Xihuitl, l`année vague solaire vue par Durán - CELIA

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Xihuitl, l’année vague solaire vue par Durán
André Cauty
1.- LES DONNÉES D’UN CODEX DU XVIE SIÈCLE
Comme leurs voisins, les Aztèques divisaient l’année des saisons en périodes.
Leur retour rythmait la vie sociale et religieuse. Cela définissait une année que je
dirai festive, répondant à la formule [(18 x 20) + (1 x n)]. Leurs devanciers, les
Mayas du Classique, en avaient fait un calendrier de 365 dates de la forme β Y
qui distinguaient – comme nos 1 Janvier, 2 Janvier, etc – chaque jour de l’année
ha’ab par son rang ou numéro d’ordre β dans sa période Y. Rien de semblable
pour l’année des Aztèques, le xihuitl. La description des périodes de 20 jours et
des fêtes aztèques est bien documentée (par ex. Graulich;2005), mais il n’y a pas
d’exemple précolombien d’un événement qui aurait été daté à la manière maya,
c’est-à-dire en donnant sa position exacte dans un mois de l’année festive1.
D’où la question: les Aztèques se contentaient-ils de repérer les jours de
l’année festive par leurs qualités, ou avaient-ils un calendrier apte à distinguer et
définir les 365 jours du xihuitl par une expression unique et univoque (date
solaire) et à dénombrer en jours leur ‘siècle aztèque’ de 52 ans, le SA ?
Un document colonial, le codex Durán, présente sur 18 pages une année
festive organisée en 18 mois de 20 jours sans
aucune page pour les jours Nemontemi. Les mois
ne sont pas nommés par des substantifs, mais plutôt
décrits par des procédés linguistiques disparates
(Launey;1986) qui font penser à des tournures
comme « le temps des cerises » pour parler du mois
de Juin ; la description de chaque mois est jumelée
à une scène figurative et à une mention de la ou des
fête(s) que l’on y célébrait en l’honneur de telle ou
telle entité. Par ex : « Ce huitième mois avait vingt
jours comme les autres ; ils célébraient le premier jour la
grande fête des seigneurs dits Hueyitecuilhuitl ».
1
Par ex. les dates mayas 0 Pop (Nouvel an) et 4 Uayeb (St Sylvestre) désignent les jours
numéro 0 du mois I et numéro 4 du résidu XIX. Les textes qui parlent des mois aztèques
(Sahagún ou Durán, par ex.) ou des mois mayas de l’époque coloniale (Landa, par ex.) ne
présentent pas de telles dates mais disent qu’ils étaient l’occasion d’actes publics (fêtes,
rituels…) ou privés (autosacrifices, jeûnes…) et renvoyaient à diverses activités sociales.
2
André Cauty
Chaque page contient vingt cases qui représentent les jours du mois ; soit un
total de 18 x 20 = 360 j pour l’année festive.
Les cases contiennent des occurrences du
point de valeur numérique un formant une
suite de numéros allant de 1 à 13, et bouclant
sur elle-même ; chaque numéro α est attaché
à l’un des vingt signes X de jour. Ces signes
sont néfastes2, favorables3 ou indifférents4.
Autrement dit, les 360 jours du codex sont à
la fois qualifiés et datés ; chacun par l’une
des 260 expressions αX. Les dates se suivent
dans l’ordre5 du calendrier divinatoire.
L’année festive n’en est pas pour autant un calendrier, car les 260 dates du
tonalpohualli ne suffisent pas à couvrir, sans doublons, les 360 jours d’une année
festive sans résidu ou les 365/366 jours d’une année solaire (vague, tropique ou
sidérale). Sans surprises, l’année de Durán débute par le « premier mois que les
Indiens célébraient, et qui avait 20 jours pas plus », Atlcahualo ou Cuahuitlehua ; le
1er jour de ce mois est daté 1 Cipactli6 suivi par les jours datés 2 Ehecatl, 3
Calli, etc., jusqu’au 20ème et dernier 7 Xochitl. Les 20 jours de chacun des 18
mois portent le même nom X, de Cipactli à Xochitl7. Le 18ème mois devrait être
suivi du résidu de n jours funestes « aciagos sin cuento ni provecho ; así los dejaban
en blanco, sin ponerles figura ni cuenta », datés (ou non) de 10 Cipactli à 1 Cohuatl.
Contrairement à celui de Landa pour les Mayas, le calendrier de Durán inclut
des incohérences. Par ex., Ochpaniztli désigne les mois IV et XI ; et entre les
dates 7 Mazatl et 9 Atl du Ier mois on trouve *9 Tochtli (au lieu de 8 Tochtli).
Plus important, le XIe mois, Ochpaniztli – débutant un 6 Cipactli – est mal
numéroté : le rang α = 13 est attribué à la fois au 8ème et au 9ème jour du mois XI :
6
7
8
9
10
11
12
Cipactli Ehecatl Calli
Cuetzp. Cohuatl Miquizt. Mazatl
Les 10 premiers jours du mois XI
13
Tochtli
13
Atl
1
Itzcuintli
2
“Los signos malos y de mal pronóstico son: Viento, Culebra, Agua, Matorral, Pedernal,
Aguacero, Muerte. Estos siete signos eran tenidos por malos, para los que nacían en ellos.
3
“Cabeza de sierpe, Casa, Lagartija, Venado, Buharro, Perro: estos eran signos buenos y
de
buenos sucesos para los que en ellos nacían”.
4
“Los indiferentes eran: Conejo, Mono, Caña, Tigre, Águila, Rosa, Curso. Llamaban a
estos signos indiferentes, porque los que en ellos nacían participaban de bien y mal; unas
veces se verían en prosperidad, y otras en pobreza, sujetos a sucesos malos y buenos”.
5
En incrémentant de un le numéro et le signe du jour, comme « lundi 1er, mardi 2, etc. ».
6
Comme le jour de l’an est daté 1 Cipactli, de la forme αX, avec α = 1 et X = I, on peut
penser que Durán fait systématiquement débuter l’année festive par cette date particulière.
7
D’un mois à l’autre, leur numéro augmente de 7 modulo 13 (de 1 tous les deux mois).
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán
3
D’où un décalage d’une unité sur les numéros qui se propage jusqu’au 14ème
jour du mois XII, Teotleco. Et ce n’est pas tout. Le numéro décalé – α = 12 – du
14ème jour de Teotleco devrait être suivi par une date de numéro 13. Or, le 15ème
jour Cuauhtli de Teotleco, n’a pas de numéro, et le 16ème Cozcacuauhtli porte le
même numéro (12) que le 14ème jour, Ocelotl ; enfin, la seconde occurrence du
numéro 12 est suivie d’un 1 et non d’un 13 (successeur de 12). Voici le mois XII
Teotleco, et un zoom sur les 4 jours signalés pour leur date aberrante :
Le mois XII
Zoom sur 4 dates dont 3 erronées
D’où le constat qu’un dominicain de la fin du 16ème siècle – cultivé, parlant
nahuatl, disposant de codex précolombiens et d’informateurs sachant encore les
lire – n’a pas réussi à dresser sans erreurs un calendrier de l’année festive
aztèque8. Durán n’étant ni sot ni mal informé, on peut commencer à douter que le
xihuitl des anciens Mexicains était un calendrier destiné à dater les 365 jours de
l’année vague solaire ; et à se demander à qui/quoi il servait.
8
Hoppan (communication personnelle) rappelle que contrairement à Diego Durán (1537/
1588), le franciscain Diego de Landa (1524/1579) a présenté sans erreur les 20 dates αX
de chacun des 18 mois (nommé et figuré) de l’année festive, et placé son résidu de 5 jours
juste entre les mois Cumku (XVIII) et Pop (I). Ces ans ne forment ni un CR ni un SA,
mais un cycle de 13 katun (13 x 20 x 360 j) dit la ‘roue des katuns’ (environ 5 CR).
