Netcom Réseaux, communication et territoires 25-1/2 | 2011 Nouveaux usages numériques et territoires Les TIC sont-ils les nouveaux territoires de la diaspora chinoise ? Are ICT the new territories of the chinese diaspora? Joy Raynaud Éditeur Netcom Association Édition électronique URL : http://netcom.revues.org/311 ISSN : 2431-210X Édition imprimée Date de publication : 1 août 2011 Pagination : 63-82 ISSN : 0987-6014 Référence électronique Joy Raynaud, « Les TIC sont-ils les nouveaux territoires de la diaspora chinoise ? », Netcom [En ligne], 25-1/2 | 2011, mis en ligne le 17 mai 2013, consulté le 05 novembre 2016. URL : http:// netcom.revues.org/311 ; DOI : 10.4000/netcom.311 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. Netcom – Réseaux, communication et territoires est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Networks and Communication Studies, NETCOM, vol. 25 (2011), n° 1-2 pp. 63-82 LES TIC SONT-ILS LES NOUVEAUX TERRITOIRES DE LA DIASPORA CHINOISE ? ARE ICT THE NEW TERRITORIES OF THE CHINESE DIASPORA? RAYNAUD JOY1 Résumé – L’utilisation croissante des TIC modifie le rapport de l’homme à l’espace géographique. Permettant un accès instantané à une infinité d’informations, Internet, la téléphonie et la télévision sont des technologies qui produisent de nouvelles perceptions et actions sur les territoires. Cette étude met en évidence l’existence de nouvelles interactions entre les acteurs (communauté étudiante chinoise de Montpellier), les territoires (chinois et français) et les réseaux (TIC). Les TIC modifient les pratiques spatiales en facilitant l’installation et l’organisation de la vie quotidienne des immigrants dans le pays d’accueil. Ils bouleversent également les perceptions en créant un sentiment de proximité avec leur pays natal et de réconfort. Entre adaptation à l’échelle locale et affirmation d’une identité culturelle chinoise, les TIC favorisent l’émergence d’une double culture et semblent devenir les nouveaux territoires de la diaspora chinoise. Mots-clés – réseaux, territoires, TIC, diaspora chinoise, identité culturelle Abstract – The increasing use of ICT changes the relationship of men with geographic space. Allowing instant access to endless information, Internet, telephony and television are technologies that produce new perceptions and actions in territories. This study highlights the existence of new interactions between actors (Chinese student community of Montpellier), territories (Chinese and French) and networks (ICTs). ICT are changing the spatial practices by facilitating the installation and organization of the daily life of immigrants in host countries. They also disrupt perceptions by creating a feeling of closeness to their homeland and comfort. Between adaptation to the local and affirmation of a Chinese cultural identity, ICT support the emergence of a dual culture and seem to become the new territories of the Chinese diaspora. Key-words – networks, territories, ICT, chinese diaspora, cultural identity 1 Doctorante à l’Université Montpellier III. Equipes d’accueil : UMR ART Dev (Montpellier) et UMR GRED (Montpellier). Chargée de Missions à l’Union Régionale de Professionnels de Santé – Médecins Libéraux du Languedoc-Roussillon – [email protected] 64 NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 1. INTRODUCTION La construction des réseaux techniques et technologiques depuis le XIXème siècle, puis le développement rapide des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) dès le début des années 90, ont profondément modifié l’organisation des territoires. Les distances-temps n’ont cessé de se raccourcir et le géoespace, l’espace euclidien contigu, ne cesse de se transformer en une organisation réticulaire du territoire. Les échanges permis par les TIC s’effectuent dans un espace que l’on peut qualifier d’espace technologique des réseaux et des flux. L’espace de ces nouvelles interactions se superpose à l’espace réel (géoespace) donnant naissance à un espace hybride : le géocyberespace (Bakis, 1997 et 2007a). Géocyberespace : Géoespace + Espace technologique des réseaux et des f ux Territoire Systèmes d'acteurs Réseaux Joy Raynaud, 2009 Le géocyberespace : un concept pour l'étude des nouvelles interactions entre les acteurs, les territoires et les réseaux Habiter, S'approprier, Exploiter, Echanger et Gérer (les cinq domaines d’actions fondamentaux de toute société dans l’espace géographique selon Roger Brunet) Perceptions individuelles (vécu), sociétales (valeurs) et idéologiques (théories et modèles) Réseaux technologiques et techniques (TIC, transport de biens et de personnes, énergie, eau) Acteurs (individuels ou collectifs, privés ou publics, associations, syndicats) Territoire : portions du géocyberespace produites par des jeux d'acteurs Portion du géocyberespace, support des systèmes de territoires et de réseaux établis à dif érentes échelles Figure 1 : Une représentation du concept de géocyberespace NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 65 Ainsi, le géocyberespace peut se définir comme le produit d’un système complexe dont la dynamique résulte de la boucle de rétroaction entre d’une part, un ensemble d’acteurs et d’autre part, un ensemble de territoires et de réseaux que les acteurs utilisent, aménagent et gèrent (voir Figure 1). Le géocyberespace est une vision globale de l’espace, dépassant la dichotomie entre le géoespace et l’espace technologique des réseaux et des flux. Un acteur est ici « tout homme ou toute femme qui participe de façon intentionnelle à un processus ayant des implications territoriales » (Gumuchian, 2003). Les acteurs interagissent à travers les processus de négociation et de décision à une même échelle de l’espace géographique et aux différentes échelles. Ils appréhendent l’espace selon un système de représentation avec des perceptions personnelles (relatives au vécu), collectives (relatives aux valeurs d’une société) et/ou idéologiques (selon des théories ou des modèles) (Moine, 2006). Ces perceptions influencent les acteurs dans leurs prises de décisions concernant les cinq domaines d’actions fondamentaux de toute société dans l’espace géographique : habiter, s’approprier, exploiter, échanger et gérer dans les meilleures conditions et surtout de manière cohérente (Brunet, 2001). Afin de mieux comprendre les interactions entre acteurs, réseaux et territoires, nous avons souhaité analyser l’exemple des minorités culturelles (Bakis, 1994 et 1996). Souvent analysés en sciences économiques et plus modestement, en sciences sociales et politiques, les TIC sont en revanche peu étudiés à travers la dimension culturelle. Il s’agit ainsi d’analyser les perceptions et pratiques spatiales des immigrants de la diaspora chinoise générées par l’usage des TIC. Les minorités culturelles, et plus précisément les communautés de la diaspora, constituent un objet d’étude particulièrement intéressant pour mettre en évidence les nouvelles perceptions et pratiques des immigrants (Bakis, 2007b). La diaspora chinoise constitue la plus grande, la plus ancienne et la plus prospère diaspora au monde, avec 30 millions de chinois hors de Chine, présents dans plus de cent trente-cinq pays, dispersés sur les cinq continents (Ma Mung Kuang, 2000). Structurée en réseaux d’entraide très