Réseau thématique 6 « Politiques sociales, protection sociale, solidarités » Premier Congrès de l’AFS – Paris, 24 au 27 février 2004 INDIVIDUALISATION DES DROITS SOCIAUX ----------------------------------------------------EVOLUTION DES SYSTEMES NATIONAUX ET CONSTRUCTION DU MODELE SOCIAL EUROPEEN Nicole KERSCHEN, chercheur CNRS1 IRERP UMR N°7029 - Université Paris X Ce papier prend appui sur mes précédents travaux sur l’individualisation des droits sociaux (cf. bibliographie) et sur la recherche en cours dans le cadre du réseau européen SPECIAL “Social Protection in Europe. Convergence? Integration, Accession and the Free Movement of Labour” financé par la Communauté européenne dans le cadre du 5 e Programme-cadre (2001-2004) – Programme de recherche « Amélioration de la base de connaissances socio-économiques ». Le thème de « l’individualisation des droits sociaux » a fait l’objet du Séminaire de Paris, qui s’est déroulé, sous ma direction, à l’Université de Paris X, les 20 et 21 novembre 2003. Ont collaboré à ce Séminaire des chercheurs, membres de SPECIAL, originaires des pays suivants : Bulgarie, Finlande, France, Hongrie, Luxembourg, Pologne et Slovénie 2. Des rapports nationaux sont actuellement en cours de rédaction. Une synthèse donnera ensuite lieu à un chapitre sur « L’individualisation des droits sociaux » dans un ouvrage collectif publié par SPECIAL. L’individualisation des droits en matière de protection sociale a fait son apparition dans la Communication de la Commission européenne du 12 mars 1997, intitulée « Moderniser et améliorer la protection sociale dans l’Union européenne »3. Il s’agit du passage des droits dérivés aux droits propres. Dans le modèle des assurances sociales (modèle de Bismarck), les travailleurs sont assurés contre les risques sociaux4, qui les empêchent d’exercer une activité professionnelle pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Ce modèle est fondé sur une représentation traditionnelle du mariage et de la famille avec une répartition des rôles, l’homme constituant « le gagne-pain » et la femme s’occupant de l’éducation des enfants et des tâches domestiques. A l’origine, seuls les travailleurs étaient assurés et bénéficiaient de droits financés par des cotisations prélevées sur les revenus d’activité. Par la suite, certains droits ont été étendus aux membres de la famille sans contribution additionnelle de la part du travailleur. Les assurances 1 Email : [email protected] ou [email protected]. Krasimira SREDKOVA, Université Kliment Ochridski de Sofia, Faculté de Droit, Bulgarie [email protected]; Maija SAKSLIN, Université d’Helsinki, Institut de droit économique international, Finlande - [email protected]; Irène POLITIS, Centre de recherche de droit social, Université Paris I, Sciences juridiques, France - [email protected]; Jozsef HAJDU, Université de Szeged, Faculté de Droit, Hongrie ([email protected]); Nicole KERSCHEN, IRERP, Université Paris X, Sciences juridiques, coordinateur et responsable pour le Luxembourg - [email protected]; Zofia RUTKOWSKA et Gertruda USCINSKA, Institut d’Etudes sur le Travail et les Affaires Sociales, Département de droit du travail et de la sécurité sociale, Pologne - [email protected] ou [email protected]; Anjuta BUBNOV, Université de Ljubljana, Faculté de Droit, Slovénie - [email protected]. 3 Communication du 12 mars 1997, COM [1997] 102. 4 A l’origine, il s’agissait des accidents du travail, de la maladie, de l’invalidité et de la vieillesse. Plus tard, le chômage a été ajouté. Dans les 15 dernières années, la dépendance a été reconnue, dans un certain nombre de pays, comme un nouveau risque social. 2 sociales offrent des droits propres au travailleur et des droits dérivés à la famille, en principe au conjoint et aux enfants. Les femmes mariées n’exerçant aucune activité professionnelle bénéficient donc d’une couverture sociale par ce biais. Pourquoi faut-il, quelques 120 ans après la création du modèle des assurances sociales, renoncer aux droits dérivés et procéder à une individualisation des droits sociaux ? Des courants de pensée pour l’individualisation des droits sociaux Deux courants de pensée plaident pour cette individualisation : d’une part, des féministes revendiquant l’émancipation des femmes sur le terrain économique et social et, d’autre part, des économistes, dénonçant le coût financier de la nonindividualisation des droits sociaux. Le premier courant se prononce pour une indépendance économique de la femme au sein du couple, dans le rapport à l’homme, allant de pair avec sa position sur le marché du travail et l’autonomie financière, qui s’en est suivie. L’individualisation signifie que deux adultes placés dans une relation maritale ou quasi-maritale ne doivent plus être considérés comme étant dépendants l’un de l’autre ou interdépendants, mais doivent être traités comme des individus financièrement indépendants, responsables de leur propre survie matérielle (Luckhaus 1994). En terme de protection sociale, l’individualisation postule que chaque adulte devrait pouvoir bénéficier de droits propres, d’un niveau suffisamment élevé pour pouvoir mener une vie autonome et sans aucune référence au statut marital ou quasi-marital. Plus largement, cette approche s’inscrit dans une tendance vers une plus grande autonomie de l’individu, qui dépasse la stricte question du genre et à laquelle on peut également raccrocher l’émergence « des droits de l’enfant ». Le second courant formule une critique interne des systèmes de protection sociale. La non-individualisation