Xihuitl, l’année vague solaire vue par Durán
André Cauty
1.-
L
ES DONNÉES D
UN CODEX DU
XVI
E
SIÈCLE
Comme leurs voisins, les Aztèques divisaient l’année des saisons en périodes.
Leur retour rythmait la vie sociale et religieuse. Cela définissait une année que je
dirai festive, répondant à la formule [(18 x 20) + (1 x n)]. Leurs devanciers, les
Mayas du Classique, en avaient fait un calendrier de 365 dates de la forme
β
ββ
β
Y
qui distinguaient – comme nos 1 Janvier, 2 Janvier, etc – chaque jour de l’année
ha’ab par son rang ou numéro d’ordre
β
ββ
β
dans sa période Y. Rien de semblable
pour l’année des Aztèques, le xihuitl. La description des riodes de 20 jours et
des fêtes aztèques est bien documentée (par ex. Graulich;2005), mais il n’y a pas
d’exemple précolombien d’un événement qui aurait été daté à la manière maya,
c’est-à-dire en donnant sa position exacte dans un mois de l’année festive
1
.
D’où la question: les Aztèques se contentaient-ils de repérer les jours de
l’année festive par leurs qualités, ou avaient-ils un calendrier apte à distinguer et
définir les 365 jours du xihuitl par une expression unique et univoque (date
solaire) et à dénombrer en jours leur ‘siècle aztèque’ de 52 ans, le SA ?
Un document colonial, le codex Durán, présente sur 18 pages une année
festive organisée en 18 mois de 20 jours sans
aucune page pour les jours Nemontemi. Les mois
ne sont pas nommés par des substantifs, mais plutôt
décrits par des procédés linguistiques disparates
(Launey;1986) qui font penser à des tournures
comme «
le temps des cerises
» pour parler du mois
de Juin ; la description de chaque mois est jumelée
à une scène figurative et à une mention de la ou des
fête(s) que l’on y célébrait en l’honneur de telle ou
telle entité. Par ex : «
Ce huitième mois avait vingt
jours comme les autres ; ils célébraient le premier jour la
grande fête des seigneurs dits Hueyitecuilhuitl ».
1
Par ex. les dates mayas 0 Pop (Nouvel an) et 4 Uayeb (St Sylvestre) désignent les jours
numéro 0 du mois I et numéro 4 du résidu XIX. Les textes qui parlent des mois aztèques
(Sahagún ou Durán, par ex.) ou des mois mayas de l’époque coloniale (Landa, par ex.) ne
présentent pas de telles dates mais disent qu’ils étaient l’occasion d’actes publics (fêtes,
rituels…) ou privés (autosacrifices, jeûnes…) et renvoyaient à diverses activités sociales.
2 André Cauty
Chaque page contient vingt cases qui représentent les jours du mois ; soit un
total de 18 x 20 = 360 j pour l’année festive.
Les cases contiennent des occurrences du
point de valeur numérique un formant une
suite de numéros allant de 1 à 13, et bouclant
sur elle-même ; chaque numéro α
αα
α est attaché
à l’un des vingt signes X de jour. Ces signes
sont néfastes
2
, favorables
3
ou indifférents
4
.
Autrement dit, les 360 jours du codex sont à
la fois qualifiés et datés ; chacun par l’une
des 260 expressions α
αα
αX. Les dates se suivent
dans l’ordre
5
du calendrier divinatoire.
L’année festive n’en est pas pour autant un calendrier, car les 260 dates du
tonalpohualli ne suffisent pas à couvrir, sans doublons, les 360 jours d’une année
festive sans sidu ou les 365/366 jours d’une année solaire (vague, tropique ou
sidérale). Sans surprises, l’année de Durán débute par le «
premier mois que les
Indiens célébraient, et qui avait 20 jours pas plus
», Atlcahualo ou C
uahuitlehua
; le
1
er
jour de ce mois est daté 1 Cipactli
6
suivi par les jours datés 2 Ehecatl, 3
Calli, etc., jusqu’au 20
ème
et dernier 7 Xochitl. Les 20 jours de chacun des 18
mois portent le même nom X, de Cipactli à Xochitl
7
. Le 18
ème
mois devrait être
suivi du résidu de n jours funestes «
aciagos
sin cuento ni provecho ; así los dejaban
en blanco, sin ponerles figura ni cuenta
», datés (ou non) de 10 Cipactli à 1 Cohuatl.