anciens, elle est issue d’une tradition migratoire datant du début de notre ère chrétienne, lui permettant la création de puissants réseaux économiques (Sanjuan, 2008). Ces derniers favorisent le développement des réseaux culturels et réciproquement, ce qui participe à la construction d’une identité chinoise partagée (McKeown, 2005). E. Ma Mung Kuang (2000) définit la diaspora comme la multipolarité de la migration d’un même groupe national, ethnique ou religieux entre différents pays ainsi que l’interpolarité de leurs relations. Il démontre que les diasporas ont deux spécificités : d’une part, une identité sociale des caractères ethniques et d’autre part, un territoire discontinu comprenant trois types de communautés : celle du pays d’accueil, celles des autres foyers de la diaspora dans le monde et celle du pays d’origine. De part leur migration et leur insertion dans une nouvelle culture, celle du pays d’accueil, les immigrants interrogent leurs spécificités culturelles à travers un vaste réseau social d’étendue mondiale. Ainsi, les individus utilisent les TIC pour s’affranchir des distances et renforcer leurs liens avec le pays d’origine et les autres membres de la diaspora. A cet égard, Froment et Bakis (2005) ont démontré que les TIC facilitent l’insertion des Réunionnais en France métropolitaine et leur procurent une plus grande accessibilité à 66 NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 leur espace vécu : ils continuent d’ « habiter » leur île, bien qu’elle soit à des milliers de kilomètres de la métropole. De même, grâce à Internet, la minorité ethnique des Haïtiens de Montréal connait l’actualité politique quotidienne de leur île, village ou quartier natal (Anglade, 1992). Ces études révèlent les nouvelles perceptions et pratiques de l’espace pour les minorités culturelles liées à l’usage des TIC. Elles sont issues de la discontinuité entre l’espace réel dans lequel ils se trouvent (le pays d’accueil) et l’espace rêvé et vécu du pays natal grâce à Internet, la téléphonie ou la télévision. Des travaux ont démontré que l’amélioration de la performance des réseaux de transport ainsi que l’instantanéité des communications permises par les TIC et leur facilité d’accès, favorisent la construction de nouvelles identités culturelles sur des espaces plus étendus et/ou sur divers territoires : « Les réseaux de la télécommunication instantanée jettent un pont immatériel entre les divers « lieux » des territoires » (Bakis, 1997). Néanmoins, la nature virtuelle des communications électroniques produit des effets bien réels sur les territoires (Bakis, 2007b). Par exemple, Y. Wang (2006) démontre dans sa thèse que les immigrants chinois utilisent Internet pour améliorer leur adaptation à leur nouvel environnement dans le pays d’accueil (recherche de logements, accès aux services publics, opportunités d’emplois, etc.). De même, R. Tamang (2008) observe que grâce aux TIC, les immigrants vivant dans le pays d’accueil, ont le sentiment d’être également présents dans le pays d’origine, pourtant situé à plusieurs milliers de kilomètres, cela permet aux individus de redéfinir leurs identités culturelles mais également d’avoir un sentiment d’appartenance à plusieurs lieux simultanément. Les TIC permettent la multiplication des interactions entre acteurs et une « meilleure diffusion des productions culturelles » (Bakis, 2001), quelles sont alors les nouvelles perceptions et pratiques des immigrants ? Les TIC favorisent-ils l’adaptation des immigrants dans le pays d’accueil ? L’usage d’Internet, des téléphones fixes et portables, de la télévision renforce-t-il le sentiment de proximité des immigrants avec la Chine ? Quels sont alors les nouveaux territoires de ces minorités culturelles et leurs nouvelles identités culturelles ? Nous verrons que l’existence d’un espace technologique facilite l’installation et l’organisation de la vie quotidienne des immigrants dans le pays d’accueil puisqu’il constitue une source d’informations essentielles, il permet des actions concrètes sur le territoire à l’échelle locale et procure un sentiment de réconfort chez les immigrants en favorisant le maintien de liens forts avec le reste de la communauté restée en Chine. Ces réseaux technologiques permettent à la communauté chinoise de se sentir à la fois « ici », dans le pays d’accueil et « là-bas », chez soi, en Chine. Développant leur identité culturelle chinoise, les immigrants utilisent les TIC afin de mieux s’intégrer en France, favorisant ainsi l’émergence d’une double identité : chinoise et française. NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 67 2. METHODE Afin de tester ces hypothèses, nous avons mené une enquête auprès d’une population chinoise jeune capable d’utiliser les outils d’informations et de communications les plus récents (création et ou utilisation de forums, de chats, de blog, utilisation de la voix sur réseau IP, envois de SMS, etc.). L’étude est réalisée dans la ville de Montpellier (France) qui compte plus de huit cents étudiants chinois2. Les dix étudiants chinois interrogés (six garçons et quatre filles âgés de 21 à 29 ans) proviennent de diverses provinces chinoises. Les étudiants ont été choisis d’une part, selon le nombre d’années vécues en France : un minimum de deux ans est suffisant pour que l’étudiant puisse s’approprier son nouvel espace de vie, d’autre part selon leur niveau de langue afin d’obtenir une description précise de leurs perceptions et actions. La méthode choisie est celle des entretiens exploratoires semi-directifs qui offrent une grande liberté de réponse à partir de questions générales et neutres comme l’indique Blanchet et Gotman (2007). Seules les relances sont autorisées pour orienter l’entretien vers des sujets pertinents pour l’étude. La durée totale des entretiens est de 16h26. 3. RESULTATS 3.1. Les TIC : des outils facilitant l’installation et l’organisation des immigrants chinois dans leur vie quotidienne à l’échelle locale L’analyse des entretiens de la communauté chinoise étudiante de Montpellier montre que les TIC favorisent leur installation et leur organisation de leur vie quotidienne à l’échelle locale : échelle où les étudiants se logent, travaillent, se déplacent, consomment, se divertissent (Brunet, 2001). A cet égard, les TIC assurent trois fonctions majeures : la fonction d’informations qui permet d’obtenir des renseignements pratiques concernant l’administration française, les inscriptions universitaires, la recherche de logements, etc. ; la possibilité, via ces informations d’agir dans l’espace réel ; enfin, les TIC favorisent l’adaptation des migrants dans le nouveau territoire d’accueil en créant un sentiment de réconfort. 