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C9 : L’analyse économique de la firme
Plan :
I. Le point de départ de l’analyse économique : dans une perspective néoclassique, la
firme est une « boîte noire » (ou firme-point)................................................................................ 3
II. Les approches transactionnelles : firme ou marché ? ............................................................. 4
A / Un moyen de coordination par la hiérarchie (Ronald Coase) ....................................... 5
B. La théorie des coûts de transaction ........................................................................................... 5
C. Intérêts et limites de la théorie des coûts de transaction............................................... 11
III. la firme comme « nœud de contrats » (approches contractuelles) : une
reformulation de la théorie néoclassique ...................................................................................... 12
A. La théorie des droits de propriété (DP) ................................................................................ 13
B. La théorie de la propriété appliquée à la firme : la firme comme « nœud de
contrats » ................................................................................................................................................ 14
C. La théorie de l’agence : un essai reformulation générale ............................................... 15
D. Intérêts et limites des théories contractuelles ................................................................... 18
E. Un cas d’application : l’affaire Enron ...................................................................................... 19
IV. Les approches cognitivistes : une approche de la firme par les compétences .......... 21
A. La théorie des compétences et la croissance de la firme ................................................ 21
B. La théorie évolutionniste et l’innovation.............................................................................. 26
V. Une approche historique des formes d’entreprise : de la firme traditionnelle à la
firme-réseau .............................................................................................................................................. 29
A. De l’entreprise traditionnelle à la firme managériale...................................................... 29
B. De la firme A à la firme J .............................................................................................................. 31
C. La firme-réseau : une architecture pyramidale .................................................................. 32
Mots-clés : firme « boite noire » (= firme-point) ; automate maximisateur (Baumol) ; « as if »
(Friedman) ; Le « pantin abstrait » de Machlup ; analyses transactionnelles ; les coûts de
transaction (Coase, Williamson) ; rationalité limitée (Simon) ; opportunisme ; structures de
gouvernance (Williamson) ; approches contractuelles ; nœud de contrats ; théorie des droits
de propriété ; créancier résiduel ; la théorie de l’agence ; relation d’agence ; coûts d’agence ;
approches cognitivistes ; les approches cognitivistes ; la théorie des compétences ; ressources
(Penrose) ; diversification cohérente ; activités complémentaires/similaires (Richardson) ; la
théorie évolutionniste ; les routines (Winter, Nelson) ; régime technologique (Winter) ; firme
U ; firme M ; Firme A ; Firme J ; firme-réseau.
1
Bibliographie :
Alchian, Klein, Crawford et, « Vertical Integration, Appropriable Rents and the Competitive
Contracting Process », in Journal of Law and Economics (1978)
Alchian, Demsetz « Production, information costs, and economic organization », in American
Economic Review (1972)
Alchian, Woodward, « Reflections on the Theory of the Firm », in Journal of Institutional
and Theoretical Economics (1987)
Aoki Masahiko, « Toward an Economic Model of Japanese Firm » in Journal of Economic
Literature (1990)
Baudry Bernard, « L’économie de la firme » (2003)
Baudry Bernard, « L’économie des relations interentreprises » (2005)
Berle Adolph, Means Gardiner, in « The Mondern Corporation and Private Property » (1932)
Chandler Alfred « La main visible des managers » (1977)
Coase Ronald, « The Nature of the Firm », in Economica (1937)
Fama, Jensen, « Separation of Ownership and Control », in Journal of Law and Economics
(1983)
Friedman Milton, « Essays in Positive Economics » (1953)
Granovetter Mark, « Economic Action and Social Structure : The Problem of Embedness » in
American Journal of Sociology (1985)
Jensen Michael, Meckling William, « Theory of the firm: Managerial behavior, agency costs,
and capital structure » in Journal of Financial Economics (1976)
Lester Richard, « Shortcomings of Marginal Analysis for Wage-employment Problems », in
American Economic Review (1946)
Machlup Fritz, « Essai de sémantique économique » (1972)
Nelson Richard, Winter Sydney « An Evolutionary Theory of Economic Change » (1982)
Penrose Edith, « The Theory of Growth of the Firm » (1959)
Richardson Georges, « The Organisation of Industry » in The Economic Journal (1972)
Williamson Oliver, « Comparative Economic Organization : Analysis of Discrete Structural
Alternatives » (1991)
Williamson Oliver, « Markets and Hierarchy » (1975)
Winter Sydney « Schumpetarian Competition in Alternative Technological Regimes » dans la
revue Journal of Economic Behavior and Organization (1984)
2
I. Le point de départ de l’analyse économique : dans une
perspective néoclassique, la firme est une « boîte noire » (ou
firme-point)
3
Pourquoi conserver une théorie qui s’appuie sur des hypothèses très restrictives et qui
ne rend pas compte du fonctionnement des entreprises ?
