Biocarburants : comprendre les chiffres

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Biocarburants : comprendre les chiffres
Publication no PRB 08-55F
Le 24 juillet 2008
Revue le 17 mai 2012
Mathieu Frigon
Division de l’économie
Service d’information et de recherche parlementaires
Biocarburants : comprendre les chiffres
(En bref)
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et aux associations parlementaires.
Publication no PRB 08-55F
Ottawa, Canada, Bibliothèque du Parlement (2008)
TABLE DES MATIÈRES
1
INTRODUCTION ....................................................................................................... 1
2
ÉMISSIONS PAR KILOMÈTRE ................................................................................ 1
3
BIOCARBURANTS ET PRODUCTION AGRICOLE ................................................. 1
4
BILAN ÉNERGÉTIQUE NET ET QUALITÉ DE L’ÉNERGIE .................................... 2
5
LE BILAN ÉNERGÉTIQUE NET
DE L’ESSENCE EST-IL NÉGATIF? ......................................................................... 3
6
LES BIOCARBURANTS ET L’ÉCONOMIE RURALE ............................................... 3
7
CONCLUSION .......................................................................................................... 4
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PUBLICATION No PRB 08-55F
BIOCARBURANTS : COMPRENDRE LES CHIFFRES
1
INTRODUCTION
Le débat sur les biocarburants est alimenté par toutes sortes de querelles sur la façon
dont les retombées environnementales et économiques de ces sources d’énergie
devraient être quantifiées. Le débat parlementaire qui a précédé, en 2008, l’adoption du
projet de loi C-33 : Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement
(1999), qui prévoit la réglementation de la teneur en biocarburant de l’essence, du
carburant diesel et du mazout, a été marqué par la même « guerre des chiffres ».
Les données, apparemment contradictoires, présentées par différents témoins au
cours des audiences de comités parlementaires n’ont fait que compliquer davantage
encore un débat souvent très technique par ailleurs. Le présent document ne vise
pas à régler les différends sur les chiffres eux-mêmes, mais à expliquer certains
paramètres techniques dont il faudrait tenir compte lorsque l’on quantifie les mérites
relatifs de différents types de carburant.
2
ÉMISSIONS PAR KILOMÈTRE
Il est important, lorsque l’on quantifie l’impact sur l’environnement des carburants
automobiles, de calculer les émissions par kilomètre parcouru, plutôt que les
émissions par litre. L’éthanol produit moins d’énergie au litre que l’essence. Donc,
la distance parcourue avec un litre d’un mélange contenant de l’éthanol sera
inférieure à celle parcourue avec un litre d’essence ordinaire. Il ressort ainsi d’une
étude menée aux États-Unis par Consumer Reports que l’économie de carburant
pour le VUS Tahoe de Chevrolet avec l’E85 (85 p. 100 d’éthanol pour 15 p. 100
d’essence) est inférieure de 27 p. 100 à ce qu’elle est avec de l’essence ordinaire 1, 2.
Autrement dit, la distance parcourue avec un réservoir d’E85 est inférieure de
27 p. 100 à celle parcourue avec un réservoir d’essence ordinaire. Quantifier par
litre consommé la réduction possible des émissions de gaz à effet de serre avec
des mélanges contenant de l’éthanol peut se révéler trompeur, car, pour atteindre
les réductions d’émissions formulées de cette manière, les Canadiens devraient
considérablement réduire leur kilométrage automobile.
Dans l’idéal, l’incidence possible de l’utilisation de biocarburants sur les émissions de
gaz à effet de serre devrait donc être calculée par kilomètre. La formule suivante serait,
par exemple, appropriée : « La réduction (ou l’augmentation) des émissions de gaz à
effet de serre obtenue en utilisant l’E85, par opposition à de l’essence ordinaire, est
évaluée à X p. 100 par kilomètre parcouru. »
3
BIOCARBURANTS ET PRODUCTION AGRICOLE
L’impact sur l’environnement des biocarburants est souvent exprimé en pourcentage
des terres cultivées utilisées pour produire la matière première entrant dans la fabrication
de ces biocarburants. Que l’on calcule pour des pays donnés ou pour l’ensemble de la
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planète, ce pourcentage est généralement faible. On estime que, dans les six principaux
pays producteurs, le pourcentage de terres arables consacré à des cultures
destinées à la production de la matière première nécessaire aux biocarburants était,
en 2006-2007 3, de 3 à 4 p. 100 4. Ces chiffres donneraient à penser que la production
de biocarburants n’a qu’un effet négligeable sur les cours mondiaux des céréales,
mais tel n’est pas le cas. Les prix sur les marchés agricoles étant déterminés par
la marge, c’est la concurrence, ou son absence, en ce qui concerne l’achat de la
« production additionnelle » qui détermine les fluctuations du cours. Prenons l’exemple
théorique d’un produit agricole dont le cours s’équilibre à 5 $ l’unité pour une production
de 100 unités. En cas de récolte surabondante de 120 unités, comment les cours
devront-ils évoluer pour que le marché absorbe ces 20 unités additionnelles? Si la
demande baisse ou stagne, on ne se les disputera pas, ou peu, et il faudra que les
cours baissent sensiblement pour que le marché puisse les absorber. Inversement,
si la demande est forte et que la concurrence entre les acheteurs est féroce, ces
20 unités additionnelles risquent de ne pas suffire et les cours devront probablement
augmenter pour que le marché s’équilibre 5.
