
que les raisons et les motifs dans le choix des trajectoires différeront sensiblement selon la
personnalité du joueur potentiel, son statut social et économique, ses antécédents avec le jeu, son
histoire familiale, la force ou la faiblesse de son réseau et de ses liens sociaux (Suissa, 2000). Dit
autrement, chaque individu et son système familial aura sa dynamique qui lui est propre, autant
dans l'installation et l'adaptation à une situation de dépendance que dans la recherche de
solutions.
De plus, le portrait des activités antérieures de dépendance et ou concomitantes avec les motifs de
la consultation, n'est également pas effectué. Enfin, la dépendance au jeu n'est pas comprise à
l'intérieur d'un continuum, c'est-à-dire le fait qu'on peut avoir des périodes de dépendance au jeu
plus ou moins intenses dans des circonstances différentes et avec des motifs différents. Il est à
remarquer que la grille du SOGS a été élaborée et fondée sur les critères utilisés par l'American
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Psychiatric Association dans le DSM-IV. Même si depuis 1991, la version révisée inclut les
problèmes actuels du joueur, en plus des problèmes couvrant ceux de toute une vie, l'application
de l'outil différera selon les milieux et les contextes différents. Ainsi, certaines provinces au
Canada préférent la grille d'origine, tel le Québec, alors que d'autres, tels l'Ontario et le Manitoba,
optent plus pour la grille révisée (National Council of Welfare, 1996). Dans cette logique, et
même s'il y a des tentatives d'appliquer la grille du SOGS dans des contextes culturels différents,
tel avec les communautés Chinoises (Blaszczynski et al, 1998), Turques (Duvarci et al, 1997) ou
Crêtoises (Malaby, 1999), il n'en demeure pas moins que les valeurs attribuées à l'imprévisibilité,
à l'expérience aléatoire et arbitraire des résultats, s'inscrivent, d'abord et avant tout, dans un cadre
culturel précis avec ses propres repères historiques et sociaux. On peut se questionner alors sur la
validité de ces instruments au plan international, dans la mesure où ils ne tiennent pas compte des
contextes socioculturels et des valeurs qui y sont associées dans les raisons, choix et motifs à
l'usage ou à l'abus au jeu.
Par ailleurs, la recension des écrits à ce sujet révèle une absence de consensus quant aux grilles
de saisie d'un phénomène aussi complexe, ce qui peut expliquer, jusqu'à un certain point, la
nature multifactorielle du gambling. À titre d'illustration, certaines études ont tenté d'établir des
liens entre les facteurs biologiques et de vulnérabilité génétique avec les familles ayant développé
un certain pattern de dépendance aux jeux de hasard et d'argent (Eisen, 1998; Bienvenu, 2000).
Dans ces études, on soutient que devant les mêmes opportunités aux jeux de hasard, certaines
membres des familles sont plus susceptibles, voire plus vulnérables à développer des symptômes
de jeu pathologique que d'autres. À l'opposé, une étude en cours à l'Université de Toronto dirigé
par Tepperman (2002), et portant sur les variances des dynamiques familiales auprès de familles
provenant de six cultures différentes, démontre que les valeurs culturelles des groupes en
question, en rapport à la représentation des jeux de hasard, est un facteur déterminant dans
l'orientation des trajectoires de jeu dans le temps. Parmi les autres facteurs considérés importants
dans l'influence du gambling sur ces familles et leurs membres de ces communautés,
mentionnons la pratique du jeu chez les parents (parental modeling), le niveau de pauvreté et
d'ennui, le niveau de désirabilité ou d'indésirabilité sociale dans la culture en question, etc.
Le manque d'entendement sur le concept de dépendance dans la définition et l'évaluation des
toxicomanies en général, influe, jusqu'à un certain point, sur les études de prévalence dans le
champ du gambling. Ainsi, certaines études Canadiennes soutiennent que le taux de participation
des adultes à des activités de jeux de hasard entre 1994 et 1998 a diminué et que le pourcentage
de joueurs compulsifs suit la même tendance passant de 5.4% à 4.8% (Alberta Alcohol and Drug
Commission, 1994, 1998). Toujours en Alberta, et retenant le SOGS comme outil de mesure, les
résultats des études antérieures du National Council on Gambling (1996) et de Ladouceur (1996),
montrent, au contraire, que cette province a le plus haut taux de joueurs considérés
problèmatiques (4%) et de pathologiques (1.4%), ce qui fait une moyenne de 5.4%, soit la plus
élevée du pays.