des droits sociaux, qui se traduit par l’attribution de droits gratuits à une partie de la population, fait aujourd’hui peser d’importantes contraintes économiques sur les systèmes de protection sociale en Europe. L’individualisation signifierait l’abolition de tous les droits dérivés fondés sur la relation de famille, de mariage ou de cohabitation et leur remplacement par des droits propres basés sur des contributions (Meulders et alii 1997). Elle s’inscrit dans une problématique plus large, qui tend à rendre les systèmes de protection sociale plus contributifs, à agréger droits et contributions. Cette approche articule protection sociale et emploi et prône une participation accrue des personnes en âge de travailler à l’activité économique. Elle vise plus particulièrement les femmes et poursuit, en fin de compte, le même but que le premier courant, à savoir l’émancipation de l’individu. La position de la Commission L’approche de la Commission est à la fois économique et sociale. Le thème de l’individualisation des droits sociaux s’intègre dans une réflexion d’ensemble sur l’avenir de la protection sociale en Europe et sur les moyens de consolider la protection sociale comme un trait distinctif du modèle social européen. La promotion d’un haut niveau de protection sociale figure parmi les objectifs sociaux définis dans l’article 2 du Traité de l’Union européenne. Pour la Commission, le principal enjeu de la modernisation de la protection sociale réside dans la garantie de la viabilité financière des systèmes. Cette viabilité dépendra de la capacité de la société européenne à créer des emplois pour une partie croissante de la population. L'augmentation du taux d'emploi en Europe a pour objectif de garantir un haut niveau de protection sociale. Mais la modernisation de la protection sociale est aussi considérée comme un des moyens pour atteindre un haut niveau d'emploi dans l'Union européenne. L'emploi doit être au service de la protection sociale et, en retour, la protection sociale doit être au service de l’emploi. C’est sous cet angle, que la Communication aborde l’individualisation des droits sociaux dans la réflexion sur « le nouvel équilibre entre les sexes ». Une triple argumentation La Commission prend d’abord acte de la participation accrue des femmes au marché du travail et elle déclare qu’il s’agit d’un phénomène irréversible, qui continuera à augmenter5. Elle justifie ensuite sa position d’une individualisation des droits en abordant trois problèmes, qu’elle considère comme « majeurs »: l’insécurité des droits dérivés, la désincitation au travail, l’injustice sociale des pensions. - l’insécurité des droits dérivés Pour la Commission, les droits dérivés instituent une dépendance entre le travailleur assuré et le bénéficiaire des droits dérivés. En cas de rupture de la relation, ce dernier perd ses droits sociaux. De plus, dans de nombreux pays, seuls les épouses et les enfants peuvent bénéficier de droits dérivés, alors que la composition des ménages, les types de famille et les formes de cohabitation changent et appellent de nouvelles réponses. Cette approche plutôt pragmatique vient conforter le courant féministe. - la désincitation au travail Pour la Commission, l’individualisation doit s’inscrire également dans une problématique d’augmentation de la participation des femmes en âge de travailler au marché du travail. Aussi dénonce-t-elle les droits dérivés, qui dissuadent les femmes à se présenter sur le marché du travail et qui les incitent à travailler dans l'économie informelle, sans couverture sociale propre. Cette approche articule emploi et protection sociale. Mais elle prend également appui sur l’indépendance économique des femmes, car elle dénonce le fait que leur travail ne soit pas considéré comme un moyen indépendant de gagner leur vie, mais plutôt comme un complément au budget familial. - l’injustice sociale des pensions Lors du Conseil européen de Lisbonne en mars 2000, les 15 Etats membres se sont mis d’accord pour progresser vers « le plein emploi » en adoptant un objectif quantifié en termes de taux d’emploi global, qui doit être porté de 61% en 2000 à 70% en 2010, et en termes de taux d’emploi des femmes, qui doit être porté de 51% en 2000 à 60% en 2010. 5 Pour la Commission, la comparaison des droits propres et des droits dérivés des femmes, en matière de pension, révèle une profonde injustice entre celles, qui ont exercé une activité professionnelle et celles qui, conformément au modèle familial traditionnel, se sont occupées de l’éducation des enfants et des tâches domestiques. Plusieurs arguments complémentaires sont avancés. Les droits dérivés sont accordés gratuitement sans contrepartie en terme de cotisation sociale. Les pensions versées au conjoint survivant sont calculées sur la base de la carrière du conjoint décédé, de son revenu antérieur et des cotisations prélevées. Ainsi, des femmes n’ayant jamais travaillé peuvent recevoir une pension de survie plus élevée que celle des femmes ayant travaillé toute leur vie pour une rémunération plus faible. Cette situation est due au fait, que, dans le modèle des assurances sociales, les pensions reflètent les inégalités du marché du travail. Or, les rémunérations des femmes sont de 25 à 30% inférieures aux rémunérations des hommes. D’après la Commission, le système actuel génère, au sein de la redistribution sociale, une inégalité flagrante: il favorise les femmes mariées sans emploi au dépens des femmes ayant exercé une activité professionnelle. Il faut donc le réformer en