10 Les cahiers du numérique – n° 3-4/2013
permettent de voir émerger depuis deux décennies1 environ des pratiques
sociales nouvelles, organisées par des « structures qui relient », encore, mais
différemment, pour reprendre la célèbre métaphore batesonienne.
Une culture numérique a émergé dans les réseaux numériques avec ses
langages, ses codes et ses rythmes, qui se drapent de symbolique (c’est-à-
dire d’identité, d’appartenance) et qui à ce titre, possèdent leur part
assumée de ritualité. Et les dispositifs numériques, souvent immersifs
(MMORPG, chat…), permettent en quelque sorte d’entrer dans un autre
espace-temps, instaurant une parenthèse avec ses règles intrinsèques ; tout
comme la ritualité.
Les anthropologues nous ont appris que celle-ci propose ou impose une
parenthèse sociale fortement symbolique, elle instaure une autre
temporalité, exerce une action quasi magique sur les identités et les corps
(ou sur les représentations de ceux-ci), tout en scénarisant, esthétisant et
dramatisant tout à la fois ce qu’elle donne à vivre à ses acteurs ; or, tous ces
traits ou principes peuvent se retrouver, toutes choses égales par ailleurs,
dans certaines pratiques numériques, on y revient.
Plus spécifiquement, les réseaux sociaux et les sites de rencontres
produisent des relations qui se fondent sur une résille de nouveaux rites,
moins incidents qu’ils n’y paraissent. D’aveu d’internautes, la violence des
relations numérisées, quand elle s’exprime, provient précisément de
l’absence de rites. Et quand « la greffe prend » entre deux internautes, selon
les témoignages, c’est que la relation se ritualise, et exporte vers le Net des
rites de la vraie vie (Lardellier, 2012).
La ritualité, comme principe, et les rites, comme expressions concrètes de
la pensée symbolique, constituent l’un des objets de prédilection de
l’anthropologie. Que l’on repère des indices de ritualisation « en ligne »,
qu’on définisse même comme rituelles de nouvelles pratiques prenant pour
contextes et supports les dispositifs numériques, c’est une chose, mais pour
1. Deux décennies pour l’expansion de ces pratiques auprès du grand public,
correspondant à la généralisation de possibilité de connexions rapides, fiables et
stabilisées techniquement. Bien sûr, il ne saurait être question de se montrer
amnésique par rapport à des pratiques numériques antérieures, notamment aux
expérimentations liées à l’IRC (Internet Relay Chat), ou plus anciennement encore,
à l’essor dès les années 1980 des « relations télématiques » portées en France par le
Minitel.
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