Comment interpréter alors ces résultats alors que le taux de prévalence de joueurs compulsifs se
recrute justement auprès des personnes ayant développé des problèmes psychosociaux de
dépendance au jeu. À cette question, les études de Govoni (Govoni et al, 1998) illustrent assez
bien ce constat apparemment contradictoire, soit que le nombre de joueurs ayant des problèmes
augmente en corrélation avec la multiplication des accès au jeu. Ainsi, le taux de la population
adulte ayant joué avant l'ouverture du casino est passé de 66% à 82% après son ouverture. Dans
la même lignée, l'étude de Room, Turner et Ialomiteau (1998) dans la région de Niagara en
Ontario confirme la même tendance, soit une augmentation du nombre de joueurs compulsifs et
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de nouveaux problèmes sociaux dûs principalement à l'augmentation de l'accès aux casinos. Un
autre paradoxe qu'on retrouve dans cette étude est que 75% des résidents de Niagara sont en
faveur du maintien des casinos et ce, même s'ils savent que cela génère des problèmes sociaux
dans leur communauté. Il en est de même avec le dernier référendum en mai 2001 au Nouveau
Brunswick où la population a décidé avec une très légère marge (53% contre 47%) pour la
préservation des machines VLT dans la province.
En ce qui concerne les jeunes, les études effectuées autant au Canada qu'aux États Unis révèlent
qu'entre 9.9% et 14.2% des populations adolescentes expérimentent certains symptômes de
problèmes liés au gambling, comparativement à 4.4% et 7.40% qui rencontrent les critères du
gambling pathologique (Peacok, R; Day, P et Peacock, T, 1999; Cupta et Derevensky, 1998). Au
Canada, et selon le rapport du National Council of Welfare (1996), les études démontrent que les
joueurs compulsifs et pathologiques sont plus susceptibles de commencer plus jeunes que les
joueurs non compulsifs. Parmi ces études, celles menées en Nouvelle-Écosse, au Québec, en
Ontario et en Alberta illustrent bien le taux de jeu pathologique et compulsif plus élevé chez les
jeunes que chez la population adulte. Au Québec, une étude sur le gambling auprès des jeunes
révèle un taux alarmant de prévalence soit entre 4 et 8% avec un autre 10 à 15 % de risque pour
des problèmes considérés comme sérieux (Gupta et Derevensky, 1998). Cette tendance est
confirmée par plusieurs autres études de Ladouceur, Vitaro et Arsenault (1998) où les taux de
prévalence observés sont plus élevés que chez les adultes et seraient également reliés à une
consommation abusive de psychotropes.
En résumé, et bien que ces instruments d'évaluation puissent nous fournir certaines informations
utiles pour comprendre la situation personnelle du client en question, celui-ci est souvent seul
quand il remplit le questionnaire et il n'y a pas de questions portant sur le contexte familial alors
que celui-ci est un marqueur important dans la dynamique de l'installation, la continuité ou la
cessation de l'activité du gambling. De plus, la dépendance au jeu n'est pas comprise à l'intérieur
d'un continuum, c'est-à-dire le fait qu'on peut avoir des périodes de dépendance au jeu plus ou
moins intenses dans des circonstances différentes et avec des motifs différents.
À la lumière de ces propos, nous pouvons donc souligner que le concept de dépendance est luimême l'objet d'un débat scientifique et social de grande importance, car il n'y a pas d'entendement
entre les scientifiques, les divers intervenants, les instances gouvernementales, corporatistes ou
professionnelles. Quand on tient compte minimalement des conditions qui permettent la
désignation d'une condition comme étant une pathologie ou une maladie, on réalise que celles-ci
changent considérablement selon les acteurs sociaux et les intérêts de pouvoir en présence, les
contextes historiques culturels et sociaux (Suissa, 1998; Room, 1995; Peele, 1991). Dans cette
optique, la dépendance au jeu ne peut être réduite à un désordre individuel de nature intrapsychique, pathologique ou compulsive, elle relève plutôt d'un phénomène psychosocial
complexe et donc d'une réalité sociale construite et multifactorielle.
L'individualisme comme argument du discours de la pathologie
Un des concepts sur lequel repose le discours qui permet d'associer la dépendance au jeu à une
pathologie est la valeur même de l'individualisme qui est véhiculée dans le champ du gambling.
