Le mythe de la constitutionnalisation du déficit budgétaire

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Le mythe de la constitutionnalisation duficit budgétaire
Ion Lucian CATRINA
I. L’échec du Pacte de stabilité et de croissance
Après 1992, la stabilité des finances publiques a été la préoccupation centrale du
gouvernement des pays membres de l’Union Européenne afin d’atteindre les objectifs de
convergence nominale et d’assurer un développement harmonieux des Etats participant à
l’Union Economique et Monétaire. Les pressions que les déficits budgétaires excessifs et
la dette publique ont exercées sur la croissance économique sont devenues une priorité
pour la plupart des pays européens qui se sont confrontés à ce genre de déséquilibres.
Malgré les inquiétudes, aucune mesure concrète n’a pas été prise par les Etats européens
pour limiter la vulnérabili financière.
Dans les années 1996, le Pacte de stabilité et croissance a réitéré les critères
nominaux de Maastricht concernant la stabilité des finances publiques européennes, de
3% du PIB pour le déficit et de 60% du PIB pour la dette publique. Malheureusement, le
Pacte n’avait pas gratifié de véritables sanctions visant à forcer les Etats à une conduite
désirable, alors que la procédure de déficit excessif s’est avérée extrêmement clémente.
Dans de telles circonstances, pendant la crise, les membres de l’UE ont connu de
profonds déséquilibres macroéconomiques ce qui les a amenés à remettre en question le
caractère optimal des critères nominaux de convergence, de même que la possibilité de
les détendre. A titre d’exemple, cette attitude d’indifférence quant à la stabilité budgétaire
a causé des déficits excessifs en 2009 de 15,4% en Grèce, de 14,4% en Irlande ou de
11,1% en Espagne, et une croissance accélérée de la dette publique en 2010 de 124,9% en
Grèce, de 118,2% en Italie, de 99% en Belgique ou de 85,8% au Portugal.
Selon l’opinion de la plupart des experts, on estime que les déséquilibres
économiques des Etats sont causés par l’absence d’une politique fiscale authentique,
commune à l’ensemble de l’UE. Ce problème rouvre le débat sur le constitutionalisme
européen, axé sur le fédéralisme politique du principe de « représentation sans taxation »,
par opposition à la Révolution constitutionnelle américaine « no taxation without
representation » aucune taxation sans représentation »]. Le fédéralisme fiscal sera
certainement un grand défi pour les prochaines années. Néanmoins, les négociations sur
cette question sont toujours reportées.
Dans ce contexte, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français
Nicolas Sarkozy ont proposé une solution de compromis remplaçant l’ancien Pacte de
stabilité et de croissance avec de règles budgétaires inscrites dans les constitutions
nationales des Etats membres de l’Union Monétaire Européenne.
Remerciements : Ce travail de recherche a été cofinancé par le Fond Social Européen à travers le
Programme Opérationnel Sectoriel Le développement des ressources humaines 2007-2013, numéro du
projet POSDRU/1.5/S/59184, « Performance et excellence dans la recherche postdoctorale dans le domaine
des sciences économiques ».
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II. Le rôle fiscal de la constitution nationale
Les constitutions d’origine françaises et belges ont été les modèles les plus
importants qui ont inspiré la plupart des nouvelles constitutions adoptées par les pays de
l’Europe Centrale et Orientale après la chute des régimes communistes en 1989. Toutes
les constitutions de la région ont été en mesure de consacrer sans équivoque l’Etat de
droit, la supériorité de la Constitution dans le système de droit interne, les droits et les
libertés de tous les citoyens, la séparation des pouvoirs. Du point de vue économique, les
constitutions de ces pays ont eu un rôle fondamental dans la transition de l’économie
centralisée à l’économie de marche, en garantissant le droit de propriété privée et la
liberté d’initiative de tous les acteurs privés.
A ce titre, la constitution de la Roumanie
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, contient un chapitre distinct intitulé
« l’Economie et les finances publiques » qui explique le cadre général des activités
économiques privées et la façon dont on peut utiliser les ressources financières publiques.