profondeur et passer à une individualisation des droits sociaux en matière de pension. Pour une individualisation progressive et différenciée A partir de l'identification de ces trois problèmes, la Commission plaide pour une individualisation progressive des droits visant à mettre un terme à la pratique, qui consiste à tenir compte des liens familiaux pour assurer la protection sociale d'un individu. Elle préconise un alignement de la protection sociale sur la législation régissant le contrat de travail, laquelle considère "les travailleurs comme des individus". Elle note que l'individualisation des droits est "conforme à la tendance générale vers une plus grande autonomie de l'individu". Elle précise enfin que l'individualisation dépasse les questions de sexe et qu'elle concerne aussi les relations entre parent(s) et enfant(s), "à la lumière des nouveaux modèles familiaux". Pour la Commission, toute individualisation des droits en matière de protection sociale doit passer par plusieurs étapes, afin d’éviter une détérioration de certaines situations. Les Etats membres doivent d’abord mettre en place "une stratégie pour encourager tous les travailleurs potentiels à participer au marché du travail plutôt que de peser indûment sur les finances familiales". Ensuite, ils doivent aborder l'individualisation des droits différemment suivant les branches de la protection sociale. Pour la Commission, l'individualisation ne pose guère de problèmes en matière de soins de santé et de prestations de chômage. Par contre, la situation semble beaucoup plus compliquée en matière de pensions, et principalement de pensions de survie. Dans ce domaine, la Commission propose le schéma suivant: une pension de base pour tous, déconnectée de l'activité professionnelle, complétée par une pension professionnelle. Cette voie, qui épouse le schéma par piliers, lui semble cependant étroite, car elle constate qu’on assiste partout à "un renforcement du lien entre contributions et droits". Enfin, la Commission envisage une réflexion approfondie sur les interruptions de carrière pour raisons de famille - prise en charge des enfants, des personnes handicapées et des personnes âgées dépendantes - produisant des effets négatifs sur le montant des pensions. Cette réflexion devrait tenir compte de la diversité des approches existant au sein de l'Union européenne. L’approche de la Commission apparaît, dès 1997, comme étant multidimensionnelle. L’individualisation des droits en matière de protection sociale est vue comme un instrument au service de l’emploi, et principalement au service de l’augmentation du taux d’emploi des femmes. Elle est également perçue comme un moyen d’adapter les systèmes de protection sociale aux mutations liées aux mœurs. Elle est également considérée comme un moyen de faire évoluer les rapports entre les hommes et les femmes dans une vision plus idéologique de l’émancipation des individus. Enfin, en ré-articulant « droits et obligations », l’individualisation des droits sociaux participe à la construction du modèle social européen. L’individualisation à l’épreuve des faits L’analyse des systèmes de protection sociale dans l’Union européenne des 15 ne fait guère apparaître de tendance claire dans le sens d’une individualisation des droits sociaux. Plein emploi et droits universels : le modèle nordique Seul le modèle nordique du Welfare State révèle un changement de paradigme. Au Danemark, par exemple, le mariage ou toute autre institution ne forme plus la base de la régulation sociale, mais constitue un arrangement d’ordre privé. Chaque personne en âge de travailler doit être économiquement indépendante et cette indépendance est obtenue grâce à la participation au marché du travail. Les femmes sont massivement rentrées sur le marché du travail dès les années 60 et elles ont revendiqué par la suite le droit au travail, qui leur a été garanti sous la forme de la permanence d’un lien avec le marché du travail. Ce compromis social est fondé sur le « plein emploi » et sur des contributions élevées. En contrepartie, le Welfare State danois offre un mélange de droits universels, de droits complémentaires assurantiels basés sur l’activité professionnelle et de mise à disposition de services publics, quasi-gratuits, pour la petite enfance et pour les personnes dépendantes (adultes et personnes âgées). De plus, le père et la mère se voient offrir des congés parentaux dont l’objectif explicite est de permettre aux deux parents de concilier vie professionnelle et vie familiale (Kerschen 2003). Compensation du « travail » fourni par les femmes dans la sphère privée : le modèle germanique L’Allemagne, berceau des assurances sociales, évolue progressivement vers une individualisation des droits sociaux sans remettre, pour autant, fondamentalement en cause le modèle familial traditionnel. Ainsi, elle continue de considérer la famille, fondée sur le mariage, comme la base de la régulation sociale. Les membres de la famille du travailleur bénéficient toujours de droits dérivés. Mais ce modèle est en transition. Alors qu’il existait dans les années 50 un consensus, même parmi les femmes, en faveur du modèle familial de « l’homme gagne-pain», on assiste aujourd’hui à une diversification des modèles, qui se traduit par la coexistence du modèle traditionnel et d’un modèle plus ouvert d’incitation au travail pour les femmes, en général, et au travail à temps partiel pour les mères. L’évolution du système allemand vers une plus grande individualisation des droits présente une grande cohérence. Depuis