Il y a au moins deux types de réponses possibles :
-
-
Le « As if » de Milton Friedman : dans « Essays in Positive Economics » (1953),
Milton Friedman estime que l’aspect irréaliste des hypothèses de l’analyse
néoclassique ne remet pas en cause sa pertinence puisque ses prédictions sont
correctes. En effet, d’après lui, la sélection « naturelle » qui s’opère sur les marchés ne
permet qu’aux entreprises qui maximisent leur profit de survivre. Dès lors, peu
importe les hypothèses de la théorie du producteur à partir du moment où ce modèle
aboutit à la même conclusion que ce qu’on peut observer dans la réalité, à savoir que
seules les entreprises qui maximisent leur profit réussissent. Friedman justifie la
théorie du producteur, malgré des hypothèses irréalistes, et recommande de faire
« comme si » les entreprises maximisaient leur profit.
Le « pantin abstrait » de Machlup : Dans « Essai de sémantique économique »
(1972), Fritz Machlup affirme qu’on ne peut pas reprocher à l’analyse néoclassique de
la firme d’être une « boîte noire » puisque ce n’est pas son objectif. La théorie du
producteur prend place dans un ensemble théorique plus large qui est celui de
l’équilibre général. La théorie du producteur constitue un maillon de la théorie de
l’équilibre général dont le but premier est de montrer que cet équilibre est possible.
Elle n’a pas pour but de décrire fidèlement le comportement d’une entreprise.
Machlup écrit alors que « la firme néoclassique est un pantin abstrait sorti d’une
éprouvette intellectuelle et arbitrairement doté de quelques traits humains, choisis
d’après les services qu’il pouvait rendre dans un certain type d’explication », en
l’occurrence, la théorie de l’équilibre général.
Plusieurs courants se sont distingués de l’analyse néoclassique pour faire de la firme un objet
central de l’étude et non pas un outil au service d’une théorie plus large.
II. Les approches transactionnelles : firme ou marché ?
Les analyses transactionnelles constituent une des premières alternatives à l’analyse
néoclassique. Elles démarrent avec l’article fondateur de Ronald Coase en 1937 « The
Nature of the Firm ». Elles ont pour objectif d’expliquer les déterminants du choix de
l’alternative entre la firme et le marché. Autrement dit, dans quelle mesure, pour fabriquer
un même produit, une entreprise a-t-elle intérêt à le faire elle-même ou à l’acheter sur le
marché auprès d’une autre entreprise ?
Ces approches présentent un double intérêt. D’une part, elle permet d’ouvrir la « boîte
noire » de la firme néoclassique en étudiant les déterminants du choix de la structure de
gouvernance (firme, marché, structure hybride). D’autre part, elle permet également de penser
la question des frontières de l’entreprise. Jusqu’où l’entreprise doit croître en fabricant ellemême les produits qu’elle vend ? Où commence sa relation au marché et, partant, aux autres
entreprises ?
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A / Un moyen de coordination par la hiérarchie (Ronald Coase)
B. La théorie des coûts de transaction
Dans « Markets and Hierarchy » (1975), Williamson concentre son analyse sur les coûts de
transaction, en considérant le processus productif comme un ensemble d’étapes
technologiquement séparables. La transaction est alors le transfert d’un bien ou d’un service,
résultat d’une étape, vers l’étape suivante, transfert éventuellement coûteux.