Contrairement à celui de Landa pour les Mayas, le calendrier de Durán inclut
des incohérences. Par ex., Ochpaniztli désigne les mois IV et XI ; et entre les
dates 7 Mazatl et 9 Atl du I
er
mois on trouve *9 Tochtli (au lieu de 8 Tochtli).
Plus important, le XI
e
mois, Ochpaniztli débutant un 6 Cipactli est mal
numéroté : le rang α
αα
α =
= =
= 13 est attribué à la fois au 8
ème
et au 9
ème
jour du mois XI :
6
Cipactli
7
Ehecatl
8
Calli
9
Cuetzp.
10
Cohuatl
11
Miquizt.
12
Mazatl
13
Tochtli
13
Atl
1
Itzcuintli
Les 10 premiers jours du mois XI
2
Los signos malos y de mal pronóstico son: Viento, Culebra, Agua, Matorral, Pedernal,
Aguacero, Muerte. Estos siete signos eran tenidos por malos, para los que nacían en ellos
.
3
“Cabeza de sierpe, Casa, Lagartija, Venado, Buharro, Perro: estos eran signos buenos y
de buenos sucesos para los que en ellos nacían”.
4
Los indiferentes eran: Conejo, Mono, Caña, Tigre, Águila, Rosa, Curso. Llamaban a
estos signos indiferentes, porque los que en ellos nacían participaban de bien y mal; unas
veces se verían en prosperidad, y otras en pobreza, sujetos a sucesos malos y buenos”.
5
En incrémentant de un le numéro et le signe du jour, comme « lundi 1
er
, mardi 2, etc. ».
6
Comme le jour de l’an est daté 1 Cipactli, de la forme α
αα
αX, avec
α
αα
α = 1
= 1 = 1
= 1 et X = I, on peut
penser que Durán fait systématiquement débuter l’année festive par cette date particulière.
7
D’un mois à l’autre, leur numéro augmente de 7 modulo 13 (de 1 tous les deux mois).
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán 3
D’où un décalage d’une unité sur les numéros qui se propage jusqu’au 14
ème
jour du mois XII, Teotleco. Et ce n’est pas tout. Le numéro décalé α
αα
α =
= =
=
12 du
14
ème
jour de Teotleco devrait être suivi par une date de numéro 13. Or, le 15
ème
jour Cuauhtli de Teotleco, n’a pas de numéro, et le 16
ème
Cozcacuauhtli porte le
même numéro (12) que le 14
ème
jour, Ocelotl ; enfin, la seconde occurrence du
numéro 12 est suivie d’un 1 et non d’un 13 (successeur de 12). Voici le mois XII
Teotleco, et un zoom sur les 4 jours signalés pour leur date aberrante :
Le mois XII Zoom sur 4 dates dont 3 erronées
D’où le constat qu’un dominicain de la fin du 16
ème
siècle cultivé, parlant
nahuatl, disposant de codex précolombiens et d’informateurs sachant encore les
lire – n’a pas réussi à dresser sans erreurs un calendrier de l’année festive
aztèque
8
. Durán n’étant ni sot ni mal informé, on peut commencer à douter que le
xihuitl des anciens Mexicains était un calendrier destiné à dater les 365 jours de
l’année vague solaire ; et à se demander à qui/quoi il servait.
8
Hoppan (communication personnelle) rappelle que contrairement à Diego Durán (1537/
1588), le franciscain Diego de Landa (1524/1579) a présenté sans erreur les 20 dates α
αα
αX
de chacun des 18 mois (nommé et figuré) de l’année festive, et placé son résidu de 5 jours
juste entre les mois Cumku (XVIII) et Pop (I). Ces ans ne forment ni un CR ni un SA,
mais un cycle de 13 katun (13 x 20 x 360 j) dit la ‘roue des katuns’ (environ 5 CR).