4
André Cauty
Poursuivons l’objectif supposé de Durán, et tentons de faire de son xihuitl un
calendrier propre à dater les jours. Acceptable pour le Colonisateur9, ce projet est
vraisemblable puisque d’autres Mésoaméricains, les Mayas du Classique par ex.,
l’avaient déjà réalisé pour le ha’ab10. Durán a ouvert, peut-être sans le savoir,
une voie pour transformer le xihuitl en calendrier. Il a en effet : a) distribué les
360 jours de l’année festive en 18 mois numérotés, et b) inscrit leurs dates sur 18
pages contenant chacune les 20 dates αX d’un mois. Le résultat est une sorte de
tableau ordonné de 18 colonnes, 20 lignes et 360 cases. Soit T1 ce tableau :
Y→
↓β
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
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11
12
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14
15
16
17
18
19
I
II
III
IV
V
VI VII VIII IX
X
XI XII XIII XIV XV XVI XVII XVIII ↓X
1
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*
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I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
XII
XIII
XIV
XV
XVI
XVII
XVIII
XIX
XX
Calque des données de Durán, le tableau T1 représente une année festive de
360 jours : les colonnes sont les mois de vingt jours (notés de I = Atlcahualo à
XVIII = Ixcalli), les cases sont les jours. Chacune est renseignée par le numéro α
de la date tonalpohualli du jour qu’elle représente, et dont le signe X est codé par
un chiffre romain inscrit au bout à droite de la ligne (de I = Cipactli à XX =
Xochitl). On suit la flèche du temps en descendant les colonnes l’une après
9
Rejetant le tonalpohualli de 260 jours dans les ténèbres des œuvres diaboliques, l’église
et la couronne imposaient le calendrier julien/grégorien : un calendrier de l’année vague
solaire conceptuellement proche du xihuitl des anciens Mexicains.
10
La plus ancienne date ha’ab attestée est un 0 Yaxkin (plaque de Leyde, 320). Dans les
documents aztèques qui donnent comme le Codex borbonicus la liste des 18 mois, les
jours ne sont jamais numérotés. Je ne connais aucun document aztèque précolombien
offrant une date de la forme β Y (β ∈ [1, 20] ; Y signe de mois ou du résidu Nemontemi).
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán
5
l’autre, de gauche à droite. Une trame de couleur sert à distinguer : en vert, les
200 jours « bien datés » du codex Durán, en bleu, les dates dont le numéro α est
erroné ; et en blanc, les mois contaminés par une erreur qui se propage. Les α
visiblement aberrants sont marqués en bleu, en rouge ou par un *.
2.- RECONSTITUTION D’UN XIHUITL À PARTIR DES DONNÉES DE DURÁN
Le xihuitl de Durán compte 360 jours datés par 260 expressions αX, il faut
donc désambiguïser11 et ajouter une 19ème période pour le rendre apte à simuler
une année vague solaire de formule 365 = [(18 x 20) + (1 x 5)] isomorphe au
ha’ab des Mayas. Ajouter Nemontemi ne suffit pas pour obtenir un calendrier.
Car, au sens strict, un calendrier est un système public ou officiel qui discrétise le
continu du temps et qui définit un ordre sur ses unités discrètes (en général
mesurées en jours) pour ainsi en dater les jours, i-e. les distinguer et les définir
chacun par une expression unique et univoque12. Le xihuitl des Aztèques divise
l’année en 19 périodes comptées en jours. Au contraire du ha’ab, il ne vérifie pas
le critère d’univocité car le xihuitl (365 jours) utilise les dates αX (260 dates).
La disposition en tableau permet cependant d’inventer ou de reconstituer un
avatar des dates β Y mayas qu’un Aztèque ou un
Espagnol aurait pu utiliser au XVIe siècle. Il suffit
de numéroter les lignes et les colonnes. Les lignes
par vingt numéros β ; les colonnes par les signes Y
de période13. Chacun des 360 jours du tableau
pourrait alors être repéré/daté par ses coordonnées
(β , Y) uniques et univoques, et T1 attribuerait à
chacun des 360 jours qu’il représente deux dates :
une date tonalpohualli, 13 Tochtli, et une date
xihuitl, 7 Ochpaniztli (par un simple changement
d’assignation on a aussi les dates tzolkin et ha’ab : 13 Lamat 7 Zac).
Bref, le projet supposé (faire du xihuitl un calendrier de l’année) n’aboutit pas
faute d’une page Nemontemi et parce que Durán garde les dates tonalpohualli :
sa « mise au carré » du xihuitl ne pouvait pas le convertir en calendrier14. On sait
par ailleurs que l’homme d’église considérait le tonalpohualli comme une œuvre
11
12
Les scribes ajoutaient par ex. : couleur, point cardinal, seigneur de la nuit, oiseau…
Pour cette définition, le ha’ab est un calendrier : il discrétise le temps des saisons en 19
périodes invariablement ordonnées (de Pop à Uayeb) ayant chacune un nom propre et une
mesure en jours, et il distingue et définit chacun des 365 jours de l’année vague par une
expression unique et univoque, sa date β Y.
13
Numéroter les lignes et les colonnes se heurte à deux difficultés : a) on ne sait pas avec
toute la certitude désirable si les Aztèques comptaient comme les Mayas du Classique à
partir de 0, comme les Espagnols ou les Mayas de l’époque coloniale à partir de 1, voire à
partir de 2 comme le firent, pour le tonalpohualli, les Tlapanèques et les Indiens de
Teotihuacan ; b) les sources se contredisent pour dire où placer les Nemontemi…
14
Ce qui conduit à revoir les fondements de la thèse de l’engrenage fort répandue chez les
américanistes mais néanmoins non démontrée posant que les Aztèques combinaient dans
l’unité d’un tout le calendrier divinatoire (260 dates) et le ‘calendrier’ annuel (365 jours).
6
André Cauty
diabolique à éradiquer. Pour atteindre ce but, Durán semble avoir préféré élever
le xihuitl au rang de calendrier15 plutôt que cherché l’abandon (impossible ?) du
tonalpohualli et son remplacement par le calendrier européen.
Après avoir éliminé les coquilles du tableau T1 et lui avoir ajouté une 19ème
colonne de cinq lignes, on obtient un tableau T2. Il se lit comme le premier T1 et
attribue comme lui deux dates, αX et β Y, à chacun des 365 jours de l’année
vague solaire qu’on se propose de simuler. Dans T2, les couleurs ajoutées servent
à distinguer et définir les treizaines de l’année aztèque (leur couleur ou valeur
symbolique est liée à leur patron, chef de file). T2 peut être considéré comme un
calendrier de l’année vague solaire aztèque.
T2 présente cependant une singularité. Celle d’attribuer la date α = 1, X = I
(soit 1 Cipactli) au 1er jour du 1er mois de l’année. Pour plus de généralité,
simulons pour éviter cette particularité une année commençant un jour différent,
par ex. un jour daté Ehecatl. On sait qu’il y a 13 années régies par Ehecatl, par
commodité la 1ère case du tableau a été renseignée en y portant la valeur α = 1.
On obtient ainsi le tableau T3 (Hors texte a).
Dans l’après coup de la reconstruction, on découvre que le tableau T3 réalise
l’objectif supposé de Durán : construire un dispositif qui fait de l’année festive
[(18 x 20) + (1 x 5)] un calendrier (au sens strict) de l’année vague solaire
distribuant de manière unique et univoque 365 dates différentes. Pour faciliter les
comparaisons, une colonne traduit les numéros X des signes de jours par leurs
noms yucatèques. Cerise sur le gâteau, T3 calque un témoin laissé par l’histoire
de ce qu’était, ou aurait pu être, un ‘vrai’ calendrier mexicain de l’année vague
15
Ainsi élevé, le xihuitl de 18 mois de 20 jours plus un résidu de 5 jours a une structure
comparable à celle du calendrier européen de 12 mois et un complément ; de plus, les
deux années ont la même loi de succession : le successeur de β Y est (β + 1) Y tant que Y
n’est pas fini, sinon c’est 0 (Y + 1) ou 1 (Y + 1) selon que l’on compte à partir de 0 ou 1.
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán
7
solaire. Intitulé Calendrier des Indiens du Guatemala, Cakchiquel 168516 (Hors
texte b et c) ce document confirme un siècle après Landa le fait connu que les
Mayas n’utilisaient plus, à la fin du XVIIe siècle, les dates ha’ab de la forme β Y,
et il laisse aussi penser qu’ils ne maîtrisaient peut-être pas encore le calendrier
grégorien introduit en 1583. Le texte donne en date αX les 365 jours d’une année
vague solaire maya. Le numéro α est noté en numération européenne et chiffres
arabes ; le signe X est donné par son nom en quiché transcrit en alphabet latin.