les années 70, les femmes ont obtenu une compensation financière pour les activités exercées dans la sphère privée. Celle-ci a pris des voies complémentaires. Le « travail » fourni dans l’éducation des enfants et dans la prise en charge des personnes dépendantes au sein de la famille a été reconnu comme « une activité socialement utile » ouvrant aux femmes des droits propres à pension. En cas de divorce, l ‘épouse, qui n’a pas exercé d’activité professionnelle et qui, de ce fait, n’a pas acquis de droits propres en matière de pension, se voit attribuer la moitié des droits futurs à pension de son époux. Ces réformes, qui sont identifiées en Allemagne comme relevant d’une individualisation des droits sociaux (Veil 2000 et 2001), sont contestées par des observateurs étrangers, qui les dénoncent comme renforçant l’idée de dépendance économique entre époux et comme perpétuant « le passé sous une autre forme » (Luckhaus1994). Extension des droits dérivés au nom de l’égalité entre hommes et femmes: le modèle français A l’opposé des évolutions nordique et germanique, la France a procédé non pas à une individualisation des droits sociaux, mais à une extension des droits dérivés en tenant compte des nouvelles formes de cohabitation, voire de nouveaux types de famille. Ainsi, le concubinage, la « cohabitation stable », le pacte civil de solidarité (PACS) ouvrent aujourd’hui des droits en matière d’assurance maladie et maternité et de capital décès. En matière de pensions, l’actualité est à l’égalité entre hommes et femmes. La récente réforme des retraites6 a étendu aux veufs le bénéfice d’une pension de réversion (de survie) de 50% de la pension du conjoint décédé dans le régime de la fonction publique. Dans ce cas, veuves et veufs peuvent cumuler une pension propre avec une pension de réversion dans la limite d’un plafond de ressources. Mais cette réforme ne s’applique qu’en cas de mariage. Par ailleurs, les femmes salariées du secteur privé bénéficient d’une majoration de leur durée d’assurance en matière de retraite, sous forme de bonification de deux ans par enfant. Cette bonification, qui n’est que d’un an dans la fonction publique, a été étendue, par la récente réforme des retraites, aux fonctionnaires masculins à la suite d’un arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes (CSJE 29 novembre 2001 arrêt Griesmar7). L’extension des droits dérivés diffère donc, en France, suivant les branches de la protection sociale. Comment les pays de l’Europe centrale, qui vont rejoindre l’Union européenne au 1 er mai 2004, abordent-ils les droits dérivés et l’individualisation des droits sociaux ? 6 Loi N°2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraite, J.O. du 22 août 2003. L’arrêt Griesmar [C-366/99] reconnaît la nature professionnelle du régime français de retraite des fonctionnaires et, en conséquence, le caractère de rémunération à la bonification pour enfant en matière de retraite. Pour la CJCE, l’attribution de cette bonification aux seules femmes fonctionnaires méconnaît « le principe d’égalité de rémunération ». Pour plus de détails, voir LANQUETIN (Marie-Thérèse), Les retraites des femmes : quelle égalité ? Droit social 2003 N°11 p.960. 7 Dans les 4 pays étudiés dans le cadre du réseau SPECIAL (Bulgarie, Hongrie, Pologne, Slovénie), les systèmes de protection sociale conservent des droits dérivés. Comme dans l’Union européenne des 15, on n’observe aucune tendance nette à l’individualisation des droits sociaux. En matière de santé, on assiste à des évolutions différentes : individualisation des droits par la création de droits universels, maintien des droits dérivés et individualisation dans leur usage ou encore extension des droits dérivés au-delà du mariage. En matière de pensions, la situation apparaît comme étant fort complexe, notamment en raison de l’introduction récente de systèmes de pensions avec deux ou trois piliers. Les droits dérivés demeurent importants, notamment en ce qui concerne les droits à pension des survivants. L’individualisation des droits sociaux peut se traduire par des pensions universelles dans le premier pilier, mais aussi par une individualisation du risque vieillesse dans le second pilier8. Mais ce qui distingue les pays de l’Europe centrale des Etats membres de l’Union européenne des 15, c’est l’intégration massive des femmes dans le marché du travail pendant la période communiste. L’individualisation des droits sociaux était une réalité pour les femmes dans la mesure, où elles disposaient de droits propres acquis par une activité professionnelle. Depuis 1989, l’évolution de l’économie a mis en péril la situation de « plein emploi » et privé des femmes, et des hommes, d’une activité professionnelle leur permettant d’être financièrement indépendants. Les droits dérivés ont pu ainsi fournir une « nouvelle sécurité » à des adultes privés d’emploi. Le thème de l’individualisation des droits sociaux a donc, dans ces pays, une signification particulière, dont il faut tenir compte dans les recherches européennes. Vers une individualisation des droits sociaux par étapes Comment individualiser les droits sociaux sans détériorer la situation économique d’une partie des femmes ? Comment maintenir une solidarité forte entre tous les individus au sein de la collectivité ? Comment financer les droits sociaux individualisés ? En 1997, lors de la Conférence de Mondorf sur « La modernisation et l’amélioration de la protection sociale en Europe », j’avais tenté de répondre à ces questions en proposant un programme en trois