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1. L’origine des coûts de transaction
Première étape du raisonnement, Williamson définit les facteurs à l’origine des coûts de
transaction. Il y a deux types de facteurs : ceux liés aux comportements humains et ceux liés
aux caractéristiques (que Williamson nomme « attributs ») des transactions.
Concernant les comportements humains, Williamson formule une double hypothèse :
-
-
La rationalité limitée : ce concept forgé par Herbert Simon 1 suppose que les
capacités physiologiques des individus sont trop réduites pour recevoir, emmagasiner
et traiter une information riche et complexe. Dès lors, les individus ne peuvent traiter,
contrairement à hypothèse des néoclassiques, l’ensemble des alternatives présentes et
futures qui s’offrent à eux pour choisir l’option qui maximise leur utilité. Les
individus arrêtent leur décision lorsqu’ils sont satisfaits d’une situation.
L’opportunisme : la rationalité limitée des individus fait que les contrats qu’ils
établissent entre eux sont incomplets. Il en résulte de possibles comportements
opportunistes. L’opportunisme peut être ex ante et poser des problèmes de sélection
adverse2 ou ex post et soulever des problèmes d’aléa moral3.
Concernant les caractéristiques des transactions,
susceptibles de générer des coûts de transaction :
-
Williamson établit trois facteurs
La spécificité des actifs : un actif est spécifique lorsqu’il est le produit d’un
investissement de long terme qui ne peut être déployé pour une autre finalité que celle
pour laquelle il était initialement prévu. Autrement dit, un actif spécifique n’est pas
redéployable pour une autre transaction. Il y a 5 catégories d’actifs spécifiques :
 Actifs physiques spécifiques : ce sont les équipements destinés à une
utilisation exclusive bien précise (les rails de chemin de fer)
 Actifs humains spécifiques : certaines compétences acquises par la
main-d’œuvre, qui ne peuvent pas être utilisées à leur plein potentiel
dans un autre emploi (les conducteurs de bateaux sur le Rhin).
 Actifs spécifiques géographiques : il s’agit d’actifs indissociables de
leur localisation géographique (mines).
 Actifs dédiés qui répondent à une commande bien précise d’un acheteur
(un système d’information entre un client et un fournisseur)
 Actifs incorporels : ils désignent tout ce qui est immatériel : brevets,
fonds de commerce, marques. Par exemple, un brevet d’invention sur
un produit donné n’est d’aucune utilité pour fabriquer un bien.
Le degré de spécificité est une variable cruciale. Si les actifs n’ont aucun caractère
spécifique, les contrats peuvent en permanence être confiés à un concurrent : un
1
Sciences des systèmes, sciences de l’artificiel (1991)
La sélection adverse a lieu avant la signature du contrat. L'une des deux parties contractante n'a pas la
possibilité de connaître toutes les caractéristiques du produit, ce qui la conduit parfois à sélectionner des produits
de mauvaise qualité. La sélection adverse ou anti-sélection se manifeste par la difficulté pour le client
d’appréhender : Le niveau de compétence et d’expérience des fournisseurs ; l’adéquation du produit ou des
compétences du fournisseur à ses besoins ; le contenu et la qualité du produit ou du service
3
A la différence de la sélection adverse, l'aléa moral a lieu après la signature du contrat : l'assuré peut changer de
comportement après signature du contrat et ne pas le respecter pour améliorer sa situation, ce qui n'était pas
nécessairement prévisible et très difficile à évaluer pour l'assureur.
2
6
constructeur automobile peut sans doute changer du jour au lendemain de fournisseur
de boulons. En revanche, si les actifs sont spécifiques, il y a un risque de
comportement opportuniste et de coût irrécupérable pour les parties prenantes.
