La crise asiatique : hasard ou nécessité

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QU’EST-CE QU’UNE CRISE SYSTEMIQUE ? QUELS SONT LES FACTEURS QUI
CONTRIBUENT A L’ALIMENTER ?
Définition : Une crise systémique part d’un état de dysfonctionnement et par effet de contagion, peut se
propager à l’ensemble du système économique & financier international.
Ex : fonds de pension US LTCM
Cause : volatilité des capitaux
Spéculation
Les 3D :
- déréglementation
- désintermédiation
- décloisonnement des capitaux
LES REPERCUSSIONS DE LA CRISE
"Les Etats-Unis ne peuvent être les éternels importateurs en dernier ressort" de la planète, tonnait le vice-président Al Gore à
Davos.
Il est vrai que, en 1998, la forte augmentation de la demande intérieure américaine (plus de 5 %) a été satisfaite par un surplus
de la production nationale (3,5 %), mais aussi et surtout par un gonflement des importations - et donc une aggravation sensible
(1,5 % du PIB) du déficit commercial. L'Europe a satisfait, elle, l'essentiel de sa demande supplémentaire (3 % environ) par
une augmentation de sa production, n'enregistrant qu'une très faible réduction de son surplus. Le Japon a connu, lui, une forte
contraction de sa consommation, dont ont souffert aussi bien les producteurs nippons que ses fournisseurs étrangers.
Pour Bercy, les Etats-Unis et l'Europe ont enregistré en 1998 une dégradation de leurs balances commerciales vis-à-vis de
l'Asie en crise, d'une même ampleur en valeur absolue - une perte nette de 30 milliards de dollars pour l'Europe, de 27
milliards pour les Etats-Unis - ou en proportion du PIB (0,35 % dans chaque cas). Les ventes européennes en Asie ont baissé
de 25 %, celles des Etats-Unis de 19 %. La dégradation exceptionnelle de la balance commerciale des Etats-Unis est davantage
liée, fait-on valoir à Bercy, à leurs échanges avec la Chine et avec l'Europe.
Evaluer le partage du fardeau à travers les seuls échanges commerciaux n'a en réalité guère de pertinence. La dépression
asiatique fait ressentir ses effets à travers
- les pertes des institutions financières (celles subies par les banques japonaises, allemandes et françaises sont plus élevées
que celles des banques américaines),
- le reflux des capitaux (plus massifs vers Wall Street que vers Tokyo, Francfort et Paris),
- l'effondrement des prix des matières premières, etc.
Cela étant, les Américains mettent le doigt sur un défi réel pour les pays industriels. Les Etats-Unis et l'Europe ont jusqu'à
présent plutôt tiré des bénéfices de la crise asiatique. Il va leur falloir maintenant en supporter les coûts.
Pour sortir de la crise, les pays asiatiques vont reprendre leurs exportations vers les pays riches. Ceux-ci doivent s'apprêter à
accueillir leurs produits, hypercompétitifs puisque dopés par les dévaluations. Si l'Europe a raison de dénoncer les excès
américains - une consommation effrénée notamment -, elle n'a aucune justification à accumuler de gigantesques surplus
commerciaux et d'épargne, alors même qu'elle souffre d'un chômage massif. Il ne s'agit pas, pour les années à venir, de
"partager un fardeau", mais de contribuer, chacun selon ses moyens - et ceux de l'Europe sont considérables -, à la relance de la
croissance mondiale.
La planète impuissante face au virus de la crise
Hier l'Asie et la Russie, aujourd'hui le Brésil : l'économie mondiale semble entraînée dans une spirale sans fin.
Après avoir largement contaminé les pays émergents (asiatiques et latino-américains), puis les nations en transition (la Russie
et d'anciens compagnons de route de la défunte URSS), un redoutable virus financier campe aux portes de l'Occident.
L'Amérique admet à présent que l'" effet samba " de la crise brésilienne risque de faire tanguer son économie, bien plus que ne
l'avait fait en son temps l'" effet tequila " consécutif à la crise du peso mexicain, durant l'hiver 1994.
De son côté, l'Europe, contrainte de composer avec un net ralentissement conjoncturel de son activité, doit se préparer à tester
la réelle solidité du " bouclier " que constitue théoriquement l'euro, au regard des chocs que ne manqueront pas de subir
l'un ou l'autre des onze pays de l'Euroland les plus engagés dans ces zones à risques.
A commencer par l'Espagne. Deuxième investisseur en Amérique latine (derrière les Etats-Unis), 12 % de ses exportations
vont vers les pays latino- américains dans lesquels les banques espagnoles sont par ailleurs fortement engagées.
Car la principale leçon à tirer est bien celle d'une contamination bien plus rapide que lors de précédents sinistres, et que
personne ne sait circonscrire, à défaut d'avoir pu l'éviter. Le meilleur exemple de cette paralysie collective est la confection, en
toute hâte, d'un plan de sauvetage préventif de près de 42 milliards de dollars (36 milliards d'euros) destiné à sauver le Brésil...
et qui n'a quasiment servi à rien. Le real a été dévalué et le drapeau noir flotte désormais sur la marmite brésilienne tandis que
l'Amérique latine, fortement intégrée commercialement (notamment au sein du Mercosur), est mise à rude épreuve.
En Asie orientale, d'où le mal est venu, la convalescence est douloureuse et les risques de rechute ne sont pas à écarter. ces
pays avaient bâti leur prospérité sur un réseau commercial dont le Japon était le centre nerveux. C'est ce système qui,
pendant deux décennies, a fourni au développement de la région une certaine autonomie par rapport aux cycles conjoncturels
des Etats-Unis ou de l'Europe. C'est lui aussi qui, aujourd'hui, contribue à entretenir et à aggraver un marasme régional qui a
rapidement gagné d'autres rives.
Cette vélocité interpelle les experts : alors que la crise du peso était restée cantonnée au Mexique et partiellement à
l'Argentine, celle du bath thaïlandais a pris en trois semestres une dimension mondiale. Pour l'expliquer, ils mettent en
avant deux facteurs : si la dépréciation du taux de change a réduit les fragilités structurelles au Mexique, elle les a
aggravées en Asie.
Ensuite, le potentiel de transmission des crises a été plus important en Asie qu'en Amérique latine.
La contagion a emprunté deux voies :
 un canal financier via un désengagement rapide des capitaux installés dans les pays émergents;
 une contagion économique via une déflation lente dont l'essentiel reste probablement à venir.
A cela il faudrait ajouter les risques inhérents à la fragilité du soubassement bancaire et financier dans tous les pays
incriminés et contaminés. Un problème vital auquel veulent s'attaquer notamment les autorités chinoises, sachant qu'il peut
saper l'ensemble de l'édifice.
LE ROLE DU SYSTEME FINANCIER INTERNATIONAL
L'assèchement du crédit dans les pays en crise est un frein au redémarrage de leurs économies
Depuis le début de la crise asiatique, les pertes accumulées par les plus prestigieux établissements de la planète se chiffrent en
milliards de dollars. Mais les risques pesant sur le système bancaire mondial n'ont éclaté au grand jour que le 23
septembre dernier, avec la débâcle du plus important fonds de placement spéculatif américain, Long Term Capital
Management (LTCM).
Ce jour-là, le président de la Réserve fédérale américaine, Alan Greenspan, n'a pas mis plus de quelques heures pour réunir une
quinzaine de banques chargées de sauver l'établissement de la faillite. Et sortir d'un mauvais pas tous ceux qui avaient fort
imprudemment prêté quelque 100 milliards de dollars (87 milliards d'euros) à ce " hedge fund " qui, comme la loi l'autorise,
fonctionne dans la plus parfaite opacité.
L'aventure est intervenue quelques semaines après le défaut de paiement sur la dette russe, sur laquelle LTCM avait
beaucoup spéculé en achetant les fameux GKO, des titres au rendement exceptionnel. On parla pour la première fois de
risque systémique, mais la catastrophe fut évitée.
Le système bancaire est en effet un des maillons-clés dans la propagation de la crise.
Pour financer une croissance économique effrénée, les banques des Dragons ont prêté des sommes colossales et
empoché des bénéfices à la hauteur tant que les projets financés trouvaient acquéreurs. Quand la conjoncture s'est
retournée, en 1997, la Thaïlande se retrouva avec un stock immobilier invendable et la Corée du Sud avec des
infrastructures industrielles à ne plus savoir qu'en faire. Les établissements financiers, eux, face, à des clients
insolvables, furent dans l'impossibilité de rembourser, à leur tour, les prêts qu'ils avaient contractés auprès de banques
étrangères.
Ce marasme a eu au moins une conséquence : fermer les vannes du crédit, pourtant indispensable pour soutenir
l'activité. Le manque de liquidités fut d'autant plus violent que, pour défendre les monnaies locales, les banques
centrales ont imposé des taux d'intérêt extrêmement élevés.
Jusqu'à l'affaire LTCM, les pays riches se sont prétendus à l'abri d'une telle catastrophe en chaîne qui aboutit à ce que
les économistes appellent un " credit crunch ". Les banques ont joué à sauve-qui-peut en rapatriant les capitaux qui
pouvaient l'être et en provisionnant le reste. Pourtant, à la fin de l'année dernière, en dépit d'un discours rassurant, les signes
d'un durcissement du crédit étaient indéniables. " Au troisième trimestre, le volume des emprunts obligataires a chuté de 50 %
par rapport au trimestre précédent, souligne Eric Chaney, économiste chez Morgan Stanley. Si l'on admet que la demande de
crédit n'a pas varié, ce résultat traduit bien un rationnement du crédit. "
La chute du Brésil est une mauvaise nouvelle supplémentaire pour les banques occidentales. Fin juin 1998, leurs engagements
atteignaient sur le continent latino-américain 296 milliards de dollars (257 milliards d'euros) contre 325 milliards (283
milliards d'euros) pour l'Asie, selon les derniers chiffres publiés par la Banque internationale des règlements (BRI). Et les
Européens, loin devant les Américains, détenaient plus de 60 % de ce total.
De façon presque surprenante, le débat sur un possible risque systémique ne s'est pas réouvert. Faut-il en conclure que le gros
de la tempête est passé ? " La situation est beaucoup plus saine qu'au moment de la crise russe, explique Eric Chaney. Le
marché a fait un ménage brutal. Beaucoup de hedge funds ont été liquidés. Et ceux qui restent sont beaucoup moins
dangereux que LTCM. "
" Les chiffres de la BRI sont surestimés, ajoute pour sa part Patrick Artus, le directeur des études de la Caisse des dépôts et
consignations. Les difficultés du Brésil étaient anticipées depuis plusieurs mois, ce qui laisse supposer que les banques ont eu
le temps de se désengager. " Et puis le Brésil, à l'inverse de la Russie, ne s'est pas jusqu'à présent déclaré en défaut de
paiement.
Reste que la forte dévaluation du real, le maintien de taux d'intérêt très élevés, avec une dette extérieure de 80 milliards de
dollars (69,5 milliards d'euros) à plus de 60 % contractée à court terme, pourraient vite rendre la situation intenable. Le
scénario d'un rééchelonnement n'est d'ailleurs plus écarté.
" Cela aurait obligatoirement des conséquences sur le comportement des banques occidentales sur leur marché domestique ",
prévient Régis Khaber, de la société de Bourse Aurel. Son calcul est simple, lorsqu'une banque perd 1 milliard de francs (0,15
milliard d'euros) sa capacité à prêter est réduite de 12,5 milliards (1,9 milliard d'euros), compte tenu des règles prudentielles
qu'elle doit respecter. Or, d'après des estimations officieuses, les banques pourraient, au bout du compte, perdre dans la
bataille, qui n'est pas encore terminée, 40 % des prêts qu'elles ont consentis aux pays en crise, soit, selon ce calcul, plus de 100
milliards de dollars ! (87 milliards d'euros). Une bombe comparable à LTCM. Le " credit crunch " ne serait plus alors une
simple hypothèse d'école. Mais de cela aucun banquier ne veut, pour le moment, entendre parler.
" Les choses ont en fait radicalement basculé, à partir du moment où des responsables politiques ont été mis en cause à travers
le financement des partis, à la fin des années 80. Les hommes politiques ont alors représenté les boucs émissaires un peu
faciles de la délinquance économique et financière, puisqu'on les identifiait alors comme les seuls responsables. Le problème
est différent quand ce sont les entreprises qui sont en cause : le fait délinquant est plus difficilement personnalisable parce que
les responsabilités sont très intriquées et que la délinquance s'exerce dans des réseaux peu formalisés.
- Comment la lutte contre la corruption est-elle devenue petit à petit un thème prioritaire pour les gouvernements ?
- Toute autorité politique a besoin de légitimité. Or, à partir du moment où les politiques ont été interpellés, à travers le
financement des partis et les relations plus ou moins obscures qu'ils entretenaient avec les grands groupes financiers, il est
devenu nécessaire, pour eux, de montrer qu'ils pouvaient se saisir du problème.