Selon Dekker (1997), le cadre qui permet de légitimer le discours de la pathologie du gambling
peut se résumer à la scission de la réalité de ce phénomène en deux catégories: la ″majorité
sociale″ qui peut jouer sans développer de dépendance ou les joueurs dits sociaux et ″la minorité
des ″quelques pathologiques″ minoritaires ou les joueurs dits compulsifs. Cette conception de la
réalité est à comprendre comme un construit social qui a des implications directes pour l'industrie
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des jeux de hasard et d'argent. En appliquant cette grille de lecture, nous assistons à au moins
deux dérapages épistémologiques visant à effacer toute trace de responsabilité de la part de
l'industrie.
En premier lieu, et une fois ce cadre appliqué avec succès, nous assistons à une rupture qui
permet de légitimer la pathologisation du joueur ayant développé une dépendance. Celui-ci est
alors compris comme existant à l'extérieur des structures de l'industrie plutôt que le résultat de
l'interaction entre l'environnement des espaces de jeu et le monde social des joueurs. En
deuxième lieu, le joueur dépendant est une personne ″malade″ et donc l'industrie ne peut porter le
blâme ni être responsable des problèmes psychosociaux associés à cette condition de malade.
Parmi les autres facteurs visant à promouvoir la valeur absolue de l'individualisme dans le
discours sur le gamblins, mentionnons celle de la liberté de choix. À cet effet, soulignons le fait
que la liberté de choix est d'abord un concept de nature abstraite dans la mesure où les choix sont
d'abord et avant tout influencés, et jusqu'à un certain point déterminés, par les forces sociales et
les acteurs en présence. Cette question est importante, car l'industrie véhicule l'idée que les
personnes sont libres de choisir alors que l'exercice même du choix repose sur l'accès à des
informations pertinentes dans le processus de décision des citoyens et des comportements sociaux
inhérents à ces mêmes choix. Or la réalité est toute autre. Combien de citoyens ont accès
réellement aux informations sur les moyens privilégiés par l'industrie du gambling dont le but
premier est l'augmentation des profits? Peut-on parler de liberté de choix quand l'information
nécessaire à justement être capable de faire des choix éclairés est confinée dans des tours à
bureaux avec les secrets les plus gardés.
Cette pratique de ce type de corporations s'apparente fortement à celle de l'industrie
pharmaceutique où les ″secrets corporatistes″ s'appuient sur des aménagements et des modes de
gestion qui sont de moins en moins accessibles aux citoyens. Espaces clôturés et bien gardés au
plan physique, ces centres administratifs, de recherche et de décision pour ces types de
corporation vivent généralement en vase clos par rapport à la population sociale ambiante et ce,
afin de légitimer ce que Michel Foucault nommait le pouvoir/savoir comme moyen idéologique
de domination dans les rapports sociaux. Certains nommeront ce type de pratique comme
relevant de la théorie du rationalisme économique à savoir que la logique du ″laissez-faire″ est ce
qui permet la prospérité économique pour l'ensemble des citoyens. Or, la réalité sociale et
économique est, au contraire, à l'opposé de cette théorie. Il y a de plus en plus de disparités entre
les riches et les pauvres allant, dans certains cas, jusqu'à menacer la paix sociale dans plusieurs
pays et continents. L'industrie du gambling est l'exemple par excellence de ce corporatisme où les
politiques s'appuient principalement sur le rationalisme économique.
Toujours au plan du discours qui s'appuie sur l'individualisme dans le champ du gambling, nous
pouvons également mentionner les recherches visant à étudier les ″victimes″ de notre société ce
qui permet de déplacer l'emphase et l'attention des causes plus structurelles de ce type de
problème social. Ce type de recherche, bien que très utile dans l'accès à des meilleures
connaissances sur les joueurs et leur style de vie, se traduit en bonne partie par une
conception/définition des personnes ″victimes″ comme souffrant de déficits personnels et des
théories principalement nourries par la pathologie individuelle. En parallèle, les structures
sociales de l'industrie du gambling prennent alors la route de la ″normalisation sociale″ dans le
but de devenir de plus en plus socialement acceptables, légitimes et parfois même désirables. En
fait, la conception même de l'individualisme repose sur une philosophie qui voit l'individu
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comme une entité séparée et séparable de son contexte social tout en lui accordant des droits
reconnus au plan légal pour faire reconnaître ses différences. Ce processus, appelé également
individuation, s'appuie sur les caractéristiques individuelles comprises comme innées et sont donc
à comprendre comme étant indépendantes des structures sociales.