Supposons un constructeur automobile (= donneur d’ordre) demande à un fabricant (=
le sous-traitant) d’acheter une machine (= actif spécifique) très spécifique pour lui
créer une boîte de vitesse qui n’est utilisable que sur un modèle de la marque. Le
constructeur peut, de manière opportuniste, menacer le fabricant de rompre le contrat
s’il ne baisse pas le prix unitaire de la boîte de vitesse. Le sous-traitant est fortement
incité à accepter une baisse du prix s’il ne veut pas perdre l’ensemble des fonds
engagés pour acheter la machine. Inversement, le sous-traitant peut se comporter de
manière opportuniste : il peut demander au donneur d’ordre une hausse du prix de la
boîte à vitesse qu’il est le seul à fabriquer. Le donneur d’ordre est fortement incité à
accepter cette proposition de peur de ne pas trouver d’autre fabricant peu motivé à
l’idée d’acheter une machine spécifique.
-
-
L’incertitude : On peut distinguer trois niveaux d’incertitude (certitude) : quand
l’avenir est certain, comme dans le modèle néoclassique, le risque d’opportunisme
disparaît. Les entreprises connaissent le futur et peuvent faire des choix qui
maximisent leur utilité. Quand l’avenir est faiblement incertain, les entreprises ne
connaissent pas avec exactitude le futur. Ils ne peuvent que raisonner en termes de
probabilité. Chaque choix est pondéré par un niveau de probabilité (« si je fais ce
choix, il est probable qu’il arrive… »). Quand il y a une incertitude radicale, les
entreprises ne peuvent même pas mesurer l’incertitude car elles ne connaissent rien du
futur. Les entreprises a de grandes difficultés pour effectuer des choix qui maximisent
son utilité. Par exemple, une entreprise agroalimentaire ne saura pas ce que mangeront
les consommateurs dans 10 ans et hésitera sur la stratégie industrielle à mener.
La fréquence : lorsque la fréquence des transactions est faible, le risque
d’opportunisme est très faible, voire nulle s’il n’y a aucune transaction, même si
l’incertitude est radicale et l’actif très spécifique. A l’inverse, si la fréquence des
transactions est élevée, le risque d’opportunisme est plus fort.
Schéma n°1. La théorie des coûts de transaction de Williamson
7
2. Les déterminants du choix marché-firme
Deuxième étape du raisonnement, il convient d’évaluer l’aptitude des différents modes
de coordination à économiser les coûts de transaction. Williamson nomme ces modes de
coordination « structures de gouvernance », la gouvernance étant le cadre contractuel
explicite ou implicite dans lequel se situe la transaction. Si l’on s’intéresse à l’alternative
entre la firme et le marché, alors il faut voir dans quel cas les coûts de transaction sont les plus
faibles.
Williamson fait l’hypothèse que les transactions se caractérisent le plus souvent par un degré
suffisant d’incertitude et une fréquence élevée. En bloquant les valeurs de ces deux variables,
le choix d’intégrer ou de passer par le marché dépend de la spécificité des actifs. Lorsque
les actifs sont faiblement spécifiques, les acteurs ne sont pas incités à intégrer car le risque
d’opportunisme est faible et que le marché évite les distorsions bureaucratiques et délivre de
meilleures incitations. En revanche, à mesure que la spécificité croît, le risque d’opportunisme
ex post grandit : une des parties prenantes peut ne pas avoir intérêt à suivre les clauses du
contrat ; l’autre partie risque de se retrouver à supporter des coûts irrécupérables. Au-delà
d’un certain niveau de spécificité, ce risque d’opportunisme ex post incite le donneur d’ordre
à intégrer ex ante pour annuler le risque d’opportunisme.