" Toute la question est de voir jusqu'à quel point les déclarations d'intention sont suivies d'effets. Il y a quand même eu quatre
lois successives sur le financement des partis, ce qui a bien montré que, au moins pendant un certain temps, les pratiques
n'avaient pas changé. De la même façon, les accords internationaux contre la corruption, qui sont une bonne chose, se font dans
une assez grande hypocrisie : on accepte, par exemple, que des paradis fiscaux signent la convention de l'Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE) sur la corruption des fonctionnaires étrangers. En fait, il faut prendre
acte de ces nouveaux engagements afin de revendiquer régulièrement leur application et leur évaluation.
- Pensez-vous que la justice est aujourd'hui suffisamment armée pour lutter contre la délinquance économique et financière ?
- Sincèrement, non. D'une part, la justice est une institution qui ne prend pas d'initiatives, qui n'est pas self-starter : elle est
toujours saisie par des plaintes de justiciables ou des informations qui lui sont transmises. Or, en matière économique et
financière, la dilution de l'information est extrême, beaucoup plus que pour les atteintes aux biens et aux personnes. La justice
pénale n'est donc informée qu'après toute une série de filtres. Elle peut ainsi devenir le jeu de règlements de comptes entre
actionnaires et être instrumentalisée.
" D'autre part, le contentieux économique et financier est traité par des organismes différents, qui ont leurs logiques propres,
comme l'inspection du travail, la direction générale de la concurrence ou l'administration fiscale. Or ces administrations ne
transmettent à la justice que les affaires dans lesquelles elles ont échoué, et leurs critères d'appréciation pour les poursuites
restent d'un flou absolu. Ce qui pose la question de la cohérence de la politique pénale et de la définition de critères de gravité
des infractions. Les infractions économiques n'ont d'ailleurs jamais été réunies dans un livre du code pénal, elles sont
dispersées dans plusieurs lois. Sur le plan pratique, c'est évidemment un handicap pour les magistrats. Sur le plan symbolique,
cela signifie qu'on n'a pas jugé suffisamment important d'inscrire les questions économiques et financières dans la définition
des grandes dimensions de l'ordre social. L'abus de bien social, par exemple, est inscrit dans la loi sur les sociétés et le délit de
banqueroute a été sorti du code pénal.
" Enfin, la justice n'a pas les moyens d'appréhender la réalité de l'entreprise dans son ensemble. Elle ne l'aborde que par des
angles successifs : le droit du travail, le droit commercial, le droit civil ou pénal. Il faudrait plutôt penser à une spécialisation
de la magistrature économique, qui aurait accès à toutes les informations concernant une entreprise, et qui aurait vocation à
traiter tous les conflits qui s'y présentent. L'action judiciaire aurait alors une vraie cohérence face à l'acteur qu'elle prétend
réguler. Cela pourrait déboucher sur des décisions qui chercheraient un équilibre entre, d'un côté, la loi et, de l'autre,
l'opportunité économique et l'équité sociale."
BRESIL
La crise au Brésil, une menace pour ses voisins
La politique adoptée par le Brésil, après la crise mexicaine de 1994, a échoué. Non seulement elle n'a pas permis à la
croissance économique de décoller, mais elle a entraîné un alourdissement du service de la dette. Le gouvernement espérait
que les réformes structurelles mises en place dans le secteur public (prévoyance, administration et fiscalité), ainsi que les
revenus tirés des privatisations, suffiraient à combler le déficit public à temps. Mais cela supposait de disposer de
suffisamment de capitaux extérieurs pendant cette transition. C'était sans compter avec la crise asiatique de 1997, qui a eu un
très fort effet de contagion en provoquant à la fois le retrait des capitaux les plus volatils et des attaques spéculatives contre le
real. Le gouvernement a riposté par l'augmentation des taux d'intérêt. Ceux-ci ont atteint jusqu'à 50 % : Fatal pour la
croissance...
Dans un premier temps, la politique gouvernementale a néanmoins réussi à maintenir le régime des changes en vigueur. Le
Brésil pensait avoir obtenu un répit : grâce à un retour des capitaux, les réserves de change ont atteint, lors du premier semestre
1998, plus de 70 milliards de dollars. Mais la question des déficits publics n'était pas réglée pour autant. Le défaut de paiement
de la Russie a porté le coup de grâce, en provoquant un mouvement de fuite des capitaux.
La politique économique du président Fernando Henrique Cardoso.
Le Brésil a souscrit récemment un accord avec le Fonds monétaire international destiné à lui permettre de recevoir un prêt total
de 41,5 milliards de dollars (38 milliards d'euros) pour sortir de la crise. En contrepartie, le Brésil s'engage à faire des
économies de 23,5 milliards de dollars cette année, à travers un sévère plan d'ajustement fiscal et des coupures budgétaires. (AFP.)
AFRIQUE
L’Afrique est touchée par le biais des matières premières
Déclenché par la crise est-asiatique, l'effondrement général des cours des produits de base, du pétrole au cacao en passant par
les métaux, atteint de plein fouet les pays exportateurs. Depuis l'été 1997, les prix des produits pétroliers ont reculé de près de
40 % et ceux de tous les autres produits d'environ 25 %. A l'exception de l'Afrique du Sud, le continent africain avait échappé à
la débâcle financière, faute, il est vrai, de marchés à attaquer. La crise l'a rattrapé à travers les matières premières, source
principale de ses revenus. Au-delà de la seule Afrique, la perte de richesse des pays exportateurs de produits de base risque, en
définitive, d'être néfaste pour les pays industrialisés, dont les débouchés se réduisent.
LA CRISE DES CHANGES
Brésil et Russie, deux économies face à une crise de change
Inévitablement, la décision de laisser flotter le real brésilien fait écho à la crise du mois d'août 1998, lorsque la Russie décréta
un moratoire sur sa dette interne et laissa filer la valeur du rouble contre le dollar. Le real en 1994, comme le rouble en 1995, a
été ancré au dollar au sein d'une bande de fluctuation à dépréciation contrôlée. Cette politique s'avère efficace pour combattre
l'inflation, mais elle s'accompagne de taux d'intérêt élevés à l'origine d'une hausse du service de la dette interne, et se traduit
par une surévaluation qui finit par précipiter la crise de change.
La comparaison de certains agrégats macroéconomiques (rapportés au PIB) renforce l'impression de similitude : dette publique
à court terme de l'ordre de 15 % en Russie et approchant 20 % au Brésil (fin 1997), déficit public (8 %) et dette extérieure
(supérieure à 30 %) équivalents dans les deux pays (mi-1998). Ce tableau succinct qui laisse craindre un " effet samba " aussi
destructeur que l'" effet vodka " cache cependant des différences marquées quant aux fondements réels des deux économies, en
particulier dans les choix d'industrialisation et d'insertion internationale.
La dépendance commerciale constitue l'un des handicaps de la Russie : les hydrocarbures représentent environ deux
cinquièmes de ses ventes externes, la chute sévère du prix du pétrole depuis l'automne 1997 provoquant un choc exogène. A
l'inverse, la diversification accrue des exportations du Brésil constitue un antidote aux chocs sectoriels sur les matières
premières. Elle découle d'une politique d'industrialisation - par substitution aux importations - sur laquelle est venue se greffer
une stratégie de promotion des exportations, où firmes multinationales et entreprises d'Etat (avionneur Embraer, sidérurgiste
Vale Rio Doce,...) jouent conjointement un rôle moteur.
En matière de régionalisation, 1991 fut une année-clé pour les deux pays : création du Mercosur donnant le feu vert à la
formation d'une union douanière entre le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay (le commerce réciproque BrésilArgentine a ainsi connu un essor spectaculaire de 360 % en valeur entre 1990 et 1995), et instauration de la CEI qui regroupe
la plupart des Républiques de l'ex-URSS.
INTÉGRATION RÉGIONALE Malgré l'accord d'avril 1994 sur la zone de libre-échange de la CEI, la volonté de ses Etats
membres de protéger les marchés nationaux finit par prévaloir. La Russie participe à la " désintégration commerciale " de l'exURSS, au moment où le Brésil s'implique dans un processus vertueux d'intégration régionale dont le rythme d'ouverture est
plus rapide que celui du commerce multilatéral.
Avant l'éclatement de l'Union soviétique, les échanges russes avec ses actuels partenaires de la CEI comptaient pour plus des
deux tiers de son commerce total, contre moins du tiers aujourd'hui. Ils sont de plus caractérisés par un très faible taux
d'échange intrabranche, héritage de l'ancienne division socialiste du travail entre les Républiques où l'hyperspécialisation était
de règle (gaz, pétrole et bois à la Russie, coton à l'Ouzbékistan, acier à l'Ukraine, etc.). Or le succès d'une régionalisation
dépend davantage de l'essor du commerce intrabranche que du commerce interbranche. C'est justement le cas des deux
puissances dominantes du Mercosur. Mais la forte croissance de leurs échanges intra-industriels depuis le milieu de la décennie
80 est aujourd'hui menacée par les tensions bilatérales que ne manque pas de susciter la chute du real.
Les changements structurels brésiliens et l'inertie du système industriel russe conduisent à opérer une distinction entre "
économie émergente " et " marché financier émergent ". Si la première désignation ne va pas sans l'autre, la réciproque n'est
pas vraie. La capitalisation boursière de la Russie s'est rapidement déconnectée de la base réelle de son économie, qui n'a
connu qu'une seule année de croissance, d'ailleurs bien timide (0,8 % en 1997) depuis le démantèlement de l'Union soviétique.
La qualité d'économie émergente n'est cependant pas une garantie contre les crises de change brisant les systèmes d'ancragedollar. Le maintien d'une parité surévaluée suppose une discipline budgétaire accrue pour la crédibiliser, sans quoi la hausse
des taux d'intérêt doit s'y substituer. Or, c'est un cas critique de policy mix associant déficit public et taux élevés qui est adopté
au Brésil, susceptible donc de provoquer un cercle vicieux d'augmentation de la dette interne puis sa restructuration. L'extrême
rigueur de la politique monétaire tient aussi aux attaques répétées subies par le real au gré de la contagion asiatique puis russe
dans un contexte de libéralisation des flux de capitaux.
Si l'" effet samba " était à l'origine d'un " effet tango ", pourrait-on cette fois invoquer l'indiscipline fiscale d'un pays sudaméricain considéré parmi les plus vertueux en la matière ? L'adoption d'un ensemble de mécanismes régulateurs de prévention
des effets de contagion est aujourd'hui un défi pour la stabilité de l'économie mondiale. Le nouveau système de crédit
d'urgence du Fonds monétaire international (FMI), destiné à enrayer les fuites de capitaux de pays émergents exagérément
malmenés, en constitue peut-être les prémices.
PAR CATHERINE MERCIER-SUISSA ET JEROME TROTIGNON
RUSSIE
RUSSIE : augmentation du chômage
la crise financière du mois d'août a fait 1,1 million de chômeurs, fixant le taux de chômage à 12,4 % de la population active, en
augmentation de 4,8 % par rapport à l'année précédente, selon les dernières données du ministère russe du travail citées
mercredi 3 mars par l'agence Interfax. - (AFP.)
SOLUTIONS
Paris propose que l'Europe soit associée à l'organisation de la sécurité régionale en
Asie orientale
POMONTI JEAN CLAUDE
Alain Richard, ministre français de la défense, propose de privilégier une approche stratégique des relations entre l'Europe et
l'Asie orientale. La fin de la guerre froide, a-t-il expliqué au Monde à Bangkok, à l'occasion d'un voyage à Singapour, à Bruneï
et en Thaïlande, a débouché en Extrême-Orient sur "un climat d'incertitude", de "quasi- fluidité stratégique", qui invite à la
mise en place de "l'architecture d'une sécurité régionale pour le XXIe siècle". L'Europe, ajoute-t-il, doit être présente au côté
des Etats-Unis dans un projet qui doit donner à la notion de "sécurité", à la lueur de la crise asiatique actuelle, son "sens le plus
large possible" en incluant les données "socio-économiques".
Le ministre français suggère de donner au dialogue eurasiatique, vieux de trois ans, sa véritable dimension. En février 1996,
lors du premier sommet entre l'Union européenne et l'Asie de l'Est, le dynamisme des économies asiatiques, en dépit des ratés
de la locomotive japonaise, avait un peu occulté l'aspect stratégique des relations entre les deux régions. On s'en était tenu à
l'établissement du lien manquant entre les trois pôles de développement économique de la fin du siècle, l'Amérique
septentrionale, l'Europe occidentale et l'Asie orientale. L'ASEM, Asia-Europe Meeting, avait ainsi formé le côté manquant du
triangle dont les deux autres côtés sont l'alliance atlantique et l'APEC,la coopération économique Asie-Pacifique.
Depuis, dit Alain Richard, la crise asiatique "a clairement démontré l'existence d'un effet de dominos" affectant les intérêts de
l'Europe. Les investissements directs européens en Asie de l'Est, proches de 80 milliards de dollars (71 Mds Euros), sont
comparables à ceux des Etats-Unis ou du Japon. Trois millions d'emplois, en Europe, sont liés au commerce eurasiatique.
L'Europe a donc "un intérêt direct et substantiel au maintien de la paix et de la stabilité en Asie". Mais comment développer
une association qui soit le produit d'une vision globale de l'équation asiatique ?