points : il faut garantir le droit à l’emploi pour les femmes comme pour les hommes, il faut étendre les droits universels en matière de santé et de retraite et il faut prendre en compte le « caring » dans l’acquisition des droits sociaux (Kerschen 1997). Depuis cette période, l’Europe sociale a beaucoup évolué grâce à une nouvelle méthode, appliquée à l’emploi sous l’appellation de « stratégie coordonnée pour l’emploi » et aux pensions et à la santé sous l’appellation de « méthode ouverte de coordination ». Il n’est pas possible de présenter ici cette méthode dans tous ses détails. Il faut simplement avoir présent à l’esprit que cette méthode repose sur l’élaboration en commun, au niveau européen, d’objectifs à atteindre dans le cadre d’une procédure contraignante. Il s’agit d’une méthode globale de construction du modèle social européen. Elle aborde le social dans toutes ses dimensions. Elle fait appel à la mobilisation de tous les acteurs sociaux à tous les niveaux. Et elle se déroule suivant un processus continu avec des 8 Cette question n’est pas abordée dans ce papier. objectifs à court, moyen et long terme. L’individualisation des droits sociaux s’inscrit dans cette dynamique. La garantie de l’accès à l’emploi pour les femmes, comme préalable à l’individualisation des droits sociaux Le modèle nordique, qui est le seul à avoir individualisé les droits sociaux, est fondé sur une approche en terme de « droits et obligations ». Tous les individus en âge de travailler doivent exercer une activité professionnelle pour subvenir à leurs besoins. En contrepartie, la société doit leur fournir des opportunités leur garantissant à la fois l’accès à un emploi et la capacité à demeurer employable tout au long de la vie active. Cette approche s’exprime le mieux à travers les politiques nordiques d’activation des personnes9. Or, la stratégie coordonnée pour l’emploi, mise en œuvre depuis le Sommet pour l’Emploi de Luxembourg de novembre 1997, considère le modèle nordique comme « le modèle » à suivre en matière d’emploi, ce qui signifie qu’il faut augmenter les taux d’emploi, en général, et le taux d’emploi des femmes en particulier. Lors du Conseil Européen de Lisbonne en mars 2000, les 15 Etats membres se sont mis d’accord pour progresser vers « le plein emploi » en adoptant un objectif quantifié en termes de taux d’emploi global, qui doit être porté de 61% en 2000 à 70% en 2010, et en termes de taux d’emploi des femmes, qui doit être porté de 51% en 2000 à 60% en 2010. - Une réalité très contrastée, qui place les pays de l’Europe centrale en position plutôt favorable Le Danemark, la Suède et la Finlande ont des taux d’emploi très élevés - 76,2% 71,7% - 68,1%, bien supérieurs à la moyenne européenne (EU15), qui n’est que de 64%. Le taux d’emploi des femmes est respectivement de 72% - 70,4% - 65,4% contre 54,9% pour l’Union européenne (EU15). L’écart entre le taux d’emploi des femmes et le taux d’emploi des hommes avoisine les 8% - 3% - 5% contre 18% pour l’Union européenne (EU15). Le travail à temps partiel est fréquent et il est exercé plus souvent par des femmes que par des hommes. Au Danemark, par exemple, il représente 30% de l’emploi des femmes et seulement 10% de l’emploi des hommes. L’Allemagne et la France présentent des profils similaires. Les taux d’emploi sont moyens, respectivement de 65,8% - 63,1% contre 64% pour l’Union européenne (EU15). Le taux d’emploi des femmes est légèrement supérieur à la moyenne européenne de 54,9% (EU15), de l’ordre de 58,8% - 56,1%. L’écart entre le taux d’emploi des femmes et le taux d’emploi des hommes avoisine les 14% dans les deux pays contre 18% pour l’Union européenne (EU15). Le travail a temps partiel est plus développé en Allemagne qu’en France - il représente 40% de l’emploi féminin contre 30% - et il concerne surtout les femmes. Dans les deux pays, moins de 5% des hommes travaillent à temps partiel. Les pays de l’Europe centrale inclus dans notre échantillon, à savoir la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne et la Slovénie, présentent des taux d’emploi tous inférieurs à la 9 L’Etat Providence nordique. Ajustements, transformations au cours des années 90. RFAS 2003 N°4. moyenne européenne de 64% (EU 15), soit 49,6% - 56,5% – 55% – 63,8%. Le taux d’emploi des femmes est, en conséquence, également inférieur à la moyenne européenne de 54,9% (EU15), de l’ordre de 46,8% - 49,8% - 48,9% - 58,8%. L’écart entre le taux d’emploi des femmes et le taux d’emploi des hommes est faible en Bulgarie, de l’ordre de 6%. Il est moyen dans les trois autres pays : 14% - 12% – 10%. Pour compléter ce tableau, il faut ici reprendre les termes employés dans le résumé du document de la Commission européenne intitulé La situation sociale dans l’Union européenne 2003 : « La proportion des femmes dans la main-d’œuvre (dans les pays adhérents) est supérieure à ce qu’elle est dans les Etats membres de l’Union européenne (46% contre 42%). La proportion des femmes occupant des postes de direction est, elle aussi, supérieure : 38% des dirigeants dans les Etats adhérents sont des femmes contre 34% dans l’UE. De plus, dans les Etats adhérents, le travail à temps partiel est moins fréquent et réparti plus équitablement entre les sexes : 6% des hommes (7% dans l’UE) et 9% des femmes (32% dans l’UE) travaillent à temps partiel». Les statistiques relatives à l’emploi positionnent, sous l’angle de l’emploi féminin, les pays de l’Europe centrale entre le modèle nordique et le couple Allemagne-France, c’est-à-dire dans une position relativement