Williamson intègre dans son raisonnement non seulement les coûts de transaction, mais
également les coûts de production. Or, pour lui, le marché permet, comparativement à
l’intégration, de diminuer les coûts de production puisqu’il est en mesure de réaliser des
économies d’échelle et des économies de gamme. Les économies d’échelle signifient que le
coût de production unitaire diminue lorsque le volume de production augmente. Les
économies de gamme signifient que les coûts unitaires de fabrication de deux biens x et y sont
plus faibles lorsqu’ils sont réalisés par la même entreprise, plutôt que lorsqu’ils sont produits
par deux entreprises différentes, en raison notamment des synergies possibles à certaines
étapes du processus (RD, marketing…). Par exemple, si un même fabricant de pneumatiques
(ex : Michelin) approvisionne plusieurs constructeurs automobiles, son échelle de production
est nécessairement plus grande que celle qu’assurerait chacun des constructeurs automobiles
s’il intégrait cette fabrication de pneumatiques. Dès lors, les économies d’échelle et de
gamme de Michelin sont plus importantes, ce qui permet de diminuer potentiellement le coût
8
de production. Les constructeurs automobiles ont intérêt à choisir le marché si Michelin
propose des prix compétitifs.
Le marché ne permet de réaliser des économies d’échelle et de gamme que si les actifs ne
sont pas trop spécifiques. En effet, plus les actifs sont spécifiques, plus il est difficile
d’agréger les demandes. Par exemple, Michelin peut difficilement agréger les demandes de
Renault ou Volkswagen si chacun des constructeurs automobiles demande des pneus
spécifiques. Ainsi, au-delà d’un certain niveau de spécificité, l’avantage du marché en termes
de coûts de production, comparativement à l’intégration, disparaît.
3. Un approfondissement : marché, firme et structure hybride
Au départ, Williamson s’est intéressé comme Coase à l’alternative firme ou marché. Mais,
dans un article de 1991 « Comparative Economic Organization : Analysis of Discrete
Structural Alternatives », in 1991 « Comparative Economic Organization : Analysis of
Discrete Structural Alternatives »,, il souligne qu’entre ces deux « structures de
gouvernance », il existe tout un ensemble de structures hybrides comme l’octroi d’une
licence, la sous-traitance, création d’une joint venture (cf Schéma n°2)
Schéma n°2. Du marché à la hiérarchie pure : les structures hybrides.
9
Williamson s’est intéressé par la suite à ces formes de structures hybrides. Pour les étudier, il
fait l’hypothèse d’une incertitude forte. Il distingue alors quatre structures de gouvernance
selon la fréquence (occasionnelle ou récurrente) et le degré de spécificité des actifs :
-
Lorsque les actifs sont non spécifiques, que la fréquence soit occasionnelle ou
récurrente, on passe par le marché ; Williamson d’une « contractualisation
classique » ;
Lorsque les actifs sont hautement et la fréquence élevée, voire au-delà d’un certain
degré de spécificité, quand la fréquence est plus faible, on passe par la firme ;
Williamson parle d’une « gouvernance unifiée » ;
Lorsque les actifs sont moyennement spécifiques, la structure de gouvernance est soit
bilatérale ou trilatérale. Si la fréquence est occasionnelle, la gouvernance trilatérale
consiste à mettre en place un contrat à long terme qui inclut des règles d’adaptation en
désignant un arbitre qui sera chargé de régler les problèmes à venir. Si la fréquence est
élevée, une gouvernance bilatérale est mise en œuvre : non seulement elle inclut des
règles d’adaptation mais vise plus largement à transformer la relation en une « minisociété » avec un vaste étalage de normes. A la différence de la gouvernance
trilatérale, tout n’est pas écrit dans le contrat initial. Par ailleurs, les parties prenantes
restent autonomes. Si elles perdent cette autonomie, on passe à une forme de
« gouvernance unifiée ».
On peut illustrer cette théorie des structures de gouvernance hybride par l’exemple de
General Motors et Fisher Body4. En 1919, GM avait signé un contrat avec le fabricant de
carrosserie Fisher stipulant la fabrication exclusive pour GM. GM imposa également à Fisher
de localiser ses usines à proximité à côté de celles de GM pour réduire les coûts de transport.
La fabrication de carrosseries par Fisher constitue un actif hautement spécifique à double
titre : les carrosseries fabriquées ne conviennent qu’à des voitures GM et ils sont
géographiquement situés à un endroit précis. Comme par ailleurs, la fréquence est élevée et
l’incertitude forte, le risque d’opportunisme est élevé. Dans ces conditions, Fisher refusa la
colocalisation et répugna à signer le contrat à court terme, craignant d’être à la merci de GM
4
Cet exemple est développé par Klein, Crawford et Alchain en 1978 dans « Vertical Integration, Appropriable
Rents and the Competitive Contracting Process », in Journal of Law and Economics.