Débutée le 1 Yε (Ik), l’année se termine par les jours du résidu dit la « porte qui
ferme l’année, le jour et le temps » ; ils sont
datés17 : 10 Yε (Ik), 11 Aεbal (Akbal),
12 Kat (Kan), 13 Can (Chicchan) et 1
Camey (Cimi). Ce qui prouve que l’an
maya se terminait par une 19ème période,
Tzapiεitz (Uayeb) de cinq jours. Sachant
que Uayeb est la 19e et dernière période
de l’année et que ses 5 jours sont datés
régulièrement, il est trivial de prévoir la date du 1er jour du 1er mois de l’année
suivante18, et ainsi des autres. Soit : 1 Yε (Ik), 2 Quieh (Manik), 3 Ee (Eb), 4
Noh (Caban), etc.
Comme au siècle précédent (Durán et Landa), chaque page donne le nom
(mais plus le signe) de la période Y qu’elle enregistre. Chaque nom Y de mois est
doublé par son numéro « mes 1° Tacaxepual » et accompagné d’un commentaire
comme « tiempo de sembrar las primeras milpas » pour le 1er mois et « puerta que
cierre el año, día y tempo » pour le résidu, qui est ainsi affirmé être une période
fermant l’année en cours. Pour chacun des 365 jours, l’auteur met en regard la
date indigène αX et son équivalent grégorien19 : le 1er jour par ex. est aussi daté
« Enero 31 », 31 Janvier. L’auteur innove en numérotant à l’espagnole (de 1 à 20)
les 20 jours de chaque mois « Día 1, 10 Yεε » ; et de 1 à 4 les jours Uayeb.
Convenant de numéroter les périodes Y de l’année festive de I à XIX et les
jours d’une période de 0 à 19 à la manière maya (ou de 1 à 20 à la manière
espagnole, aztèque ou cakchiquel), on obtient pour chaque jour de l’année un
couple unique de numéros. L’ensemble ordonné des 365 couples de numéros
ainsi obtenus est isomorphe à l’ensemble des dates ha’ab β Y en usage à l’époque
classique ; c’est donc un calendrier métis donnant à la fois les dates αX et β Y de
chacun des 365 jours de l’année vague solaire. Soit par exemple le 1er jour du 1er
mois de l’année. Sa date αX = 1 Yεε (Ik) est inscrite sur le manuscrit, et sa date
16
Daté de 1685, il est quasi contemporain de la chute du dernier bastion maya – Tayasal
(Petén, Guatemala) – tombé en 1697. La capitale Iximché des Cakchiquel fut conquise par
Pedro de Alvarado en 1524.
17
Á l’époque classique, les Mayas dataient les jours du ha’ab en dates β Y avec β variant
de 0 à 4 pour la 19ème période (résidu Uayeb de cinq jours). La date 0 Uayeb est encore
(mais rarement) attestée au postclassique (pages vénusiennes du codex de Dresde).
18
On observe ainsi que les Nouvel ans suivent la règle de succession des Porteurs (P0).
19
La fiabilité des concordances est faible et difficile à établir. Le livre de Roulet (2000)
permet de s’en convaincre.
8
André Cauty
β Y est obtenue en convertissant les numéros : β devient 0 (ou 1, selon la façon
d’énumérer) et Y devient Pop ; d’où la date β Y = 0 Pop20 du jour de l’an.
3.- BILAN DES RECONSTRUCTIONS
Les tableaux T2 et T3 simulent21 une année festive discrétisée en 18 mois de
20 jours et 1 résidu de 5 jours, et ils énumèrent les 365 jours d’une année vague
solaire en donnant leurs dates αX en calendrier divinatoire22 (tonalpohualli
aztèque ou tzolkin maya) ; et, par le truchement des coordonnées, leurs dates β Y
en calendrier annuel (xihuitl aztèque ou ha’ab maya). Le dispositif donne 365
paires de dates αX et β Y. Selon l’interprétation donnée aux nombres du tableau,
on peut lire T3 en nahuatl, en yucatèque ou autre langue. En yucatèque par
exemple, T3 donne les dates CR d’une année vague solaire maya de type 1 Ik 0
Pop : (α
αX = 1 Ik, β Y = 0 Pop), (2 Akbal, 1 Pop), (3 Kan, 2 Pop), etc. (13
Chicchan, 3 Uayeb), (1 Cimi, 4 Uayeb). T3 donne aussi les dates des 365 jours
des 51 années suivantes : la dernière date de l’année (1 Cimi, 4 Uayeb) permet
comme dans le Cakchiquel de prévoir23 celle du nouvel an suivant, par ex. (2
Manik, 0 Pop).
Pour un cycle de 52 ans, les simulations T2 ou T3 appliquent les (260+105)
dates αX des [(13+5) x 20)] + (1 x 5)] jours de l’année festive sur les 365 dates
β Y de l’année vague solaire. Avant usage, le dispositif doit être initialisé. T3 par
ex. le fut en convenant de numéroter les lignes β (à gauche) de 0 à 19, les lignes
X (à droite) de II (Ik) à I (Imix), les colonnes Y de I (Pop) à XIX (Uayeb), et en
décidant de l’ordre de lecture et de la façon de renseigner les cases (des entiers
modulo 13 en plaçant α = 1 dans la 1ère case à lire).
L’initialisation présente des degrés de liberté. Voici les trois principaux :
1) Décider d’énumérer les vingt numéros β à partir de 0 ou à partir de 1;
pour T3, ils vont de 0 à 19
2) Choisir le jour qui commence l’énumération des vingt signes X ; pour
T3, ils vont de Ik (X = 2) à Imix (X =1)
3) Choisir le numéro α placé dans la première case du tableau ; pour T3, le
rang est convenu égal à 1.
On en déduit qu’il y a :
0) aucune raison24 de modifier l’ordre d’énumération ou le départ des α
20
L’auteur cakchiquel aurait obtenu 1 Tacaxepual (1 Pop) parce qu’il énumérait les jours
d’une période à la manière espagnole en partant de 1, et non de 0 comme au Classique
21
Ils ne contiennent plus aucune information numérologique, symbolique ou pratique que
contenait la description de l’année festive dans le Durán ou le Calendario Cakchiquel.
22
Rappelons que le calendrier divinatoire ne fournit que 260 dates pour ‘étiqueter’ les
365 jours de l’année vague : 105 jours différents de l’année ont forcément la même date.
23
Car l’année vague solaire est supposée a) de durée invariable (aucune intercalation de
jours comme +1/13 jour(s) tous les 4/52 ans) et b) invariablement synchronisée au tzolkin.
24
Sauf si l’on étudie le cas rare des peuples qui utilisaient, comme les Tlapanèques, un
cycle décalé des numéros α, le cycle (2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14).
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán
9
1) deux façons d’énumérer les jours d’un mois (de 0 à 19, ou de 1 à 20)
2) vingt façons de choisir le jour X de départ du cycle des vingt jours
3) treize façons de choisir le numéro α placé dans la 1ère case.
Au total, l’expérience de pensée qui consiste à transformer le codex Durán en
calendrier de l’année vague solaire de 365 jours pourrait générer jusqu’à 2 x 20 x
13 = 520 calendriers annuels différents, dont 260 pour les peuples qui énumèrent
comme les Mayas à partir de 0, et 260 pour les peuples qui énumèrent comme les
Aztèques ou les Espagnols à partir de 1.
4.- CRITIQUE DU MODÈLE DURÁN
Les données historiques ne confirment pas une aussi grande diversité de types
d’année. Depuis la colonisation, en effet, les savants répètent, en particulier pour
le monde aztèque, qu’il y avait 52 types d’année différents25, formant un cycle
dont le retour au point de départ/arrivée, par ex. l’an 2 Acatl, donnait lieu aux
célébrations dites du « feu nouveau » ou de la « ligature des années »26. Il devait
donc y avoir une contrainte sur tel ou tel degré de liberté du modèle précédent.
Cette contrainte est bien connue pour les calendriers mayas du Classique : un
couple de dates (α
αX, β Y) est attesté ssi, si et seulement si, ses constituants X et β
vérifient une règle de cooccurrence27 définie par le tableau suivant.