favorable. Elles confirment également la réalité d’une individualisation des droits sociaux acquis par le travail pour une grande partie des femmes dans les Etats de l’Europe centrale. Quelles sont les voies promues par la stratégie coordonnée pour l’emploi pour atteindre l’objectif du « plein emploi » ? - Une stratégie européenne pour l’emploi allant dans le sens d’une plus grande individualisation Deux « piliers » de la stratégie coordonnée pour l’emploi, telle qu’elle a été mise en œuvre entre 1997 et 2003, ont favorisé cette évolution : - le pilier I portant sur l’amélioration de la capacité d’insertion professionnelle (« l’employabilité »). le pilier IV portant sur le renforcement des politiques d’égalité des chances. Le premier pilier vise l’employabilité, c’est-à-dire l’aptitude pour une personne d’occuper un emploi. Dans la conception communautaire, l’employabilité passe par une qualification adéquate, par l’incitation à rechercher un emploi et par la possibilité d’en trouver un. La responsabilité de l’amélioration de l’employabilité incombe non seulement à la personne elle-même, mais également aux Etats et aux partenaires sociaux. Ceci constitue un trait distinctif du modèle social européen. Nous n’allons pas passer en revue toutes les lignes directrices appartenant à ce pilier. Elles ont toutes pour objectif d’améliorer l’employabilité de la population en âge de travailler. Nous allons simplement signaler qu’une ligne directrice concerne la réforme des systèmes d’indemnisation, de formation et d’imposition, afin de les rendre plus favorables à l’emploi pour les chômeurs et les inactifs en âge de travailler. L’abrogation de la prise en compte des revenus du conjoint dans l’attribution des droits, en cas de chômage, figure parmi les réformes préconisées en matière d’indemnisation. Autres exemples de transformations en discussion : l’abrogation de l’assurance veuvage pour les personnes en âge de travailler ou encore, l’individualisation de l’impôt sur le revenu. Le quatrième pilier concerne de façon globale l’égalité entre les hommes et les femmes en matière d’emploi et de formation professionnelle. Pour que des femmes en âge de travailler, actuellement inactives, acceptent de se porter sur le marché de l’emploi, il faut leur garantir une « qualité de l’emploi » leur permettant notamment de concilier vie familiale et vie professionnelle. L’application de cette ligne directrice s’est traduite, suivant les Etats membres, par la mise en place ou l’extension des congés parentaux ou encore par la création de nouvelles structures professionnelles de prise en charge des enfants en bas âge ou de soins aux personnes dépendantes. La reconnaissance du « care » en matière de pensions figure parmi les thèmes prioritaires en discussion. A travers certaines lignes directrices de la stratégie coordonnée pour l’emploi, la protection sociale est abordée, très clairement, comme un instrument au service de l’emploi. L’individualisation des droits sociaux constitue une des composantes de cette approche. L’égalité entre les sexes dans les régimes de retraite Dans sa Communication du 11 octobre 2000 intitulée « L’évolution à venir de la protection sociale dans une perspective à long terme : des pensions sûres et viables »10, la Commission a repris en détail son argumentaire relatif à l’individualisation des droits sociaux tout en l’appliquant aux pensions. Elle constate « l’incapacité des régimes de retraite à assurer des revenus convenables à toutes les personnes âgées » et elle l’explique par le fait « qu’ils ne se sont pas suffisamment adaptés aux mutations de la société ». Ainsi, la manière traditionnelle d’assurer le bien-être des femmes âgées, c’est-à-dire les pensions du conjoint survivant, ne lui paraît plus acceptable dans une société où le divorce est plus répandu. En revanche, les pensions du conjoint survivant perdront de leur importance, lorsque de plus en plus de femmes auront gagné leurs propres droits à la retraite à taux plein. Elle passe ensuite en revue les évolutions dans les différents Etats membres, en constatant que ceux-ci ne sont guère en faveur « d’un passage intégral aux droits individuels ». L’individualisation absolue laisserait « de nombreuses femmes sans pensions convenables en raison de leurs revenus plus faibles et des interruptions de carrière à la fois fréquentes et longues ». C’est pour cette raison, que les Etats recourent à différentes formules pour faire face à ce problème, comme par exemple : - - 10 la compensation pour interruption de carrière pour des raisons familiales. Les périodes passées à élever des enfants sont assimilées à des périodes d’équivalent-emploi entrant dans le calcul de la pension (Allemagne, France) le maintien des pensions de survivant et l’extension aux veufs l’introduction de pensions minimales non liées à une activité professionnelle. COM [2000] 622 final. Mais la Commission relève également les réformes nationales tendant à améliorer les droits individuels des femmes. Elle donne comme exemple le modèle nordique et les Pays-Bas, qui ont opté pour une individualisation absolue en favorisant des systèmes de retraite mariant droits universels pour tous et droits professionnels pour les travailleurs, sans faire de distinction entre les hommes et les femmes. D’après la Commission, ces pays « craignent que la compensation ne consolide les rôles traditionnels dévolus aux hommes et aux femmes ». Mais elle donne également une importance aux partages des droits à pension en cas de divorce, en citant le modèle allemand (Kerschen 2003). La possibilité donnée aux couples de choisir, même en l’absence de divorce, le partage des droits à pension plutôt que le maintien des droits dérivés est considéré comme « à l’avantage des femmes ». En conclusion, la Commission rappelle, qu’à terme, « une plus grande participation des femmes au marché du travail et la réduction des écarts de salaires entre hommes et femmes permettront d’améliorer les droits individuels des femmes » sans pour autant être tout à fait sûr, que cette évolution permettra de réduire le recours à des formules, comme les prestations au conjoint survivant ou la prise en compte dans le calcul des pensions des périodes consacrées à l’éducation des enfants. Par la suite, dans le cadre de la méthode ouverte de coordination appliquée aux pensions, le Comité de protection sociale et le Comité de politique économique ont fixé un certain nombre d’objectifs, que les Etats membres s’engagent à respecter lors de la réforme de leur système de retraite. Parmi ces objectifs figurent la garantie de pensions adéquates, à savoir - des pensions mettant les personnes âgées à l’abri du risque de pauvreté en leur permettant de jouir d’un niveau de vie décent - des pensions, leur permettant le maintien de leur niveau de vie antérieur « dans des limites raisonnables » - des systèmes articulant solidarité intra-générationnelle et solidarité intergénérationnelle. Mais ces objectifs n’appellent pas une individualisation des droits sociaux, dans la mesure où chaque Etat membre est libre de mettre en œuvre les moyens, qui lui semblent les plus adéquats pour atteindre l’objectif. Si on observe les différents systèmes de pensions en Europe, on distingue deux voies d’individualisation : - - l’individualisation absolue, grâce à l’introduction de droits universels reconnus comme droits propres à tous les individus et financés en principe par l’impôt (modèle nordique et Pays-Bas) l’individualisation relative, qui maintient des droits dérivés dans l’acquisition des droits, mais qui permet une jouissance individualisée des droits. Or, le modèle allemand du « splitting » des droits à pension est un exemple d’une individualisation relative. Celle-ci assure une réelle sécurité à l’épouse, qui n’a pas exercé d’activité professionnelle, en lui attribuant, au moment de la liquidation de la pension, des droits propres acquis définitivement. L’individualisation des droits est synonyme d’indépendance économique. Elle garantit également une autonomie de vie, car, en cas de décès du conjoint, l’épouse peut se remarier sans pour autant perdre ses droits à pension, ce qui n’est pas le cas pour la pension de survivant, qui est en principe supprimée. De plus, le « splitting » n’a pas de coût additionnel pour la société, car il opère simplement le partage de droits contributifs entre les deux époux. Le seul désavantage du « spilitting » des droits à pension réside dans le fait qu’il maintient le lien de dépendance entre époux et ne remet pas en cause le modèle traditionnel du partage des rôles entre hommes et femmes au sein de la famille. Peut-être cette disposition, qui s’applique aujourd’hui en cas de divorce, mais aussi par libre choix des conjoints hors divorce (Kerschen 2003), permettra-t-elle de concilier, au sein d’une même société, le modèle traditionnel et un modèle plus ouvert avec deux activités, sans désavantager l’un par rapport à l’autre. L’accès aux soins de santé et aux soins aux personnes âgées comme droit fondamental Dans sa Communication du 5 décembre 2001 intitulée « L’avenir des soins de santé et des soins pour les personnes âgées : garantir l’accessibilité, la qualité et la viabilité financière »11, la Commission a explicitement fait référence aux droits fondamentaux : « pour les Européens, l’accès aux soins de santé est un droit fondamental, essentiel à la dignité humaine, qui doit donc être garanti pour tous ». La Commission fonde son argumentation sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui proclame « que toute personne a le droit d’accéder à la prévention et de bénéficier de soins médicaux » (article 33). A priori, cette position va dans le sens d’une concrétisation de ce droit par l’instauration de droits propres reconnus à tous. Mais rien n’indique à ce jour que les Etats membres ont adopté cette voie. En effet, les Etats membres demeurent seuls compétents en matière d’organisation et de financement de la protection sociale. A partir de 2001, la Commission et les Etats membres ont identifié des enjeux communs, adopté une méthode commune, appelée « méthode ouverte de coordination », et arrêté des objectifs communs à long terme. Deux ans plus tard, la Commission et le Conseil ont dressé un premier bilan des systèmes nationaux dans un rapport publié le 10 mars 2003 12. D’après ce rapport, « la totalité des Etats membres offrent aux personnes résidant sur leur territoire des droits universels, ou presque, aux soins de santé ». Ce rapport aborde la couverture sociale sous l’angle quantitatif. Tous les résidants ou presque sont couverts. Il ne s’intéresse pas à la qualité des droits, et partant, pas à la question de l’individualisation des droits. Si on observe les différents systèmes de santé en Europe, on distingue, comme en matière de pension, deux voies d’individualisation : - 11 l’individualisation absolue, grâce à l’introduction de droits universels reconnus comme droits propres à tous les individus et financés en principe par l’impôt13 l’individualisation relative, qui maintient des droits dérivés dans l’acquisition des droits, mais qui permet une jouissance individualisée des droits. COM [2001] 723 final. Rapport conjoint de la Commission et du Conseil intitulé « Soutenir les stratégies nationales pour l’avenir des soins de santé et des soins aux personnes âgées » N° 7166/03 du 10 mars 2003. 