Les défaites françaises de la guerre de Succession d`Espagne

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UNIVERSITE PARIS IV-LA SORBONNE
École doctorale 2 : Histoire moderne et contemporaine
Clément Oury
diplômé d’études approfondies
archiviste paléographe
Les défaites françaises
de la guerre de Succession d’Espagne, 1704-1708
Thèse de doctorat dirigée par M. le Professeur Olivier Chaline.
Soutenue le 15 juin 2011 devant un jury composé de :
M. le Professeur Jean-Pierre Bois (Université de Nantes)
M. le Professeur Edmond Dziembowski (Université de Franche-Comté)
M. le Professeur Olivier Poncet (École nationale des Chartes)
Mme le Professeur Michèle Virol (Université de Rouen)
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Les premières batailles de la guerre de Succession d’Espagne ternissent
considérablement l’éclat militaire du Grand Siècle français. Le règne de Louis XIV s’est
ouvert par la bataille de Rocroi, et a été marqué par une glorieuse accumulation de victoires.
En 1700, le testament de Charles II, qui désigne Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV,
comme héritier du trône d’Espagne, vient consacrer la réputation d’invincibilité de l’armée
française. Les troupes du Roi-Soleil semblent en effet les seules à même de protéger
l’intégrité des territoires de la couronne du roi Catholique. Cet espoir est pourtant anéanti par
quatre défaites successives : la première, qui a lieu à Blenheim, sur le Danube, le 13 août
1704, contraint les Français à se retirer de la Bavière. Après le désastre de Ramillies, dans le
Brabant, le 23 mai 1706, ils perdent la majeure partie des Pays-Bas méridionaux ; le 7
septembre de la même année, ils sont battus sous les murs de Turin, qu’ils assiégeaient, et
doivent abandonner aux Alliés le contrôle de l’Italie du nord. Enfin, la défaite d’Audenarde,
en Flandre, le 11 juillet 1708, laisse aux Coalisés la liberté d’entreprendre le siège de Lille.
L’historiographie française n’a voulu considérer ces revers que comme la conséquence
des choix malencontreux du Roi-Soleil vieillissant, privilégiant les généraux courtisans
Tallard, Marcin, Villeroy et La Feuillade aux véritables chefs de guerre – Vendôme, dont le
talent aurait été entravé lors de la bataille d’Audenarde par la présence du duc de Bourgogne,
petit-fils de Louis XIV, et surtout Villars. Du côté adverse, l’évocation de ces quatre batailles
est surtout l’occasion de célébrer la valeur des généraux alliés, le prince Eugène de Savoie-
Carignan, ainsi que John Churchill, duc de Marlborough. Il n’est qu’à lire, à cet égard, la
biographie de Marlborough qu’en écrivit son descendant, Winston Churchill.
Ces batailles sont pourtant exceptionnelles à bien des titres. La période 1650-1750,
entre la guerre de Trente Ans et la guerre de Sept Ans, est généralement considérée comme
une époque de « guerre limitée », marquée par un « blocage tactique », voire une « crise de
stratégie ». Or on peut observer, entre 1704 et 1708, quatre batailles au retentissement
considérable, qui renversent apparemment le cours de la guerre. En entraînant le
démembrement de la couronne d’Espagne, elles remodèlent durablement la carte de l’Europe.
Alors que les vastes campagnes des guerres précédentes ont surtout été marquées par de longs
sièges et des combats aussi sanglants que peu concluants, les généraux alliés semblent alors
avoir trouvé un moyen de redonner à la conduite de la guerre le dynamisme et le mouvement
qui lui faisaient défaut. On peut également se demander comment les Alliés ont réussi à
s’emparer en quelques années de tous les territoires que le Roi-Soleil avait convoités pendant
près d’un demi-siècle.
Les défaites françaises de Blenheim, Ramillies, Turin et Audenarde méritent donc de
faire l’objet de plus amples analyses. Ce ré-examen peut s’appuyer sur les avancées
scientifiques et les méthodes de la « nouvelle histoire-bataille », illustrées notamment par
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John Keegan dans le monde anglo-saxon ou en France par Jean-Pierre Bois et Olivier Chaline.