Ce deuxième cas de figure résume assez bien ce qui se passe depuis quelques années
sur le marché des céréales. La demande supplémentaire créée par la production
de biocarburants est venue s’ajouter à une demande déjà en hausse en raison de
l’augmentation de la consommation dans des économies émergentes telles que
celles de la Chine. Ainsi, la concurrence en marge était importante en raison de la
demande croissante des pays en développement et des producteurs de biocarburants.
Dans ce contexte, si l’augmentation de la production est limitée ou insuffisante (à cause
de mauvaises récoltes, par exemple), les prix ne peuvent que s’envoler. C’est ce qui
s’est produit sur certains marchés agricoles en 2007-2008. Il vaut mieux donc quantifier
l’incidence de la production de biocarburants sur les marchés agricoles en proportion
de la production additionnelle, plutôt que de la production totale, consacrée à la
production de biocarburants. Ainsi, bien qu’une toute petite partie des terres arables
soit consacrée à la culture des matières premières utilisées pour la production de
biocarburants, cette dernière représentait plus de la moitié de l’augmentation de la
consommation mondiale de céréales 6 de 2005 à 2007.
4
BILAN ÉNERGÉTIQUE NET ET QUALITÉ DE L’ÉNERGIE
Aucun aspect du débat sur les biocarburants n’est sans doute plus controversé que
le bilan énergétique net (BEN). Dans son acception courante, l’analyse du BEN :
vise à comparer la quantité d’énergie fournie à la société par une technologie
avec la quantité d’énergie totale nécessaire pour trouver, extraire, traiter et
raffiner cette énergie et la fournir sous une forme utile à la société. 7
Il est généralement admis, d’après cette définition, que le bilan énergétique net de
l’éthanol produit à partir de maïs ou de blé est relativement faible par rapport à celui
de l’essence ou de l’éthanol produit à partir de canne à sucre. Les opposants aux
biocarburants citent fréquemment ces chiffres, affirmant que l’éthanol consomme
plus d’énergie qu’il n’en produit. Il est cependant important de comprendre l’une
des limites courantes de l’analyse du BEN :
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Malgré son utilisation répandue, cette analyse, qui compare différents types
d’énergie selon leurs unités thermiques présente un défaut majeur : elle ne tient
aucun compte des différences qualitatives entre les vecteurs énergétiques.
Kaufman, Cleveland et al. définissent la qualité de l’énergie comme étant
l’utilité économique relative, par unité d’équivalence thermique, de différents
carburants et de l’électricité. 8
Autrement dit, il est important de tenir compte des qualités de l’énergie utilisée dans
le processus de production, de même que de celles de l’énergie qui est produite en
bout de processus. Ainsi, la production d’électricité à partir du charbon entraîne des
pertes d’énergie importantes. Néanmoins, ce processus reste logique sur le plan
économique, car l’électricité, en raison de ses qualités uniques, est une forme d’énergie
beaucoup plus utile, par unité d’équivalence thermique, que le charbon. (Il faut bien
avouer qu’il ne serait pas très pratique de s’éclairer ou de faire fonctionner un ordinateur
au charbon.) Cela ne veut pas dire pour autant qu’il est inutile de mesurer le BEN, mais
tout simplement que ce calcul doit être remis en contexte, voire adapté, en fonction
de la qualité de l’énergie.
5
LE BILAN ÉNERGÉTIQUE NET
DE L’ESSENCE EST-IL NÉGATIF?
En riposte à ceux qui prétendent que le BEN de l’éthanol produit à partir de maïs ou
de blé est négligeable, certains expliquent qu’il reste nettement supérieur à celui de
l’essence, qui est très négatif. Ces affirmations compliquent encore le débat, car elles
reposent sur une définition modifiée du BEN. La conclusion selon laquelle le BEN de
l’essence est négatif n’est pas fondée sur la définition originale du BEN comme rapport
de la quantité d’énergie produite au moyen une technologie à la quantité totale d’énergie
nécessaire pour rendre cette énergie disponible, mais comme étant le gain énergétique
résultant du processus de production d’une source d’énergie donnée. D’après cette
définition modifiée, le BEN d’un carburant fossile, à savoir son gain énergétique, est
en effet négatif, et ce, parce que, avant même que le pétrole soit découvert, extrait et
raffiné, il possède déjà, dans son gisement, un contenu énergétique très élevé. Toute
énergie utilisée pour extraire, transporter et transformer ce pétrole brut et produire
de l’essence, par exemple, est donc considérée comme une perte d’énergie. Le gain
énergétique résultant de la production d’essence est par conséquent négatif. Toujours
d’après cette définition, l’éthanol obtient un bien meilleur résultat, puisque le soleil
apporte un gain énergétique durant la croissance des plantes. Il est important de
comprendre que la notion de gain énergétique est totalement différente du BEN
couramment utilisé que nous avons défini précédemment. Partant de la définition
courante, une étude commandée par Ressources naturelles Canada démontre que
le BEN de l’essence est plus de deux fois supérieur à celui de l’éthanol produit avec
du maïs ou du blé 9.