4 André Cauty
Poursuivons l’objectif suppode Durán, et tentons de faire de son xihuitl un
calendrier propre à dater les jours. Acceptable pour le Colonisateur
9
, ce projet est
vraisemblable puisque d’autres Mésoaméricains, les Mayas du Classique par ex.,
l’avaient déjà réalisé pour le ha’ab
10
. Durán a ouvert, peut-être sans le savoir,
une voie pour transformer le xihuitl en calendrier. Il a en effet : a) distribles
360 jours de l’année festive en 18 mois numérotés, et b) inscrit leurs dates sur 18
pages contenant chacune les 20 dates α
αα
αX d’un mois. Le résultat est une sorte de
tableau ordonné de 18 colonnes, 20 lignes et 360 cases. Soit T
1
ce tableau :
Y
β
ββ
β
I II III IV V VI VII
VIII
IX X XI XII
XIII
XIV
XV
XVI
XVII
XVIII
X
0
1 8 2 9 3 10
4 11
5 12
6 12
5 12
6 13
7 1
I
1
2 9 3 10
4 11
5 12
6 13
7 13
6 13
7 1 8 2
II
2
3 10
4 11
5 12
6 13
7 1 8 1 7 1 8 2 9 3
III
3
4 11
5 12
6 13
7 1 8 2 9 2 8 2 9 3 10
4
IV
4
5 12
6 13
7 1 8 2 9 3 10
3 9 3 10
4 11
5
V
5
6 13
7 1 8 2 9 3 10
4 11
4 10
4 11
5 12
6
VI
6
7 1 8 2 9 3 10
4 11
5 12
5 11
5 12
6 13
7
VII
7
9 2 9 3 10
4 11
5 12
6 13
6 12
6 13
7 1 8
VIII
8
9 3 10
4 11
5 12
6 13
7 13
7 13
7 1 8 2 9
IX
9
10
4 11
5 12
6 13
7 1 8 1 8 1 8 2 9 3 10
X
10
11
5 12
6 13
7 1 8 2 9 2 9 2 9 3 10
4 11
XI
11
12
6 13
7 1 8 2 9 3 10
3 10
3 10
4 11
5 12
XII
12
13
7 1 8 2 9 3 10
4 11
4 11
4 11
5 12
6 13
XIII
13
1 8 2 9 3 10
4 11
5 12
5 12
5 12
6 13
7 1
XIV
14
2 9 3 10
4 11
5 12
6 13
6 * 6 13
7 1 8 2
XV
15
3 10
4 11
5 12
6 13
7 1 7 12
7 1 8 2 9 3
XVI
16
4 11
5 12
6 13
7 1 8 2 8 1 8 2 9 3 10
4
XVII
17
5 12
6 13
7 1 8 2 9 3 9 2 9 3 10
4 11
5
XVIII
18
6 13
7 1 8 2 9 3 10
4 10
3 10
4 11
5 12
6
XIX
19
7 1 8 2 9 3 10
4 11
5 11
4 11
5 12
6 13
7
XX
Calque des données de Durán, le tableau T
1
représente une année festive de
360 jours : les colonnes sont les mois de vingt jours (notés de I = Atlcahualo à
XVIII = Ixcalli), les cases sont les jours. Chacune est renseignée par le numéro α
αα
α
de la date tonalpohualli du jour qu’elle représente, et dont le signe X est codé par
un chiffre romain inscrit au bout à droite de la ligne (de I = Cipactli à XX =
Xochitl). On suit la flèche du temps en descendant les colonnes l’une après
9
Rejetant le tonalpohualli de 260 jours dans les ténèbres des œuvres diaboliques, l’église
et la couronne imposaient le calendrier julien/grégorien : un calendrier de l’année vague
solaire conceptuellement proche du xihuitl des anciens Mexicains.
10
La plus ancienne date ha’ab attestée est un 0 Yaxkin (plaque de Leyde, 320). Dans les
documents aztèques qui donnent comme le Codex borbonicus la liste des 18 mois, les
jours ne sont jamais numérotés. Je ne connais aucun document aztèque précolombien
offrant une date de la forme
β
ββ
β
Y (
β
ββ
β
[1, 20] ; Y signe de mois ou du résidu Nemontemi).