Cooccurrences possibles des constituants X et β
P0
P1
P2
P3
P4
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
P0
Ik
Manik
XII
XIII
XIV
XV
XVI
XVII
XVIII
XIX
XX
I
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
0
5
10
15
Spécification au cas maya
25
Eb
Caban
104 types pour les peuples qui avaient en plus couplé leur calendrier (tzolkin x ha’ab)
avec une année vague vénusienne de 584 jours. Grands spécialistes de la recherche de
« commensurabilité » des cycles, les scribes mayas savaient, par exemple, que tous les 8
ans, les mêmes phases de la planète Vénus retombaient aux mêmes dates β Y. La raison en
est simple. Comme ils approximaient les cycles astronomiques par des durées en nombre
entier de jours, il suffisait de faire tourner les cycles (prolonger leurs tables de multiples)
jusqu’à retrouver la coïncidence des dates et de l’événement distingué. En l’occurrence
les entiers 365 (année vague solaire) et 584 (année vague vénusienne) se révèlent liés par
l’équation 8 x 365 = 5 x 584 : tous les huit ans la même phase de Vénus revient à la même
date ha’ab. Et tous les 37 960 jours (2 CR ou 2 x 52 ha’ab), la même phase de Vénus
revient aux mêmes dates tzolkin et ha’ab : 37 960 = 65 x 584 = 104 x 365 = 146 x 260.
26
Pour divers auteurs, ce moment était déterminé par observation du ciel nocturne (lever
des Pléiades ?).
27
Appelée Règle d’Orthodoxie de la Chronologie maya, ROCm, cette règle ne s’applique
pas sans adaptations aux peuples qui ne font pas usage des dates β Y.
10
P1
P2
P3
P4
André Cauty
Akbal
Kan
Chicchan
Cimi
Lamat
Muluc
Oc
Chuen
Ben
Hix
Men
Cib
Edznab
Cauac
Ahau
Imix
1
2
3
4
6
7
8
9
11
12
13
14
16
17
18
19
Pour fixer les idées, la table a été dressée dans l’hypothèse où l’énumération
commence à 0. Rien n’interdit de l’adapter à l’habitus de compter à partir de 1.
Elle est présentée sous deux formes. Dans la 1ère, les cases sont renseignées par
des chiffres romains utilisés pour coder les vingt signes du cycle des noms de
jour. Dans la 2nde, les noms yucatèques (orthographe coloniale) servent de langue
pivot (métalangue de traduction) pour comparer les calendriers mésoaméricains.
Dans le tableau T3, la ligne β = 0 est liée à la ligne X = Ik. La table (2ème
forme) dit que toutes les dates CR qui contiennent ces deux constituants – de la
forme (α
α Ik, 0Y) – satisfont la contrainte de cooccurrence28. C’est en particulier
le cas des 13 dates (α
α Ik, 0 Pop). Ces 13 dates désignent 13 Nouvel ans29, et il en
est de même pour les trois autres séries de 13 dates : (α
α Manik, 0 Pop), (α
α Eb, 0
Pop) et (α
α Caban, 0 Pop). L’ensemble P0 = {Ik, Manik, Eb, Caban} est celui
des XP de X qui peuvent entrer dans la date (α
αX, 0 Pop) d’un nouvel an maya de
l’époque classique. Ce sont les Porteurs d’année en vigueur au Classique maya30.
Le fait de la contrainte de cooccurrence sur les constituants X et β conduit à
reformuler en 2bis) le degré de liberté 2) :
2 bis) il y a quatre façons de choisir le jour X de départ du cycle des vingt
jours ; en d’autres termes, on ne peut trouver que 4 jours X sur la ligne β = 0.
Après reformulation, il reste 2 x 4 x 13 = 104 calendriers annuels différents,
dont 52 pour les peuples qui énumèrent à partir de 0, et 52 pour les peuples qui
énumèrent à partir de 1. Ce que confirment les données historiques. Mais l’affaire
n’est pas close pour qui cherche une explication aux limitations constatées dans
les systèmes calendaires mayas31 ou mésoaméricains32.
Au Classique maya, les trois propositions suivantes sont équivalentes :
a) la restriction du CR à 18 980 éléments
b) le phénomène des 4 Porteurs d’années
c) la Règles d’Orthodoxie de la Chronologie maya.
28
Il en serait de même en associant la ligne β = 0 aux lignes X = Manik/Eb/Caban.
Au Classique, la date 0 Pop (calendrier ha’ab) désigne le 1er jour du 1er mois de l’année
vague solaire maya.
30
Les notations P1, P2, P3, et P4 désignent quatre autres quarterons possibles de noms X
de porteurs d’année, ou d’éponymes d’année dans le cas des peuples ou des époques qui
ne firent pas usage des dates β Y. Par ex. le jeu P1 = {III, VIII, XIII, XVIII} = {Calli,
Tochtli, Acatl, Tecpatl} fut l’un des quarterons aztèques d’éponymes d’année.
31
Bien que l’association des cycles 260 et 365 produise 94 900 couples (α
αX, β Y), le
Calendrier Rituel des Mayas ne dure que 18 980 jours datés par 1/5 des couples produits.
32
Si le xihuitl n’est pas un calendrier de 365 dates et s’il n’est pas strictement lié au
tonalpohualli, pourquoi le siècle aztèque, SA, aurait-il 52 ans, et pourquoi l’année auraitelle seulement 4 porteurs ou éponymes ?
29
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán
11
Les chercheurs admettent (un peu vite) l’idée que les limitations constatées
seraient des conséquences logico-arithmétiques du seul couplage des cycles 260
et 365 traditionnellement représenté par un jeu d’engrenages. 22.5.13 = 260 et
5.73 = 365 sont deux entiers de PGCD et PPCM égaux à 5 et 18 980. À elles
seules33, ces propriétés n’expliquent complètement ni la marche ni le ressort des
calendriers de l’Antiquité mésoaméricaine. Liée à l’arithmétique des collèges, la
raison invoquée est un anachronisme qui pourrait faire obstacle à l’intelligence
des « néo-Indiens » (Galinier & Molinié;2006) qui s’efforcent, par ex. dans le cadre
de l’éducation bilingue et biculturelle, de reproduire les sens ou les motivations
du calcul et du comput des Anciens mexicains34.
5.- MANIÈRES MAYAS ET AZTÈQUES DE DATER UN ÉVÉNEMENT
L’observation du calendrier maya conduit à une hypothèse sur les conditions
d’émergence des égalités CR = 18 980, Pn = 4 et αXP = 52. Elles pourraient être
en effet le résultat mécanique d’un couplage strict des cycles 260 et 365 que
l’image occidentale de l’engrenage instruit si bien. Coupler strictement ces deux
cycles revient à former un premier couple (α
αX, β Y) en associant un élément αX
du cycle de 260 dates et un élément β Y du cycle de 365 dates, puis prendre leurs
successeurs. La paire (4 Ahau, 8 Cumku)
– fin du 13ème baktun – est historiquement
bien attestée.
Partons de cette date CR bien attestée, et
faisons l’expérience de pensée consistant
à écrire la date du jour suivant, puis celle
du suivant, et ainsi de suite sans oubli ni
répétition : (5 Imix, 9 Cumku), (6 Ik, 10
Cumku), (7 Akbal, 11 Cumku) etc. Au
bout de 18 980 itérations : a) on revient
sur les mêmes dates (4 Ahau, 8 Cumku),
(5 Imix, 9 Cumku), etc., et b) on constate
que certains couples ne sont jamais sortis,
par ex. : (4 Ahau, *9 Cumku), (4 Ahau,
10 *Cumku), (4Ahau, *11 Cumku) et (4
Ahau, *12 Cumku)35, ni jamais attestés.
Sous la même expérience, les quatre
33
Sans
ème
subterfuge équivalent aux contraintes de cooccurrence de la règle d’orthodoxie, le
n jour de l’année (qu’il soit dit Porteur ou éponyme, et quelle que soit sa date β Y) peut
tomber sur n’importe quelle date αX (cf. note 64, pas seulement des dates αXP).
34
Par ex. motiver et enseigner à l’aide d’un boulier adapté au monde aztèque, le calcul, la
philosophie et la religion in: Lara & Sgreccia.