6
LES BIOCARBURANTS ET L’ÉCONOMIE RURALE
Le gouvernement justifie notamment sa politique en matière de biocarburants par le
fait que la croissance du secteur des biocarburants aura des retombées positives sur
l’économie rurale, entre autres en créant des emplois directs ou indirects. D’un point
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de vue économique, cependant, une analyse du coût d’option donnerait une évaluation
plus solide de telles retombées éventuelles. Un rapport de l’Institut de politiques d’intérêt
public de la Saskatchewan souligne que :
Les retombées de l’expansion du secteur de l’éthanol (y compris indirectes)
sur l’économie rurale doivent être soigneusement étudiées. Pour évaluer de
façon précise les avantages pour l’économie de la Saskatchewan, il faut
déterminer combien les investissements nécessaires pourraient, en fin de
compte, coûter aux contribuables et si cet argent ne pourrait pas être utilisé
autrement. 10
Une analyse du coût d’option devrait notamment comparer l’intérêt prévu pour
l’économie rurale de la politique du gouvernement en matière de biocarburants
et les retombées que pourraient avoir une autre politique publique avec un budget
comparable et un degré de réglementation similaire.
7
CONCLUSION
Cinq paramètres techniques ont été examinés dans le présent document afin d’aider à
comprendre et à remettre en contexte des chiffres couramment utilisés dans le débat
sur les biocarburants. En voici un résumé :
•
L’incidence possible des biocarburants sur les émissions de gaz à effet de serre
doit être quantifiée par kilomètre, et non par litre.
•
L’incidence de la production de biocarburants sur la demande de produits agricoles
doit être examinée sous l’angle de la part (et non de la totalité) de l’augmentation
de la consommation de céréales attribuable à la production de biocarburants.
•
La notion de bilan énergétique net présente des lacunes importantes. Ainsi, la
plupart des analyses du BEN de l’éthanol ne tiennent pas compte des différences
qualitatives entre différentes formes d’énergie.
•
Le BEN et les gains énergétiques résultant des processus de production ne sont
pas des mesures comparables. L’écart entre ces deux mesures est très important
pour l’essence, et pour les combustibles fossiles en général.
•
Le nombre d’emplois créés en milieu rural ne dit pas si un ensemble de mesures
gouvernementales donné en ce qui concerne les biocarburants constitue le meilleur
moyen de créer des emplois en milieu rural. Il faudrait, pour s’en assurer,
entreprendre une analyse du coût d’option.
NOTES
1.
« The ethanol myth », Consumer Reports, octobre 2006
(http://www.consumerreports.org/cro/cars/new-cars/news/2006/ethanol-1006/overview/1006_ethanol_ov1_1.htm).
2.
De même, d’après l’Ethanol Promotion and Information Council (États-Unis), « l’E85
produit environ 27 p. 100 de moins d’énergie que l’essence, mais la perte d’économie de
carburant oscille entre 10 et 25 p. 100 » [traduction]
(http://www.drivingethanol.org/ethanol_in_vehicles/frequently_asked_questions.aspx).
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3.
En 2006-2007, les six principaux producteurs étaient l’Argentine, le Brésil, le Canada,
la Chine, les États-Unis et l’Union européenne.
4.
Ronald Trostle, Global Agricultural Supply and Demand: Factors Contributing to the
Recent Increase in Food Commodity Prices, WRS-0801, Washington (DC), Economic
Research Service, département de l’Agriculture des États-Unis, mai 2008, p. 19.
5.
Bien que réduire les stocks ou stocker les excédents puisse permettre de retarder ou
d’atténuer les variations du cours, le mécanisme d’établissement des prix illustré par cet
exemple simplifié demeure valable.
6.
Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2008-2017, Faits saillants, Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE) et Organisation pour l’alimentation
et l’agriculture (FAO), 2008, p. 45 et 46.
7.
Cutler J. Cleveland, « Energy Aggregation and Energy Quality », The Encyclopedia of
Earth, juin 2008
(http://www.eoearth.org/article/Net_energy_analysis#Energy_Aggregation_and_Energy_
Quality) [traduction].
8.
Ibid. [traduction].
9.
« Expansion of Energy Balance Information in GHGenius », préparé par (S&T)2
Consultants pour Ressources naturelles Canada, novembre 2007.
10.
Rose Olfert et Simon Weseen, Assessing the Viability of an Ethanol Industry in
Saskatchewan, Regina, Institut de politiques d’intérêt public de la Saskatchewan,
Public Policy Paper Series no 48, Université de Regina, février 2007, p. 14 [traduction].
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