Cette approche consiste à mettre la bataille au centre de l’analyse historique. Elle ne néglige
certes pas les dimensions dites traditionnelles du conflit : les enjeux diplomatiques et
stratégiques, le poids de la logistique dans le déroulement des opérations, la tactique… Mais
elle porte un intérêt particulier à l’expérience du combat : elle étudie les techniques
d’affrontement employées lors d’une bataille, l’environnement sensoriel des soldats, la
violence infligée et la violence reçue. Elle s’intéresse enfin à l’onde de choc de la bataille. De
ce point de vue-là également, les défaites subies de 1704 à 1708 offrent un terrain d’analyse
particulièrement riche : elles révèlent les tensions gnant au sein de la cour et de la société
françaises, qui étaient auparavant estompées par l’éclat des triomphes louis-quatorzien et de la
propagande qui les accompagnait.
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Sources
Les archives les plus exploitées sont celles du Service Historique de la Défense,
notamment, dans la sous-série A
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, les volumes de « lettres reçues » des années 1704, 1706 et
1708. On y conserve la correspondance échangée entre, d’une part, le roi et Chamillart, et
d’autre part, les commandants d’armée, les intendants, les gouverneurs de place, les officiers
généraux. De simples officiers ou des officiers parlant au nom de leur régiment peuvent
également s’adresser à la Cour, que ce soit pour vanter leur propre action dans une bataille,
demander charges et gratifications, ou dénoncer la mauvaise conduite de leurs supérieurs – les
lettres anonymes ne sont pas rares. Les informations tirées de ce fonds sont de tous ordres :
description des opérations militaires, état physique et moral des troupes et des populations
locales, relations de combats… Notons l’intérêt exceptionnel de la sous-série 2X
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du SHD,
c’est-à-dire les registres d’inscription des Invalides, qui mentionnent pour chaque soldat ou
officier admis, le type de blessure reçue et le combat au cours duquel elle a été infligée. Ces
renseignements ont été croisés avec ceux de la « correspondance politique » des Archives du
ministère des Affaires Étrangères, c’est-à-dire les lettres échangées entre le secrétaire d’État
des Affaires Étrangères, ses envoyés auprès des souverains alliés et ses espions à l’étranger.
Enfin, des dépouillements ont été menés dans diverses autres institutions : Archives nationales
(sous-série G
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: contrôle général des finances), Bibliothèque nationale de France (Manuscrits,
Estampes, Monnaies et médailles, Arsenal), bibliothèques Mazarine, de l’Institut et du musée
Condé à Chantilly. Un dernier type de sources s’est avéré indispensable pour étudier
l’expérience de la violence de guerre : les mémoires de militaires, notamment ceux du
marquis de La Colonie et du comte de Mérode-Westerloo.
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Première partie : le rôle de la bataille dans le déroulement des opérations militaires
Le premier chapitre aborde le contexte diplomatique et les objectifs stratégiques visés
par les campagnes de 1704 à 1708. Il y a au début de la guerre un relatif équilibre des forces.
L’alliance constituée par la France, l’Espagne et la Bavière bénéficie d’une position
géographique centrale, et d’une plus grande unité dans la direction des opérations. Dans
l’autre camp, la « Grande Alliance de La Haye » est forte de la multiplicité de ses membres
(Angleterre, Provinces-Unies, Autriche, Portugal, Savoie, Danemark, la plupart des princes
d’Empire) et du crédit des banques d’Angleterre et de Hollande. On constate que Louis XIV
privilégie une attitude fensive, voire passive : il mise sur des dissensions internes pour faire
éclater l’Alliance. C’est pour cela qu’il s’attaque en priorité aux éléments apparemment les
plus susceptibles de s’en défaire, comme les princes d’Empire ou la Hollande, au détriment
d’opérations menées contre les centres névralgiques de la Coalition que sont l’Angleterre et
l’Autriche. Cette approche essuie un échec complet, puisque les Allemands et les Néerlandais
se montrent beaucoup plus hostiles et beaucoup plus combatifs que le Roi-Soleil ne l’avait
escompté.