3.1.1. Internet : une formidable source d’informations Six étudiants sur dix ont indiqué qu’Internet jouait un rôle plus important dans le pays d’accueil que dans le pays d’origine : « Je pense qu’Internet est plus important pour communiquer en France plutôt qu’en Chine ». Dans le quotidien des étudiants chinois, les TIC, et notamment Internet, constituent une source d’information essentielle pour 2 Donnée de Montpellier Agglomération en 2007 : www.montpellier-agglo.com 68 NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 trouver un logement, un emploi, se déplacer, avoir des informations sur le fonctionnement de l’administration française et celui des universités, pour rencontrer des amis, pour consulter l’actualité française, etc. Les étudiants restent tous connectés à Internet, plusieurs heures par jour en semaine et toute la journée les weekends. Neuf d’entre eux se connectent pour rechercher des informations en lien avec les enseignements universitaires. Tous l’utilisent pour leurs loisirs : films et séries (souvent d’origine américaine et sous-titrés en mandarin), musique, émission de télévision, jeux vidéos. Les exemples de ces interactions entre territoires et réseaux à l’échelle locale sont nombreux : six étudiants ont consulté des sites de la communauté chinoise à Montpellier afin de trouver des informations sur les logements ou pour parler avec d’autres chinois. Deux étudiants consultent régulièrement le site de Montpellier Plus afin de connaitre l’actualité locale. Six étudiants envoient régulièrement des e-mails aux enseignants pour poser des questions, réceptionner et rendre des devoirs. Par ailleurs, sept étudiants regardent davantage de chaînes de télévision françaises que chinoises afin de perfectionner leur niveau de langue en écoutant l’actualité chinoise en français et découvrir la culture française en regardant notamment France 5. 3.1.2. Les TIC, une source d’information pour des actions concrètes dans le géoespace Dans l’espace technologique des réseaux et des flux, Internet constitue une source essentielle d’informations pour l’installation et l’adaptation des nouveaux migrants à l’échelle locale mais il génère également des pratiques dans l’espace réel. En effet, sur les dix étudiants interrogés, sept utilisent les TIC pour organiser des rencontres dans le géoespace, ils se connectent à des forums chinois tels que Rêvefrance, ils utilisent également des logiciels de messagerie instantanée tels que MSN ou son équivalent chinois QQ, ainsi que leur téléphone portable. Les motivations de ces rencontres sont multiples : organisation de randonnées à Paris à l’occasion du nouvel an chinois, échanges linguistiques avec des étudiants français désirant apprendre le chinois (et inversement), désir de rencontrer des chinois provenant de la même ville natale, organisation de soirées entre amis ou des rencontres sportives dans la ville, etc. Pour les dix étudiants, le site Internet Rêvefrance joue un rôle majeur « il y a un forum pour tous les étudiants chinois en France, il s’appelle « Rêvefrance, on l’utilise très souvent, tous les jours parce qu’il y a plein, plein d’informations ». Ce site concentre l’essentiel des relations multi-territoriales virtuelles des immigrants chinois vivant dans les différentes villes de France et d’Europe. En effet, ce site apporte des solutions concrètes dans le quotidien des chinois en France puisqu’il comprend un forum très fréquenté sur lequel les immigrants de la diaspora peuvent poser toutes les questions liées à leur vie en France : achats et ventes d’objets, conseils pour les procédures administratives (mariages, naissances, conseil pour payer ses factures d’eaux ou d’électricité), recherche de cours universitaires, ventes d’entreprises, offres de services entre internautes (transport, baby-sitting, massage, réparation d’ordinateur), etc. Le site comprend un grand nombre de rubriques et il est également possible de choisir de converser avec des individus résidant dans un pays européen en particulier ou bien dans une région française donnée. Les dix étudiants interrogés ont trouvé leurs logements grâce à Internet et avec l’utilisation de téléphones fixes et portables afin de NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 69 contacter les propriétaires. Sept étudiants consultent également le site Rêvefrance pour rechercher des emplois étudiants ou des stages. Au quotidien, neuf étudiants utilisent Internet pour effectuer des tâches administratives. Ils peuvent ainsi renouveler leur carte de séjour, s’inscrire à l’université, consulter leurs notes d’examen, gérer leurs données sur le site de la CAF, d’EDF ou de La Poste. Ils consultent régulièrement leurs comptes bancaires et recherchent les numéros de téléphones et adresses. Ils apprennent à effectuer la plupart de ces tâches grâce au forum de Rêvefrance : « Quand j’arrive en France il me faut obtenir une carte de séjour et il y a beaucoup de dossiers à remplir et donc je vais chercher des informations sur Rêvefrance : il y a des solutions. Je vais aussi trouver des solutions pour l’aide au logement, je voudrais savoir comment on fait une demande et quel est le montant de l’aide ». A l’échelle locale, cinq étudiants consultent Internet pour faciliter leurs déplacements. Ils visualisent des plans de la ville avec Google Maps, pour leurs trajets quotidiens ou bien lors des recherches de logements, pour observer les distances entre le domicile et l’université. Ils effectuent des simulations de trajets sur les sites des transports urbains de la ville. Concernant les loisirs, cinq étudiants organisent régulièrement des voyages sur Internet et notamment sur Rêvefrance : ils achètent des billets d’avion pour la Chine, réservent des billets de train et des hôtels pour voyager en Europe. Quatre étudiants effectuent occasionnellement du commerce ou des échanges de services en ligne. Il s’agit par exemple d’achats de meubles ou de vêtements, d’échanges de cours ou de conseils pour apprendre la langue chinoise à un correspondant français. Ainsi, ces actions concrètes dans le géoespace facilitent l’adaptation des immigrants à leur nouvel environnement local. Certains étudiants ont même déclaré que « Internet organisait leur vie ». Ces résultats sont similaires à ceux de X. Wenjing (2005) qui a montré que plusieurs interviewés ont cherché à rencontrer de nouveaux amis chinois sur des forums. Ces étudiants chinois résidant aux Etats-Unis d’Amérique utilisent ces réseaux pour organiser des activités sportives avec d’autres étudiants chinois ou pour consulter les opportunités d’emplois et les recrutements dans le pays d’accueil. L’auteur ajoute que les étudiants trouvent des informations concernant les rassemblements ou les célébrations chinoises sur les forums ou les sites Internet des universités, ce qui leur permet de se faire de nouveaux amis, parfois même issus de la même région natale, afin d’améliorer la langue d’origine des migrants. 