Livret A & Gambling : la Commission Européenne invite la France à “ jouer le jeu “ et à respecter les logiques communautaires Épargne & Jeu par JP Georges. MARTIGNONI-HUTIN Sociologue La récente demande de la Commission Européenne à la France sur la “ libéralisation, banalisation1, modernisation” du livret A, à laquelle le quotidien économique Les Échos a consacré un éditorial2 , invite à souligner trois parallèles qui existent entre l’épargne et les jeux d’argent. 1/ Le premier concerne les corrélations qui existent entre l’épargne et les jeux de hasard. Les analyses secondaires des chiffres Insee que nous avons effectuées sur une longue période ( 1976 – 1996) montre globalement que les régions françaises qui épargnent le plus jouent le moins et inversement. Deux « figures » régionales sont emblématiques de cette corrélation. La Corse, qui est la région la plus “ flambeuse ” et la moins “ fourmi ”. L’Auvergne de son côté est la moins dispendieuse en matière de gambling, mais arrive en tête des régions “bas de laine ”. On notera au passage ( sans que ce soit irrévérencieux pour les Auvergnats... et surtout pour les Corses) que l’analyse sociologique et le constat géostatistique rejoignent ici le « sens commun », ce « bon sens populaire » que la pensée unique a trop souvent tendance à jeter aux orties par soucis du politiquement correct, sans vérifications statistiques préalables. De manière plus conjoncturelle il serait pertinent de vérifier si la baisse du taux d’épargne3 de nos concitoyens ( il est passé de 16,9 % à 15% de 2002 à 20054) mesurée récemment par l’Observatoire de l’Epargne Européenne ( OEE) n’est pas à mettre en relation avec « l’inflation ludique » constatée sur la même période. 2/ Le deuxième concerne les similitudes du protectionnisme et de l’immobilisme dont fait preuve la France dans ces deux dossiers. D’un côté elle fige le marché hexagonal de l’épargne, d’un autre elle fait feu de tout bois depuis quelques mois pour préserver bec et ongle le monopole ( terrestre et virtuel) de la Française des jeux et du P.M.U.. 3/Le troisième – ironie de l’Histoire – concerne l’origine du livret A. Il a été crée en 1818 par Louis XVIII pour – notamment – inciter les Français à renoncer à l’alcool...et au jeu. Confer le dossier des Echos : « Bruxelles demande la banalisation du Livret A » ( Les Echos de la 10 mai 2007, p.31) 2 “ Livret A : le cadeau empoisonné de Bruxelles à Nicolas Sarkozy “ par Pierre Angel Gay ( Les Echos du 10 Mai 2007, p. 14) 3 le taux d’épargne est la part du revenu disponible qui n’est pas consommé 4 Confer Véronique Le Billon : « Les Français ne sont plus les premiers épargnants d’Europe « ( Les Echos du 11,12 Mai 2007, p. 17) 1 1 Le nouveau Président de la République, qui connaît bien certains dossiers de l’économie des jeux ( en tant que Ministre de l’Intérieur il a traité avec rapidité celui des casinos) et qui n’est certainement pas insensible à celui de l’épargne populaire et du logement social, aura certainement à cœur de trouver des solutions acceptables, logiques, réalistes et rationnelles sur ces deux dossiers. * En ce qui concerne les jeux, laïc, on l’imagine mal réactualiser une morale méta religieuse ( “ tu ne joueras point, tu épargneras ”) afin de restreindre l’appétit des Français pour les jeux de hasard, tout en favorisant leur épargne. Lui reste l’opportunité de suivre les deux principales recommandations conclusives du rapport Trucy5 sur l’économie du hasard : - créer une Haute Autorité de régulation du gambling, pour moderniser le secteur des jeux d’argent avec équité et permettre l’arrivée de nouveaux entrants ( et donc de nouvelles recettes fiscales) sans attenter pour autant à l’ordre public - installer un organisme de recherche gambling - scientifique et indépendant - pour mesurer et comprendre l’ensemble des raisons ( sociales, économiques, financières, biographiques...) qui