Xihuitl, l’année vague solaire aztèque vue par Durán 5
l’autre, de gauche à droite. Une trame de couleur sert à distinguer : en vert, les
200 jours « bien datés » du codex Durán, en bleu, les dates dont le numéro α
αα
α est
erroné ; et en blanc, les mois contaminés par une erreur qui se propage. Les α
αα
α
visiblement aberrants sont marqués en bleu, en rouge ou par un *.
2.-
R
ECONSTITUTION D
UN XIHUITL À PARTIR DES DONNÉES DE
D
URÁN
Le xihuitl de Durán compte 360 jours datés par 260 expressions α
αα
αX, il faut
donc désambiguïser
11
et ajouter une 19
ème
période pour le rendre apte à simuler
une année vague solaire de formule 365 = [(18 x 20) + (1 x 5)] isomorphe au
ha’ab des Mayas. Ajouter Nemontemi ne suffit pas pour obtenir un calendrier.
Car, au sens strict, un calendrier est un système public ou officiel qui discrétise le
continu du temps et qui définit un ordre sur ses unités discrètes (en général
mesurées en jours) pour ainsi en dater les jours, i-e. les distinguer et les définir
chacun par une expression unique et univoque
12
. Le xihuitl des Aztèques divise
l’année en 19 périodes comptées en jours. Au contraire du ha’ab, il ne vérifie pas
le critère d’univocité car le xihuitl (365 jours) utilise les dates α
αα
αX (260 dates).
La disposition en tableau permet cependant d’inventer ou de reconstituer un
avatar des dates
β
ββ
β
Y mayas qu’un Aztèque ou un
Espagnol aurait pu utiliser au XVI
e
siècle. Il suffit
de numéroter les lignes et les colonnes. Les lignes
par vingt numéros
β
β β
β
; les colonnes par les signes Y
de période
13
. Chacun des 360 jours du tableau
pourrait alors être repéré/dapar ses coordonnées
(
β
ββ
β
, Y) uniques et univoques, et T
1
attribuerait à
chacun des 360 jours qu’il représente deux dates :
une date tonalpohualli, 13 Tochtli, et une date
xihuitl, 7 Ochpaniztli (par un simple changement
d’assignation on a aussi les dates tzolkin et ha’ab : 13 Lamat 7 Zac).
Bref, le projet supposé (faire du xihuitl un calendrier de l’année) n’aboutit pas
faute d’une page Nemontemi et parce que Durán garde les dates tonalpohualli :
sa « mise au carré » du xihuitl ne pouvait pas le convertir en calendrier
14
. On sait
par ailleurs que l’homme d’église considérait le tonalpohualli comme une œuvre
11
Les scribes ajoutaient par ex. : couleur, point cardinal, seigneur de la nuit, oiseau…
12
Pour cette définition, le ha’ab est un calendrier : il discrétise le temps des saisons en 19
périodes invariablement ordonnées (de Pop à Uayeb) ayant chacune un nom propre et une
mesure en jours, et il distingue et définit chacun des 365 jours de l’année vague par une
expression unique et univoque, sa date
β
ββ
β
Y.
13
Numéroter les lignes et les colonnes se heurte à deux difficultés : a) on ne sait pas avec
toute la certitude désirable si les Aztèques comptaient comme les Mayas du Classique à
partir de 0, comme les Espagnols ou les Mayas de l’époque coloniale à partir de 1, voire à
partir de 2 comme le firent, pour le tonalpohualli, les Tlapanèques et les Indiens de
Teotihuacan ; b) les sources se contredisent pour dire où placer les Nemontemi
14
Ce qui conduit à revoir les fondements de la thèse de l’engrenage fort répandue chez les
américanistes mais néanmoins non démontrée posant que les Aztèques combinaient dans
l’unité d’un tout le calendrier divinatoire (260 dates) et le ‘calendrier’ annuel (365 jours).
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