3.1.3. Un quotidien inimaginable sans les TIC Les TIC assurent une troisième fonction, de nature psychologique, pour l’adaptation des immigrants dans le nouveau territoire d’accueil : ils favorisent le maintien de liens forts avec la famille restée en Chine et apportent un sentiment de réconfort dans la solitude de l’immigrant : « Avec le téléphone et Internet, je me sens mieux, je me sens moins seul parce que je sais qu’il y a une personne qui est là bas en Chine, prête à communiquer avec moi tout le temps donc j’ai un sentiment de sécurité parce que sinon je me sens trop seul ». Certains ajoutent que les TIC ont constitué une condition essentielle pour venir en France : « Sans Internet ni le téléphone, je ne serais jamais venu en France, ça me donne un grand élément d’informations dont j’ai besoin pour faire mes études en France. […] Une fois que je 70 NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 me suis installé en France, Internet m’a encore aidé à rester connecté avec les gens autour de moi : mon réseau social, c'est-à-dire mes amis, mes amis proches, ma famille surtout, à la fois en Chine et en France. Sinon être tout seul pendant trois ans d’études c’est misérable. Sans les TIC c’est… Non, je n’arrive pas à me l’imaginer ». Dans l’espace technologique des réseaux et des flux (voir Figure 1), Internet renforce les liens entre les chinois dans le pays d’accueil et permet la création d’une communauté en ligne qui échange des informations pratiques sur un « territoire en commun » ayant une même langue et culture chinoise et dont les frontières sont fonction du nombre d’utilisateurs. « En fait, Internet, c’est un territoire virtuel qui est vraiment très important pour nous, les étudiants chinois en France, c’est même plus important encore que lorsque on était en Chine parce qu’ici, pour nous, nous ne sommes pas dans la société courante : on forme une communauté un peu isolée dans la société. Donc il faut avoir des TIC pour pouvoir échanger et établir un territoire en commun pour notre communauté dans la société courante, pour trouver des informations, pour trouver des logements et des emplois. C’est très important les TIC. ». Ces résultats renvoient aux travaux de Ann Shu-ju Chiu et Chee-Beng Tan (2004) qui montrent que les communautés chinoises en ligne ont une fonction essentielle d’assistance, de réconfort avec un sentiment d’appartenance à la communauté chinoise locale. Les entretiens ont également révélé que la priorité des étudiants qui emménagent en France est de s’abonner à une offre Internet afin d’accéder à une infinité d’informations. Certains n’hésitent pas à ajouter qu’ils ne pourraient pas vivre sans Internet et les TIC en général : « Pour moi, les TIC c’est une partie très importante de ma vie et je ne peux pas vivre sans Internet ». Outre la quantité d’informations et la possibilité de faire des rencontres dans le géoespace, les étudiants chinois insistent sur le rôle psychologique d’Internet. Deux étudiants expliquent que les connexions à Internet les réconfortent et leur permettent de se sentir moins isolés, moins seuls : « Internet c’est très important. Parce que quand tu es dans un endroit très loin de ton pays natal, tu seras seul et tu auras un sentiment d’isolation et tu auras envie de communiquer avec quelqu’un ». Beaucoup d’étudiants ont ainsi exprimé leur difficulté d’adaptation lorsqu’ils sont arrivés dans le pays d’accueil : « Je pense que la vie pour des gens dans mon cas, ce n’est pas facile, parce que nous avons un sentiment d’isolation ». A cet égard, de nombreux étudiants chinois de Montpellier adhèrent à des communautés en ligne : neuf étudiants ont adhéré à Rêvefrance, cinq à Facebook, quatre à Xiao Nei (site des anciens camarades d’écoles et d’universités en Chine). Cinq d’entre eux ont créé leur propre « espace » en ligne afin de partager leurs opinions, leurs loisirs ou leurs photos de vacances : « On parle de la vie en France et les amis chinois en Chine peuvent lire nos sentiments, la mentalité et tout ça. Ils peuvent aussi laisser des messages, des encouragements pour ma vie et mes études : ça m’a beaucoup rassuré, surtout quand je n’étais pas bien ». En ce sens, Internet procure un sentiment de réconfort en permettant des liens, à l’échelle globale, avec le reste de la communauté restée en Chine. Pour tous les étudiants interrogés, le téléphone fixe est un outil essentiel permettant des interactions essentiellement avec la famille en Chine. Le maintien de ce lien affectif est très important pour eux : « le téléphone fixe est un lien entre moi et mes parents, je peux dire que c’est obligatoire pour moi, c’est très important ». Les offres Triple Play fournissent un abonnement au tarif accessible (environ 30€) avec un temps de communication illimité vers la Chine, ce qui favorise les interactions à l’échelle globale. NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 71 Ainsi, les TIC génèrent un sentiment de réconfort lié à leur condition d’isolement. A cet égard, un étudiant chinois venu en France avec ses amis explique que les TIC n’ont pas joué un rôle important dans sa vie : « Quand je suis arrivé en France, c’était avec un groupe de 10 étudiants chinois, […] donc je ne me suis jamais senti seul. Donc les TIC, n’ont pas joué un grand rôle quand je suis arrivé à Montpellier ». De même, à la question : « Est-ce que tu penses que l’installation en France pour la génération de tes parents a été plus difficile sans l’usage des TIC ? », six étudiants ont répondu « oui ». Pour eux, la génération précédente des immigrants qui n’utilisaient pas ou peu les TIC devait ressentir « un grand isolement » étant donné l’absence de communications avec la communauté restée en Chine et les autres Chinois résidant en France. Beaucoup ont expliqué que pour créer des liens sociaux, les chinois des précédentes générations devaient former des associations, se regrouper en quartier et leur vie devaient être plus difficile. Le manque d’accès à l’information est la principale raison de cet isolement selon les étudiants : « Je pense que la génération de mes parents était plus regroupée, il y avait des quartiers chinois, des Chinatown, ils ne pouvaient pas avoir toutes les solutions à toutes les questions. Et sur Internet il y a énormément de solutions, il y a plus de solutions que ce qu’ils peuvent en trouver dans la Chinatown, oui bien sûr, donc la vie était vraiment plus difficile pour eux que pour nous ». A cet égard, A-S. Chiu et C-B. Tan (2004) étudient les distinctions entre nouveaux et anciens immigrants à travers l’analyse des associations d’immigrants en ligne (Raynaud, 2011)3. Les plus anciens immigrants de la diaspora (principalement présents dans le Sud-Est asiatique et en l’Amérique du Nord) créent des organisations avec des critères ethniques, longtemps établies selon des dialectes, des liens de parenté ou des lieux de naissance et qui sont destinées à promouvoir les intérêts de la culture traditionnelle chinoise dans l’arène internationale. Par ailleurs, les nouveaux immigrants partagent régulièrement leurs expériences de leur immigration sur les sites Internet communautaires. Les auteurs précisent les pratiques modernes des nouveaux immigrants chinois et le traditionalisme des anciens immigrants de la diaspora se rejoignent dans leurs volontés de réaffirmer les traditions chinoises. Par ailleurs, lorsque les étudiants chinois réfléchissent à la vie des immigrants des précédentes générations, plusieurs ont indiqué que les TIC permettaient de se disperser sur le territoire. Pour eux, les informations échangées dans les Chinatowns sont plus limitées que celles accessibles avec les TIC : « Dans les Chinatowns, il y a de l’information bien sûr, mais elle est beaucoup plus limitée. […] Il fallait que les Chinois se rencontrent physiquement pour échanger des informations, pour vraiment entreprendre des choses. Je pense alors que les activités du groupe n’étaient pas aussi efficaces qu’avec l’utilisation d’Internet, comme aujourd’hui. ». De même, X. Wenjing (2005) montre que de nos jours, les communautés en ligne permettent aux communautés de la diaspora chinoise de s’affranchir de la nécessité de proximité spatiale, pourtant indispensable aux premiers immigrants étant donné leurs conditions d’existence et leur besoin de former une 3 Dans ce même numéro. 