35
Marc Thouvenot (2012:communication personnelle) part de l’opposition jour/date pour
montrer que a) et b) restent vraies quand on ajoute des jours sans les dater, i.-e. sous la
condition « soit d’attribuer à une date une durée de deux jours, soit de ne pas dater les
jours supplémentaires ». D’où, sans altérer le calendrier de 365 dates (α
αX ou β Y) ni la
ronde des 52 αXP, de possibles années de 366 jours (365 datés) ou SA de 18 993 jours.
12
André Cauty
couples étoilés donnent chacun naissance à 18 980 autres couples étoilés. Au
final, cinq cycles calendaires (quasi une ‘roue de katuns’) sont produits : le CR
de l’époque classique et quatre clones étoilés, apparemment mort-nés.
Autrement dit, initialiser la marche synchrone
du tzolkin et du ha’ab en fixant un premier couple
(α
αX, β Y), c’est engager les unes dans les autres les
roues de l’engrenage qui vont, dès lors, suivre de
manière automatique les règles de succession des
dates tzolkin et ha’ab, et générer exactement les
18 980 dates du CR. La « bonne » initialisation est
condition nécessaire et suffisante pour produire,
d’une part, le CR de 18 980 dates (et non l’un de
ses clones comme le 1 Imix *1 Pop de la figure),
et, d’autre part, le phénomène des quarterons de
Porteurs d’année. En pratique, cette condition NS
revient à fondre en un tout calendaire unique (dit
Calendrier Rituel, CR) le calendrier divinatoire de 260 dates αX et le calendrier
annuel de 365 dates β Y.
Comme des milliers d’autres exemples, la stèle C de Quiriguá prouve que les
Mayas du Classique réalisèrent cette fusion, dont une trace historique est l’usage
conjoint du Calendrier Rituel et du Compte Long36. Révélé et prouvé par les
équations mayas du type [4 Ahau 8 Cumku] + Σ(ciPi) = (α
αX, β Y), cet usage
conjoint fournit au scribe la redondance37 qui fait voir et permet de contrôler la
stricte coïncidence des calendriers entre eux et avec le temps astronomique.
Inversement, les sociétés qui n’avaient pas lié strictement les cycles 260 et
365 n’étaient pas a priori en position de découvrir aussi naturellement38 que les
Mayas le fait qu’un jour convenu (par ex. le 20ème et dernier jour du 4ème mois de
l’année festive) se trouvait mécaniquement associé à un quarteron d’entités X qui
revenaient en boucle d’année en année. Je pense que les Aztèques furent dans ce
cas. D’abord, parce que les dates β Y étaient tombées en désuétude à l’époque des
Aztèques et qu’ils n’en ont apparemment pas écrit une seule avant l’arrivée des
Espagnols39 ; ensuite, parce que des témoins comme Sahagún ou Landa signalent
que certains Natifs corrigeaient le décalage que l’année vague solaire prend sur
l’année tropique. Ce qui revient à dire que l’année était de durée variable, par ex.
parfois de 365 jours, parfois de 366. À moins d’un subterfuge bien difficile à
36
N’oublions pas que les Aztèques n’ont pas utilisé le Compte Long bien qu’il fut inventé
un millénaire et demi plus tôt, sans doute en terre olmèque ou épi-olmèque.
37
Comme la clef d’un turbocode détecteur-correcteur d’erreurs (Cauty & Hoppan;2006).
38
Surtout s’ils ne maîtrisaient pas la datation en Compte Long qui suppose la capacité de
noter les grands nombres (au-delà du million, soit 5 chiffres en numération vigésimale).
39
Les documents aztèques qui contiennent sans conteste des mois de vingt jours, comme
par ex. le codex Durán ou encore le Vaticanus A, pl. 103, qui rapporte l’arrivée de Cortés
et les événements des années 1 Acatl et 2 Tecpatl, furent tous produits après la Conquête
et par des Espagnols ou des Indigènes sous le contrôle des Européens qui cherchaient à
comprendre le calendrier mésoaméricain ou à le traduire en dates juliennes.
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán
13
démontrer40 et sauf dans l’hypothèse où le calendrier aurait toujours 365 dates,
l’année de 366 jours brise la mécanique des Porteurs/éponymes et produit de
nouveaux types d’années αXP qui s’ajouteraient aux 52 du siècle aztèque, SA.
On n’a donc pas de raison d’accepter le postulat disant que les Aztèques et
peut-être tous les peuples soumis à la Triple Alliance avaient accompli – sans
Compte long, sans dates β Y ni dates (α
αX, β Y) – l’union rigoureuse du calendrier
divinatoire de 260 dates et d’une année vague solaire de 365 jours. En tout cas
l’association suggérée par l’image de l’engrenage n’est pas attestée par la façon
de dater en usage chez les Aztèques : dater les jours de l’année festive en
calendrier divinatoire. Cette façon de dater n’est pas équivalente à la fusion en un
tout calendaire des cycles 260 et 365. Prenons pour le voir une date à coup sûr
bien aztèque : la date gravée sur le Monolithe de la dédicace. C’est une date à
deux constituants αX. Le premier, 7 Acatl, est
la date (calendrier divinatoire) d’un jour (parfois
deux !) en l’occurrence celui de la dédicace du
Templo Mayor de Tenochtitlan. Le second41, 8
Acatl, est la date du jour éponyme de l’année
festive où eut lieu cet événement42.
Le monolithe ne contient pas de dates β Y.
On peut cependant conjecturer qu’un scribe, ou
un savant moderne, est capable de préciser que
la dédicace eut lieu dans le courant du mois Y,
consacré à telle ou telle divinité, et occasion de
telle ou telle cérémonie. Peut-être même de fixer
le numéro β de ce jour dans le dit mois Y43.
Mais conjecturer n’est pas prouver. Et la prudence épistémologique exige de
s’en tenir aux seuls observables : le scribe aztèque datait les jours sans marquer
au jour près leur position dans l’année festive. Autrement dit, contrairement aux
Mayas, les Aztèques n’ont couplé de manière stricte, ni le calendrier de 260 dates
avec l’année festive (18+1 périodes), ni le calendrier de 260 dates avec l’année
vague solaire (365 j). Peu favorable à l’invention d’un calendrier type CR de
18 980 couples de dates (α
αX, β Y)44, le cas des Aztèques n’interdit cependant en
rien l’usage du cycle (emprunté ?) des 52 dates αXP pour noter les années du SA.
40
Par ex. celui de la note 34 : 5 dates pour 6 jours tous les 4 ans (correction bissextile).
Le soulignement montre que 8 Acatl (éponyme) est gravée dans un cartouche carré.
Le codex Telleriano-Remensis (38v) confirme ce fait en ajoutant la corrélation : année
8 Acatl = année 1487 du calendrier espagnol.
43
« Los sacerdotes mexicas escogieron el día 20 panquetzaliztli para inaugurar el Templo
Mayor por ser la fiesta del dios patrón Huitzilopochtli » (Aguilera;2000:30). On trouve,
dans les textes coloniaux en alphabet latin, de rares, rarissimes, dates β Y comme par
exemple : « noveno día de la veintena de quecholli » (Tena;2000:10).
44
Les divergences sur le nombre de jours Nemontemi ou sur le fait de les compter/dater
(ou non) renforcent cette thèse. Selon le postulat adopté, l’année aztèque compterait en
effet 360, 365 ou 366 jours datés, et le constituant X de l’éponyme serait incrémenté tous
les ans de 0, 5 ou 6 (modulo 20). Dans une année de 360 j datés, le patron X d’un jour
41
42
14
André Cauty
Une fois entrevue, cette idée conduit à abandonner le point de vue européen
et à reconsidérer d’un œil indien le but visé par les usagers et/ou les créateurs
mésoaméricains de l’année festive. Les textes transmettent l’idée que le xihuitl
mettait en relation la succession des rituels avec les rythmes de la vie agricole,
économique, sociale et politique. Le but n’était donc pas de désigner de manière
précise, unique et immuable, chacun des jours de l’année solaire, mais de la
distribuer en périodes : le xihuitl était moins un calendrier qu’un instrument du
maintien de l’ordre social, un outil pour renforcer la foi et la cohésion religieuse
des populations, bref une année de rituels et de labeurs. Rien n’indique que les
mises en relation visaient, comme en l’Occident des années quinze ou seize
cents45, à rendre synchrones les années festive (ou religieuse) et tropique (ou
agricole). Prenons à nouveau les données disponibles.