Le "partenariat" doit "donner davantage de substance" au côté eurasiatique du "triangle politique et stratégique" entre
l'Amérique, l'Europe et l'Asie
Le ministre de la défense rejette une "division simpliste" des tâches entre les Etats-Unis, le Japon et l'Europe. "La solidarité
européenne dans le domaine de la sécurité ne peut se réduire à offrir une aide économique ou humanitaire; de la même façon,
la contribution américaine à la stabilité régionale ne peut se limiter à la présence de la VIIe flotte", a-t-il résumé dans une
allocution prononcée le 24 février à Singapour. Le "partenariat" auquel il pense doit donc s'élaborer d'une autre façon afin "de
donner davantage de substance" au côté eurasiatique du "triangle politique et stratégique" entre l'Amérique, l'Europe et l'Asie.
Paris propose donc, dit-il, l'amorce d'un "dialogue stratégique de haut niveau" avec plusieurs pays asiatiques, comme cela est
déjà le cas avec le Japon, depuis 1994, ou la Chine et la Corée du Sud, depuis 1996. Il s'agit de consolider liens et accords avec
les pays d'Asie du Sud-Est. Pourquoi, dit-il, à l'exemple de la Grande-Bretagne, ne pas associer l'Europe à des exercices
militaires conjoints ? Le Forum régional de l'Asean, ajoute-t-il, est "essentiel". Créé en 1994 par l'Association des nations de
l'Asie du Sud-Est, cette tribune consacrée aux problèmes de sécurité, réunit l'UE, les Etats-Unis et d'autres pays d'Asie. La
France et la Grande- Bretagne souhaitent y être représentées à titre individuel, comme la Chine ou la Russie, en tant que
puissances nucléaires et membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU.
Offrir une dimension stratégique aux relations eurasiatiques implique, d'abord, que l'Union de l'Europe occidentale, dont "le
manque d'initiative" est le résultat d'une "absence de volonté politique", mette à la disposition d'une "nouvelle structure" - un
"comité militaire", propose-t-il - des ressources déjà existantes et à compléter. Dans l'aboutissement de cette réflexion du
ministère de la défense, "nous sommes peut-être en avance sur l'évolution moyenne de nos partenaires européens", a estimé
Alain Richard, vendredi 26 février à Bangkok. "Mais je n'imagine pas, a-t-il ajouté, une opposition européenne sur le long
terme". En Asie, a-t-il dit, l'idée d'une "organisation multipolaire a déjà fait plus de chemin" qu'en Europe.
L'expression de "recommandations" françaises est d'autant plus intéressante qu'elle intervient au moment où les relations sinoaméricaines se dégradent à nouveau et où la crise économique accentue le déséquilibre, à commencer sur le plan militaire,
entre l'Asie du Nord-Est et son pré carré du Sud-Est. Comment, puisque la fin de la guerre froide remet en jeu un demi-siècle
de pax americana en Asie orientale, commencer à doter l'Asie de mécanismes efficaces de sécurité ? Paris apporte son écot et
la vision française est, pour une fois, cohérente. Sera-t-elle entendue ?
AMÉRIQUE LATINE : la crise brésilienne va entraîner une baisse globale de 0,8 %
du PIB de la région
La crise brésilienne va entraîner une baisse globale de 0,8 % du PIB de la région, selon des analystes du Banco Bilbao
Vizcaya. Après avoir connu une croissance de 2,4 % en 1998, après 5,7 % en 1997, l'Amérique latine enregistrera en 1999 la
plus mauvaise évolution depuis la fin des années 80. L'inflation est attendue à 13 %, contre moins de 10 % en 1998.
Un forum de stabilité financière, seule proposition du rapport Tietmeyer pour
réguler les marchés mondiaux
STERN BABETTE
L'APPORT du président de la Bundesbank, Hans Tietmeyer, à la stabilité du système financier mondial se bornera-t-il à
proposer la création d'une commission ? C'est la crainte que l'on peut nourrir après la lecture du rapport qu'il devrait remettre,
samedi 20 février à Bonn, aux ministres des finances du G7 et dont Le Monde révèle la teneur. Etudier les moyens de mieux
réguler la planète financière : la mission avait été officiellement confiée au patron de la Bundesbank, fin octobre 1998, en
pleine crise brésilienne.
Depuis, ce rapport, présenté comme l'une des contributions majeures à la stabilisation des marchés financiers et le pilier de la
nouvelle architecture mondiale, était attendu de semaine en semaine par l'ensemble de la communauté financière. M.
Tietmeyer a semble-t-il préféré attendre la présidence allemande de l'UE, et la première réunion du G 7, pour remettre ses
conclusions.
L'attente risque d'être déçue. Long d'une dizaine de pages seulement, le document rappelle, en préambule, ses objectifs :
amener les institutions internationales et les autorités concernées par la stabilité financière à mieux coordonner leurs activités
pour éviter les risques en chaîne dans le système financier international : " Les dispositifs actuels ont permis d'améliorer les
standards de bonne santé et de prévention des risques. " En revanche, " le rythme des évolutions des marchés et des
intermédiaires impliqués par la globalisation financière a montré les limites d'une telle approche ".
Pour répondre à " la fragmentation des stuctures de surveillance et à l'intégration croissante des marchés ", le patron de la Buba
préconise trois pistes : ne plus différencier les aspects macro et micro-économiques en matière de règles prudentielles; amener
les institutions multilatérales et les autorités nationales à mieux travailler ensemble; associer les pays émergents à ce nouveau
dispositif. Cette coopération renforcée, estime M. Tietmeyer, permettra " l'utilisation maximale des bénéfices considérables
qu'apporte à l'ensemble des participants du système financier global la libre circulation des mouvements de capitaux ".
Le diagnostic de M. Tietmeyer rejoint le consensus international sur la nécessité d'une plus grande transparence, d'une
meilleure coordination avec le secteur privé et de la régulation des opérateurs agissant en dehors des règles existantes
(notamment fonds spéculatifs). Pour mettre en oeuvre ces objectifs, il propose à ses collègues du G 7 la création d'un forum de
stabilité financière, qui se réunirait " régulièrement pour faire le point des vulnérabilités affectant le système financier et pour
identifier les moyens de les surmonter ".
Ce forum rendrait compte aux ministres du G 7 et aux gouverneurs de banques centrales et serait composé de représentants des
autorités nationales (membres du G 7, dans un premier temps) et internationales. M. Tietmeyer suggère de confier, pour un
mandat de trois ans, la présidence de ce forum à Andrew Crockett, directeur général de la Banque des règlements
internationaux. La première réunion pourrait avoir lieu au printemps 1999.
BABETTE STERN
" La nouvelle architecture financière " de M. Chirac
Après les crises mexicaine, russe et brésilienne, le président français souhaite que " les Etats et les institutions financières
internationales soient plus transparentes " et que soit " améliorée la régulation des marchés [financiers mondiaux] par
l'adoption d'un véritable code de la route pour la circulation des capitaux ". Demandant que " la dimension sociale des crises
soit davantage prise en compte ", il propose d'accroître l'engagement des responsables politiques dans le fonctionnement du
FMI.
JAPON : crise économique
Chute de profitabilité des entreprises, la dégradation du marché de l'emploi, la baisse de l'investissement et l'affaiblissement
récent des exportations. - (AFP.)
Quel est l'impact de la crise asiatique sur la Chine ?
Protégée par la non-convertibilité de sa monnaie (8,28 yuans pour 1 dollar), la Chine a été (pour l'instant) relativement
épargnée par la crise asiatique.
La crainte d'une dévaluation concurrentielle du yuan a provoqué une importante fuite de capitaux. Pékin a laissé sa monnaie se
déprécier de 10% sur le marché parallèle au cours du premier semestre 1998, avant de réagir en procédant à une série
d'arrestations dans le milieu de l'économie de l'ombre.
Pour échapper à la crise, le gouvernement a autorisé les entreprises à conserver jusqu'à 15% de leurs recettes à l'exportation.
Parallèlement, pour relancer la consommation intérieure, les autorités de Pékin ont, dès le début de la crise, abaissé leurs taux
d'intérêt de plus de 3 points. L'automne dernier, les banques locales ont été invitées à porter à 15% l'encours de leurs prêts
immobiliers. La mesure ne suffisant pas, l'interdiction imposée il y a deux ans sur les prêts destinés à l'achat d'un véhicule
privé a été levée.
HORIZONS – ANALYSES : Une reprise en trompe-l'oeil au Japon
DELATTRE LUCAS
L'ARCHIPEL nippon est-il en train de sortir de la crise économique ? Question déterminante pour l'ensemble de l'économie
mondiale, dont les perspectives dépendent en grande partie de ce qui se passe au Japon. Or les premiers indices d'une
amélioration apparaissent. " La détérioration de l'économie japonaise ralentit, essentiellement grâce à l'investissement public ",
soulignait le rapport économique mensuel de la banque centrale du Japon publié le 21 janvier. Les gigantesques dépenses
publiques engagées avec les plans de relance de 1998 commencent à être suivies d'effets. Le regain de confiance se manifeste à
travers une remontée des valeurs cotées à la Bourse de Tokyo. Les restructurations bancaires s'accélèrent : l'annonce de "
mégafusions " comme celle de Mitsui Trust et Chuo Trust, annoncée voici quelques jours, satisfait les marchés. Enfin, le
nombre des faillites d'entreprises est en recul.
L'économie japonaise devrait rebondir " dans les semaines qui viennent ", assure le vice-ministre des finances Eisuke
Sakakibara. Le ministre du plan, Taichi Sakaiya, vient d'annoncer que la croissance japonaise pour l'année fiscale 1999-2000
(commençant le 1er avril) serait légèrement positive (+ 0,5 %).
Ces lueurs d'espoir ne doivent pas tromper : on n'en est sans doute qu'au tout début d'une très modeste reprise. A part
l'investissement public, les autres composantes de la croissance ne manifestent aucun signe de dynamisme. L'investissement
des entreprises " connaît un déclin significatif " et l'investissement dans le logement continue à être " déprimé ", reconnaît le
dernier rapport de la Banque du Japon . " Globalement, la demande privée continue à stagner. " On sait que la demande des
ménages représente plus de la moitié du produit intérieur brut (PIB) et que l'anémie de la consommation est au coeur de la
crise.
L'hypothèque la plus lourde est la " contraction du crédit " (" credit crunch "), qui continue à bloquer toute activité économique
: les banques n'ont pas encore apuré leurs comptes et sont toujours assises sur d'immenses stocks de mauvaises créances
accumulées pendant les années 80, celles de l'argent facile et du gonflement de la " bulle financière " japonaise. Tant que les
banques ne retrouvent pas d'incitation à prêter de l'argent aux entreprises, le Japon ne sortira pas de la crise. Le plan de
recapitalisation des banques, voté en novembre 1998, mettra de longs mois avant de porter ses fruits.
SURCAPACITÉS INDUSTRIELLES
C'est pourquoi la stratégie du gouvernement japonais pour sortir de la récession favorise exclusivement le secteur bancaire
(effectivement sinistré) aux dépens de l'industrie (qui se porte bien). Comment expliquer autrement le fait que Tokyo fasse tout
en ce moment pour encourager la remontée des taux d'intérêt à long terme et la hausse spectaculaire du yen ? Seules les
banques peuvent profiter de ces deux éléments, par ailleurs, de mauvais augure pour l'économie japonaise : la banque Goldman
Sachs estime que la hausse du yen et des taux va réduire de plus d'un point la croissance japonaise en 1999 et limiter
sérieusement l'effet des plans de relance budgétaire votés en 1999. Depuis le début de l'année, les taux sur les obligations d'Etat
à dix ans ont grimpé de manière vertigineuse à la suite d'une offre de titres à long terme devenue tout d'un coup considérable,
l'Etat empruntant d'énormes sommes pour financer les plans de relance votés en 1998. Cette remontée des taux risque de
pénaliser l'investissement des entreprises et de renforcer la contraction du crédit.
Mais les autorités japonaises espèrent que les banques pourront améliorer leurs comptes grâce à cette nouvelle " pente " de
taux : tout en se finançant à court terme à bas prix, elles pourront placer leur argent sur le long terme à des taux plus élevés
(c'est ainsi que la crise des caisses d'épargne américaines avait été absorbée au début des années 80). Tokyo espère aussi que
des taux longs vont renforcer la sélectivité des projets d'investissement japonais et réduire les surcapacités industrielles dont
souffre l'économie du pays depuis plusieurs années. Une meilleure rémunération de l'épargne peut, en outre, aider à relancer la
consommation.
Attirés par des taux d'intérêt plus élevés, les capitaux domestiques et étrangers retrouvent le chemin du Japon, ce qui provoque
une hauss- du yen.ACelui-ci a atteint en janvier ses plus hauts niveaux en plus d…cdeux ans face à la monnaie américaine (il
évolue aujourd'hui autour de 15 yenV pour 1 dollar, con}reÀt40 il y a six moðs). Cette apÊréciation monétair: pénalise les
expor}ateurs. Une économie fa™ble devrá¾t normalemen avoir une monnaie faible et le cemin le p1us facile pour sortlr
ä
la
déflatio
est un yen dépbÌcié.
