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JENUFA de LEOS JANACEK
Leoš Janáček
1854-1928
Leoš Janacek
Tableau de Gustav Böhm, 1926
* Hukvaldy (Moravie) 3 juillet 1854 † Ostrava (Moravie) 12 août 1928.
Jiří Janáček son père est instituteur et organiste à Hukvaldy. Leoš achève l'école communale
en 1865 et muni d'une bourse étudie à l'école conventuelle de Brno où le compositeur Pavel
Křížkovský enseigne. Il obtient son diplôme d'instituteur en 1872 et devient aide instituteur
et maître de musique.
En 1874-1875, il suit les cours de l'école d'orgue de Prague auprès de Fr. Blažek et de Fr.
Zd. Skuherský puis exerce à Brno comme professeur de musique et chef de chœur à la
chorale de l'association ouvrière «Svatopluk»
En 1877, il compose Suite pour orchestre.
En 1878 il se perfectionne au Conservatoire de Saint-Petersbourg. La même année il
compose Idyla pro smyčce (Idylle pout orchestre de cordes). En 1879 il travaille au
Conservatoire de Leipzig sous la direction d'Oskar Paul pour la théorie, de Leo Grill pour la
composition, de E. F. Wenzel pour le piano et de Wilhelm Rust pour l'orgue. En 1880 il est
avec Franz Krenn pour la composition et Josef Dachs pour le piano au Conservatoire de
Vienne.
De 1880 à 1904 il est professeur de musique à l'École Normale de Brno, de 1886 à 1902 il
enseigne le chant au lycée et dirige l'école d'orgue de 1881 à 1919.
Il se marie en juillet 1881 avec Zdeňka Schulzová. Leur fille meurt à l'âge de 20 ans, leur
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fils à l'âge de 2 ans. Le divorce est prononcé en 1916.
Il rédige de nombreuses critiques, des comptes-rendus musicaux et des réflexions théoriques
particulièrement sur la mélodie du langage parlé (comme Moussorgski en Russie). Il
compose son premier opéra, Šárka en 1887.
Avec un spécialiste des dialectes, Fr. Bartoš (1887-1907), il entreprend la collecte, l'étude
et la notation des mélodies populaires et édite en 1892 et en 1900 des arrangements.
En 1885 il est secrétaire du département moravien des études folkloriques de Prague. Il crée
alors ses Valašské tance (Danses moraves) en 1888-1890 et un ballet Rákós Rákóczy en
1891. On retrouve l'influence directe de ces études dans ses opéras suivants Počátek
románu (Le Début d'un roman) en 1891 et Její pastorkyňa (Leur Fille nourricière) connu
sous le titre de Jenufa est créé en 1904 sans grand succès.
Cet opéra marque le style de Leoš Janáček par les inflexions de la voix parlée donnée à la
musique et l'emploi des harmonies tonales sans les gles d'enchaînement du langage tonal.
Suite à la lecture des écrits d'acoustique du physicien Helmotz qui démontrait qu'un accord
se superposait à la résonance du précédent, il libère la dissonance des traitements obligés par
le traité d'harmonie conventionnel.
Sa cantate Amarus pour solistes chœur et orchestre date de 1897.
Dans les années 1900 il se passionne pour les cultures russes et polonaises, se rend à
plusieurs reprises dans ces pays et envoie sa fille Olga étudier à Saint-Pétersbourg.
Il s'engage dans le mouvement social contre la monarchie. Sa sonate 1. X. 1905 Z ulice
(Dans la rue) est un hommage à Fr. Pavlík, un ouvrier abattu à Brno. Il met des poèmes
d'inspiration socialiste de Petr Bezruč en musique et fustige dans un style burlesque la petite
bourgeoisie Tchèque dans l'opéra, Výlety páně Broučkovy (Les excursions de Monsieur
Brouček).
Il compose sa rhapsodie pour orchestre Tarass Boulba en 1915-1918. Le cycle de mélodies
Journal d'un disparu en 1917-1919.