Qu’ils l’aient reçu ou créé, le système des éponymes d’années (i-e le cycle des
expressions αXP qui reviennent en boucle tous les
52 ans et permettent comme le 8 Acatl de la pierre
de la dédicace de distinguer les années d’un siècle
aztèque) était d’usage courant chez les Aztèques.
Des images tardives comme la ‘roue’ ci-contre
prouvent l’intelligence aztèque de la structure du
cycle des éponymes dont l’usage conduit à isoler
quatre jours X du tonalpohualli. La figure montre
une spirale ou une roue de 52 cases renseignées
par 52 dates αXP. La mise en page les répartit en
quatre classes de treize (5+8) éléments ; chacune
caractérisée par trois traits : a) un signe XP avec sa glose en espagnol, b) une
couleur et c) un point cardinal marqué par la position et une glose en espagnol46.
En tout, quatre classes de treize années : Acatl/vert/Est, Tecpatl/rouge/Nord,
Calli/jaune/Ouest et Tochtli/bleu/Sud.
Le document ne contient ni mode d’emploi ni mode de fabrication. Il ne dit
pas par exemple dans quel ordre les 52 éponymes furent rangés. Par essais et
erreurs, on peut se convaincre qu’une lecture en spirale donne du sens à la figure.
Partant du centre, sur la branche verte étiquetée Est (oriente), et tournant dans le
sens antihoraire on obtient (à quelques erreurs de copiste près) la suite : « 1
Acatl, 2 Tecpatl, 3 Calli, 4 Tochtli, etc. ». Cette lecture livre 52 éponymes
convenu reste invariant, avec 366 jours datés, il prend les 20 valeurs possibles. C’est
seulement avec 365 jours datés que X prend 4 valeurs et génère le cycle des Porteurs.
45
Au temps d’Hésiode, les Grecs voyaient l’année comme une succession d’abondances
et de pénuries. Il y avait un calendrier fondé sur les apparitions/occultations des étoiles,
les cycles végétaux, le comportement des animaux... Repères que les peuples dits primitifs
prenaient en compte pour fixer la succession des travaux (semailles, récoltes…).
46
Dehouve (sd) associe : Acatl/rouge/Est, Tecpatl/noir/ Nord, Calli/blanc/Ouest et
Tochtli/bleu/Sud. Chez les Mayas, on a les associations P0 : Ik/blanc/ Nord, Manik/noir/
Ouest, Eb/jaune/Sud et Caban/rouge/Est ou, plus tard, P1 : Ben/rouge/Est, Edznab/
blanc/ Nord, Akbal/noir/ Ouest et Lamat/jaune/Sud.
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán
15
d’années consécutives47, chacune distinguée et définie à la manière aztèque
traditionnelle48 par son numéro α et son patron XP. Mais distinguer les années et
les baptiser αXP n’est pas équivalent à associer en un tout calendaire les cycles
260 et 365. Bien que leur usage soit amplement attesté, le manque de données
précises – à l’exception du cas des Mayas du Classique49 – fait que les pourquoi
et comment des quarterons Pn de noms XP sont encore débattus et largement
incertains.
6.-RÉFLEXIONS COMPLÉMENTAIRES
Les données historiques montrent que les Mésoaméricains n’utilisaient pas
tous le même quarteron et qu’il leur arrivait d’en changer50. En toute rigueur,
aucun des catalogues d’années laissés par l’histoire non maya ne permet de
préciser, au jour près, la durée des années51 consignées en file de 52 ans bouclant
sur elle-même. Rien n’interdit de considérer l’hypothèse que l’année du siècle
aztèque, le xihuitl, pourrait par exemple compter – comme le tun des Mayas ou
l’année des Égyptiens52 – 360 jours (13+5 vingtaines de dates αX) et renvoyer
47
Réalisé entre 1541 et 42, le codex Mendoza s’ouvre sur une liste des événements d’un
siècle d’histoire aztèque. En première page, les 51 premières dates αXP, chacune dans un
cartouche bleu-vert (xihuitl, en nahuatl), rangées dans l’ordre admis pour les années de la
roue de Durán. La 1ère année (1325) datée 2 Calli est celle de la fin de la migration des
Aztèques et de leur arrivée à Tenochtitlan ; suivent les ans : 3 Tochtli, 4 Acatl, 5 Tecpatl,
etc. La 51ème date, 13 Acatl est suivie sur le 2ème feuillet par la date 1 Tecpatl de l’année
de l’intronisation du premier dirigeant de Tenochtitlan, Acamapichtli. La sédentarisation
accomplit une prophétie faite en l’an 1 Tecpatl par Huitzilopochtli. En date 2 Acatl est
enregistré le 1er Feu nouveau allumé à Tenochtitlan (½ SA après l’installation, soit 1351).
48
Bien que ces deux éléments suffisent à discriminer les 52 années du siècle aztèque, le
scribe a ajouté de la redondance : la couleur et la direction du patron du signe éponyme.
Dans le cas des 52 dates αXP des pages 21-22 du Borbonicus, la redondance est marquée
par l’indication des 9 Seigneurs de la nuit (Bukland;1957).
49
Le cycle maya des Porteurs résulte de la fusion en un tout (le CR) du tzolkin (calendrier
divinatoire) et du ha’ab (calendrier de l’année vague solaire) ; de plus, le maintien au jour
près du synchronisme de ces deux cycles limite automatiquement à 18 980 le nombre des
couples (α
αX, β Y) bien écrits et effectivement attestés, et fait que les cycles de 260 et de
365 jours sont rendus commensurables (1 CR = 52 ha’ab = 73 tzolkin).
50
Les Mayas, par ex., ont utilisé le jeu P0 à l’époque classique, puis les jeux P1 et P2
attestés par les codex. Pour la Mésoamérique : les quarterons P0, P1, P2 et P3.
51
Diego de Landa est même allé jusqu’à écrire que l’année maya durait 365 jours et 6
heures, si bien que tous les quatre ans elle durait 366 jours.
52
Selon l’astronome Parisot (sd:89-91) : « jusqu’en 4236 av. J.-C., le premier calendrier
égyptien, qui remonte à plus de 10 millénaires, est très simple : l’année de 360 jours est
constituée de 12 mois [lunaires] de 30 jours […] Puis lui succède le calendrier vague de
365 jours […] les Egyptiens ont été les premiers à découvrir la nécessité d’allonger
l’année […] à 365,25 jours […mais] il semble que l’association d’un calendrier
liturgique et d’un calendrier civil ait empêché toute modification : introduire un jour tous
les 4 ans […] produit une rupture inacceptable du cycle liturgique. […] deux tentatives
ont avorté. En 238 avant J.-C., Ptolémée III […] décrète l’emploi d’un 6e jour épagomène
tous les 4 ans. On se refuse d’utiliser ce jour qui bouleverse les traditions […] ».
16
André Cauty
peut-être à une douzaine de mois lunaires. De même, aucun texte ou document ne
permet d’affirmer que l’image de l’engrenage53 s’applique au cas aztèque et que
les 260 dates du calendrier divinatoire s’appliquaient sans glissement sur les
jours des 19 périodes qui font une année festive. Porteur ou Éponyme, le signe
XP qui entre dans le nom de l’année αXP renvoie à une entité réputée en charge
des jours de l’année54. Il est lié à un jour particulier, mais la façon dont il était
convenu diffère tellement selon les peuples et les époques que les spécialistes
semblent en perdre leur latin55. Apparemment, ce n’est jamais l’un des jours
dormants du complément des vingtaines, ni un jour ordinaire du mois. Souvent
c’est le premier jour du 1er mois de l’année56, mais c’est aussi, selon les auteurs
consultés, le vingtième et dernier jour du 4ème, 5ème ou 18ème mois.
Quelle qu’en soit la définition, le Porteur ou l’Éponyme occupait une place
(fixe ou non) dans le temps de la révolution des saisons, un rang57 (fixe ou non)
dans l’année festive, et une date αXP en calendrier divinatoire. Du coup, les
valeurs numérologiques du nombre α et les valeurs mythologiques du signe XP se
combinent pour donner la couleur de l’année portée par l’entité associée à XP58.