explique que « certains » de nos concitoyens engagent (avec une belle constance) leur argent dans des “ placements ” aléatoires ( loteries, courses et casinos) , parfois certainement au détriment de leur épargne de précaution et du placement de “ père de famille ” que représente le livret A. Car les premières décisions prises en faveur du jeu pathologique apparaissent plus : comme : des mesurettes prises dans l’urgence, une campagne stratégique de communication orchestrée ( notamment par la Française des Jeux et Bercy) destinée à amadouer la Commission Européenne et à préserver le monopole6 des deux opérateurs historiques ( FDJ7 & PMU8 ; que comme une véritable Politique Des Jeux responsable, informée par des recherches scientifiques et expertises préalables. L’histoire des jeux de hasard, la sociologie et la géographie des jeux d’argent contemporains indiquent d’évidence que le gambling ( y compris certainement dans sa dimension excessive) est un fait social, économique et financier ; une pratique culturelle, avant d’être un problème de santé mentale, comme voudraient nous le faire croire ceux qui espèrent exploiter le « business du jeu compulsif » * En ce qui concerne le livret A, Nicolas Sarkozy aura certainement à cœur de le moderniser, sans remettre en cause – bien au contraire - le nécessaire financement du logement social. Car après tout la demande de la Commission Européenne en matière d’épargne n’a rien d’extravagantes. Il est dans “ la logique des choses européennes ” et dans celle du respect du droit communautaire que les bénéficiaires du monopole de l’épargne administrée ( Banque Postale, Caisses d’Épargne, Crédit Mutuel) acceptent de “ partager le gâteau ” (115,2 milliards en 2006) à partir du moment où elles sont devenues des banques universelles de plus en plus performantes, qui - à juste titre François Trucy : « L’évolution des jeux de hasard et d’argent : le modèle français à l’épreuve « ( Rapport d’information du Sénat n° 58, 2006-2007, 361 p) 6 Confer notre article dans le quotidien économique La Tribune : JPG. Martignoni-Hutin : « Jeux, monopole et responsabilité « ( La Tribune du 15 Mai 2007, p. 35) 7 confer l’article du PDG de la Française des jeux : Christophe Blanchard Dignac« L’heure du choix pour l’Europe des jeux « ( La Tribune du 18 janvier 2007, p. 31) ou il conteste les orientations de la commission européenne et défend de manière très contradictoire le monopole de la FDJ 8 De la même manière Bertrand Bélinguier ( Président du PMU) pratique le catastrophisme pour s’opposer à Bruxelles et à la libre concurrence et préserver son monopole ( « La libéralisation conduira à la crise « interview de B. Bélinguier dans Les Echos du 1,2 Juin 2007, p. 13) 5 2 concurrencent le secteur bancaire traditionnel. De la même manière en ce qui concerne l’économie du hasard, la demande de la Commission ( même si elle prend la forme d’une « mise en demeure9 ») n’a rien de scandaleux Il est dans la logique des choses européennes et dans celle de la directive des services, que les opérateurs ludiques historiques acceptent de partager « la poule aux œufs d’or » (37 milliards d’euros en 2006) à partir du moment où ils sont devenus des entreprises commerciales comme les autres et qu’ils continuent de se développer ( au niveau national et international, terrestre et virtuel) sur le marché du gambling. JP G. Martignoni-Hutin Sociologue ( Université Lyon II) Pdt de l’Observatoire Des Jeux Lyon ( France) 6 juin 2007) Le commissaire chargé du marché intérieur Charlie Mc Creevy a lancé en 2006 une série d’infractions à l’encontre de Etats européens dont la France, car il considère le monopole des loteries injustifiées. Le 27 juin 2007, il passera à la 2° étape de la procédure d'infraction ( Confer : Karl de Meyer : « Paris sportifs : code de bonne conduite pour les loteries européennes « ( Les Echos du 30 Mai 2007) 9 3