La fondation de la République tchécoslovaque en 1918 semble lui avoir redonné la jeunesse.
Il enchaîne ses chefs-d’œuvre : l’opéra Káta Kabanová (1919-1921) d'après l'Orage
d'Ostrovski qui est une réflexion contre la société bourgeoise ; Bystroušky (1921-1923, Le
Rusé petit renard) exprime l'authenticité et la vitalité de la nature ; l'opéra fantastique
L'Affaire Makropoulos (1923-1925) ; La Messe glagolitique date de 1926 sur des textes en
vieux bulgare ; l'opéra La Maison des morts 1927-1928, d'après Dostoïevski.
ERISMANN GUY, Janacek ou la passion de la vérité. « Musiques », Éditions du
Seuil, Paris 1980
ROYER PATRICE, Leos Janacek. Bleu nuit, Paris 2004
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I. Historique de la composition de Jenufa
Avant d'aborder la composition de Jenufa, considérée par tous les musicologues comme
premier chef d'œuvre et œuvre charnière de Janáček, il convient d'examiner la production
musicale jusqu'à 1903, date de fin de composition de cet opéra. Un certain nombre d'œuvres
ont disparu, d'autres n'ont été exhumées que dans un passé récent, ce qui signifie sans doute
qu'à tout moment une partition perdue jusquaujourd'hui peut être découverte, même si
cette probabilité s'avère faible au fur et à mesure que le temps s'écoule.
Plaçons-nous sous l'angle de la statistique. Depuis 1870, date de la première œuvre connue
jusqu'à 1903, Janáček écrivit environ 78 œuvres se répartissant ainsi :
chœurs
40
mélodies (et recueils) *
3
Cantates
3
opéra
3
piano
9
orgue
3
orchestre
10
ballet
1
autres
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* soit une soixantaine de chants
Du premier coup d'œil, on voit la place prépondérante que tiennent les chœurs et d'une
manière générale la production vocale. La voix représente le vecteur principal de la
musique pendant cette période.
Risquons une hypothèse : si, comme son illustre compatriote morave Gustav Mahler, Leoš
Janáček s'était éteint à l'âge de 51 ans, soit en 1905, qu'en auraient retenu les musicologues,
les mélomanes, le grand public ? Osons des réponses.
Dans un dictionnaire de musique à l'usage général, son nom serait suivi de la seule mention
de l'opéra Jenufa. Peut-être la collecte de musique populaire serait-elle abordée et gageons
qu'on n'attacherait aucune importante à ses quelques pièces pour... harmonium (qui se
transformeront un peu plus tard en les splendides Sur un sentier recouvert).
Dans une histoire de la musique plus précise et plus ambitieuse, peut-être s'interrogerait-on
sur les brillantes promesses qu'offre son unique opéra Jenufa, les deux précédents étant
tombés dans les oubliettes de la mémoire, sans doute relèverait-on les collectes de la
musique populaire morave, mais le comparerait-on pour autant aux hongrois Béla Bartók
et Zoltán Kodály, rien n'est moins sûr ? Sans doute également, noterait-on l'intérêt porté à
quelques chœurs, mais la curiosité des musicologues serait-elle aiguisée par quelques
œuvres éparses, par exemple Amaros ou encore Otce Nas ? Il est vrai, que sans
perspective, il est bien difficile de comprendre et d'apprécier la production, arrêtée à ce
moment-là, de ce compositeur pédagogue.