72 NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 communauté (Raynaud, 2011). Ainsi des centaines de milliers d’étudiants chinois, venus aux USA après 1979, ont préféré s’éparpiller sur le territoire et se rassembler en communautés sur Internet, tout en ayant les mêmes activités économiques que leurs prédécesseurs. Pour la majorité des étudiants le repli communautaire en Chinatowns est synonyme d’isolement, ils le considèrent inutile et pensent qu’il faut vivre en Chine pour retrouver sa culture natale, or, vivre en France implique un désir d’ouverture vers la culture française : « Je n’ai pas du tout besoin d’habiter à coté d’un autre étudiant chinois, parce que grâce à Internet, il est très facile de se connecter aux autres personnes […]. Je préfère habiter avec un étranger, une française ou un français, c’est beaucoup mieux, parce qu’au moins on a plus le temps de parler français et de bien connaître la culture française, étrangère. Sinon, je peux rester en Chine si je veux habiter avec les chinois. ». Selon les étudiants chinois, l’absence de communication instantanée (téléphone, chat) avec la famille restée en Chine devait être très difficile à vivre, de même, sans Internet les immigrants devaient peu communiquer avec les français et donc moins s’intégrer dans le pays d’accueil. Cependant, certains étudiants relativisent l’importance de ces réseaux technologiques. Par exemple, quatre étudiants considèrent que la vie était plus facile pour les immigrants chinois des générations précédentes : le regroupement des individus à l’échelle locale permettait de se passer des TIC puisque les communications étaient en face-à-face : « Les chinois se regroupent entre eux dans des quartiers comme à Paris, alors que nous, maintenant on n’est pas obligé d’habiter à côté. Donc maintenant on peut rester à la maison et communiquer avec n’importe qui, n’importe quand et n’importe où. Mais donc, on communique moins avec les gens qui sont autour, avec les gens de la vie réelle. ». Les étudiants s’interrogent également sur le rôle d’Internet dans les relations sociales : « Je pense qu’Internet c’est toxique (rires), parce qu’en fait ça diminue la distance entre nous et les personnes loin de nous mais ça augmente aussi la distance entre nous et les gens qui sont autour » ; ou encore : « Je pense que toutes ces technologies c’est pour nous rendre la vie plus facile, mais ça ne remplace pas des communications réelles comme toi et moi maintenant. Je pense que c’est juste un outil plus pratique. ». Pour ces étudiants, la distance dans le géoespace est toujours une donnée essentielle à prendre en compte, les réseaux de télécommunications ne substituent pas les relations en ligne à distance, aux relations de proximité physique (Raynaud, 2008). Loin de la fin de la géographie, des distances ou des villes, annoncée par certains économistes, il existe une complémentarité des relations en ligne et physiques avec la diffusion des TIC. Ainsi, à travers ces trois fonctions majeures, les TIC facilitent l’installation, l’organisation de la vie quotidienne des immigrants dans le pays d’accueil et, comme le souligne Y. Wang, accélèrent leur adaptation à la culture du pays d’accueil. “First, the global reach of the Internet enables people to communicate worldwide. The Internet provides its users with opportunities to retrieve information from any part of the world at any time and to interact with others over great distance.” […]“On the other hand, the Internet also provides new arrivals with opportunities to learn social norms, lifestyles, living tips and other information about the host culture. NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 73 This may accelerate their adaptation to the host culture and lead to more cultural homogeneity.” (Wang, 2006). 3.2. Entre « ici » et « là-bas », un sentiment de proximité avec la Chine et l’émergence d’une double culture 3.2.1. Un sentiment de proximité avec la Chine grâce aux TIC L’analyse des entretiens des étudiants chinois montre que l’utilisation des TIC renforce leur sentiment de proximité avec la Chine et donc leur identité culturelle chinoise. En effet, neuf étudiants sur dix ont un sentiment de proximité avec la Chine lorsqu’ils utilisent les TIC. Cela s’explique tout d’abord par l’usage du téléphone qui permet d’obtenir instantanément des nouvelles des parents ou amis restés en Chine. Huit étudiants ont souscrit à une offre Triple Play (téléphone fixe, Internet et télévision), par conséquent leurs appels sont illimités vers la Chine. Le dialogue direct favorise un lien affectif fort entre les interlocuteurs grâce à l’analyse de la voix, du ton, des mots, permettant l’expression des pensées et des émotions. Pour augmenter leur sentiment de proximité, sept étudiants utilisent une webcam lorsqu’ils appellent en Chine avec la voix sur réseau IP. « C’est vrai que j’ai l’impression que la Chine est plus proche, qu’elle n’est pas si loin. Et Internet me permet d’être vraiment proche de ma famille et de mes amis et ça c’est important […] si je veux voir ma maman on utilise une caméra et j’ai l’impression qu’elle est plus proche ». Ces outils permettent aux étudiants chinois de téléphoner à leur famille pendant environ une heure chaque semaine. Pour trois étudiants, le sentiment de proximité est si fort qu’ils se sentent en Chine : « A chaque fois que j’appelle en Chine ou que j’utilise Internet pour aller sur les sites chinois, je me sens comme chez moi, je me sens à la maison, oui ça c’est important. » ; « je me sens chez moi quand je lui téléphone, j’ai l’impression que la Chine est juste à côté de moi ». Lorsque D. Diminescu (2002) s’intéresse aux changements induits par les TIC dans les communautés de la diaspora, l’auteur évoque également ce sentiment de proximité : « Aujourd’hui, il est de plus en plus rare de voir les migrations seulement comme un mouvement entre deux communautés distinctes, appartenant à des lieux éloignés et marquées par des relations sociales indépendantes l’une de l’autre. Il est au contraire de plus en plus fréquent que les migrants parviennent à maintenir à distance et à activer des relations qui s’apparentent à des rapports de proximité. Auparavant à l’état latent, mais propre à tous les groupes qui se déplacent, cette culture du lien est devenue visible et très dynamique une fois que les migrants ont commencé à utiliser massivement les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ». Le sentiment de proximité avec la Chine est également renforcé avec l’utilisation des logiciels de messagerie instantanée tels que MSN (Microsoft) ou QQ (l’équivalent chinois). Les dix étudiants les utilisent fréquemment et six se connectent aux deux logiciels simultanément afin de communiquer avec des personnes ayant l’un ou l’autre des logiciels. Fonctionnant plusieurs heures par jour, ces programmes leur permettent de joindre instantanément des membres de la famille ou des amis à l’autre bout de la planète ou biens des camarades de classes vivant dans le même quartier. 