10
lors du renouvellement et de se retrouver avec des « coûts irrécupérables ». GM refusa
également de signer le contrat à court terme car elle craignait d’être à la merci de Fisher. Une
solution fut trouvée dans un premier temps : GM et Fisher signèrent un contrat de 10 ans,
comprenant une formule spécifique de fixation des prix durant cette période. Cependant, après
1919, la demande s’était modifiée et le coût des carrosseries parût trop élevé à GM. GM
refusa de signer le contrat de 10 ans. Le contrat n’était donc pas parfaitement adapté à cause
de l’impossibilité de prévoir les clauses adaptées à l’évolution des prix ; il y avait une
incomplétude du contrat. GM finalement absorba Fisher en 1926, ce qui lui permit de réduire
les coûts de transaction. On voit comment la fréquence élevée des transactions et la
spécificité des actifs rendent caduque une structure de gouvernance hybride et nécessaire une
gouvernance unifiée.
Tableau n°1. Marché, firme et structures hybrides chez Williamson
C. Intérêts et limites de la théorie des coûts de transaction
La théorie des CT présente plusieurs intérêts :
-
-
-
Le principal intérêt de la théorie des CT est de proposer une explication de la firme
par les défaillances du marché dérivant des imperfections et asymétries
d’information. La firme constitue une alternative au marché lorsque les coûts de
transaction sont élevés. Coase a eu le mérite d’initier cette réflexion, Williamson celui
de l’approfondir. Pour ce faire, Williamson a mis l’accent sur plusieurs notions
centrales de cette approche théorique : l’opportunisme, la spécificité des actifs, la
rationalité limitée ;
Williamson peut ainsi proposer une analyse dynamique de l’opportunisme et des
rapports contractuels. Il s’agit pour lui de mettre en évidence l’importance des
processus de prise de décision et du déroulement dans le temps des rapports
contractuels. Il peut ainsi souligner l’importance de l’opportunisme ex post avec l’aléa
moral ;
La théorie des CT offre une analyse plus fine des comportements individuels et des
interactions entre ces comportements que l’analyse néoclassique :
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Elle est à la fois plus réaliste que la théorie néoclassique par les hypothèses
que retient Williamson (rationalité limitée, information imparfaite) et les
conclusions théoriques qu’elle en tire ;
o Elle est également plus dynamique en ce qu’elle rend compte des changements
de relations entre les agents à travers des formes contractuelles diverses (firme,
marché). L’analyse néoclassique propose elle une approche surtout statique.
o
La théorie des CT se heurte toutefois à plusieurs limites :
III. la firme comme « nœud de contrats » (approches
contractuelles) : une reformulation de la théorie néoclassique
Alors que les analyses transactionnelles mettent l’accent sur les coûts de transaction comme
déterminants de la structure de gouvernance, les analyses contractuelles s’appuient sur les
coûts d’agence pour montrer comment s’impose en toutes circonstances la configuration
contractuelle la plus efficiente pour réduire ces coûts. La firme est ici vue comme un
« nœud de contrats » au sens où les agents économiques nouent uniquement des relations
bilatérales entre eux à travers des contrats.
Ces approches contractuelles ont surtout été développées dans le cadre de la théorie de
l’agence, mais cette dernière s’inspire de la théorie des droits de propriété qu’il faut donc
également présenter.
12
Le principal intérêt de ces approches contractuelles réside le fait qu’elles approfondissent
l’analyse néoclassique tout en conservant ses fondements essentiels. Elles constituent une
reformulation plus précise et réaliste de l’analyse néoclassique.
A. La théorie des droits de propriété (DP)
La théorie des droits de propriété suppose que les relations économiques ne portent pas sur
des échanges de biens matériels, mais sur des échanges de DP sur des objets. Tout échange
entre agents peut être considéré comme un échange de droits de propriété sur des objets.