CerIains resp…nsables membes du PartÖ libéral-démocrate (PLD), au pouvoir, proposent ainsi de relancer l'inflation en
contraignant
la
banque
centrale
à
inonder
l'écoÄomi
de liqØidités e> ayant recours à la " planche à billets ". Comme eux, l'économiste américain Paul Krugman qualifie de "
tragédie " la hausse combinée „es tauxsobligataires et du ien$pour l'économie Faponaise, un phénomène qui accen)ue la
contraction de l'activité. A l'inverse, les autorités de Tokyo pensent que la capitalisation des éˆablisements financiers
s‹améqiojera avec un yen fort.
La stratégie de TÓkyo pRur sortir de la crise est donc risquée. " On ne peut pas tout avoir ", résume Véronique Seltz,
spécialikìe du Japon à la Caisse des Dépôts et consêgnations. En@fait, il faudra p4usieurs années u Japon - tous les experts
le disent - pour retrouver un n—uveau dynamisme économiâue. En toil{ de fond de la récession la(plus graJe qu'ell ait
connue depuis 1945, lA deuxième économie de la planète n'en finit pas d'adaprer son modèle aux n+uvelles règles du jeu de
l'écon
mie mondiale.
" Ce qui se j•ue en ce moment au Japon trouve son rigine œu début des années 80 avec la lobéraéisat on financière. La
croissance des annTes 80 avait masqué les |ysfonct1onnements du système ", e plique Evelyne Dourille-FeeV, sp‰cialirte
du Jäpon au!Centre d'études Ërospective et d'informations internationales (Cepii). Tout en étant devenu le premier banquier
du monde au coÏrs des années 80, le Japon n'avait@pas adapté ses structures à un capitaOisme fifancier contraire aux traditions
nippones* Un nouveau modèle japonais se met lentement en place : moins dominé par l'épargne et plus soucieux de
transparence financière, il met)ra encore plÅsieurs années avant d'alimenter un noíveau dynamisme de croiss£nce.
Etaut-ce prévisible '
Le Fn—ds monétaire international (FMI) avait mis en garde la Tha÷lande, le payÈ où tout a commencé, contre le dérapage de
pluÐ en plus évident de ses comptes extérieurs. Mais quWñd la crise a éclaté, le 2 juille^ 1997, avec la dévaluation de la
mon~ðie locale, le baht, personne n'avaJt anticipé que cet accident de change se propageraÚ¹ dans toute la région aï point de
déstabiliser la Corée duîSud et Hongkong, pourtant plus solides.
Cette crisa de8change a révélé lLs faiblesses structurelles des économies asiatique dont le développement!a été fondé
sur le dynamiXme des expòrtations. ElMe a notamment mis à jour des niveaux d'engettement privés -8pant des entreprises
que des établissements financ¦ers - extraordinairementDílevés.
Ces dettes, contractées le plus souvent en dollars et sur des échéances cobrt terme, ont fait exploser les
systènesVbancaires et provoqué des faillites en chaîne. La crise de change s'est transfo mé en crise boursière, pour
finir par plonger les pays dans la récession, avec une explosion du chômage et de la pauvreté.
L’erreur du FMI
Il a foncé tête baisséå avec ses remèdes habituels : des plans de rigueur fon`és à la fois sur la
- réduction des dépenses de l'Etat
- politiqua monétair× restrictive pour s(abiliser les changes et lutter contºe l'in~lation
- libéralisation accrue de l'économie.
Cette potion " FMI " qui s'était montrée efficace dans le cas de l'AMérique latine des années 8 et encore du Mexique en 1994
a échoué. Car en Aìie le laxisme financier n'était pas d'oriaine publique mais privée. En sanctionnant les Etats, il a précipité les
économies dans la réÄession.
L'échÕc des plans de sauvetage du FMI en Asie a conforté la méfiance des investisseurs. C'est un peu ce qui est en train de se
reproduire au Brésil.
Le ricochet sur les pays industrialisés
Les pl ces boursières, de Wall Street à Londres en passant par Paris, ont été contaminées par la turbulence des marchés
financiers en Asie. Une première secousse a été ressentie en octobre 1997, après la première attaque des spéculateurs contre le
dollar de Hongkong. Puis une déflagration d'une tout autre ampleur a éclaté à l'été 1998, après la dévaluation du rouble et le
défaut de paiement sur la dette russe.
Aujourd'hui, il est évident aussi que les pays industriels subissent la contraction de la demande dans les marchés émergents.
Les exportations, qui en Europe ont constitué le premier moteur de la croissance jusqu'en 1997, sont en net recul. Les
perspectives de croissance de l'économie mondiale ont été divisées par deux par les experts du FMI. Le ralentissement de
l'activité est déjà à l'oeuvre dans l'Euroland depuis l'été et aux Etats-Unis, où l'économie conserve un exceptionnel dynamisme
depuis huit ans, l'horizon s'est assombri avec les difficultés du Brésil.
SOLUTIONS
L'échec des plans asiatique, russe et maintenant brésilien, où, au total, le FMI et la communauté internationale ont engagé près
de 150 milliards de dollars (130 milliards d'euros), montre les limites de ce type d'intervention face à des marchés financiers
qui brassent quelque 1 500 milliards de dollars (1 304 milliards d'euros), soit l'équivalent de la richesse produite par l'économie
française en un an. La totale liberté de circulation des capitaux et la création permanente de nouveaux instruments
financiers ont accru la volatilité et l'ampleur des mouvements sur les marchés.
Pour se mettre à l'abri des hémorragies de capitaux qui déstabilisent leur économie, certains pays, comme la Malaisie, ont
décidé de réintroduire un contrôle des changes et
réglementer les sorties de capitaux à court terme. D'autres avant lui, comme le Chili, avaient pris de telles mesures.
L'ampleur de la crise financière actuelle donne de plus en plus de poids aux partisans d'une certaine réglementation sur les
marchés financiers.
Le directeur du FMI, Michel Camdessus reconnaît désormais que la libéralisation des marchés financiers s'est faite trop vite
dans les marchés émergents. Un changement de cap de cette ampleur demandera un vrai consensus au niveau international, qui
semble, à ce jour, difficile à obtenir. Les Américains en particulier n'y sont pas favorables.
" Pour prévenir les crises, il faut aussi prendre en compte les données sociales "
" La crise brésilienne est-elle, selon vous, une nouvelle forme de crise ? Renforce-t- elle les craintes de récession mondiale que
la Banque mondiale exprimait en décembre dernier ?
- La crise asiatique, la crise russe, ou maintenant la crise brésilienne ont, à l'origine, des explications différentes. Les problèmes
de l'Asie de l'Est proviennent d'un surendettement privé ingérable en raison de structures bancaires défaillantes. Au Brésil comme en Russie -, c'est l'Etat qui a mal contrôlé ses dépenses et laissé filer déficits et dettes publics. Mais toutes ces crises ont
un point en commun : elles se déroulent dans un contexte de grande nervosité des marchés, alors que ceux-ci jouissent d'une
totale liberté en matière de mouvements de capitaux.
" Le plan du Fonds monétaire international (FMI) de 41,5 milliards de dollars en faveur du Brésil aurait dû faire retomber la
pression car son montant est suffisant pour permettre au pays de résoudre ses problèmes. Mais les investisseurs n'y ont pas cru.
La cessation de paiements annoncée par l'Etat du Minas- Gerais a été pour eux le signe que le président Fernando Cardoso ne
parviendrait pas à mener à bien le plan de rigueur négocié avec le FMI.
" A partir de ce moment-là, la partie était perdue. Soixante milliards ou même davantage n'auraient rien changé, car ce n'est pas
une question d'argent mais une question de confiance. Les montants que peuvent engager les institutions internationales et les
pays industrialisés sont dérisoires par rapport à la dimension des marchés où les échanges journaliers se chiffrent en milliards
de milliards de dollars.
" A posteriori, la question est de savoir si le Brésil aurait pu s'épargner le plan du FMI et dévaluer avant. Difficile de répondre.
Au Brésil, le Fonds est intervenu pour la première fois de son histoire de façon préventive, sans attendre que la crise éclate. Si
le Brésil avait su garder la confiance des marchés après le plan, cette crise n'aurait pas eu lieu. Mais tout ce qui vient de se
passer n'avait pu être anticipé ni par le Fonds ni par la Banque mondiale. Faut-il pour autant être plus pessimiste pour la
croissance mondiale ? Aucun scénario ne doit être exclu. Le ralentissement de l'activité est incontestable.
- Est-il encore crédible pour les institutions internationales de parler d'un système de prévention ?
- Je crois que nos erreurs viennent du fait que nous avons trop focalisé nos analyses et nos anticipations des crises sur des
critères financiers. Or il n'est pas possible de se contenter d'une analyse financière. Il faut aussi prendre en compte la situation
sociale d'un pays, le niveau de protection sociale par exemple qui permettra d'amortir les chocs.
" Aujourd'hui, le principal problème de l'Indonésie après la crise, c'est que 50 millions de personnes supplémentaires vivent
avec moins de 1 dollar par jour. En Russie, 45 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Des milliards de dollars
injectés dans les banques ne suffiront pas à faire revenir la confiance, car ce sont les problèmes sociaux qui dominent la
question de la confiance. Voilà pourquoi il faut une approche globale pour parvenir à un système efficace de prévention des
crises.
" La Banque mondiale va se battre pour imposer cette nouvelle approche. Jusqu'à présent, les débats sont trop restés confinés
aux ministres des finances et aux institutions financières. La Banque veut attirer la réflexion sur des thèmes comme la
corruption, la fiabilité du cadre juridique pour les investisseurs, la protection sociale et la justice sociale. Avant d'investir dans
un pays, les entreprises doivent examiner ces critères au même titre que le niveau des infrastructures ou les avantages en
matière de coût salarial. C'est la condition pour assurer un développement durable.
- Compte tenu des critères que vous venez d'évoquer, existe-t-il, selon vous, un vrai danger pour que la crise se propage à la
Chine ?
- Les autorités chinoises sont très lucides. Dès son arrivée au gouvernement, le premier ministre Zhu Rongji a pris des mesures
pour renforcer le système bancaire en injectant 30 milliards de dollars dans le capital des établissements fragiles. Le
gouvernement vient aussi d'annoncer qu'il ne garantirait pas les prêts accordés aux entreprises chinoises par les banques
étrangères. Cette décision est très saine. A l'avenir, les investisseurs étrangers devront prendre davantage de précautions.
" Il n'y a pas de raison que l'Etat supporte les risques pris par les acteurs privés. Je ne dis pas que la situation chinoise n'est pas
inquiétante, mais je pense qu'on ne pourrait pas avoir de meilleure équipe que celle qui est actuellement à la tête du pays. Si on
met, bien sûr, de côté la question des droits de l'homme.
- Toujours à propos de la Chine, la dégradation de la situation sociale ne vous inquiète-t- elle pas ?
- Si, bien sûr. Mais, encore une fois, je crois que le gouvernement chinois a une vue très claire de ces problèmes et qu'il saura
les gérer.
- Jusqu'à présent, la Chine a résisté à la crise financière. Est-ce parce que son économie n'est pas totalement ouverte et
déréglementée ?
- C'est indéniable. La Chine est moins exposée aux crises parce qu'elle ne dépend pas des investisseurs étrangers pour financer
son économie, notamment par le biais des placements à court terme.
" Voilà pourquoi on peut aujourd'hui se demander s'il ne serait pas nécessaire de limiter la liberté de circulation de capitaux. En
tant qu'Australien, je me souviens qu'à un moment de notre histoire mon pays a fait ce choix en réglementant les mouvements
de capitaux à court terme. Le Chili l'a fait également. Je crois que l'instauration de tels systèmes, à titre provisoire, est utile.
- Le FMI et la Banque mondiale ne font pas la même analyse de la crise et des remèdes à y apporter. Pouvez-vous encore
travailler ensemble et sur quelle base ?
- Je rencontre Michel Camdessus, le directeur général du FMI, toutes les deux semaines. C'est la première fois dans l'histoire
de ces deux institutions qu'il y a des contacts aussi réguliers entre leurs deux dirigeants.
" Lors de ces rencontres, nous abordons tous les problèmes et je peux vous dire que, sur 98 % des sujets, nous travaillons
ensemble. En Asie, il y a maintenant des équipes communes sur tous les projets.
" Les projecteurs ont été pointés sur nos différences de vues, qui sont minimes. Au demeurant, je crois qu'il est sain et
important d'avoir des divergences de vues et de les exprimer. La Banque comme le Fonds doivent vaincre la défiance de leurs
interlocuteurs, de leurs gouvernements, mais aussi des organisations non gouvernementales (ONG) avec qui nous sommes
conduits à beaucoup travailler. Les choses sont en train de changer. Il faut, de notre côté, que nous apprenions à devenir de
bons partenaires. "
La crise asiatique : hasard ou nécessité ?
COHEN DANIEL
Deux théories s'opposent à propos de la crise asiatique. Pour l'une, la crise révèle des dysfonctionnements graves, accumulés
au cours du temps, mais masqués par la forte croissance des années 90. Pour l'autre, la crise n'a aucun fondement : elle est
cause et effet du dérèglement économique et financier, la " panique" des opérateurs brisant des institutions autrement solides.