74 NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 Par ailleurs, neuf étudiants lisent quotidiennement l’actualité chinoise sur Internet et la majorité explique que ces lectures sont une activité très importante qui favorise leur sentiment de proximité avec la Chine. Certains passent plusieurs heures par jour à comparer les divers points de vue d’un sujet donné de l’actualité afin d’avoir une opinion la plus juste possible sur la politique et les événements en Chine. D’autres partagent le malheur des victimes et pleurent devant les vidéos des événements tragiques tels que le séisme du Sichuan. Trois étudiants ont également indiqué qu’ils regardaient davantage les chaines chinoises sur Internet que les chaines françaises, cela leur permettait de se détendre tout en retrouvant leur langue maternelle (certaines émissions sont par exemple en cantonnais). Parmi les réseaux techniques, l’avion produit aussi un sentiment de proximité puisque la Chine n’est qu’à une dizaine d’heures de vol : « je ressens que la Chine est proche en partie grâce à l’avion, mais aussi grâce au réseau, c’est-à-dire Internet, le téléphone fixe. Sans téléphone, sans Internet, et sans avion, j’aurais l’impression que la Chine serait très loin et ce serait horrible ! ». D’autres étudiants sont plus nuancés : en lisant le chinois sur Internet, ou en regardant la télévision en chinois, certains ont le sentiment d’être des « chinois à l’étranger ». Par l’intermédiaire des TIC, ils ont le sentiment d’être entre deux « univers » : « Avec les TIC, je me sens chez moi, c’est pas forcément en Chine ou en France, mais c’est chez moi (rires). Grâce aux TIC, je peux retrouver des choses dont je suis déjà familière, donc je suis dans un environnement où il y a tout ce que je connais. En fait, ce « chez moi », ce n’est pas forcément la Chine, mais c’est chez moi, c’est mon identité, mon univers ». Enfin, certains étudiants soulignent que le sentiment de proximité avec la Chine permis par les TIC est limité : les contacts physiques et des trajets en avion sont toujours nécessaires : « je suis rentrée en Chine l’été dernier pendant deux mois, parce que les TIC ne suffisaient pas, il me manquait l’affection (rires). Même si on a une webcam, on ne voit qu’une petite tête ». Comme l’a souligné un étudiant « nous évoluons vers un village-monde », dans lequel la globalisation et l’utilisation des TIC intensifient les interactions entre les acteurs, les territoires et les réseaux. C’est donc avec une grande facilité technique, un faible coût et un temps illimité que les étudiants peuvent appeler en Chine, chater de façon instantanée, lire l’actualité de son pays, regarder des chaînes de télévision dans sa langue maternelle, et cela dans le but de rester « proche » de son pays, de ses valeurs culturelles et des gens que l’on aime. L’utilisation des webcams et des logiciels de messagerie instantanée renforce à tel point ce sentiment de proximité avec la Chine que trois étudiants ont la sensation d’être dans leur pays natal : « Je me sens comme chez moi, je me sens à la maison ». Ces résultats rappellent également ceux de X. Wenjing (2005) qui montre que les membres de la diaspora ont le sentiment « d’être ici » et de « se sentir là-bas » grâce aux TIC. Le vaste héritage culturel disponible en ligne ainsi que la communication entre chinois de la diaspora sur les forums des communautés en ligne apportent aux immigrants, le sentiment « d’être chez soi », à la maison, en Chine. NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 75 Notons qu’il est fort probable que la population du pays d’accueil et plus précisément la population française étudiante de Montpellier utilise fréquemment Internet dans l’organisation de leur vie au quotidien (recherche d’informations, consommation de loisirs, organiser un déplacement, etc.). Néanmoins, cette étude porte sur le rôle des TIC dans les processus de construction des territoires et des identités culturelles des migrants. Un éloignement des migrants de plusieurs milliers de kilomètres de leur pays d’origine sont les conditions nécessaires pour identifier leurs nouvelles perceptions et actions liées à l’usage des TIC, tels que le sentiment d’être physiquement en Chine lors d’une communication instantanée, via un téléphone ou une webcam, avec un proche resté dans le pays d’origine. 3.2.2. De nouvelles perceptions de la Chine : une fierté « objective » En naviguant sur Internet et en apprenant sur leur pays d’origine, les étudiants chinois ont de nouvelles perceptions et un sentiment de fierté renforcée, conformément aux résultats de l’enquête de X. Wenjing (2005). Huit étudiants sur dix ont ainsi déclaré avoir une nouvelle image de la Chine depuis qu’ils sont en France. Selon eux, leurs perceptions sont plus objectives, plus complètes étant donné qu’auparavant ils ne s’intéressaient pas à l’actualité de leur pays et ne remettaient pas en cause le gouvernement. Depuis qu’ils ont emménagé en France, ils observent à distance les événements, lisent abondamment l’actualité, comparent différents points de vue ce qui leur permet de se rapprocher idéologiquement de leur pays et de générer de nouvelles perceptions : « Quand j’étais en Chine, je ne regardais pas beaucoup les actualités politiques, mais depuis que je suis partie en France, je réfléchis beaucoup plus à la politique et je me pose beaucoup plus de questions. Maintenant je réalise qu’il n’est pas facile de gouverner la Chine, parce que la Chine est trop grande, donc maintenant j’ai une meilleure image du gouvernement chinois ». Tous pensent avoir une position neutre concernant l’actualité et le gouvernement du pays. Certains pensent que la Chine n’était pas si mauvaise qu’ils le pensaient et que la censure n’est pas si forte. En revanche, cinq étudiants ont indiqué qu’ils éprouvaient de la fierté pour leur pays depuis qu’ils sont en France. Ils sont impressionnés par l’essor économique de la Chine : « Depuis que je suis en France, je me sens encore plus fier d’être chinois, parce que dans tous les domaines, la Chine est très forte. Par exemple, dans les hautes technologies, dans le commerce, etc., la Chine joue un rôle important. Le monde ne peut pas faire sans elle ». D’autres approuvent les valeurs culturelles chinoises qu’ils ne retrouvent pas en France, principalement, la modestie et la solidarité envers les personnes âgées. Deux étudiants expliquent ne pas avoir de nouvelles perceptions de la Chine avec l’usage des TIC à travers la question de la censure : « La censure est partout en Chine, dans toute sorte de médias : les journaux, les télévisions, les radios, Internet aussi en tant que nouvelles formes de médias, tout ce qui peut arriver dans la tête ». 