D’où la conjecture que le système des quarterons Pn de signes XP qui permettait
de distinguer par leur nom αXP (équivalent indien du millésime) les ans59 d’un
cycle60 qui en compte 52 servait peut-être aussi/surtout à en prophétiser la valeur
ou la couleur en les situant dans l’univers théologico-religieux mésoaméricain61.
Dans ce cadre, la possibilité de changer de quarteron pourrait avoir été, ici ou
là, un avantage pour tel prêtre ou tel roi mésoaméricain. Au contraire des César
ou des Grégoire de l’Église, les théologiens ou les dirigeants amérindiens ne
semblent pas avoir été obsédés par le maintien du synchronisme entre les cycles
de célébrations rituelles et la course des saisons et des années. Un Mésoaméricain
pourrait même trouver avantage à constater que telle ou telle divinité est honorée
en toutes saisons, alors qu’un catholique aime voir Noël toujours tomber en hiver
53
Métaphore traditionnelle pour affirmer ou illustrer la fusion en un tout calendaire de
l’almanach divinatoire de 260 jours et d’une année vague solaire postulée de 365 jours.
De là provient sans doute la dénomination « Porteur » et la source des représentations
où l’on voit la figure anthropomorphisée d’une entité portant une charge de temps.
55
« Varias cuestiones que los estudiosos han discutido afanosamente desde el siglo XVI
hasta la fecha, sin que hayan logrado ponerse de acuerdo sobre soluciones universalmente
satisfactorias… 1) ¿Cuál era el primer mes del xiuhpohualli? 2) ¿Cuál era… la posición
de los 5 días nemontemi? [puis 7 désaccords (sur l’année bissextile)] » (Tena;2008:12).
56
Identiquement, le jour daté 0 Pop en calendrier ha’ab des Mayas de l’époque classique.
57
En notation du ha’ab : β ème jour du Yème mois.
58
La maîtrise des dates αXP est donc importante pour un croyant indigène : le jour
Porteur des Mayas ou le jour éponyme des Aztèques est le lieu-tenant de l’année ; à ce
titre, il en colore (comme le 1er jour des treizaines et vingtaines) les jours.
59
Dans les codex avec commentaires en alphabet latin, ces dates sont traduites par un
millésime du calendrier julien (ou grégorien) ; voir la note 41.
60
On n’en connaît pas le nom maya. Les spécialistes l’ont appelé Calendrier Rituel ou
Calendar Round. Les sources donnent sa mesure 2.12.;13.0. kin = 18 980 jours. En
nahuatl, ce cycle est appelé xiuhmolpilli ‘ligature des années’.
61
Bukland (1957) donne avec les Seigneurs de la nuit un exemple aztèque de l’influence
d’une entité sur les jours d’une vingtaine.
54
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán
17
et que le Concile de Nicée définit Pâques « le dimanche qui suit le 14ème jour de la
Lune qui atteint cet âge au 21 mars ou immédiatement après ».
L’hypothèse d’un point de vue amérindien compatible avec la dérive des fêtes
dans le cours de l’année des saisons n’a guère été étudiée, et les savants se sont
surtout efforcés de découvrir une correspondance supposée fonctionnelle entre
les systèmes calendaires : les calendriers indigènes entre eux et avec le calendrier
julien (ou grégorien). Ce faisant, ils admettent plus ou moins consciemment :
a) l’existence d’un lien rigide, fonctionnel et invariable entre le calendrier
divinatoire de 260 dates et l’année mésoaméricaine structurée en 18 vingtaines
b) que cette année fut toujours et partout62 complétée par 5 jours funestes
c) que les présupposés a) et b) sont condition nécessaire et suffisante de
l’existence et des propriétés du cycle des Porteurs ou des éponymes d’années.
Autrement dit, ils adoptent la thèse de la fusion en un tout (engrenage) du
calendrier de 260 dates et de l’année de 365 jours. À s’en tenir aux documents, la
thèse de la fusion décrit seulement la pratique des Mayas du Classique. Rester
fidèle aux documents demande donc de revoir l’argumentation des auteurs qui
adoptent la thèse de l’engrenage pour décrire d’autres pratiques calendaires.
Voici, parmi beaucoup d’autres, deux auteurs qui reprennent cette thèse pour
les Aztèques. Le 1er, Rafael Tena, identifie purement et simplement le Calendrier
Rituel de 18 980 dates des Mayas avec le siècle aztèque de 52 années festives ;
El calendario mesoamericano era el resultado de la combinación entre un ciclo de 365
días, llamado en náhuatl xiuhpohualli o ‘cuenta del año’ (haab en maya), y otro ciclo
de 260 días, llamado en náhuatl tonalpohualli o ‘cuenta de los días’ (tzolkin en maya).
Obviamente, el xiuhpohualli es un computo del año solar […] Se requería el
transcurso de 18 980 días nominales, equivalentes a un ‘siglo’ de 52 años, para que se
agotaran todas las posiciones posibles de un día cualquiera del tonalpohualli dentro
del xiuhpohualli, y viceversa. En 52 años […] cabían 73 tonalpohualli (Tena;2000:5).
Ignorant le fait que l’almanach (260) peut s’appliquer de 5 façons différentes
sur l’année (365), il postule que le cycle des Éponymes (nouvel an) résulte de la
seule différence arithmétique (105) entre leur nombre de jours :
En un xiuhpohualli cabía un tonalpohualli más 105 días pertenecientes a otro u otros
dos tonalpohualli; esta relación entre los dos cómputos provocaba que el primer día
de cada año pudiera llevar todos los números del 1 al 13, pero combinados
únicamente con 4 de los 20 signos de los días » (Tena;2008:21).
La deuxième auteure (Dehouve;sd) reste plus proche des observables. Après
avoir posé que les Aztèques utilisaient deux calendriers « le calendrier annuel de
365 jours » et celui « des jours […] de 260 jours », elle accumule des affirmations
quasi contradictoires, par ex. que le calendrier (365 j) faisait coïncider les cycles
naturels « du soleil et de la pluie », qu’il divisait l’année en mois, mais qu’il « ne
permettait ni de donner un nom aux jours, ni de suivre le déroulement des années » :
Le calendrier annuel ou xiuhpohualli avait pour but de mettre la succession des fêtes
en correspondance avec les cycles naturels du soleil, de la pluie et du maïs, et de régir
62
Sauf que certaines voix ont dit que les Autochtones avaient un calendrier véritable ou
qu’ils avaient développé un correctif équivalent aux années bissextiles.
18
André Cauty
les rituels publics et la perception des tributs. Pour cela, il établissait une subdivision
de l’année en mois de 20 jours, mais ne permettait ni de donner un nom aux jours, ni
de suivre le déroulement des années.
De fait, les jours ne sont pas ‘datés’ en tant que jours de l’année festive ou
vague de 365 j, mais en tant qu’éléments du cycle des 13 x 20 dates almanach63.
Du coup, l’année aztèque qui « ne donne pas un nom aux jours » n’est pas un
calendrier64.
Acceptant la doxa de l’année de 365 j, Dehouve explique que la fusion des 2
calendriers (dont l’un ne permet pas de dater !) génère – comme l’engrenage – le
SA. Elle invoque les maths pour justifier durée du SA et cycle des éponymes :
Le plus petit commun multiple de 260 et 365 est 18 980. Ce n’est donc que tous les
52 ans [18 980 : 365 = 52] qu’un jour portera de nouveau le même nom dans les deux
calendriers. On donne à cette période le nom de siècle mexicain [siècle aztèque, SA].
Sans contraintes sur la combinaison des 2 calendriers, les maths invoquées ne
prouvent pas les durées (en j et a) du SA, et elles ne suffisent pas à expliquer le
cycle des dates tonalpohualli d’un jour donné de l’année (éponyme ou non)65.
Quelle que soit son origine, l’habitus de baptiser αXP les ans et de les traiter
par paquets66 de 4, 13, 52 ou 104 est une réalité mésoaméricaine67 qui confirme
63
On peut identifier et dater les jours pour des raisons astronomiques (solstice, passage
du Soleil au Zénith, etc.), religieuses (Noël, St André, etc.), politiques (fête nationale, jour
de la race, etc.) ou par le truchement d’un calendrier (15 Août, dates β Y des Mayas, etc.).