La Constitution stipule également la séparation des pouvoirs dans le contrôle des activités
économiques, dans la collection des ressources financières publiques pour atteindre les
fonctions principales de l’Etat et surtout la séparation des pouvoirs dans le champ de
l’initiation, l’adoption
2
et l’exécution du budget public. Cependant, étant adoptés par le
Parlement, les budgets publics sont toujours sous la pression politique des parlementaires
qui tendent à adopter des dépenses publiques qui dépassent la capacité de l’économie
nationale. En effet, la plupart des politiciens optent pour un tel comportement, justifiant
leurs actions à travers d’autres dispositions constitutionnelles qui obligent l’Etat à assurer
un niveau de vie décent à ses citoyens. Ainsi, avons-nous constaté qu’avant les élections
le budget public était toujours soumis à des augmentations des salaires, des pensions
publiques ou des prestations sociales.
Selon l’opinion des chercheurs Talvi et Vegh
3
, les « distorsions » politiques sur
les finances publiques sont une caractéristique des pays en développement qui veulent
accélérer artificiellement le rythme de récupération économique, en termes de niveau de
vie. Néanmoins, on considère que la crise économique récente a clairement montré qu’un
tel comportement, plutôt irrationnel, peut être également mis en pratique dans les pays ou
la démocratie parlementaire est plus forte que dans les pays en développement ou
l’économie de marche est davantage développée. De ce point de vue, on peut argumenter
que la solution franco-allemande pour assurer la stabilité financière des membres de
l’Union Européenne voulait juste limiter les tentations des politiciens d’adopter des
budgets irréalistes.
Toutefois, au premier abord, on constate que la constitutionnalisation du déficit
budgétaire vient en contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs de l’Etat.
Dans les conditions le Parlement adopte un budget dont la limite de 3% du déficit
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Adoptée le 8 Décembre 1991 par référendum et modifiée par la Loi de révision de la Constitution de la
Roumanie de 1991 no. 429/2003 qui a mis à jour les dénominations et rénuméroté les articles du texte
constitutionnel, changements dus à l’adhésion de la Roumanie à l’UE.
2
L’adoption du budget public et des principales politiques publiques se fait par le biais du Parlement de la
République, alors que le droit d’initiative de la loi budgétaire et son exécution sont attribués au
gouvernement.
3
Talvi, E, Vegh, A. C., « Tax base variability and procyclical fiscal policy in developing countries », in
Journal of Development Economics, 2005, vol. 78, p. 156-190.
3
budgétaire a été violée, la Cour Constitutionnelle sera appelée à décider quant à la
politique fiscale de l’Etat à poursuivre dès lors.
L’augmentation du déficit budgétaire dans des conditions de chocs économiques
nationaux ou internationaux reste du point de vue économique l’un des outils les plus
importants utilisés par les gouvernements afin d’en atténuer les effets négatifs et
reprendre la croissance économique. A priori, en limitant le déficit budgétaire, sans tenir
compte des circonstances exceptionnelles et sans octroyer des dérogations temporaires en
rapport direct avec la dette publique, le gouvernement sera incapable d’intervenir dans
une situation de crise. La seule solution à la portée des Etats pour s’en sortir est de limiter
les dépendes gouvernementaux. Prenant en compte à la fois des arguments de nature
juridique et économique, on considère que la solution a été plutôt simpliste surtout pour
les économies émergentes, en fonctionnant comme une véritable barrière à la croissance
économique.
III. Quelle sorte de déficit budgétaire limiter par la constitution ?
Accepter l’idée que l’introduction des limites budgétaires dans la constitution peut
être utile pour les économies développées de l’Union Européenne induit une mise en
interrogation du type de déficit budgétaire qui devrait être limité par la loi fondamentale.
Ces clarifications sont nécessaires parce que présentement il y a une grande confusion
terminologique entre les différentes expressions définissant le déficit budgétaire : on
utilise en même temps des notions telles que le déficit budgétaire effectivement enregistré
(selon la méthode du Fond Monétaire International), le déficit budgétaire ESA 95, de
même que le déficit budgétaire structurel.
