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Les premières batailles de la guerre de Succession d’Espagne ternissent
considérablement l’éclat militaire du Grand Siècle français. Le règne de Louis XIV s’est
ouvert par la bataille de Rocroi, et a été marqué par une glorieuse accumulation de victoires.
En 1700, le testament de Charles II, qui désigne Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV,
comme héritier du trône d’Espagne, vient consacrer la réputation d’invincibilité de l’armée
française. Les troupes du Roi-Soleil semblent en effet les seules à même de protéger
l’intégrité des territoires de la couronne du roi Catholique. Cet espoir est pourtant anéanti par
quatre défaites successives : la première, qui a lieu à Blenheim, sur le Danube, le 13 août
1704, contraint les Français à se retirer de la Bavière. Après le désastre de Ramillies, dans le
Brabant, le 23 mai 1706, ils perdent la majeure partie des Pays-Bas méridionaux ; le 7
septembre de la même année, ils sont battus sous les murs de Turin, qu’ils assiégeaient, et
doivent abandonner aux Alliés le contrôle de l’Italie du nord. Enfin, la défaite d’Audenarde,
en Flandre, le 11 juillet 1708, laisse aux Coalisés la liberté d’entreprendre le siège de Lille.
L’historiographie française n’a voulu considérer ces revers que comme la conséquence
des choix malencontreux du Roi-Soleil vieillissant, privilégiant les généraux courtisans –
Tallard, Marcin, Villeroy et La Feuillade – aux véritables chefs de guerre – Vendôme, dont le
talent aurait été entravé lors de la bataille d’Audenarde par la présence du duc de Bourgogne,
petit-fils de Louis XIV, et surtout Villars. Du côté adverse, l’évocation de ces quatre batailles
est surtout l’occasion de célébrer la valeur des généraux alliés, le prince Eugène de Savoie-
Carignan, ainsi que John Churchill, duc de Marlborough. Il n’est qu’à lire, à cet égard, la
biographie de Marlborough qu’en écrivit son descendant, Winston Churchill.
Ces batailles sont pourtant exceptionnelles à bien des titres. La période 1650-1750,
entre la guerre de Trente Ans et la guerre de Sept Ans, est généralement considérée comme
une époque de « guerre limitée », marquée par un « blocage tactique », voire une « crise de
stratégie ». Or on peut observer, entre 1704 et 1708, quatre batailles au retentissement
considérable, qui renversent apparemment le cours de la guerre. En entraînant le
démembrement de la couronne d’Espagne, elles remodèlent durablement la carte de l’Europe.
Alors que les vastes campagnes des guerres précédentes ont surtout été marquées par de longs
sièges et des combats aussi sanglants que peu concluants, les généraux alliés semblent alors
avoir trouvé un moyen de redonner à la conduite de la guerre le dynamisme et le mouvement
qui lui faisaient défaut. On peut également se demander comment les Alliés ont réussi à
s’emparer en quelques années de tous les territoires que le Roi-Soleil avait convoités pendant
près d’un demi-siècle.
Les défaites françaises de Blenheim, Ramillies, Turin et Audenarde méritent donc de
faire l’objet de plus amples analyses. Ce ré-examen peut s’appuyer sur les avancées
scientifiques et les méthodes de la « nouvelle histoire-bataille », illustrées notamment par