Ces quatre parties : l’exorde, la présentation des faits, la discussion et, pour conclure, la péroraison, constitueront
après Corax une des normes centrales du discours rhétorique. Cette technique de prise de parole constituera la base
future de toute exposition réfléchie des arguments. Tout discours doit commencer par une adresse au juge,
l’« exorde », destinée à préparer le public et à le sensibiliser aux arguments qui allaient suivre, et devait être clos par
une « péroraison » qui frappait l’esprit des participants. Entre ces deux parties du discours, les faits étaient d’abord
exposés dans une « narration », puis discutés dans une partie nommée « confirmation ». La « narration », qui
implique de présenter certains faits « comme ils sont », est sans doute l’ancêtre de la description.
Corax ne se contente pas de proposer un plan, il systématise des modes de raisonnements argumentatifs types. Il
invente le tout premier d’entre eux, le « corax », qui consiste à soutenir qu’une personne n’a pas pu commettre un
acte car elle était trop visiblement en position de le faire.
On voit que cette première rhétorique se préoccupe surtout d’efficacité, d’abord judiciaire, ensuite politique. La
question est alors de savoir ce qui est jugé convaincant par un tel public (celui des citoyens grecs, puis, plus tard,
romains). De nombreuses discussions, mettant aux prises les philosophes de l’époque, vont tourner autour de cette
question, toujours actuelle (voir par exemple, Desbordes, 1996). Suffit-il, pour qu’il soit convaincant, qu’un discours
soit bien ordonné, bien scandé, utilise des formules poétiques et bien tournées, comme ceux de Gorgias, que Platon
critiquera pour cela?
Faut-il, pour convaincre, faire appel principalement aux sentiments, aux passions, comme le soutient Trasymaque qui
compose dans ce sens un « manuel de pathétique »? Faut-il soutenir, comme Isocrate, que l’apprentissage mécanique
des lieux et la grandiloquence sont à rejeter et que la rhétorique n’est acceptable qu’au service de causes honnêtes et
nobles ? Faut-il rejeter ces méthodes, comme le souhaite Socrate, si elles n’ont pas d’abord pour but la recherche de
la vérité?
L’apport d‘Aristote
L’un des élèves de Platon, Aristote (384-322 avant J.-C.), qui sera aussi précepteur d’Alexandre le Grand, définira la
rhétorique non plus comme un pur outil de pouvoir par la persuasion, mais comme l’art de « découvrir tout ce qu’un
cas donné comporte de persuasif ». La rhétorique d’Aristote se présente comme une pratique très souple, qui tient
compte des circonstances. Ce qui compte avant tout chez un orateur, c’est sa capacité à faire face en toute occasion et
à adapter son discours au contexte.
La rhétorique d’Aristote propose d’appuyer l’exercice de la parole sur une théorie du raisonnement, plutôt que sur
une pratique des passions: les « technologues », nous dit-il, consacrent la majeure partie de leurs traités aux questions
extérieures à ce qui en est le sujet en utilisant, pour émouvoir le juge, « la suspicion, la pitié, la colère et autres
passions de l’âme » [Rhétorique, Livre I, 1, 1354a], sans recourir à des « preuves techniques ». Si on généralisait la