Dans cette logique, le regard psychanalytique envers la dépendance aux jeux de hasard s'inscrit
également dans cette perspective intrapsychique et individuelle. L'argent n'étant pas un objet
comme les autres, Gardaz (1997) nous invite à nous pencher sur le gambling à partir d'une grille
qui voit l'argent comme un support de désirs, de préceptes moraux, de sources de tracas et de
malaises. Selon cet auteur, ce type de conduites humaines peut s'expliquer à partir de ce qu'il
appelle une pulsion irrépressible dans le rapport profond que toute personne entretient avec
l'argent. Du narcissisme au désir inconscient, la relation excessive à l'argent passerait par ces
canaux afin de répondre aux besoins du moi personnel. Bien que cette grille puisse nous éclairer
sur les motifs plus ″refoulés″ ou inconscients des personnes dans leur rapport aux jeux de hasard,
cette façon de voir l'être humain s'avère bien incomplète, car on ne peut dissocier le processus
d'individuation de celui de la socialisation, ceci étant le ciment dans le développement de toute
personnalité psychosociale (Suissa, 2000).
Vu dans un vacuum, on peut mieux saisir l'individu gambler qui est compris comme incapable de
passer à travers certains obstacles dans des situations données, individualisme oblige. Véhiculer
dans le discours politique actuel que l'incidence de la dépendance au gambling est de 2%, par
exemple, relève plus d'un mythe car il y aurait près de 10 à 15 proches qui sont affectés dans les
dynamiques familiales avec des difficultés reliées au gambling. Cette approche visant à
minimiser les dégâts issus de la prolifération de l'industrie du jeu s'inscrit dans une tentative de
légitimer sur une base continue un discours corporatiste où l'agenda n'est pas le développement et
le bien-être des citoyens mais plutôt l'enrichissement des actionnaires privés et de plus en plus de
gouvernements qui travaillent conjointement avec l'industrie privée des jeux de hasard.
Conclusion et perspectives
À la lumière de cette brève esquisse, nous remarquons que les taux de prévalence sont, toute
proportion gardée, de plus en plus élevés dans le temps et le sont en corrélation avec le nombre
d'années d'exposition dans les communautés respectives, à savoir, plus il y a accès aux jeux du
hasard, plus l'incidence augmente. Nous remarquons également que, malgré le nombre
impressionnant de recherches sur le gambling, le regard dominant envers cette condition passe
principalement par la pathologie tout en mettant en veilleuse les facteurs macro-contextuels
explicatifs de nature politique, historique, culturelle et psychosociale dans la construction d'un tel
discours. Cette définition est jusqu'à nos jours la version dominante dans la saisie du phénomène
du gambling. Nous observons également que les modes d'usage du gambling et de sa conception
varient dans le temps, celles-ci renvoyant à des réactions sociales dans l'espace public qui
différent selon les acteurs sociaux en présence, les classes sociales, le contexte économique,
historique et politique. Sous cet angle, peut-on penser le gambling comme un problème social qui
se construit dans le temps plutôt qu'une pathologie de nature individuelle? (Suissa, 2003; Suissa,
2001)
Nous remarquons également que, malgré le nombre impressionnant de recherches sur le
gambling, le regard dominant envers cette condition passe principalement par la pathologie tout
en mettant en veilleuse les facteurs macro contextuels explicatifs de nature politique, historique,
culturelle et psychosociale dans la construction d'un tel discours. Les théories dominantes dans le
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champ du gambling s'appuient principalement sur une version pathologique et déficitaire des
individus avec comme valeur centrale et grandissante l'individualisme. Cette façon de voir le
monde du gambling est jusqu'à nos jours la version dominante dans la saisie de ce phénomène.
Nous observons également que les modes d'usage du gambling et de sa conception varient dans le
temps, celles-ci renvoyant à des réactions sociales dans l'espace public qui différent selon les
acteurs sociaux en présence, les classes sociales, le contexte économique, historique et politique.
Sous cet angle, peut-on penser le gambling comme un problème social qui se construit dans le
temps plutôt qu'une pathologie ou une maladie.
En conclusion, on peut dire que l'État se désengage d'une part de ses responsabilités dans la
mesure où il présente ce problème social complexe comme relevant d'une défaillance plus
individuelle que collective alors qu'il est le principal maître d'œuvre des casinos et des divers
espaces de jeu. Tant et aussi longtemps que le débat sur ces aspects n'est pas effectué, nous
continuerons à produire de plus en plus de joueurs dits compulsifs, assister à des drames de
suicide, de violence familiale, de sans-abris, etc.On ne peut concilier à long terme le double
standard et l'ambiguité des rôles des gouvernements, à savoir de promoteur du jeu avec celui de
protecteur des citoyens au plan public, car cela constitue un obstacle majeur à une mise en place
d'une politique efficace socialement acceptable et légitime au plan éthique.
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