Nous qui connaissons les œuvres postérieures à Jenufa, nous devons dire qu'en fait, avant
cet opéra, rien de vraiment original n'avait été écrit par Janáček. Cela ne signifie pas qu'il ne
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soit pas un compositeur habile, savant, sachant émouvoir. J'ai déjà attiré l'attention sur la
qualité et la fraîcheur d'une œuvre d'inspiration folklorique, Les petites reines ; et les
Variations pour Zdenka dans une lignée schumannienne offrent un attrait certain tant au
pianiste qu'à l'auditeur. Quant à sa suite pour cordes, Idylle (1878), fruit de l'imagination
d'un jeune compositeur de vingt-quatre ans, bien que cousine de la Sérénade opus 22 de son
aîné Antonín Dvořák, elle possède bien des charmes. On se trouve en présence d'une belle
musique et on sent un vrai compositeur, mariant de manière érudite les thèmes, utilisant
savamment les timbres de ses instruments à cordes. Mais à partir de ces œuvres, antérieures
à 1892, comment imaginer la hardiesse de l'éclosion future ? Pendant la période allant de la
découverte de la pièce Jeji pastorkyna jusqu'à la fin de la composition de son opéra Jenufa,
précisément sur le texte de cette pièce, il écrivit néanmoins d'autres œuvres, dont certaines
de première importance pour la suite justement : un opéra, Commencement d'un roman,
une cantate, Amarus, deux pièces religieuses, Hospodine (Seigneur ayez pitde nous),
Otce Nas, une rie de chants Moravska lidova poezie v pisnich (La poésie populaire
morave en chansons), ainsi que les premières pièces de ce qui deviendra plus tard Po
Zarostlém chodnicku (Sur un sentier recouvert).
Faisons connaissance maintenant avec Gabriela Preissova. Dans la littérature européenne de
cette époque, les femmes-écrivains, telle George Sand en France au milieu du XIXème
siècle, représentent l'exception en littérature. Et à plus forte raison, lorsqu'elles sont jeunes
et rencontrent le succès. Pourtant, Janáček connaissait deux femmes de lettres qu'il honora
d'une mise en musique de leurs vers ou de leur prose. En effet, Eliska Krasnohorska et
Gabriella Preissova inspirèrent Leoš.
L'une, Eliska Krasnohorska, poétesse, qui, avec son aînée Karolina Svetla, permit à la
littérature féminine tchèque d'avoir droit de citer. Elle écrivit également une dizaine de
livrets d'opéra dont quatre pour Bedřich Smetana : le baiser (1876), le secret (1878), le
mur du diable (1882) et Viola, adaptation de la Nuit des rois de Shakespeare. Dvorak
composa quatre chants, son opus 9, sur des poèmes d'Eliska Krasnohorska,. Le jeune
Zdeněk Fibich s'inspira de la légende de Blaník pour son premier opéra, toujours sur un
livret de cette poétesse. Les rapports entre la littérature, la poésie et la musique de quatre
représentants importants des pays tchèques attestent le bouillonnement culturel qui
s'emparait des intellectuels et des artistes dans ce dernier quart de siècle. La place prise par
les écrivaines mérite d'être signalée. Durant ces années, Leoš s'empara de trois de ses
poèmes, Holubicka (Petite colombe) et Louceni (les adieux) en 1888 et Coz ta nase briza
(Notre bouleau) en 1893 qu'il adapta pour une formation chorale.
Gabriella Preissova tient une place plus modeste dans la littérature tchèque et pourtant son
nom a traversé les années pour se transmettre de génération en nération de mélomanes.
Cette jeune femme écrivit en deux années, deux pièces de théâtre qui marquèrent les esprits
par leur audace, surtout la seconde : en 1889, Gazdina roba (La
maîtresse du fermier) et l'année suivante, Jeji pastorkyna (Sa belle-
fille).
Gabriella Preissova, dramaturge morave,
cliché de J. L. Sichan, photographe de Brno et ami de Leoš Janáček
Qui était-elle ? Native de Kutna Hora, en Bohème en 1862, elle se
maria 18 ans plus tard avec un dirigeant d'une raffinerie de sucre, puis
migra en Moravie d'abord à Hodonin sur les rives de la rivière
Morava, ensuite à Oslovany, près de Brno, en 1890. Attentive aux
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mœurs rudes d'une communauté paysanne sous l'emprise de règles morales sévères, dues à
la religion et au pouvoir patriarcal dans les familles, elle entreprit d'en fixer les
caractéristiques dans ses pièces réalistes. Il semble que Leoš Janáček la rencontra à cette
époque, la proximité des deux lieux de vie favorisant sans doute l'entrevue. Comment eut-il
connaissance de son œuvre écrite en 1891 Pocatek romanu (Commencement d'un
roman) ? Nous ne le savons pas. Elle lui fournit cependant le livret de son deuxième opéra
écrit, le premier de toute sa production à être représenté à Brno le 10 février 1894. Y perçut-
il une corrélation avec les thèmes développés dans les chants et les danses populaires qu'il
continuait à collecter dans sa région natale et les environs ? Le succès ne dura que peu de
temps et il fallut attendre 1954 pour une nouvelle présentation de cet opéra à Brno par
Břetislav Bakala, élève et disciple du maître.
