CULTURE ET DEVELOPPEMENT: Apologie d'une inévitable attache ;
Le cas de l’Afrique Sub Saharienne
Le concept de veloppement économique est avec le discours de Truman du 20 Avril
1949. Cet idéal porteur d’espoir pour des générations d’Africains est depuis au centre des
préoccupations de nos sociétés. Ceci à tel point qu’il est aujourd’hui à la fois l’un des thèmes
de discussion privilégié dans les bars des capitales africaines, et plus sérieusement l’enjeu du
débat politique permettant d’assoir la légitimité des dirigeants ou encore de les déchoir du
pouvoir comme ce fut le cas récemment en Tunisie, en Italie ou encore en Grèce.
Il est certes osé de tirer des conclusions générales face à la diversité des situations des pays
d’Afrique Sub Saharienne, mais la seule certitude est que près de cinquante ans après les
indépendances la totalité des pays d’Afrique Sub Saharienne sont (encore) en voie de
développement. L’observation des niveaux de croissance révèle certes une hausse de près de
500% du PIB global de la région entre 1960 et 2008, cependant l’évolution du PIB par tête
qui reste quasi nulle. Ajoutez à cela une baisse des niveaux de vie au cours des trente
dernières années selon le PNUD.
L’échec des politiques de développement en Afrique Sub-saharienne pousse donc à la
réflexion.
Que l’on s’en tienne aux « experts » en développement du FMI ou encore aux économistes de
comptoir, le problème du « retard » en termes de développement économique en Afrique Sub
Saharienne s’explique de façon expéditive par le facteur politique (problèmes de répartition
des richesses et la corruption généralisée). Ces problèmes sont donc à endiguer par
l’instauration d’un système démocratique lorsqu’il fait défaut et tout un package de solutions
expiatoires et prêtes à l’emploi à l’exemple des « programmes d’ajustements structurels ».
Or comme l’exprime Friedrich List dans son « Système national d'économie politique » paru
en 1841, l’analyse classique en économie « commet la grande faute d’appliquer à la situation
de divers pays des principes purement cosmopolites » sans même vérifier leur applicabilité à
des contextes culturels variés.
Force est de constater que plus d’un siècle après cette mise en garde, peu d’attention soit
portée aux ressorts culturels du développement économique en Afrique sub saharienne
notamment.
PROBLEME DE DEFINITION DU CONCEPT DE DEVELOPPEMENT
Le bon sens voudrait qu’avant d’aborder un sujet on puisse clairement définir de quoi il s’agit,
or il n’existe pas de consensus concernant la définition de la notion de développement. Dans
le Rapport de la Commission Sud de 1990, il est défini comme « processus permettant aux
être humains de développer leur personnalité, de prendre confiance en eux même et de mener
une existence digne et épanouie». Si on se fie à cette définition, ce développement ne s’est
jamais produit nulle part, même pas en occident. Comme l’explique Latouche, il s’agit d’une
« vision mythique du développement
1
» qui serait donc par définition loin de la réalité.
Cette vision du développement est idéaliste car quel serait le prix à payer ne fut ce que sur le
plan écologique si le « tiers monde » accédait au développement avec ses niveaux de
consommation ? A titre illustratif, il faudrait les ressources de cinq planètes Terre si nous
consommions tous comme des américaines et deux Terre si nous consommions au niveau
européen.
Ainsi, si nous considérons que le concept de développement désigne le point commun entre
toutes les trajectoires d’évolution économique, le développement réel ne se limiterait donc
qu’à la croissance économique, à l’accumulation du capital.
Or le dernier rapport du FMI sur les perspectives économiques en Afrique sub saharienne
paru en octobre 2011 montre une déconnexion entre la croissance et la réduction de la
pauvreté dans cette région. Le taux de croissance du PIB réel de la région est passé de 2,5%
entre 1980 et 1995 à 5,5% de 2000 à 2010. Contre une proportion de personnes vivant sous le
seul de pauvreté (1,25 dollar jour) qui a faiblement baissé, de 59% en 1996 à 51% en 2005.
Selon ce même rapport les quelques améliorations des indicateurs sociaux s’expliquent par
d’autres facteurs que la croissance économique comme l’intégration de la technologie dans les
services de santé.
Si on garde comme définition du veloppement qu’il ne représente en réalité que la
croissance, nous pouvons en déduire qu’elle ne permet pas/plus de réduire la pauvreté. Cette
forme de développement serait « comme l’enfer pavée de bonnes intentions », mais infidèle
au projet « developpementiste » initial.
En conséquent, la notion de développement économique ne devrait elle pas être élargie à des
aspects plus humains, ceci dans un réel souci de rapprochement de la réalité ?
CULTURE ET DEVELOPPEMENT
Des économistes tel le Nobel 2001 d’économie Joseph Stiglitz ou encore William Easterly
entre autres expliquent l’échec de ces plans de développement du fait qu'ils ont été élaborés
hors d'Afrique. Ces politiques auraient tout simplement échouées car elles sont basées sur une
1
Latouche, 2004. "Survivre au développement". Mille et Une nuits
vision occidentale du monde avec ses logiques culturelles et sociales. Et les calquer dans des
pays à cultures différentes conduirait à un échec annoncé.
Cet article veut mettre en lumière le fait que la trajectoire des pays d’Afrique Sub Saharienne
soit une illustration de la complexité de la question du décollage et de l'essor économique en
total opposition avec une vision simpliste du développement qui est supposé être «linéaire,
universel et exprimable dans une théorie globale»
2
.