L'école des "fondamentalistes", selon laquelle la crise révèle des dysfonctionnements qui auraient tôt ou tard fini par se
manifester, est bien représentée par l'article de Corsetti et alii La première pathologie des économies asiatiques est d'avoir
manqué de tout instrument rigoureux de supervision de leurs institutions financières. Les exemples abondent de banques
commerciales au service de clans ou d'intérêts proches du pouvoir et assurées tacitement du soutien des pouvoirs publics en cas
de défaillance. Comme le résume à sa manière inimitable Paul Krugman, le jeu des banques en Asie a longtemps été : "Pile je
gagne, face le gouvernement perd."
Le deuxième facteur déclenchant de la crise est le ralentissement de la croissance et de la rentabilité. En Corée, par exemple, le
ratio dette sur fonds propres des trente plus grands chaebols s'élève à plus de 300 % (soit trois fois le chiffre habituel d'un
grand groupe américain).
Troisième facteur "fondamental" : la crise de la balance des paiements, qui évoque irrésistiblement la crise mexicaine de 19941995. Au lendemain de celle-ci, l'ex-professeur Larry Summers, vice-secrétaire au Trésor, énonçait cette règle simple : au-delà
d'un déficit de 5 % de ses comptes courants, un pays est en danger. Or, au cours de la seconde moitié des années 90, la
Thaïlande et la Malaisie connaissent un déficit moyen représentant 8 % du PIB, la Corée et les Philippines flirtent avec la ligne
jaune, enregistrant chacun un déficit de 4,8 %, rendant la crise inéluctable.
L'autre vision de la crise asiatique est donnée par le texte de Radelet et Sachs. Le miracle asiatique, à leurs yeux, n'était pas un
mirage et aurait pu continuer longtemps. La croissance économique des années 80 et 90 est palpable : pour ne prendre que
quelques indicateurs, l'espérance de vie passe (en Corée, Malaisie et Thaïlande) de 57 ans en 1970 à 68 ans en 1995, le taux
d'analphabétisme de 27 % à 9 %. En Indonésie, la part de la population en dessous du seuil de pauvreté baisse de 60 % en 1960
à 15 % en 1996.
Pour Radelet et Sachs, l'origine de la crise est simple : la sortie brutale de capitaux qui provoque en moins d'un an un manque à
gagner de plus de 10 % du PIB. La crise se ramène à une panique des créanciers. En l'absence d'un "prêteur en dernier ressort"
capable d'injecter les liquidités nécessaires, elle prend les allures cataclysmiques qu'avait prises la crise de 1929.
La question de savoir "qui a raison" sera tranchée un jour par les historiens. Mais, à défaut de découvrir le moyen imparable de
connaître immédiatement la nature des crises, il faudra bien trouver de nouvelles règles du jeu adaptées aux incertitudes où se
trouveront toujours les marchés et les autorités.
La croissance de l'Amérique latine est remise en cause
STERN BABETTE
L'AMÉRIQUE LATINE a retenu la leçon. La crise de la dette des années 80 a été trop dure et ses dirigeants ont abandonné les
uns après les autres leurs vieux démons populistes et leurs discours anti-impérialistes pour se rallier, avec quelques
amendements, aux solutions libérales.
En août 1982, le Mexique, numéro deux au palmarès de l'endettement extérieur, se déclare incapable d'honorer ses dettes.
Mexico déclenche une cascade de défaillances : Argentine (novembre 1982), Brésil (décembre 1982) et Pérou (mars 1983)
sont contraints de mettre tour à tour la clé sous la porte. En l'espace de huit mois, quatre pays représentant 233 milliards de
dollars de dettes, ont ébranlé le système financier international. La première crise de l'endettement était née, spectaculaire et
traumatisante pour les bailleurs de fonds.
Tous les ingrédients avaient été depuis longtemps réunis pour favoriser son éclatement : les Etats sud-américains avaient bâtis
leur croissance sur des montagnes d'emprunts contractées auprès des banques étrangères abreuvées par les pétrodollars et peu
regardantes. Qu'importe ces taux d'intérêt qui ne cessaient de grimper... jusqu'au jour où le fardeau des remboursements est
apparu insuportable.
Pendant dix ans, l'Amérique latine va se retrouver totalement sevrée d'investissements étrangers. Une "décennie perdue". Ce
n'est qu'au début de 1991, après qu'elle ait fait allégeance à l'orthodoxie libérale que cette tendance s'est inversée. La crise
mexicaine de 1994- 95 n'a pas réussi à décourager les investisseurs directs, souligne le Rapport sur les investissements
mondiaux 1998 des Nations unies. En 1997, l'Amérique latine et les Caraïbes ont attiré un record de 56 milliards de dollars
d'investissements directs, ce qui représente une augmentation de 26 % par rapport à l'année précédente.
VAGUE ORTHODOXE
Le Chili a été le premier à remonter la pente sous la dictature Pinochet. Avec des performances de 6/7 % par an, le pays surnommé "le jaguar de l'Amérique latine" - a fait des envieux pendant des années. La recette est connue : rigueur budgétaire
et salariale pour juguler l'inflation, ouverture commerciale, privatisations.
Contrairement à toute attente, Carlos Menem, élu président en juillet 1989, est parvenu à imposer la rigueur en Argentine. Pour
encourager l'épargne locale à rester sur place, il attache le peso au dollar. Bon économiste, Fernando Henrique Cardoso, élu en
janvier 1995 au Brésil, met à son tour la lutte contre l'hyperinflation au premier rang des priorités du pays. Le Mexique est pris
dans la vague orthodoxe en 1994, lors de son intégration au sein de l'Alena, la zone de libre-échange avec les Etats-Unis et le
Canada. Au Pérou, Alberto Fujimori, au pouvoir depuis 1990, s'est vu décerner un 20/20 par le FMI pour la rigueur de sa
politique fiscale et monétaire. Même le Vénézuélien Hugo Chavez - ancien parachutiste héros des plus défavorisés et
épouvantail des investisseurs parce qu'il dénonçait le néolibéralisme sauvage lors la campagne présidentielle à la fin de 1998 semble devoir se convertir. Le nouvellement élu président vénézuelien se réclame désormais d'une troisième voie du type de
celle prônée par Tony Blair.
Les changements politiques et économiques que l'Amérique latine a menés en près de vingt ans ont été profonds. Les systèmes
politiques et économiques mis en place sont apparus plus fiables et plus transparents qu'en Asie. Beaucoup des entreprises
nouvellement privatisées ont noué avec les gouvernements des liens sains. Les dirigeants latino-américains, pour la plupart
formés aux Etats-Unis, sont plus "performants" que les asiatiques.
ÉCHÉANCES PRÉSIDENTIELLES
Mais autant l'Amérique latine peut servir d'exemple à ses collègues d'Asie, autant la tempête des 18 derniers mois a souligné
combien elle était toujours vulnérable aux chocs extérieurs. Cette vulnérabilité - la sensibilité du Chili à la chute du prix du
cuivre ou celle du Venezuela à celui du pétrole - est en partie la conséquence de l'ouverture commerciale menée par ces pays
qui restent particulièrement exposés en raison de leur dépendance à un petit nombre de matières premières. La plupart des
économies latino- américaines souffrent d'un taux d'épargne trop bas pour nourrir suffisamment leurs investissements et elles
ne peuvent se passer des capitaux étrangers.
La crise asiatique et la défiance des investisseurs à l'égard de l'ensemble des pays émergents risquent-elles de tout remettre en
cause ? Alors que la zone s'apprêtait à connaître la meilleure performance économique depuis deux décennies, va-t-elle
brutalement être sevrée d'argent frais ? En 1997, le croissance de la région a progressé de plus de 5 % et l'inflation a poursuivi
son déclin juste au-dessus de 10 %.
Tout dépend de la perception qu'auront les marchés financiers internationaux de la stabilité politique, économique et sociale
future de la région. Plusieurs pays vont connaître des échéances présidentielles cette année, période toujours susceptible de voir
renaître les promesses faciles. Le bilan latino- américain, plutôt flatteur en termes d'équilibre macro-économique, est loin d'être
parvenu à réduire les fractures sociales. Dans une étude publiée en novembre 1998, la Banque interaméricaine de
développement (BID) met en évidence que le Chili est l'un des septs pays les plus inégalitaires du monde : les 10 % des
Chiliens les plus riches reçoivent des revenus trente fois supérieurs à ceux des 10 % des plus défavorisés. La moitié de la
population vit encore dans la pauvreté et est sous-employée.
BABETTE STERN
PLACEMENTS ET MARCHES
La crise monétaire au Brésil avive les craintes déflationnistes
Les opérateurs continuent à privilégier l'achat d'emprunts d'Etat, dont les rendements sont aux plus bas niveaux. Devant la
détérioration économique dans l'Euroland, la Banque centrale européenne pourrait rapidement baisser ses taux
DELHOMMAIS PIERRE ANTOINE
La crise financière s'est aggravée, cette semaine, au Brésil, avec l'accélération de la chute du real. Ce dernier a baissé de 40 %
depuis le changement de cap monétaire opéré à Brasilia. Les opérateurs estiment que la hausse des taux d'intérêt décidée par la
Banque du Brésil est une mauvaise réponse aux difficultés économiques du pays. Le projet de l'Argentine de remplacer sa
monnaie nationale par le dollar des Etats-Unis a été interprété comme le signe que la crise est en train de se propager en
Amérique du Sud. Il s'agit d'une mauvaise nouvelle supplémentaire pour les économies de l'Euroland, déjà victimes d'un net
ralentissement. Le ministère allemand des finances n'a pas exclu que le produit intérieur brut ait reculé au quatrième trimestre,
outre-Rhin. Cette détérioration pourrait inciter la Banque centrale européenne (BCE) à abaisser rapidement ses taux directeurs.
IL Y AVAIT eu quelque chose de très surprenant à voir les marchés financiers ignorer, et même se réjouir, du changement de
cap monétaire survenu au Brésil. L'annonce, vendredi 15 janvier, du flottement du real avait été accueillie par une hausse
générale des marchés boursiers (Le Monde des 17 et 18 janvier), comme s'il s'était agi là d'une excellente nouvelle pour
l'économie mondiale. Pour expliquer cette réaction paradoxale, certains analystes avaient mis en avant le fait que cet
événement était tellement prévisible qu'il était intégré, depuis longtemps, dans les cours.
Les secousses observées, sur les marchés financiers internationaux, à la fin de cette semaine, tendent à démontrer que les
anticipations n'étaient que partielles et que les opérateurs ont davantage fait preuve, durant plusieurs jours, de légèreté que de
clairvoyance.
Le recul du real s'est transformé, jeudi 21 janvier, en chute libre. La monnaie brésilienne est tombée jusqu'à 1,75 real pour 1
dollar, soit une baisse d'environ 40 % en une semaine. Au point que la banque centrale du Brésil, selon certaines rumeurs,
aurait choisi d'intervenir, vendredi, pour tenter d'arrêter l'hémorragie. Cette action a permis à la devise brésilienne de se
redresser légèrement, à 1,73 real pour 1 dollar. Mais ce rebond paraît très fragile, tant la situation au Brésil, et dans l'ensemble
de l'Amérique latine, suscite désormais la défiance de la communauté financière internationale.
Les opérateurs jugent notamment que l'arme de la hausse des taux utilisée, lundi, par l'institut d'émission brésilien - le principal
taux directeur a été porté de 36 % à 41 % - est une très mauvaise réponse aux difficultés économiques du pays. C'est l'avis du
financier américain George Soros. "C'était un mauvais conseil à donner au gouvernement brésilien d'augmenter les taux, après
la dévaluation du real", a-t-il affirmé.
Le resserrement monétaire a pour effet de renchérir la charge de la dette publique interne du Brésil, aux trois quarts indexée sur
les taux variables à court terme, et qui constitue un fardeau financier très lourd. Parallèlement, le plongeon du real a pour
conséquence d'augmenter le coût de la dette extérieure brésilienne, libellée en devises étrangères (estimée à environ 275
milliards de dollars, soit 237 milliards d'euros). Dans ces conditions, les opérateurs voient mal comment les entreprises et l'Etat
brésiliens pourront faire face à leurs échéances de remboursement.
Pedro Parente, secrétaire général au ministère des finances brésilien, a affirmé, jeudi, qu'il n'est pas dans l'intention du
gouvernement de restructurer la dette. "Cette possibilité n'existe pas et n'est pas nécessaire." Mais les marchés n'en semblent
guère convaincus. Ils ne croient pas davantage, compte tenu des récents bouleversements monétaires, que l'adoption par le
Congrès brésilien des mesures d'ajustement budgétaire demandées par le FMI suffise à restaurer l'équilibre des comptes.
