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le temps de se désengager. " Et puis le Brésil, à l'inverse de la Russie, ne s'est pas jusqu'à présent déclaré en défaut de
paiement.
Reste que la forte dévaluation du real, le maintien de taux d'intérêt très élevés, avec une dette extérieure de 80 milliards de
dollars (69,5 milliards d'euros) à plus de 60 % contractée à court terme, pourraient vite rendre la situation intenable. Le
scénario d'un rééchelonnement n'est d'ailleurs plus écarté.
" Cela aurait obligatoirement des conséquences sur le comportement des banques occidentales sur leur marché domestique ",
prévient Régis Khaber, de la société de Bourse Aurel. Son calcul est simple, lorsqu'une banque perd 1 milliard de francs (0,15
milliard d'euros) sa capacité à prêter est réduite de 12,5 milliards (1,9 milliard d'euros), compte tenu des règles prudentielles
qu'elle doit respecter. Or, d'après des estimations officieuses, les banques pourraient, au bout du compte, perdre dans la
bataille, qui n'est pas encore terminée, 40 % des prêts qu'elles ont consentis aux pays en crise, soit, selon ce calcul, plus de 100
milliards de dollars ! (87 milliards d'euros). Une bombe comparable à LTCM. Le " credit crunch " ne serait plus alors une
simple hypothèse d'école. Mais de cela aucun banquier ne veut, pour le moment, entendre parler.
" Les choses ont en fait radicalement basculé, à partir du moment où des responsables politiques ont été mis en cause à travers
le financement des partis, à la fin des années 80. Les hommes politiques ont alors représenté les boucs émissaires un peu
faciles de la délinquance économique et financière, puisqu'on les identifiait alors comme les seuls responsables. Le problème
est différent quand ce sont les entreprises qui sont en cause : le fait délinquant est plus difficilement personnalisable parce que
les responsabilités sont très intriquées et que la délinquance s'exerce dans des réseaux peu formalisés.
- Comment la lutte contre la corruption est-elle devenue petit à petit un thème prioritaire pour les gouvernements ?
- Toute autorité politique a besoin de légitimité. Or, à partir du moment où les politiques ont été interpellés, à travers le
financement des partis et les relations plus ou moins obscures qu'ils entretenaient avec les grands groupes financiers, il est
devenu nécessaire, pour eux, de montrer qu'ils pouvaient se saisir du problème.
" Toute la question est de voir jusqu'à quel point les déclarations d'intention sont suivies d'effets. Il y a quand même eu quatre
lois successives sur le financement des partis, ce qui a bien montré que, au moins pendant un certain temps, les pratiques
n'avaient pas changé. De la même façon, les accords internationaux contre la corruption, qui sont une bonne chose, se font dans
une assez grande hypocrisie : on accepte, par exemple, que des paradis fiscaux signent la convention de l'Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE) sur la corruption des fonctionnaires étrangers. En fait, il faut prendre
acte de ces nouveaux engagements afin de revendiquer régulièrement leur application et leur évaluation.
- Pensez-vous que la justice est aujourd'hui suffisamment armée pour lutter contre la délinquance économique et financière ?
- Sincèrement, non. D'une part, la justice est une institution qui ne prend pas d'initiatives, qui n'est pas self-starter : elle est
toujours saisie par des plaintes de justiciables ou des informations qui lui sont transmises. Or, en matière économique et
financière, la dilution de l'information est extrême, beaucoup plus que pour les atteintes aux biens et aux personnes. La justice
pénale n'est donc informée qu'après toute une série de filtres. Elle peut ainsi devenir le jeu de règlements de comptes entre
actionnaires et être instrumentalisée.
" D'autre part, le contentieux économique et financier est traité par des organismes différents, qui ont leurs logiques propres,
comme l'inspection du travail, la direction générale de la concurrence ou l'administration fiscale. Or ces administrations ne
transmettent à la justice que les affaires dans lesquelles elles ont échoué, et leurs critères d'appréciation pour les poursuites
restent d'un flou absolu. Ce qui pose la question de la cohérence de la politique pénale et de la définition de critères de gravité
des infractions. Les infractions économiques n'ont d'ailleurs jamais été réunies dans un livre du code pénal, elles sont
dispersées dans plusieurs lois. Sur le plan pratique, c'est évidemment un handicap pour les magistrats. Sur le plan symbolique,
cela signifie qu'on n'a pas jugé suffisamment important d'inscrire les questions économiques et financières dans la définition
des grandes dimensions de l'ordre social. L'abus de bien social, par exemple, est inscrit dans la loi sur les sociétés et le délit de
banqueroute a été sorti du code pénal.
" Enfin, la justice n'a pas les moyens d'appréhender la réalité de l'entreprise dans son ensemble. Elle ne l'aborde que par des
angles successifs : le droit du travail, le droit commercial, le droit civil ou pénal. Il faudrait plutôt penser à une spécialisation
de la magistrature économique, qui aurait accès à toutes les informations concernant une entreprise, et qui aurait vocation à
traiter tous les conflits qui s'y présentent. L'action judiciaire aurait alors une vraie cohérence face à l'acteur qu'elle prétend
réguler. Cela pourrait déboucher sur des décisions qui chercheraient un équilibre entre, d'un côté, la loi et, de l'autre,
l'opportunité économique et l'équité sociale."
BRESIL
La crise au Brésil, une menace pour ses voisins
La politique adoptée par le Brésil, après la crise mexicaine de 1994, a échoué. Non seulement elle n'a pas permis à la
croissance économique de décoller, mais elle a entraîné un alourdissement du service de la dette. Le gouvernement espérait
que les réformes structurelles mises en place dans le secteur public (prévoyance, administration et fiscalité), ainsi que les
revenus tirés des privatisations, suffiraient à combler le déficit public à temps. Mais cela supposait de disposer de
suffisamment de capitaux extérieurs pendant cette transition. C'était sans compter avec la crise asiatique de 1997, qui a eu un
très fort effet de contagion en provoquant à la fois le retrait des capitaux les plus volatils et des attaques spéculatives contre le
real. Le gouvernement a riposté par l'augmentation des taux d'intérêt. Ceux-ci ont atteint jusqu'à 50 % : Fatal pour la
croissance...