Le déficit budgétaire réel ou effectivement enregistré, calculé selon la méthode
« cash » du Fond Monétaire International est basé sur une estimation des revenues et des
paiements énoncés dans la loi budgétaire avec lesquels sont estimés les besoins de
financement.
Le déficit budgétaire ESA 95
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(Système Européen des Comptes) calculé selon la
méthode « accrual » enregistre les flux à base d’exercice budgétaire, lorsque la valeur
économique est créée, transformée ou éteinte, ou lorsque les créances et les obligations
résultent, sont transformées ou annulées. Contrairement à la méthode « cash », la
méthode « accrual » inclut dans le déficit à la fois les engagements de paiement et les
paiements effectivement réalisés.
Comme entre les deux méthodes d’estimation du déficit il y a des différences
substantielles, les gouvernements ont la tendance de calculer le déficit sans prendre en
compte les engagements de paiement qui donnent une perspective favorable au déficit
budgétaire.
Le déficit budgétaire structurel est le déficit émergeant en absence de l’influence
du cycle économique. Parmi les méthodes d’estimation du solde structurel, la méthode la
plus utilisée par les institutions telles que le Fond Monétaire International, la Banque
Centrale Européenne ou l’OCDE concerne dans une première étape une estimation de la
composante cyclique du déficit budgétaire, ensuite le déficit cyclique est déduit du déficit
réel.
4
Définition fournie par le « Manuel SEC 95 pour le déficit public et la dette publique » de la Commission
Européenne, 2010.
4
Notre opinion est que le déficit budgétaire structurel est un des indicateurs les
plus importants que les gouvernements doivent estimer en permanence. Les
renseignements concernant le déficit budgétaire structurel pourraient nous donner le
meilleur aperçu des problèmes structurels de l’économie et nous aider à faire des
pronostics importants sur les futures politiques gouvernementales. En conséquence, il est
important de spécifier la méthodologie de calcul, ce qui va de pair avec la limitation du
déficit par le biais de la constitution nationale.
IV. L’Europe Orientale et la constitutionnalisation du déficit budgétaire
En 1992, les critères de convergence nominale qui ont constitué le fondement de
l’Union Economique et Monétaire ont été établis en fonction du niveau de
développement économique des Etats fondateurs de la Communauté Economique
Européenne. Les vagues subséquentes d’élargissement ont apporté aux États, anciens
membres de l’Union Européenne, des économies beaucoup moins développées, certains
d’entre eux étant encore en transition vers une économie de marché ou rencontrant des
problèmes de l’état de droit dont une consolidation était encore nécessaire.
Les théories économiques classiques ont longtemps insisté sur la nécessité
d’assurer un budget public équilibré, soit en raison de limiter le transfert
intergénérationnel du poids de la dette publique, soit en raison de l’effet de la dette sur la
croissance économique à enregistrer dans l’avenir.
Durant le dernier siècle, on a accepté l’usage du déficit budgétaire comme outil
gouvernemental qui assure la construction des paquets de stimuli fiscaux, qu’il s’agisse
de stimuler la consommation gouvernementale, ou de la mise en œuvre des transferts ou
des allègements fiscaux. Franco Modigliani ou James Buchanan ont accepté l’existence
des déficits à condition que ceux-ci se matérialisent dans la croissance du volume des
investissements publics, en tant que prémisse pour stimuler la croissance économique.
Après la crise des années 70, on a reconnu aux déficits budgétaires le rôle très
important dans l’atnuation des chocs externes, surtout dans le cas d’une structure assez
rigide des dépenses du gouvernement, trait macro-économique qui a caractérisé la plupart
des économies développées de l’époque.
Dans les pays de l’Europe Centrale et Orientale, le levier gouvernemental
dextension du déficit budgétaire n’a servi à aucun des objectifs énoncés ci-dessus. Son
rôle a été seulement de couvrir certaines insuffisances d’ordre macroéconomique ou
d’atténuer les effets de la restructuration des économies nationales. Dans ces pays, le
processus de transition vers l’économie de marché a été accompagné par une variété de
déséquilibres macroéconomiques, notamment les déficits budgétaires, qui sont le résultat
d’une mauvaise gestion plutôt qu’une caractéristique du processus de transition
5
.