Mais le plus inquiétant se trouve dans les signes de propagation du choc brésilien au reste du continent sud-américain, qui fait
craindre un scénario dominos. Le projet argentin de remplacer purement et simplement sa monnaie nationale, le peso, par le
dollar des États-Unis peut être perçu à cet égard comme une preuve de la panique grandissante à Buenos Aires. Le président de
la banque centrale argentine, Pedro Pou, a affirmé, jeudi soir, qu'il était en train de négocier avec Washington un "traité
d'association monétaire bilatérale", qui "pourrait être instauré dans deux ou trois ans" et constituerait le premier pas pour une
"dollarisation" de l'économie argentine. L'adoption du dollar permettrait à l'Argentine "d'éliminer tout risque de dévaluation et
de réduire les taux d'intérêt et la dette publique", ainsi que de créer 1,6 million d'emplois, a ajouté M. Pou. Mais quand on sait
les obstacles qu'ont dû surmonter les pays européens pour lancer l'euro, la création d'une monnaie unique américaine n'est sans
doute pas pour demain. En attendant, l'Argentine, qui réalise le tiers de ses échanges commerciaux avec le Brésil, doit faire
face à l'effondrement du real.
L'aggravation de la crise financière en Amérique latine est une mauvaise nouvelle supplémentaire pour des économies
européennes déjà en phase de net ralentissement. " Pendant l'automne de l'an dernier, l'économie a nettement perdu de son élan
sous l'influence des effets de ralentissement liés aux différentes crises régionales dans le monde", a souligné la Bundesbank
dans son rapport mensuel. Le ministère allemand des finances a, pour sa part, admis que le produit intérieur brut (PIB) risquait
d'avoir reculé au quatrième trimestre outre-Rhin. Et la France ne devrait guère avoir fait beaucoup mieux au cours de cette
période, au vu des mauvais chiffres de consommation du mois de décembre. Le premier ministre Lionel Jospin a affirmé, jeudi,
que "l'hypothèse d'une récession n'était pas, en tout cas en France, à l'ordre du jour", même s'il était "légitime de s'interroger
sur la vigueur de la croissance". On est loin du discours résolument optimiste qui prévalait encore il y a quelques semaines.
Quoi qu'il en soit, l'environnement économique et monétaire actuel - ralentissement de la croissance dans l'Euroland et crise
dans les pays émergents - est idéal pour les marchés obligataires européens : le rendement de l'emprunt d'Etat français à dix ans
est tombé, vendredi, à 3,73 %, un nouveau record historique. Et une baisse du taux directeur de la Banque centrale européenne,
aujourd'hui fixé à 3 %, ne semble plus qu'une question de semaines.
PIERRE-ANTOINE DELHOMMAIS
Le spectre du "credit crunch"
"credit crunch", cauchemar financier où les crédits pour les pays émergents s'assècheraient brutalement.
Brésil, acte III de la crise financière
Après l'Asie et la Russie, le Brésil est secoué par la tourmente monétaire . La dévaluation du real peut ébranler l'Amérique
latine . Menacés, les Etats-Unis volent au secours de Brasilia. Les marchés se stabilisent après avoir chuté en Europe.
DÉCLENCHÉE mercredi 13 janvier avec la dévaluation du real, la crise financière au Brésil faisait craindre une secousse
générale en Amérique latine, comme en Asie durant l'année 1997, qui ne manquerait pas d'avoir un effet négatif sur la
croissance mondiale. L'économie brésilienne pèse d'un poids déterminant dans la région : elle représente près de 45 % du
produit national brut de l'Amérique latine et absorbe quelque 18 % des exportations nord-américaines. Etats-Unis en tête - où
le président Bill Clinton dit " surveiller de près" l'évolution de la situation -, l'ensemble du G7, regroupant les sept pays les plus
industrialisés, était mobilisé. Tirant les enseignements des précédents en Asie et en Russie, la communauté internationale avait,
sous l'égide du Fonds monétaire international, mis en place un dispositif de prévention; celui-ci n'a pas réussi à empêcher le
déclenchement de la crise. On redoute un "effet domino", qui propagerait une crise de confiance et provoquerait un retrait des
capitaux dans nombre d'économies émergentes, du Mexique à la Chine.
Dès mercredi, la dévaluation de plus de 8 % du real avait provoqué un vent de panique sur la plupart des grandes places
boursières. A Sao Paulo, la Bourse clôturait à - 5 %, mais elle perdait plus de 10 points en Argentine, près de 5 au Chili, au
Pérou et au Mexique. Wall Street est parvenu à limiter ses pertes en cédant 1,3 %. Jeudi, les Bourses européennes, qui avaient
essuyé la veille de fortes baisses, ont ouvert sur une note stable.
Réélu sur un programme de défense de la monnaie, le président brésilien Fernando Cardoso n'a pu enrayer un vent de panique
chez les investisseurs, qui s'est traduit par une dévaluation de fait du real, laquelle a entraîné la démission du gouverneur de la
banque centrale, Gustavo Franco, et son remplacement par Francisco Lopes.
Les grandes puissances n'ont pas réussi à éviter la chute du domino brésilien
Le troisième acte de la crise mondiale partie de Thaïlande en 1997 vient de débuter
STERN BABETTE
BRANLE-BAS de combat général. Les membres du G7, déjà depuis plusieurs jours en concertation téléphonique permanente
au sujet de la situation au Brésil, sont depuis mercredi en état d'alerte maximum. Fini la trêve hivernale dont profitaient les
grandes puissances depuis l'automne après une première partie d'année très chaotique sur le plan économique et financier.
Terminées les congratulations mutuelles sur le lancement réussi de l'euro, les efforts fournis par le Japon pour assainir son
système financier et ses promesses de réduire durablement ses impôts, les perspectives plus optimistes qu'espéré de reprise
économique en Asie, notamment en Corée du sud, et la réflexion qui avance - du moins nous le laisse-t-on croire - sur la
réforme du système financier international et les moyens de mieux maîtriser les mouvements de capitaux.
Le Brésil avait été choisi par la communauté internationale pour illustrer la nouvelle stratégie du Fonds monétaire international
(FMI) d'intervenir avant le déclenchement d'une crise et non plus après, comme en Asie. Brasilia avait été le premier
bénéficiaire d'un fonds de secours créé sur mesure. Cette stratégie est ruinée brutalement.
Mercredi soir, après une journée d'intenses consultations entre les grands pays industrialisés, personne ne se risquait à un
pronostic sur la suite des événements.
Deux scénarios sont possibles. Le premier mise sur la capacité du président brésilien Fernando Cardoso et de son
gouvernement à maîtriser la dévaluation du real pour amorcer une baisse des taux d'intérêt, rétablir la confiance et relancer
l'économie. Le second voit la poursuite des fuites de capitaux - qui n'ont pas vraiment cessé depuis septembre - la défiance
définitive des investisseurs à l'égard des pays émergents, le maintien de taux élevés en Amérique latine et un effondrement des
monnaies.
MAUVAIS SIGNES
Cette dernière hypothèse est suffisamment redoutée pour que le président américain soit intervenu immédiatement mercredi
pour affirmer qu'il surveillait "de près" la crise. Les Etats-Unis ont "un grand intérêt à voir le Brésil mener ses réformes
économiques. Nous espérons que la situation va trouver une solution satisfaisante non seulement pour le Brésil mais pour le
reste du monde", a expliqué Bill Clinton en rappelant que l'Amérique latine était le marché qui connaissait "la plus forte
croissance" pour les produits américains.
L'importance du Brésil pour l'économie américaine avait amené la communauté internationale à se mobiliser pour tenter
d'endiguer la contagion de la crise asiatique au continent latino-américain dès octobre. Relativement lointaine lorsqu'elle se
déroulait en Asie, la vague de la crise financière venait dangereusement lécher les frontières des Etats-Unis. Or, l'impact
négatif sur la croissance d'un choc sur les exportations américaines est aujourd'hui plus difficilement compensable par une
nouvelle baisse des taux. La Fed y a procédé par trois fois et l'inflation donne de mauvais signes.
LE FMI À MARCHE FORCÉE
Les exportations américaines à destination du Brésil ont beaucoup augmenté depuis la libéralisation du commerce au début des
années 90. En 1997, les Etats-Unis avaient un surplus commercial de 5 milliards de dollars (4,3 milliards d'euros) avec ce pays.
L'Amérique latine représente 18 % de leurs exportations. La stagnation des marchés asiatiques a conduit les entreprises
américaines à miser sur la région. Elles ont investi au Brésil plus que dans aucun autre, excepté au Canada et au Royaume-Uni.
Plus de 2 000 compagnies américaines travaillent au Brésil. Le PIB brésilien (800 milliards de dollars, 690 milliards d'euros)
représente 45 % de l'ensemble de l'économie sud-américaine. Le pays est économiquement bien plus important que la Russie et
les banquiers américains lui ont prêté quatre fois plus.
L'effet sur les Etats-Unis d'un effondrement du Brésil serait en outre amplifié par l'impact qu'il aurait sur l'ensemble de la
région : l'Argentine, qui tente de maintenir aussi une parité fixe avec le dollar et qui exporte un tiers de sa production vers le
Brésil mais également le Mexique, dont l'économie est sérieusement chahutée par la chute du prix du pétrole; le Paraguay,
l'Uruguay qui sont membres avec le Brésil et l'Argentine du Mercosur, la première zone de libre échange et d'union douanière
d'Amérique latine et quatrième bloc économique mondial; le Chili et la Bolivie également associés.
Doit-on voir dans ce nouvel épisode des sursauts de l'économie mondiale une nouvelle faute d'appréciation du FMI ? Les
germes de cette nouvelle crise étaient en tous cas réunis dès la décision de voler au secours du Brésil.
Sur la forme, l'institution a avancé à marche forcée vers la signature d'une lettre d'intention avant même que le président
Cardoso soit élu et que l'on constate qu'il n'avait pas une majorité aussi large qu'espéré, et par conséquent bien avant que le
Congrès puisse voter le plan. Cette précipitation répondait au souci de circonscrire la crise. Mais ce faisant, le FMI a sousestimé le poids des forces politiques intérieures. Comme en Russie, le Fonds a soutenu une politique de monnaie forte
accrochée au dollar, accompagnée d'une dévaluation à dose homéopathique.
Cette politique a certes permis d'éradiquer l'hyperinflation, mais au prix de taux d'intérêt extrêmement élevés qui ont pénalisé
les producteurs intérieurs, ralentit la croissance et renchéri la dette, rendant son service insoutenable.
CRAINTES SUR L'ASIE
Le cas brésilien montre les limites de l'intervention de la communauté internationale. Si le G7 peut agir en améliorant les
règles du jeu entre tous les acteurs des marchés (ce qui n'est encore loin d'être fait), la communauté internationale n'a pas de
prise sur la politique intérieure des pays.
C'est la raison pour laquelle le G7 s'est bien gardé, mercredi, de faire une quelconque déclaration. En début de semaine,
Jacques Chirac s'était entretenu avec le président Cardoso et l'avait encouragé à tenir bon. Mais c'est le Congrès brésilien et les
gouverneurs des Etats qui ont entre leurs mains le sort du pays.
Car la bourrasque qui s'est abattue sur le Brésil fait craindre un regain de tension sur les pays émergents d'Asie. Ces craintes
sont d'autant plus justifiées que la Chine doit gérer des risques de faillite en cascade et que, malgré ses efforts, le Japon ne
parvient pas à sortir de la récession. Le troisième acte de la crise mondiale, partie de Thaïlande il y a dix-huit mois, vient de
débuter.
Les banques japonaises au coeur de la crise
DELATTRE LUCAS
L'AVENIR de la croissance mondiale dépend en partie de l'état de santé des banques japonaises. On saura, en 1999, si le
gigantesque plan de recapitalisation bancaire décidé à l'automne de 1998 (et dont le montant équivaut à 11 % du PIB nippon) a
été suffisant pour rétablir la confiance et poser les bases d'un début de reprise au Japon. La crise japonaise freine la sortie de
crise du reste de l'Asie. Avec une économie en récession, le Japon n'a pas pu ouvrir ses marchés aux biens excédentaires en
provenance de Corée, d'Indonésie, de Thaïlande.
Depuis l'éclatement de la bulle financière au début des années 90 - avec une chute brutale du prix des actifs immobiliers et
boursiers -, l'incapacité des banques à distribuer des financements est au coeur de la crise nippone. Le système financier n'a pas
été recapitalisé quand il le fallait et ne fonctionne plus à cause des créances douteuses qui empêchent toute reprise de l'activité
économique : les entreprises n'accèdent plus au crédit depuis le début des années 90. Le montant total des " créances douteuses
" détenues aujourd'hui par les banques pourrait représenter l'équivalent de 30 % du PIB japonais, selon des économistes
japonais cités par l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE).
PLANS DE RELANCE
Les mesures de relance s'accumulent, plus spectaculaires les unes que les autres sur le plan des montants engagés. Outre le plan
de recapitalisation des banques, le gouvernement japonais a adopté au printemps et à l'automne deux plans de relance
prévoyant des mesures de soutien à l'activité axées autour de grands travaux et de baisses d'impôts sur les particuliers et les
entreprises.