Le déroulement des opérations fait l’objet du second chapitre. Celui-ci commence par
les descriptions des campagnes précédant les batailles de Blenheim, Ramillies, Turin et
Audenarde. Il étudie ensuite les questions logistiques : on constate que l’accroissement
constant de la taille des armées au cours du Grand Siècle a mené à une évolution similaire des
besoins en ravitaillement, qui a ralenti le rythme des opérations. Quelques opérations
exceptionnelles, comme la marche de Marlborough à travers l’Empire en 1704 ou celle du
prince Eugène en Italie du Nord en 1706 montrent qu’il est possible de s’affranchir, pour un
temps, de ces contraintes, mais cela se fait grâce à des moyens financiers exceptionnels (dans
le premier cas) ou au prix de risques stratégiques considérables (dans le second).
Le troisième chapitre porte sur la question de la bataille décisive au début du
XVIII
e
siècle. À première vue, les victoires remportées par Marlborough et le prince Eugène
semblent les avoir dispensés des nombreux sièges qui caractérisaient les conflits précédents.
On s’aperçoit en réalité que l’importance des progrès territoriaux alisés après les quatre
batailles étudiées dépend très largement de facteurs politiques, économiques et sociaux tout à
fait indépendants de l’ampleur du succès militaire.
Enfin, la question de la conduite des armées par les généraux en campagne et par les
stratèges de Versailles constitue la matière d’un quatrième chapitre. On y étudie comment les
décisions stratégiques majeures naissent, évoluent, s’altèrent, aboutissent ou non. Ce
chapitre relativise l’image d’une « stratégie de cabinet » toutes les opérations militaires
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seraient dictées par la Cour. Il démontre aussi que, contrairement à une idée très largement
répandue singulièrement dans l’historiographie anglo-saxonne –, le Roi-Soleil se montre
souvent beaucoup plus enclin à la bataille que ses propres généraux.
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Deuxième partie : les trois dimensions de la bataille
La seconde partie s’intéresse à la bataille elle-même, sous ses trois dimensions
tactiques, techniques et humaines. C’est dans le cinquième chapitre qu’est exposé le
déroulement chronologique et factuel des combats. On s’efforce aussi d’établir les effectifs en
présence et les pertes subies par les deux camps. On aborde enfin la question du
commandement des troupes sur le champ de bataille, pour y montrer que le général d’armée
devait à l’époque moderne combiner un double rôle de tacticien avisé supervisant le
déploiement de ses forces sur le champ de bataille, et de chef de guerre menant en personne
ses soldats au combat.
Le chapitre suivant fait descendre l’analyse à un niveau inférieur pour aborder la
dimension technique du combat. Sur le modèle de l’étude menée par John Keegan dans son
Anatomie de la bataille, il effectue une analyse typologique des différentes formes de combat
qui pouvaient avoir cours : bataillons contre bataillons, bataillons contre escadrons, fantassins
isolés contre cavalerie légère…, en rase campagne, dans des terrains accidentés, sur des
retranchements ou dans des villages. On y constate que la cavalerie n’a rien perdu de sa valeur
tactique, son action étant décisive aussi bien à Blenheim qu’à Ramillies. Il apparaît en réalité
que la clef du succès réside dans une bonne coordination des différentes armes. La guerre de
Succession d’Espagne voit d’autre part la disparition définitive de la dualientre piquiers et
mousquetaires : tous les fantassins sont désormais équipés d’un fusil et d’une baïonnette.
Cependant, les Français persistent à concevoir leur infanterie comme une arme de choc,
devant utiliser la baïonnette de préférence aux tirs d’armes à feu. Cette attitude était parfois
justifiée par la fiabilité toute relative des armes de l’époque. Elle semble cependant avoir
mené à de nombreuses désillusions sur les champs de bataille, les fantassins de Louis XIV
étant fréquemment battus par leurs homologues britanniques, hollandais ou allemands.
Enfin, le septième chapitre s’attache au niveau le plus bas de la perception : celui de la
lutte à hauteur d’homme. Il se focalise sur les sensations et les sentiments individuels : ce que
les simples soldats peuvent voir, entendre et sentir ; leurs motivations vis-à-vis du combat ou
leurs accès de panique. C’est également dans ce chapitre qu’est abordée la question des
blessés et de la captivité militaire. Il apparaît en définitive qu’il n’y a pas de techniques de
combat ou de formes de violence strictement propres à la bataille ; mais ce n’est que lors des
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