13 Cf. la reconnaissance de droits universels aux enfants au Danemark et leur justification in KERSCHEN 2003. 12 La seconde voie mérite d’être expliquée. En Allemagne, l’épouse et les enfants disposant de droits dérivés peuvent faire valoir leurs droits en matière de prestations en nature directement auprès des prestataires de soins. En Slovénie, les enfants bénéficient de droits dérivés, mais ils reçoivent une carte individuelle de sécurité sociale dès l’âge de 15 ans. L’accès aux moyens de contraception pour les jeunes filles a notamment justifié cette évolution. Au niveau communautaire, l’individualisation relative va se concrétiser dans un proche avenir à travers l’introduction de la carte européenne d’assurance maladie 14. Cette carte sera individualisée, dans le sens qu’elle sera remise à toutes les personnes résidant sur le territoire d’un Etat membre. Mais elle ne changera pas, du moins dans une première étape, les droits et obligations existants. Elle a pour fonction essentielle de simplifier les procédures et d’éliminer les obstacles à la mobilité géographique. En matière d’accès aux soins, l’individualisation relative ne règle en rien l’insécurité générée par les droits dérivés. Ces droits ne valent que ce que valent les institutions, auxquelles elles sont liées. L’individualisation des droits sociaux, prônée par la Commission en 1997, était synonyme d’individualisation absolue. Les droits sociaux devaient être acquis en tant que droits propres et utilisés en tant que tels. Depuis lors, les faits ont révélé une situation plus complexe : l’individualisation absolue n’existe que dans peu de pays et elle est plus développée en matière d’accès aux soins qu’en matière de pension. L’individualisation relative, considérée comme la jouissance, à titre individuel, de droits sociaux acquis en tant que droits dérivés, s’est développée dans de nombreux pays. Elle n’a pas la même signification et elle ne procure pas la même sécurité suivant la branche de protection sociale considérée. L’évolution des systèmes de protection sociale dépendra de la participation des femmes dans le marché du travail. Mais cette participation sera également fonction de la capacité de la société à réformer ses schémas traditionnels. 14 Communication de la Communication du 17 février 2003, COM [2003] 73 final. BIBLIOGRAPHIE BROCAS (Anne-Marie), L’individualisation des droits sociaux in Annexe au Rapport d’Irène THERY, Couple, filiation et parenté aujourd’hui. Ed. Odile Jacob 1998 p. 330. KERSCHEN (Nicole), Individualisation des droits et maintien des solidarités, Conférence sur « La modernisation et l’amélioration de la protection sociale en Europe », Présidence luxembourgeoise de l’Union européenne, Mondorf novembre 1997, publié in Bulletin luxembourgeois des Questions sociales 1997, Volume 4, p.113 ; KERSCHEN (Nicole), L’individualisation et les modèles historiques de protection sociale in AISS, Redistribuer les responsabilités pour moderniser et améliorer la protection sociale. Série européenne, Documentation de sécurité sociale N° 27, p.21 ; KERSCHEN (Nicole), Tous individus ! in IACUB (Marcela) et MAGNIGLIER (Patrice), Famille en scènes. Bousculée, réinventée, toujours inattendue. Ed. Autrement. Collection Mutations 2003. KERSCHEN Nicole, Vers une individualisation des droits sociaux : approche européenne et modèles nationaux. Droit social 2003, N°2, p. 216. LANQUETIN (Marie-Thérèse), ALLOUACHE (Anissa), KERSCHEN (Nicole), LETABLIER (Marie-Thérèse), Individualisation des droits en matière de protection sociale et droits fondamentaux. Convention de recherche CNAF N°99/515, Rapport final juin 2002. LECHEVALIER (Arnaud), Quelle individualisation des droits à la protection sociale ? Le cas de la retraite des femmes. in Déviance et Société 2002, Vol. 26, p. 207 ; LUCKHAUS (Linda), Individualisation of social security benefits. in Christopher McCrudden (ed.), Equality of treatment between women and men in social security, Butterworths 1994, p.147; MEULDERS (Danièle), JEPSEN (Maria), PLASMAN (Olivier), VANHUYNEGEM (Philippe), Individualisation of the social and fiscal rights and the equal opportunities between women and men. DULBEA-ETE-ULB, rapport final janvier 1997; SEMINAIRE sur « Individualisation des droits, sécurité sociale et égalité des chances », Paris octobre 1997, sous la direction de Nicole KERSCHEN et de Marie-Thérèse LANQUETIN, Université PARIS-X et Commission Européenne D.G.V ;. VEIL (Mechthild), Les femmes face à la retraite : la fin des inégalités ? in Retraite et Société, N° 32/2000, p.29 ; VEIL (Mechthild), La réforme des retraites de 2001 : réduction de la répartition, un pas vers la capitalisation. in Chronique internationale de l’IRES, N°69, mars 2001, pp.3-14 ; VEIL (Mechthild), La réforme des retraites de 2001, quelles incidences pour les femmes ? in Chronique Internationale de l’IRES, N°70, mai 2001, pp. 17 à 28. VEZIN-DAVID (Rachel), Faut-il remplacer les droits dérivés à protection sociale par des droits autonomes ? La nécessaire distinction des droits dérivés aux soins et des droits dérivés à pension. Revue de droit sanitaire et social, N° de janvier-mars 2003, p.1. ZAIDMAN (Catherine), L’individualisation des droits réduirait-elle les inégalités hommes/femmes ? Droit social 1998 N°6 ;