Une politique budgétaire expansionniste, une politique monétaire qui ne l'est pas moins avec des taux d'intérêt qui n'ont jamais
été aussi bas (0,50 % pour les taux directeurs de la banque centrale) : jusqu'ici, rien n'a permis de réactiver le crédit ni de
relancer la confiance. " L'économie est paralysée, et les outils macro-économiques ne fonctionnent plus ", soulignait
récemment l'économiste Michel Aglietta. Le gouvernement japonais s'attend à une récession de près de 2 % pour l'année
fiscale qui s'achève le 31 mars 1999. L'OCDE s'attend à une légère reprise en 1999 (+ 0,2 %), mais d'autres économistes voient
la récession se prolonger.
En décembre 1998, la demande intérieure continuait à chuter et à alimenter la spirale déflationniste . Inquiets, les
consommateurs épargnent plutôt qu'ils ne dépensent, les entreprises baissent les salaires et suppriment des emplois. Le
chômage a atteint un nouveau record historique au Japon en novembre 1998, en frappant 4,4 % de la population active - niveau
le plus élevé jamais noté depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Existe-t-il un scénario positif pour le Japon ? S'il se réalisait, ce serait le suivant, à en croire une étude récente de la Caisse des
dépôts et consignations : " remontée du yen par rapport au dollar, moindres sorties de capitaux vers les Etats-Unis ou l'Europe,
retour au profit pour les banques japonaises ". Il est toutefois fort possible que de nouvelles créances douteuses soient
découvertes dans les comptes des banques ou d'autres intermédiaires financiers, que les dépenses supplémentaires de travaux
publics soient inefficaces ou même ne soient que partiellement réalisées, et qu'en définitive le crédit ne soit pas relancé.
Les économistes de banques rassurés mais prudents
LE BOUCHER ERIC
" LE PIRE est peut-être passé pour une économie mondiale très secouée. " Ce jugement de Stephen Roach, économiste réputé
de la banque américaine Morgan Stanley, résume l'opinion de la grande majorité de ses confrères. Les risques d'un
affaissement demeurent présents, mais de façon moins menaçante qu'à l'automne lorsque la Bourse de New York avait vacillé,
faisant craindre un krach général. Depuis, les conséquences des crises financières asiatique et russe se sont fait sentir et les
gouvernements ont révisé à la baisse leurs perspectives de croissance. La vraisemblance du scénario noir de la récession a été
écartée mais l'ampleur de la croissance 1999 reste sujette à interrogations.
Grâce soit rendue, explique Stephen Roach, à la chute des prix des matières premières et à la politique anticrise des membres
du G7, constituée essentiellement par une baisse des taux d'intérêt aux Etats-Unis et en Europe. L'économiste ajoute à cette
liste des bonnes actions les crédits de 160 milliards de dollars accordés aux pays dans la tourmente, ce qui représente, calculet-il, 0,5 % du PNB mondial ainsi réinjecté. Au total, l'économiste de Morgan Stanley s'avoue optimiste : il compte sur une
croissance encore forte en Amérique (2,6 %) qui ira en s'accélérant vers les 3 % en 2000 et sur une Europe dont la vitesse
ralentit (2,1 %) mais qu'une nouvelle baisse des taux de la Banque centrale européenne (BCE) revigorera en 2000 (3,2 %). La
récession en Asie du Sud-Est devrait s'achever dans le courant de 1999, hormis le Japon qui apparaît impuissant à trouver les
ressorts capables de le sortir de sa récession (- 1,5 % en 2000, ce qui constitue un pronostic très sombre).
Les économistes de Goldman Sachs partagent ce diagnostic concernant l'Asie où ils dénotent déjà une reprise en Corée et aux
Philippines. Ils estiment également que les craintes soulevées par les crises financières cet été ne se sont pas traduites dans la
réalité. Au contraire. Le rythme annuel de croissance au troisième trimestre dans l'OCDE est de 2,4 %, ce qui exclut la
récession. Ils comptent pourtant sur une baisse " significative " des croissances européenne et américaine. Celle ci proviendrait
des désordres encore présents : des taux d'intérêt trop bas au regard des surévaluations boursières mais trop hauts vis-à-vis de
l'inflation; une " schizophrénie " observable des deux côtés de l'Atlantique entre d'un côté des consommateurs très confiants et
de l'autre des industriels inquiets. Des deux, qui l'emportera ? Si la méfiance des entreprises se confirme, le PIB des pays
développés pourrait revenir à 1,5 % en 1999 (après 2 % cette année). La solution sera une nouvelle baisse des taux en Europe
et aux Etats-Unis, explique la banque américaine.
La banque française Paribas fait des pronostics plus prudents encore : 1,1 % au sein du G7 et 1,5 % pour la croissance
mondiale, un chiffre, note-t-elle, proche du seuil de 1 % que le FMI considère comme celui de la récession. " D'autres chocs
d'une magnitude comparable à celle de la crise asiatique sont improbables, mais nous ne sommes pas sortis du bois ", explique
la banque. Et d'énumérer les menaces qui subsistent : le Brésil d'abord, qu'on a cru solidifié par un accord conclu avec le FMI,
semble incapable de tenir la politique de rigueur qu'on lui impose. Et si la monnaie brésilienne, le real, repart dans une spirale à
la baisse, les répercussions sur l'économie du sous-continent seront incalculables (le PIB brésilien représente 40 % de celui de
l'Amérique latine tout entière).
UNE ANNÉE " PAUVRE "
Le Japon, ensuite. Si l'on découvre de nouvelles créances douteuses cachées dans les comptes, certaines banques occidentales
seront ébranlées, qui à leur tour menaceront les autres... Les Etats-Unis en dernier ressort : la croissance y est gonflée
artificiellement par les gains boursiers. Que le Dow Jones dévisse et... Paribas prône la même médecine que ses consoeurs :
une baisse des taux en Europe et en Amérique et des baisses d'impôts pour redonner confiance aux consommateurs.
Merrill Lynch est du même avis. Une baisse des taux parviendra à prévenir toute menace de récession. La banque américaine
prévoit une croissance mondiale de seulement 1,25 % en 1999 après 1,75 % en 1998. Et d'ajouter une nouvelle menace, le
Y2K (Year 2000), autrement dit l'approche du bogue de l'an 2000 qui pourrait dérégler les ordinateurs du monde entier. Une
année " économiquement pauvre ", estiment les gestionnaires de fonds de la banque, les plus interrogatifs parmi eux étant ceux
basés en Europe. La croissance dans la zone euro devrait tout de même atteindre 2,1 ou 2,2 %, selon la Caisse des dépôts; la
chute des exportations coûtant un demi-point et plus encore en Allemagne.
Plus confiant, qu'à l'automne mais encore prudents, les économistes de banques ont les regards tournés vers les banques
centrales, la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne qui aura, de l'avis général, un rôle clé en 1999.
1999, année d'incertitudes pour l'économie mondiale
Les économistes de banques rassurés mais prudents
Les marchés ne croient pas à une dévaluation contrôlée
MORIO JOEL
LE MORAL des boursiers s'est sérieusement dégradé jeudi 14 janvier. Ils doutent désormais que les nouvelles marges de
fluctuation de la devise brésilienne, fixées mercredi par la banque centrale, puissent tenir longtemps. La démission,
officiellement pour des motifs personnels, du directeur du département des taxes a été du plus mauvais effet. Dans un
communiqué, la banque centrale brésilienne a dû assurer que "les spéculations de marché sur l'éventuelle adoption d'un régime
qui permettrait au real de flotter librement [étaient totalement fausses et sans fondement". Mais l'histoire ne plaide pas en
faveur des autorités brésiliennes. D'autres pays émergents comme le Mexique, la Corée du Sud et la Russie ont échoué
récemment dans leur tentative de dévaluation contrôlée de leur monnaie.
Pour défendre le real, la banque centrale brésilienne a dû, une nouvelle fois, puiser dans ses réserves de changes, qui auraient
fondu de 4 milliards de dollars (3,4 milliards d'euros) depuis le début de la semaine. Le real est parvenu à se maintenir à la
parité de 1,32 contre le dollar mais les taux d'intérêt à trois mois ont dû être portés à 57 %. Jeudi, les sorties nettes de capitaux
se sont élevées à 1,14 milliard de dollars (près de 1 milliard d'euros) et la Bourse de Sao Paolo a clôturé sur un plongeon de
près de 10 %. Tous les marchés d'Amérique latine sont désormais affectés. La Bourse mexicaine est parvenue à progresser de
1,7 %, mais le peso est au plus bas face au dollar. Le marché de Buenos Aires a connu son sixième repli consécutif, avec un
recul de 4,38 %, et celui de Santiago a perdu 2,65 %.
Wall Street, qui avait ouvert sur une baisse limitée, a accentué ses pertes, l'indice Dow Jones cédant 2,45 % en clôture. Les
analystes commencent à mesurer l'ampleur des effets de la crise brésilienne sur l'économie américaine. Déjà, Motorola a
annoncé qu'il allait passer une provision de 15 millions de dollars (12,9 millions d'euros) pour couvrir les pertes liées à la
dévaluation brésilienne. En Europe, la réaction des marchés a été plus mitigée jeudi. Les places de Francfort, de Londres et de
Madrid ont poursuivi leur glissade, perdant respectivement 1,59 %, O,5 % et 0,19 %. En revanche, la Bourse d'Amsterdam
s'est reprise de 1,34 % et le marché parisien a affiché une progression de 0,97 %.
Les Bourses asiatiques paraissent relativement épargnées par la tourmente : la plupart d'entre elles étaient en hausse vendredi
en milieu de séance. Mais la multiplication des faillites des fonds d'investissement chinois (lire page 17) risque de faire
replonger les marchés de la région.
La perspective de la monnaie unique européenne a, en 1998, contribué à atténuer les effets de la crise internationale sur
l'Europe. En cela, elle a été un soutien à l'activité économique dans le monde et à la stabilisation de son système financier.
Antidépresseur pour l'Europe, l'euro est aussi un stabilisateur pour le monde. Bien géré, il sera l'une des conditions pour que
Le Japon est officiellement entré en récession, la plus grave depuis vingt-trois ans. Après un recul de 0,4 % au cours des trois
derniers mois de l'année 1997, le produit intérieur brut japonais s'est contracté de 1,3 % au premier trimestre. Les ménages ne
consomment pas, les entreprises n'investissent plus, la production industrielle recule. Cette récession économique, avec le lot
de faillites qui l'accompagne, a pour conséquence d'aggraver les difficultés des banques japonaises, qui croulent sous les
montagnes de créances douteuses héritées du dégonflement de la bulle spéculative au début des années 90. Eux-mêmes au bord
du gouffre, les établissements financiers nippons rechignent à accorder des crédits, ce qui étouffe l'activité des petites
entreprises japonaises.
La défiance des marchés à l'égard du yen est accrue par les atermoiements du gouvernement nippon, incapable de prendre des
mesures énergiques pour relancer la consommation et pour assainir son système bancaire. Les ménages japonais, de leur côté,
préfèrent placer leur épargne à l'étranger plutôt qu'au Japon, où les rendements sont extrêmement bas (moins de 1 %) : ces flux
de capitaux font baisser le yen.
POURQUOI LA BAISSE DU YEN FAIT-ELLE RECULER LES AUTRES DEVISES D'ASIE ?
Le plongeon du yen a provoqué une rechute des monnaies et des Bourses d'Asie, qui étaient pourtant parvenues à se stabiliser
après leur déroute du second semestre 1997. En trois mois, les Bourses de Séoul, de Bangkok, de Kuala Lumpur ont perdu plus
de 40 % de leur valeur, Hongkong et Singapour le tiers.
La chute de la devise nippone a pour conséquence d'aggraver les difficultés des économies d'Asie du Sud-Est, qui avaient
Tokyo pour principal banquier et qui sont en compétition commerciale avec le Japon. D'un côté les entreprises de ces pays ne
trouvent plus les fonds nécessaires pour se financer auprès de banques nippones en pleine crise; de l'autre, pour ajuster leur
compétitivité, les monnaies coréenne, thaïlandaise ou malaisienne sont contraintes de suivre le yen à la baisse.
Les devises d'Asie du Sud-Est sont d'autant plus fragiles que les conséquences de la crise monétaire et boursière de 1997
commencent à se faire sentir dans l'économie réelle et qu'elles sont bien plus fortes que prévu. Au lieu du ralentissement
escompté, c'est une récession profonde qui semble se dessiner dans la région. La principale déception vient de l'absence de
rebond des exportations sur lequel comptaient de nombreux économistes après la dévaluation des monnaies de ces pays.
1999 ne ressemble pas à 1929.
Les sept visages de la crise financière mondiale
1.
Détérioration des comptes extérieurs des Etats-Unis, en raison de la chute des monnaies des pays émergents : le déficit
courant américain a atteint le niveau record de 56,53 milliards de dollars au deuxième trimestre.
2.
L'aggravation de la crise japonaise. Davantage encore que la crise économique et financière en Corée du Sud ou en
Indonésie, préoccupe les marchés financiers internationaux. La tempête monétaire et boursière que subit la région est
venue durement toucher la deuxième économie mondiale, laquelle n'était toujours pas parvenue à se remettre de
l'éclatement de la bulle financière et immobilière de la fin des années 80. La stagnation a dès lors basculé en récession. Le
système bancaire japonais, de son côté, sous le poids des créances douteuses, connaît d'immenses difficultés.