Remarquons que le compositeur tchèque Josef Bohuslav Foerster, un proche de Gustav
Mahler, s'empara de la première pièce Gazdina roba, base de son livret pour son opéra Eva
de 1897. Il ne nous est pas facile, pour nous mélomanes français, de nous faire une idée sur
cette musique, si peu diffusée en France. Une scène hexagonale a-t-elle présenté cet opéra ?
Quant à juger de la qualité du livret, comment procéder dans l'ignorance de la langue
tchèque ? Très curieusement, sitôt passée la première de son opéra Jenufa, Janáček éprouva
le besoin de se lancer dans la composition d'un nouvel opéra. Et chercha-t-il un sujet ?
Chez Gabriela Preissova à qui il demanda l'autorisation de monter Gazdina Roba en avril
1904 et une nouvelle fois en août 1907. Il savait pourtant que son confrère Foerster avait
mené à bien son propre projet quelques années auparavant. En 1904 Gabriella Preissova lui
proposa alors de se pencher sur une autre de ses pièces Jarni pisen (Chants de printemps).
Rien n'aboutit. Il n'empêche, le monde intérieur des pièces de l'écrivaine l'intéressait au plus
haut point. Peut-être même le fascinait-il durant cette décennie ?
La rencontre la plus fertile se produisit lorsque Leoš Janáček assista à une représentation de
Jeji pastorkyna. Etait-t-il présent à la création à Prague le 9 novembre 1890 ou à la reprise à
Brno en février 1892 ? Nous ne le savons pas. Toujours est-il qu'il parut intéressé par la
représentation et son contenu puisqu'il acquit le texte de la pièce de théâtre qu'il relut,
l'annotant de ses remarques. Dans cette chronique d'un amour contrarié dans une société
villageoise régie par des normes strictes une jeune femme est doublement victime, trahie
par son fiancé, trahie par sa belle-mère, avec un infanticide, mais aussi un nouvel amour
libérateur, Janáček rencontrait les sujets traités dans les nombreux chants populaires
recueillis. Il reçut droit au cœur cette prose écrite en dialecte morave qui en accentuait
encore plus le réalisme. Accueillant cette nouvelle manifestation de la fierté et de la richesse
d'une langue et d'une culture, niées ou tout au moins rabaissées par l'occupant autrichien, le
bouillant Janáček ne pouvait qu'acquiescer à cette expression.
Par un troublant effet de miroir, se voyait-il dans la même situation sentimentale que
l'héroïne, malheureuse en amour, alors que son couple après la mort de son fils se disloquait
chaque jour un peu plus ? Lorsque le bonheur réel avec une femme devient impossible, il
est tentant de se refugier dans le rêve ou de s'identifier à une héroïne de roman ou de
théâtre. Leoš n'échappa pas à cette tentation, semble t-il et se réfugia dans la composition de
son opéra. Sans doute échangea-t-il ses impressions avec cette jeune femme de théâtre ?
Cette pièce scandaleuse lui sembla suffisamment porteuse de symboles et de situations de
ruptures avec les mentalités tant de l'occupant autrichien que de la majorité de ses
compatriotes qu'il ressentit la nécessité d'une mise en musique pour en accentuer encore les
nouveautés. Mais pour cela, il fallait aussi un langage musical radicalement différent de
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