IV.1. Le déficit budgétaire et les investissements publics
Ayant eu comme support de leur raisonnement des recherches empiriques
concernant le comportement fiscal des Etats émergents, les chercheurs Gavin et Perotti
6
5
Graeme, J., Paliu, A., Perspectivele convergenţei reale, FMI, 2010.
6
Gavin, M., Perotti, R., « Fiscal policy in Latin America », in National Bureau of Economic Research
Macroeconomics Annual, MIT Press, Cambridge, 1997, Vol. 12, p. 11-72.
5
ont tiré la conclusion que les décideurs politiques avaient la tendance à s’engager dans
des dépenses gouvernementales dépassant la capacité de l’économie nationale de les
financer, en conduisant à des déficits excessifs, même dans les périodes de croissance
économique. Les évolutions macroéconomiques positives de la période 2004-2008,
auxquelles s’ajoute des attentes beaucoup trop optimistes quant à des revenus
conjoncturels pour les années suivantes (2009-2013), ont conduit à l’adoption d’un
ensemble de politiques fiscales et budgétaires expansionnistes dans les pays de l’Europe
Centrale et de l’Est, ce qui a confirmé l’appétit des pays en cours de développement pour
des politiques procycliques. Des enquêtes sociologiques ont trouvé la causalité d’un tel
comportement budgétaire des gouvernements de la Roumanie dans les pressions sociales
que la population de cet État a exercées sur les décideurs politiques pour réduire
rapidement les disparités de développement entre les membres fondateurs et les nouveaux
membres. Une explication similaire a été identifiée dans le soutien massif que la
population a accordé à l’adhésion de la Roumanie à l’Union Européenne, plus de 85%
des citoyens roumains
7
souhaitant adhérer à l’UE.
Dans ce contexte, dans la plupart des pays de l’Europe Centrale et Orientale, il
n’y avait pas de corrélation significative entre les déficits budgétaires excessifs
enregistrés et le degré des investissements publics réalisés. Les déficits budgétaires
excessifs ont été ressourcés par la stimulation de la consommation plutôt que par la
croissance du volume des investissements publics.
Il faut noter que l’intensité du multiplicateur des investissements publics varie
selon le degré de développement de l’économie. Selon les études de l’OCDE
8
, dans les
pays de l’Europe Centrale et Orientale, l’impact des investissements publics est beaucoup
plus faible à court terme, généralement un an, que dans des pays tels que les Etats-Unis,
le Royaume Uni, la France et l’Allemagne. Pour deux ans consécutifs, même en Europe
Centrale et Orientale, le multiplicateur des investissements est supraunitaire, ce qui
justifie l’utilité des investissements publics, même pour les économies émergentes.
De l’ensemble des multiplicateurs fiscaux analysés par l’OCDE, parmi lesquels il
faut mentionner : consommation gouvernementale, transferts gouvernementaux, taxes
indirectes ou selon le revenu, on distingue la force beaucoup plus élevée du
multiplicateur des investissements publics.
Néanmoins, il y a des différences entre les multiplicateurs selon le type de projets
d’investissements: projets industriels, aménagement urbain, défense nationale, culture,
éducation, environnement, etc. Parmi les différents composants des investissements
publics, l’infrastructure se remarque du point de vue de l’efficacité, bien que nécessitant
longtemps pour être réalisée et une quantité importante de financement. En outre, les
externalités positives que les investissements dans l’infrastructure produisent sont parmi
les plus importantes. Tout comme pour les investissements dans l’infrastructure, les
investissements dans l’éducation, la recherche, l’innovation ont besoin de temps pour être
accomplies. A titre d’exemple, les pays qui ont réalisé une forte croissance économique
dans les années ‘90, en réalité, ils ont collecté les fruits de leurs actions passées, à savoir
les réformes structurelles dans le domaine de l’enseignement et de la recherche effectuées
dans les années ‘70. Certains investissements ont parfois besoin de plusieurs années pour
créer un environnement dynamique ils peuvent être développés, et encore quelque
7
Baromètre d’opinion publique en Roumanie, printemps 2005.
8
Economic Outlook, OCDE, 2009.
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