3.2.3. Une identité culturelle chinoise renforcée et le sentiment d’être intégrés en France Sept chinois interrogés ne se sentent pas du tout français : « Maintenant je sens que je suis encore plus chinoise que quand j’étais en Chine » ; « depuis que je suis en France, j’aime encore plus la Chine, et je me sens plus nationaliste, mais à mon âge, ce n’est pas facile de changer, donc je ne me sens pas française. » Cet indicateur confirme un renforcement des logiques territoriales avec une identité culturelle affirmée. Seul, un étudiant se sent français : 76 NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 « Aujourd’hui je peux dire que je me sens français, il y a les actualités françaises à côté de moi, là je suis des cours en français, chez des amis français, le gouvernement français nous donne des aides au logement, il nous donne des assurances et à la fin, on obtiendra un diplôme français. » Bien que la majorité des étudiants ait une identité chinoise renforcée, huit étudiants se sentent intégrés en France : ils partagent les habitudes de vie des français et ont des meilleurs amis français. Certains étudiants expliquent que leur sentiment d’intégration est lié à leur accès « au monde chinois » sur Internet : c’est donc le réconfort lié au sentiment de proximité avec la Chine qui semble être une condition essentielle pour se sentir intégré en France. « Si je me sens intégrée, c’est vraiment grâce à Internet. […] Sans Internet, je ne peux pas avoir d’informations sur le monde chinois, je ne peux pas écouter la musique chinoise, regarder les films chinois, je ne peux pas contacter mes parents ou mes amis, je me sens complètement à l’étranger. Maintenant avec Internet, la distance s’est vraiment raccourcie, je peux parler chinois quand je veux et je peux appeler mes parents quand je veux. Si je ne peux pas faire tout ça, je ressens beaucoup de mélancolie et aussi de la nostalgie, et ce n’est pas bien pour ma santé, pour mon mental. ». Les deux étudiants qui ne se sentent pas intégrés en France pensent que ce sentiment vient d’un manque de connaissance de la culture et de la langue française. Un étudiant précise que son budget est trop limité pour faire des sorties et des voyages afin de découvrir la culture française, c’est pourtant une étape essentielle selon lui, pour bien s’intégrer. 3.2.4 Les TIC et l’émergence d’une double culture Avec le renforcement d’une identité culturelle chinoise et le sentiment d’intégration en France, sept étudiants chinois déclarent avoir une double identité, chinoise et française (voir le schéma synthétique ci-dessous, Figure 2). Selon eux, l’émergence d’une identité française est essentiellement liée à la façon de penser, de raisonner, de communiquer, mais aussi aux nouvelles habitudes de vie, à un esprit plus ouvert et plus critique : « On peut dire que j’ai une façon de penser qui est mélangée entre la culture orientale et occidentale ». Néanmoins, la majorité des étudiants soulignent que la part française de leur identité culturelle est faible : « J’ai une double culture un petit peu française et chinoise, c’est encore 80% chinois et 20% français » ; « J’ai une double identité, mais l’identité chinoise est beaucoup plus forte que mon identité française. Mon identité française, c’est juste ajoutée sur mon identité chinoise. ». De même, trois étudiants ont déclaré qu’ils se sentent davantage chinois « Culturellement, socialement, je me sens plus chinois ». Ainsi, les étudiants se sentent plus chinois mais aussi un peu français, voire montpelliérain : « Je me suis un peu enraciné déjà, petit à petit je me sens intégré et je suis montpelliérain, j’ai une double culture, je me sens chinois et montpelliérain, même si je ne suis pas resté en France, à Montpellier très très longtemps mais seulement deux ans et demi. », ou encore : « Je me sens fier en tant que chinois, mais je me sens maintenant devenir un peu français ». L’appropriation de la culture du pays d’accueil, à travers sa langue, s’observe également à travers l’utilisation des logiciels de messageries instantanées (MSN et QQ) puisque quatre étudiants les utilisent autant vers la Chine que vers la France : « je parle autant avec des amis en Chine, qu’avec des amis en France, c’est moitié-moitié pour moi.[…] Je préfère parler avec des français ou parler avec des amis qui sont en France ». Ainsi les étudiants maintiennent le contact avec leur réseau social en Chine mais créent de nouvelles interactions, tout aussi intenses, avec des réseaux d’amis en 77 NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 France. Source intarissable d’informations, Internet permet l’accès aux deux « univers » culturels : « c’est vrai que quand j’utilise les TIC, je ne me sens pas vraiment chez moi, mais je me sens entre deux univers : celui de la culture française et celui de la culture chinoise, et j’aime bien ça ». Ces éléments favorisent le sentiment d’intégration en France et contribuent à la production d’identités culturelles multiples. L. Wong (2003), de la même façon, démontre qu’il n’existe pas une identité chinoise authentique, mais des identités contingentes, souvent multiples et en permanente évolution. Les TIC produisent ainsi de nouveaux attachements culturels avec un processus de territorialisation entre le pays d’accueil et celui de départ. Adaptation et appropriation de l’identité culturelle du pays d’accueil Culture du pays d’accueil (France) Culture du pays d’origine (Chine) Etre «ici» et se sentir «là-bas» - Un sentiment de proximité avec la Chine (9 étudiants) - Le sentiment d’être présent en Chine (3 étudiants) - Communications quotidiennes avec d’autres personnes restées en Chine (10 étudiants) - Utilisation de Webcam pour renforcer le sentiment de proximité (7 étudiants) - Lecture quotidienne de l’actualité chinoise (9 étudiants) Sentiment de fierté à l’égard de la Chine (5 étudiants) Le sentiment d’avoir une double identité, chinoise et française (7 étudiants) Les TIC : la fonction d’informations - Internet joue un rôle majeur pour trouver des informations à l’échelle locale (10 étudiants) - Consulter les sites Internet des communautés chinoises locales (6 étudiants) - Recherche d’informations concernant les études universitaires (9 étudiants) - Regarder des chaines de télévisions françaises (7 étudiants) Les TIC : Agir dans l’espace réel - Trouver un logement (10 étudiants) - Rechercher un emploi (7 étudiants) - Effectuer des tâches administratives (9 étudiants) - Organiser un déplacement en ville (5 étudiants) - Organiser un voyage (5 étudiants) - Commerce, échange de services (4 étudiants) Les TIC : Un sentiment de réconfort - Au quotidien, Internet atténue le sentiment d’isolement grâce aux réseaux sociaux (9 étudiants) - Une vie plus difficile pour les immigrants des générations précédentes qui n’avaient pas accès aux TIC (6 étudiants) - Le sentiment d’être intégré en France (8 étudiants) Affirmation de l’identité culturelle du pays d’origine Joy RAYNAUD, 2011 Figure 2 : La production de territoires réels et virtuels et de nouvelles identités culturelles : synthèse de l’étude sur la communauté étudiante chinoise de Montpellier Par ailleurs, lorsque la question de la double identité a été évoquée, sept étudiants ont mentionné qu’ils avaient de nouvelles perceptions de la France. A titre anecdotique, les étudiants pensent avoir une image plus réelle, plus précise et moins stéréotypée (la France n’est pas si romantique, il n’y a pas que la Tour Eiffel, les français ne sont pas si feignants, le président Sarkozy n’a pas une si mauvaise politique concernant le Tibet, etc.). Beaucoup d’étudiants pensent que la vie en France est agréable et confortable, notamment parce que les français accordent beaucoup d’importance aux loisirs et aux vacances. Ils apprécient de communiquer avec les 78 NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 français : ils sont directs et il est facile de connaître ce qu’ils pensent, contrairement aux chinois. Lorsque l’on interroge les étudiants sur leur avenir, neuf souhaitent retourner