64
Ne pas avoir de calendrier de l’année ne revient pas à dire que les anciens Mexicains ne
savaient pas se repérer dans les vingtaines d’une année. La Pierre de la dédicace montre
qu’un événement était repéré par deux informations (jour αX de l’an αXP.) et les
documents coloniaux prouvent que, sommé par le colonisateur de préciser une date, un
collectif d’Aztèques pourrait dire quelque chose comme « cela est arrivé le mardi 8
novembre 1519, le 8 Ehecatl de l’an 1 Acatl, le 9ème jour du mois Quecholli ».
65
En effet, soit A le jour de la cérémonie B d’une année festive/vague de 365 j. En
arithmétique modulaire 365 = 0 (modulo 5), 365 = 1 (modulo 13) et 365 = 5 (modulo 20).
Cela rend compte du fait que, d’année en année, la date αXBA de la fête B du jour A
devient [(α
α+1), (XBA+5)] alors que sa date β Y reste invariante. Sans donner le moyen de
les distinguer, l’arithmétique montre qu’il y a 5 classes (quarterons) également possibles
de tels XBA. Si Xi∈
∈[0,4] est une suite de 5 signes X consécutifs, les dates αXBA sont de la
forme αX0, αX1, αX2, αX3 ou αX4 (ou exclusif). Par ex., si en l’an a = 0 le jour A de la
fête B tombe sur une date (α
α, X0 = Calli), alors les années suivantes il tombe aux dates :
[(α
α+1), Tochtli], [(α
α+2), Acatl], [(α
α+3), Tecpatl] avec retour à Calli [(α
α+4), Calli]. Et
si, en l’an a = 0, il tombe sur une date (α
α, X1 = Cuetzpalin), les ans suivants il tombe sur :
[(α
α+1), Atl], [(α
α+2), Ocelotl], [(α
α+3), Quiyahuitl] et retour [(α
α+4), Cuetzpalin)]. Et
ainsi des trois autres possibles. Ce qui prouve en particulier que le cycle des Porteurs/
éponymes dépend des façons (à préciser pour chaque peuple et époque) d’appliquer l’un
sur l’autre les cycles 260 et 365 (positions relatives initiales et lois de succession).
66
Comme il y a 4 éponymes XP et 13 numéros α, l’usage distingue juste 52 années dont
l’ensemble est canoniquement structuré en 4 classes de 13 années de même éponyme, ou
en 13 classes de 4 années de même numéro. « Los 52 años de una gavilla o siglo se
dividían en 4 tlalpilli (‘el atado’) de 13 años cada uno; el primer tlalpilli comenzaba y
terminaba, respectivamente, por 1 Tochtli y 13 Tochtli » (Tena;2008:22).
67
Grouper par paquets, et en lier la série aux entités d’un riche panthéon.
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán
19
celle des quarterons68 Pn de signes XP. Comme un millésime, cette réalité déliée
du regard occidental n’impose pas qu’une année69 compte 365 jours70, ni que l’on
utilise un calendrier de 365 dates. Le déclic71 pour changer d’année n’est pas
connu, mais son action affecte toujours de la même façon l’éponyme αXP. Ses
constituants α et XP sont incrémentés de 1, et cela génère, non pas un CR maya,
mais un siècle aztèque, SA, organisé en 13 classes de 4 ans et/ou en 4 classes de
13 ans, même si/quand l’étiquette αXP ne renvoie pas/plus à un jour convenu par
sa position dans l’année festive (comme l’était le Nouvel an maya daté 0 Pop).
Sans nécessité de fixer le type (vague, tropique ou sidéral) ni la durée (entre 360
et 366 j) de l’année festive, l’habitus précédent génère un SA de 52 ans ; et cela
suffit à expliquer la datation aztèque : attribuer au jour de l’événement relaté une
date (α
αX, αXP) a priori sans rapport fonctionnel avec la date (α
αX, β Y) que le CR
maya de 2.12.;13.0. jours datés (18 980) lui donnait à l’époque classique.
Synchroniser tzolkin et ha’ab a sans doute généré, au Classique maya ou
encore avant (par conjecture au moment de l’invention du CL), tout à la fois la
règle d’orthodoxie, la limite en jours du CR (en années du SA), et le cycle des
Porteurs. D’où la possibilité de baptiser αXP les années de 365 jours, puis
l’habitus plus large et plus laxiste de baptiser αXP n’importe quel type d’année.
Tout en maintenant l’habitus de distinguer et désigner les 52 ans d’un SA (ou
d’un CR) en les appelant αXP, ce scénario aurait pu finir par libérer les scribes de
la contrainte du synchronisme (au jour près) de la marche du calendrier de 260
dates avec la course de l’année festive (18 mois, avec/sans résidu de 5/6 j) et/ou
celle de l’année tropique/sidérale.
Compatible avec cet habitus, le fait de « ne plus être contraint de synchroniser
à l’unité près les dates tzolkin/tonalpohualli, les dates ha’ab/xihuitl et les jours
du temps astronomique » rend intelligible la variation apparemment importante
des calendriers indigènes.
Sans faire appel aux notions d’ignorance, erreur, primitivité ou sauvagerie, la
variation pourrait expliquer la relative diversité des usages et des calendriers à
l’époque de la Conquête (Cauty;2009, Edmonson;2000) ; et le témoignage de
rarissimes dates étoilées mayas αX*β Y que la règle d’orthodoxie aurait rejetées.
Étoilées ou non, les scribes mayas calaient les dates CR sur la ligne du Compte
Long, laquelle énumérait et dénombrait continument les jours qui passent. Par
ex., la durée cardinale 13.0.0;.0.0. est aussi une date ordinale correspondant au
68
« Los mexicas designaban a los años usando los nombres de los días ácatl (caña),
técpatl (pedernal), calli (casa) tochtli (conejo) » (Marcus;2000:18).
La seule certitude est que l’année festive (vague ? tropique ? sidérale ?) était divisée en
18 vingtaines avec un résidu de jours funestes, et qu’elle était le cadre politico-religieux
des cérémonies, fêtes, des travaux agricoles, du recouvrement des tributs, etc.
70
Les Indigènes qui affirmaient avoir un calendrier « véritable » n’ont pas dit avoir un
équivalent du correctif julien (intercalation d’années bissextiles), mais sans doute qu’ils
disposaient d’observatoires astronomiques leur permettant de lire en direct et en continu
le déroulement des cycles saisonniers du Soleil, des planètes et des astres.
71
Un déclencheur possible est le retour de la date maya 0 Pop ; les observatoires plaident
pour le retour d’un fait astronomique (arrivée des Pléiades pour le changement de SA) ;
l’histoire pourrait plaider pour une décision (voire un caprice) humaine.
69
20
André Cauty
couple CR 4 Ahau 3 Kankin (G9) qui marquera, à en croire les bla-bla
d’internet, la date aujourd’hui imminente72 de la Fin d’un monde d’humains
commencé le jour 0.0.0.;0.0. 4 Ahau 8 Cumku (G9) ; une humanité de maïs qui
aura duré 13 baktun73 avant de faire place à la prochaine.
72
Avec 584283 comme nombre de corrélation, ce serait le Vendredi 21/12/2012 ; avec
584285 on gagne deux jours de vie et ce serait le Dimanche 23/12/2012.
C’est-à-dire 13.0. katun, 13.0.0. tun ou 13.0.0.;0.0. kin soit 1 872 000 jours (environ
5 125 ans).
73
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán
21
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Nacional de Antropología e Historia
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán
HORS TEXTE A) : TABLEAU T3
23
24
André Cauty
HORS TEXTE B) : PREMIER MOIS DU CALENDRIER CAKCHIQUEL
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán
25
HORS TEXTE C) : DEBUT DE QUELQUES AUTRES MOIS DU CALENDRIER CAKCHIQUEL
HORS TEXTE D1) : VINGTAINES ET DIVINITES DE L’ANNEE FESTIVE (SAHAGÚN)
26
André Cauty
HORS TEXTE D2) : SIGNES DES VINGTAINES (DURÁN)
HORS TEXTE E) LES MOIS MAYAS (YUCATEQUE) DE L’EPOQUE CLASSIQUE
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán
HORS TEXTE F) LES 20 SIGNES AZTEQUES X DE JOUR ET LEURS EQUIVALENTS
27
28
André Cauty
HORS TEXTE G) L’ALMANACH DIVINATOIRE EN TABLEAU 20 X 13 OU 13 X 20
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