Assouplissement monétaire n'a fait que saper davantage la confiance des milieux financiers internationaux à l'égard du
Japon.
3.
Le domino chinois. La fragilité japonaise accentue la pression sur le dollar de Hongkong et le yuan chinois qui ont jusqu'à
présent réussi à maintenir leur parité vis-à-vis du dollar américain. Les analystes sont de plus en plus nombreux à penser
que le dollar de Hongkong sera prochainement dévalué, compte tenu de la rapide détérioration économique dans
l'ancienne colonie britannique. Une telle chute entraînerait l'ensemble de la région dans une nouvelle spirale
dévaluationniste de nature à aggraver la récession économique dans la région.
4.
Les menaces sur la croissance européenne. La création prochaine de l'euro a servi de "bouclier protecteur" et permis aux
devises européennes de traverser sans encombre la crise monétaire mondiale, mais le ralentissement de la demande dans le
reste du monde a déjà commencé à affecter sévèrement la contribution extérieure au produit intérieur brut (PIB). La
croissance européenne n'est plus aujourd'hui essentiellement tirée que par la demande interne.
5.
L'impuissance des autorités monétaires. Surpris par la violence des mouvements observés sur les marchés financiers,
désemparés devant l'importance des flux de capitaux, ils hésitent sur la conduite monétaire à tenir et tardent à apporter une
réponse coordonnée.
6.
Les marchés émergents privés de capitaux. Les places financières émergentes connaissent la crise la plus grave de leur
histoire. Les capitaux qui, depuis plusieurs années, avaient afflué en masse, ont fui, les investisseurs occidentaux
choisissant de les rapatrier, par prudence, dans leur propre pays. Après l'Asie et la Russie, c'est maintenant l'Amérique
latine qui est touchée (la Bourse de Sao Paulo a perdu 52 % en trois mois). La contagion monétaire est d'autant
plus aisée que ces économies sont, pour la plupart, largement dépendantes des revenus qu'elles tirent des
exportations de matières premières dont les cours se sont écroulés à la suite de l'entrée en récession en Asie. Il en
résulte une nette dégradation des comptes extérieurs et une forte hausse des taux d'intérêt qui mettent en péril l'équilibre
économique global de ces nations. Même les pays les plus solides, comme l'Argentine, sont affectés.
7.
La fragilisation du système bancaire. L'aggravation de la crise monétaire et boursière dans le monde s'accompagne
d'interrogations sur la capacité du système bancaire à résister à ce choc. Si, compte tenu de la récession économique dans
le pays, l'état de santé des banques japonaises apparaît comme le plus inquiétant, celui des établissements financiers
occidentaux est aussi préoccupant. Leurs engagements financiers dans les pays émergents, les moins-values enregistrées
sur leurs portefeuilles boursiers et leurs pertes directes sur les opérations de marché coûteront cher aux banques et
certaines faillites d'établissements ne peuvent être exclues. Le risque serait alors celui d'une défaillance en chaîne du
système ce que les spécialistes appellent le risque systémique, les banques ayant entre elles d'importantes lignes de crédit.
Les canaux de contagion d'une secousse partie d'Asie et devenue mondiale
La propagation se fait d'abord à travers la crainte des investisseurs
PARTIE D'ASIE, il y a un peu plus d'un an, la grande vague de défiance des investisseurs face aux pays en développement et
son corollaire fuite des capitaux, dévaluations, faillites et récessions se répand comme une traînée de poudre. La première
phase de la crise monétaire et financière était régionale, la deuxième est planétaire. La contagion à l'ensemble des pays dits
émergents illustre complètement la mondialisation financière née à la fin des années 80.
Les marchés pratiquent l'amalgame. Voilà pourquoi des pays aussi différents économiquement et politiquement que la
Thaïlande, l'Indonésie, la Corée du Sud et la Russie se sont effondrés et pourquoi le Brésil, le Mexique, le Canada, la Norvège,
et la Pologne sont aujourd'hui menacés. Il suffit que les deux cents plus grands investisseurs de la planète, pour la plupart
américains ou japonais, gérants de Sicav, d'épargne retraite, d'assurance-vie ou de fonds spéculatifs prennent peur pour que la
spirale de la baisse soit enclenchée.
"Le repli des cours des actifs financiers dans un pays émergent [la Thaïlande il y a quatorze mois] a fait prendre conscience du
risque contenu dans les portefeuilles internationaux et amène les gérants à s'intéresser de plus près à la situation des économies
dans lesquelles ils ont placé leurs actifs", explique le bureau d'analyse Aurel dans son bulletin du 27 août. La mode depuis le
début de la décennie des marchés émergents, alimentée par de formidables gains (la Bourse de Moscou avait gagné plus de 80
% en 1996 !), a fait place à un réflexe de fuite. Après l'afflux de centaines de milliards de dollars, l'aversion soudaine de
nombreux investisseurs pour le risque a créé une crise de liquidités en Asie, et en crée une nouvelle dans l'est de l'Europe et en
Amérique latine.
Les économies les plus fragiles ne peuvent pas résister longtemps à ces gigantesques vagues et ne peuvent se passer longtemps
de capitaux étrangers. Selon la banque américaine J. P. Morgan, le déficit moyen de la balance des paiements des pays latinoaméricains atteint 4,2 % du produit national brut et 2,5 % pour l'est de l'Europe. La dette à l'étranger du Brésil ou de
l'Argentine représente au moins trois fois leurs exportations.
Depuis la dévaluation du rouble le 17 août, les marchés cherchent donc à deviner quelle sera la prochaine devise et le prochain
pays émergent à décrocher. Suivant le modèle né en Asie il y a douze mois des dévaluations en chaîne qui ont suivi celle du
baht thaïlandais en juillet 1997, certains analystes s'attendent à voir d'autres dominos monétaires comme le zloty polonais ou le
réal brésilien suivre le rouble. Peu importe l'influence très faible ou nulle exercée directement par l'économie russe sur ses
pays, les canaux de transmission de la crise aux pays émergents et développés ne sont pas liés aux échanges économiques,
mais d'abord à la crainte des investisseurs.
Voilà pourquoi la contagion de l'Asie vers la Russie puis vers l'Europe de l'Est et l'Amérique latine semble a priori absurde.
Dans une région comme l'Asie, la perte de compétitivité commerciale d'un pays qui voit un de ces concurrents directs dévaluer,
peut expliquer la dégringolade en chaîne des devises et des marchés, mais les économies de l'est de l'Europe, de l'Amérique
latine et de l'Asie ne sont pas concurrentes... sauf sur les marchés des matières premières et de l'énergie qui sont en chute libre.
Les cours du pétrole ont baissé d'un tiers en un an.
DÉGRINGOLADE
Les tigres et les dragons d'Asie, la Thaïlande, la Malaisie, la Corée, l'Indonésie, Taïwan sont de gros importateurs de matières
premières et d'énergie; leur récession a entraîné la baisse des cours. Elle s'est transformée en dégringolade avec la peur de voir
la Russie accélérer ses exportations pour tenter de ramasser des devises. Or les ventes d'énergie et de matières premières
représentent la moitié des exportations de l'Amérique latine et de pays comme le Canada, l'Indonésie, l'Australie et la
Norvège.La contagion peut-elle maintenant affecter durablement les pays développés et par quels canaux ? Elle s'exerce
d'abord via la fragilisation de systèmes bancaires plus ou moins exposés selon les pays au risque asiatique et russe. Si les
banques françaises, allemandes et américaines sont à même de faire face aux pertes, il en va tout autrement des établissements
japonais. Déjà très affaiblies par les conséquences de l'explosion au début de la décennie de la bulle spéculative immobilière et
boursière, les banques nipponnes ont été touchées de plein fouet par la crise en Asie. Le credit crunch (le manque de crédits
bancaires) explique pour une bonne part la faiblesse de l'activité dans ce pays qui est pourtant paradoxalement le premier
créancier de la planète.
Les interrogations se multiplient maintenant sur la capacité des Etats-Unis et de l'Europe à conserver une croissance soutenue
dans un environnement dégradé. La déflation mondiale pourrait être alimentée par trois voies : celle d'une contraction de
l'activité réelle se propageant à toutes les régions par le jeu du commerce mondial, celle de défaillances bancaires en chaîne et
pour finir une baisse sensible et prolongée des marchés ponctionnant la richesse et modifiant la psychologie des
consommateurs, surtout aux Etats-Unis.
L'influence du commerce mondial sur les Etats-Unis et l'Europe qui réalisent la majeure partie de leurs échanges en interne est
relativement limitée. Le risque bancaire semble plutôt maîtrisé par les banques centrales. Le principal danger semble venir des
marchés boursiers, en général, et de Wall Street, en particulier, dont l'influence depuis des années sur l'économie américaine
est considérable. L' "effet richesse" ressenti par les ménages ayant réalisé des gains en Bourse, qui a alimenté depuis sept ans la
formidable croissance des Etats-Unis, pourrait aussi s'exercer en sens inverse.
Qui est responsable de la crise financière asiatique ?
La presse d' Asie du Sud-Est cherche moins un coupable qu'une locomotive capable de tirer la région de ce mauvais pas. Mais
le Japon, sollicité par nombre d'éditorialistes, récuse ce rôle
POMONTI JEAN CLAUDE
ET SI, après s'être plaint du désintérêt américain pour leurs difficultés financières, les Asiatiques s'en prenaient aux Japonais
qui ont laissé, depuis 1995, glisser le yen face au dollar et, ainsi, joué malgré eux les catalyseurs dans l'effondrement des
monnaies et des Bourses d'Asie du Sud-Est ? Curieusement, la question est rarement posée dans ces termes. "Si le Japon avait
suivi une politique plus sensée pour stimuler sa propre reprise, les crises des taux d'échanges en Asie du Sud-Est et en Corée
auraient pu être évitées ou beaucoup moins pénibles. Il n'est cependant pas trop tard : si le Japon fournit un stimulant fiscal et
permet au yen de s'apprécier, les dommages imposés au reste de l'Asie pourront être renversés", juge un économiste dans la
page éditoriale de l'Asian Wall Street Journal. Mais il est l'un des rares, non à le penser, mais à le dire.
À LA LIMITE DE L'EXCUSE
Le Bangkok Post aurait, pour sa part, plutôt tendance à tracer un parallèle entre les problèmes financiers du Japon et ceux de la
Thaïlande. "Prenez le cas de Yamaichi Securities [quatrième société de courtage japonaise, en liquidation]. Son effondrement
était au-delà des moyens de contrôle du gouvernement japonais comme de la banque centrale de ce pays, même s'il est clair
que les défauts de supervision et de réglementation, de la part de la banque centrale, y ont contribué", écrit le quotidien de
Bangkok en ajoutant que, pour ce qui la concerne, "la Banque de Thaïlande doit accepter toute responsabilité au cas où elle
manquerait, dans le futur, à agir immédiatement et de façon appropriée". Dans cet exemple, le Japon ne fait pas figure
d'accusé, mais plutôt de référence à la limite de l'excuse face à l'inertie des autorités monétaires thaïlandaises lors des déboires,
subis voilà quelques mois, par cinquante-deux sociétés financières qui depuis, il est vrai, ont été suspendues.
Le recours au Japon, dont les réserves de devises s'élèvent à environ 220 milliards de dollars, semble encore l'emporter sur le
reste. Même après l'abandon, face aux objections occidentales, de l'idée d'un Fonds de secours d'urgence asiatique, que Tokyo
avait même envisagé à hauteur de 100 milliards de dollars, le Nation, autre quotidien de Bangkok, souhaitait encore, le 24
novembre, que le Japon soit "la figure centrale d'un plan de secours".
"Le premier créditeur international, en dépit de ses propres problèmes, pourrait procurer autant de devises que nécessaire pour
faire face aux passifs à court terme de la Thaïlande et d'autres pays confrontés à des dettes extérieures et à une fuite des
capitaux." "Il est temps, conclut le Nation, que Tokyo administre l'antidote et que les Etats-Unis accordent, par l'intermédiaire
du FMI, tout le soutien à leur disposition s'ils ne veulent pas se joindre au nouveau syndicat monétaire. Il ne s'agit pas de la
survie d'une seule nation mais de celle de l'ordre économique global."
Tout en aidant ses voisins asiatiques, le Japon n'en est pas pour autant prêt à reconnaître une responsabilité particulière dans la
gestion de la crise. "Nous ne sommes pas assez arrogants pour nous considérer comme la puissance de l'Asie capable de tirer
les autres", a averti, à Vancouver, le premier ministre Ryutaro Hashimoto.
Déclaration de George Soros concernant la prochaine crise économique aux Etats
Unis
Le financier américain George Soros a estimé que la prochaine grande crise économique mondiale surviendra aux EtatsUnis, où l'actuelle vague de spéculations boursières va finir par éclater. "Les consommateurs américaines peuvent actuellement
dépenser plus qu'ils ne gagnent en raison de l'afflux d'épargne en provenance du monde entier", a-t-il déclaré dans un entretien
au journal japonais Nihon Keizai Shimbun.
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