vivre en Chine avec une solide expérience professionnelle afin de contribuer au développement économique de leur pays. Mais avant leur retour, ils désirent voyager dans plusieurs pays car tous apprécient les échanges culturels. « J’aimerais finir mes études ici […] je préfère travailler dans les pays autour du monde : aux Etats-Unis, en Australie ou dans les autres pays en Europe. J’aime bien regarder le monde extérieur, partir dans le monde entier. Et peut-être qu’à la fin je rentrerais en Chine parce que c’est un pays en train de se développer, il y a plus d’occasion, plus de chance parce qu’il reste beaucoup de choses à améliorer. Mais en France, tout est bien développé et il ne reste pas grand-chose à faire. » Seul, un étudiant souhaite rester vivre en France car il aime particulièrement ce pays ainsi que la ville de Montpellier. Ainsi, les résultats de cette études rejoignent les propos de D. Diminescu (2002) : « Malgré la distance, le lien “virtuel” – par téléphone ou par courrier électronique – permet plus et mieux qu’avant d’être présent à la famille, aux autres, à ce qui est en train de leur arriver, làbas, au pays ou ailleurs ». Il en va de même pour l’émergence d’une double identité chez le migrant : « La variable communicationnelle a introduit une rupture dans l’histoire des migrations : d’une part, les premières générations ont coupé les racines avec leur milieu d’origine tout en restant à la marge dans les sociétés d’accueil ; d’autre part, les générations d’aujourd’hui, qui s’installent dans la mobilité, sont dotées d’une exceptionnelle capacité à actualiser en permanence le lien avec leur environnement d’origine, tout en établissant des contacts avec les sociétés des pays de destination ». 4. DISCUSSION Cette étude a permis de mettre en évidence de nouvelles perceptions et pratiques spatiales des immigrants chinois avec l’usage des TIC et qui se déroulent à la convergence de deux territoires chinois et français. Mais avec le développement de l’espace technologique des réseaux et des flux et son utilisation massive par les acteurs, un nouvel espace se crée : le géocyberespace, associant l’espace réel et l’espace technologique. Les interactions en face-à-face entre les acteurs sur un espace contigu à l’échelle locale, laissent place aux communications sur un espace réticulaire et non contigu à l’échelle globale : « Les territoires en réseaux ne sont donc pas des territoires contigus, ils ne sont pas mêmes constitués de zones proches quoique non adjacentes. Ils sont éclatés et fragmentés ; ils relèvent de la dispersion insulaire plutôt que de la continuité continentale » (Bakis, 1990). A cet égard, l’analyse des entretiens révèle que les étudiants sont conscients de l’existence d’un territoire en ligne. En se connectant à Internet, en téléphonant à leur famille restée en Chine, les immigrants se construisent de nouveaux territoires vécus entre la France et la Chine. Dans ce géocyberespace, les étudiants chinois de la diaspora interagissent sur un ensemble de territoires (Chine, France, reste du monde) à travers des réseaux techniques et technologiques (voir Figure 1). Le système de représentation des étudiants chinois avec des perceptions personnelles, collectives et/ou idéologiques (Moine, 2006) influence leurs actions dans l’espace géographique. NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 79 Ce processus génère de nouveaux territoires dépassant la dichotomie entre le géoespace et l’espace technologique des réseaux et des flux. En effet, les forums des communautés en ligne procurent aux étudiants chinois, le sentiment « d’être chez soi », d’être dans un « lieu » familier, chaleureux. L’espace technologique est devenu un espace approprié : « En fait, quand je me connecte aux TIC, quand je contacte ma famille par le téléphone fixe ou par Internet, je ressens que ça fait partie de moi. Oui, on peut dire qu’Internet, c’est un lieu qui fait partie de moi ». De même, les immigrants sont passés d’une organisation spatiale reposant sur la proximité avec les Chinatowns à la création d’une communauté en ligne formant ainsi un nouveau « territoire en commun » à l’échelle globale : « Internet, c’est un territoire virtuel qui est vraiment très important pour nous ». Parallèlement à la construction de ce territoire virtuel, de nouvelles identités culturelles se créent : une représentation synthétique de cette dynamique identitaire est proposée (Raynaud, 2011). L’utilisation d’Internet par les communautés de la diaspora chinoise permet de nouvelles interactions avec la communauté du pays d’accueil, les communautés des autres foyers de la diaspora dans le monde ainsi que la communauté du pays d’origine selon la définition de E. Ma Mung Kuang (2000). Les nouvelles perceptions et pratiques spatiales participent à la redéfinition de leur identité culturelle. Deux tendances s’offrent alors aux individus de la diaspora celui de la tradition et/ou de la modernité : les identités culturelles des diasporas se construisent dans l'interaction entre la « similarité et la différence dans le processus de déplacement et d’installation » (Wenjing, 2005). En ce sens, les TIC favorisent l’émergence d’identités hybrides, nées du vécu quotidien de plusieurs territoires. Cette étude exploratoire apporte un éclairage sur le rôle des TIC dans les processus d’installation et d’organisation de la vie quotidienne des étudiants de la diaspora chinoise à travers l’émergence de nouveaux territoires vécus, réels et virtuels, et la construction de nouvelles identités culturelles. Pour approfondir cette étude, il est essentiel de bien distinguer les aspects qui semblent nouveaux avec l’utilisation des TIC de ceux qui existaient auparavant sous une autre forme. En effet, une enquête comparative auprès des immigrants de la jeune et de l’ancienne génération permettrait d’identifier les évolutions des perceptions et pratiques plus anciennes qui relèvent précisément de l’usage des TIC. Par ailleurs, il serait intéressant de mieux identifier les échelles de territoires vécus des immigrants de la diaspora et leurs identités culturelles associées. En effet, les deux identités culturelles abordées dans cette étude sont liées aux territoires nationaux chinois et français. Mais en réalité les identités culturelles sont multiples puisque les Chinois ont également une identité ethnique, parlent un dialecte propre à leur région de départ et s’adaptent bien souvent aux particularités culturelles locales du pays d’accueil. Ils peuvent également, dans leur « territoire virtuel », se construire diverses identités culturelles. La connaissance de ces éléments nous permettrait ainsi de mieux comprendre les processus de construction territoriale et identitaire des immigrants à l’ère des TIC. 80 NETCOM, vol. 25, n° 1-2, 2011 REFERENCES BAKIS H. (2007a), « Le « Géocyberespace » revisité : usages et perspective », Netcom, vol. 21, n°3-4, pp 285-296. BAKIS H. (2007b), « Les nouveaux territoires de l’identité. Minorités et Internet », Note de recherche, Netcom, vol. 21, n°3-4, pp 381-384. BAKIS H. (2001), « Réseaux sociaux, réseaux de la communication culturelle et territoires », Bulletin de l'Association de Géographes français, Géographies, 78ème année, n°1, pp 5-10. 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