Ainsi, le moyen de saisir cette complexité passerait par la compréhension et la prise en
compte de la culture dans l’analyse du développement. Le terme culture devrait être ici perçu
au sens des valeurs, normes sociales et conventions, ce que North nomme les « institutions
informelles ». Cela pourrait paraitre surprenant mais jusqu’à présent ce mode de pensée
n’était pas légion.
Nous pensons qu’il est impossible de penser le développement économique sans la culture.
L’idée que nous défendons est que le développement économique d’une société serait
« indissociable des structures sociales et des milieux qui la fondent »
3
. Serge Latouche va
plus loin en parlant d’ethnocentrisme du concept de développement. Il explique que dans de
nombreuses civilisations, il n’existait aucune traduction du mot « développement » avant le
contact avec l’occident. Les Bubi de Guinée équatoriale traduisent par un terme qui veut à la
fois dire croitre et mourir. Et au Rwanda la traduction équivaudrait au verbe « marcher, se
déplacer, sans aucune précision dans la direction ».
Dans ce cadre, la prise en compte de la culture permet de mieux comprendre ce qui motive les
peuples et l’évolution des sociétés et donc permettre de créer des systèmes économiques
adaptés. Mais la culture peut aussi être un frein au développement en ce sens qu’elle influence
fortement toute une série de comportements, d’interdits, de tabous (les institutions
4
) puisés
dans la tradition et qui peuvent être défavorables à l’activité économique.
Lorsqu’on sait que l’un des fondements de l’analyse économique prédominant actuellement
est l’individualisme, comment peut-on demander à un africain pour qui l’unité économique
est la structure familiale et non l’individu de se comporter selon un modèle prédéfini comme
individualiste ? Autre fondement de l’analyse économique la maîtrise de la nature. Serait il
censé de réclamer de peuples qui déifient la nature d’en faire une exploitation « optimale »
économiquement?
2
Christoph Eberhard, DEA d’études Africaines Option Anthropologie juridique et politique de l’Université Paris
1 Panthéon-Sorbonne, 1995-1996
3
North, 2005. “Understanding the Process of Economic Change”. Princeton, NJ: Princeton University Press.
4
North définit les Institutions es comme des contraintes créées par les hommes, qui encadrent l'activité
économique quotidienne
S’il fallait synthétiser en une phrase, nous citerions Rouillé d’Orfeuil qui dit que « n’importe
quelle société n’est sans doute pas faite pour n’importe quel mode de développement ».
Dans cet article, il n’est pas question de « jeter le bébé avec l’eau du bain », mais de faire
comprendre que les effets de ce processus forcé vers le développement ont aboutit à rompre
l’équilibre interne de ces sociétés. Ces dernières se retrouvent alors dans des situations de
conflits de systèmes institutionnels tiraillés entre des modes de vie à l’occidental et/ou
traditionnel aux valeurs très souvent incompatibles. Les valeurs sur lesquelles repose le
développement n’ont pas la même portée significative selon les sociétés, elles sont liées à
l’histoire de l’occident et dans de nombreux cas perdent leur sens hors de ce contexte
L’AFRICAIN 3.0
Il ne s’agit pas ici d’un manifeste culturaliste prônant le repli sur soi ou encore cherchant à
débusquer des coupables aux problèmes de l’Afrique. Bien au contraire, le percevoir ainsi
serait ne pas avoir saisi ce qu'est la culture. Considérer la culture comme quelque chose de
figée n'a pas de sens, car la culture est le fruit d'une histoire, c'est une construction sociale,
une dynamique, elle est en perpétuel mouvement et se construit au fil du temps et des contacts
avec d'autres ensembles.
Aujourd’hui l’Homme africain est un peu perdu car comme l’explique Cheick Amidou Kane,
une majeure partie de la population continue à vivre selon les "anciens codes", or nous vivons
dans un monde nouveau.
L’issue pour les Africains seraient soit de céder et de lâcher la branche traditionnelle à
laquelle ils s’accrochent et d’embrasser un mode de vie à l’occidental en s’acculturant
totalement. Soit de développer des modèles originaux permettant l’essor économique sans se
renier. Le second cas nous ramerait au concept d’anthropophagie mis en exergue par Oswald
de Andrade dans son « Manifesto Antropofago » paru pour la première fois en 1928. Par cette
métaphore au cannibalisme il explique que la réaction de l’ex colonisé face à l’ex colon n’a
pas à se faire dans la confrontation, mais dans l’assimilation, il faut gober les bons éléments
hérités de la colonisation d’une part et d’autre part à avoir le discernement nécessaire pour ne
pas perdre son essence.
Dans ce cadre, la pensée complexe utilisée par exemple en Asie est intéressante à étudier
puisque face à la mondialisation, « l’Asie du sud-est a su adopter un processus d'ouverture
partielle mais efficace visant à adopter les normes techniques et scientifiques mondiales sans
rompre l'équilibre interne » comme l’explique Camille Baulant.
En résumé, les institutions sur lesquelles s’appuient nos sociétés résultent d’un processus
perpétuel d’adaptation face à l’incertitude (d’une incertitude face à la nature nous sommes
passés à une incertitude dans les relations d’échange). Notre époque se démarque
foncièrement par un manque de créativité dans la dynamique institutionnelle pour répondre à
des pressions nouvelles. Pour quelles raisons nous innovons en permanence sur le plan des
technologies et non sur les plans économiques et politiques ? Faisons preuve de plasticité
intellectuelle et ayons le courage de remettre en question cet ordre établi datant d’un autre
âge. Se figer reviendrait à aller à l’encontre de l’élan historique qui a contribué à faire de nous
ce que nous sommes.
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