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soit pas un compositeur habile, savant, sachant émouvoir. J'ai déjà attiré l'attention sur la
qualité et la fraîcheur d'une œuvre d'inspiration folklorique, Les petites reines ; et les
Variations pour Zdenka dans une lignée schumannienne offrent un attrait certain tant au
pianiste qu'à l'auditeur. Quant à sa suite pour cordes, Idylle (1878), fruit de l'imagination
d'un jeune compositeur de vingt-quatre ans, bien que cousine de la Sérénade opus 22 de son
aîné Antonín Dvořák, elle possède bien des charmes. On se trouve en présence d'une belle
musique et on sent un vrai compositeur, mariant de manière érudite les thèmes, utilisant
savamment les timbres de ses instruments à cordes. Mais à partir de ces œuvres, antérieures
à 1892, comment imaginer la hardiesse de l'éclosion future ? Pendant la période allant de la
découverte de la pièce Jeji pastorkyna jusqu'à la fin de la composition de son opéra Jenufa,
précisément sur le texte de cette pièce, il écrivit néanmoins d'autres œuvres, dont certaines
de première importance pour la suite justement : un opéra, Commencement d'un roman,
une cantate, Amarus, deux pièces religieuses, Hospodine (Seigneur ayez pitié de nous),
Otce Nas, une série de chants Moravska lidova poezie v pisnich (La poésie populaire
morave en chansons), ainsi que les premières pièces de ce qui deviendra plus tard Po
Zarostlém chodnicku (Sur un sentier recouvert).
Faisons connaissance maintenant avec Gabriela Preissova. Dans la littérature européenne de
cette époque, les femmes-écrivains, telle George Sand en France au milieu du XIXème
siècle, représentent l'exception en littérature. Et à plus forte raison, lorsqu'elles sont jeunes
et rencontrent le succès. Pourtant, Janáček connaissait deux femmes de lettres qu'il honora
d'une mise en musique de leurs vers ou de leur prose. En effet, Eliska Krasnohorska et
Gabriella Preissova inspirèrent Leoš.
L'une, Eliska Krasnohorska, poétesse, qui, avec son aînée Karolina Svetla, permit à la
littérature féminine tchèque d'avoir droit de citer. Elle écrivit également une dizaine de
livrets d'opéra dont quatre pour Bedřich Smetana : le baiser (1876), le secret (1878), le
mur du diable (1882) et Viola, adaptation de la Nuit des rois de Shakespeare. Dvorak
composa quatre chants, son opus 9, sur des poèmes d'Eliska Krasnohorska,. Le jeune
Zdeněk Fibich s'inspira de la légende de Blaník pour son premier opéra, toujours sur un
livret de cette poétesse. Les rapports entre la littérature, la poésie et la musique de quatre
représentants importants des pays tchèques attestent le bouillonnement culturel qui
s'emparait des intellectuels et des artistes dans ce dernier quart de siècle. La place prise par
les écrivaines mérite d'être signalée. Durant ces années, Leoš s'empara de trois de ses
poèmes, Holubicka (Petite colombe) et Louceni (les adieux) en 1888 et Coz ta nase briza
(Notre bouleau) en 1893 qu'il adapta pour une formation chorale.
Gabriella Preissova tient une place plus modeste dans la littérature tchèque et pourtant son
nom a traversé les années pour se transmettre de génération en génération de mélomanes.
Cette jeune femme écrivit en deux années, deux pièces de théâtre qui marquèrent les esprits
par leur audace, surtout la seconde : en 1889, Gazdina roba (La
maîtresse du fermier) et l'année suivante, Jeji pastorkyna (Sa belle-
fille).
Gabriella Preissova, dramaturge morave,
cliché de J. L. Sichan, photographe de Brno et ami de Leoš Janáček
Qui était-elle ? Native de Kutna Hora, en Bohème en 1862, elle se
maria 18 ans plus tard avec un dirigeant d'une raffinerie de sucre, puis
migra en Moravie d'abord à Hodonin sur les rives de la rivière
Morava, ensuite à Oslovany, près de Brno, en 1890. Attentive aux