Le droit de propriété peut être défini comme « un droit socialement validé à choisir les
usages d’un bien économique » (Armen Alchian, S. Woodward, « Reflections on the Theory
of the Firm », in Journal of Institutional and Theoretical Economics, 1987) :
-
-
Par « usages », on entend les trois types d’usage d’un bien : l’usus (droit d’utiliser un
bien, de le consommer ou de le détruire), le fructus (droit d’exploiter économiquement
un bien et d’en tirer une rémunération), l’abusus (droit de céder définitivement à un
tiers la ressource).
Par « socialement validé », on entend le cadre social (normes, valeurs) et juridique
(lois) dans lequel les trois types d’usage sont exercés.
Autrement dit, lorsqu’un agent dispose de la propriété d’un bien, il est libre de le consommer
(usus), d’en tirer un revenu (fructus) ou de le céder de manière définitive (abusus).
Il découle de cette définition que les droits de propriétés privés sont partitionnables,
séparables et aliénables de sorte que différents agents peuvent avoir des droits distincts sur
un même actif. Par exemple, le propriétaire d’un immeuble a le droit de l’utiliser, d’en tirer un
revenu par la vente, ou de céder temporairement le droit d’usage moyennant un contrat de
location.
Dans ce cadre théorique, la théorie des DP se structure autour de deux niveaux d’analyse :
 une analyse positive : elle consiste à expliquer comment les comportements des agents
économiques sont influencés par les différents systèmes de DP et quelles en sont les
conséquences sur le bien-être social et/ou les processus économiques.
Ainsi :
-
au niveau du comportement individuel : le fait de mettre en place des droits de
propriété sur des ressources augmente-t-il l'incitation à les exploiter efficacement ?
au niveau des organisations : la séparation entre les fonctions de propriété et de
contrôle dans l'entreprise accroît-elle leurs performances ?
au niveau du système économique: quel est l'impact des privatisations ou les
nationalisations ? de la brevetabilité du vivant ?...
 Une analyse normative : elle cherche à déterminer quel est le système de DP permettant
d’atteindre l’optimum social.
Deux approches différentes envisagent cette question :
13
-
-
La théorie néoclassique standard vise alors à démontrer la supériorité du système de la
propriété privée et la nécessité d’étendre ce système à tous les domaines de l’activité
économique (privatisation du secteur public, brevetabilité de tous les champs de la
connaissance, etc.).
A l’inverse, la théorie néo-institutionnelle propose de mener des analyses au cas par
cas pour comparer les différents arrangements institutionnels faisables et déterminer
celui qui minimise les coûts de transaction (tant au niveau institutionnel que privé).
Différents types de régimes de propriété existent dans les faits. Ils découlent en partie des
caractéristiques de « partageabilité » et de « partitionabilité ». Il existe différentes typologies
plus ou moins étendues. La plus classique distingue 4 régimes de propriété : privée,
commune, publique (étatique) et l’absence de propriété (open access).
-
-
-
la propriété privée (res privataes) correspond à la propriété détenue par les individus
titulaires de droits d’utilisation (admis par la loi), de transfert et d’exclusion des autres
de la ressource. Exemple : un vêtement ou un logement.
la propriété commune (res communes) est possédée par plusieurs personnes, aucune
d’entre eux ne pouvant exclure les autres mais chacun pouvant exclure les nonpropriétaires. Exemple : les parties communes d'un immeuble privé (escalier,
ascenseur, hall d'entrée, local à poubelles…).
la propriété publique (étatique) (res publicae) est une forme étendue de propriété
collective (possédée théoriquement par tous les citoyens mais en fait, contrôlés par les
élus ou les bureaucrates qui déterminent librement les conditions d’utilisation et
d’exclusion.
l’absence de propriété (open access) (res nullius) caractérise une situation où personne
ne détient de droits de propriété sur la ressource et ne peut ni la vendre, ni exclure les
autre du bénéfice de cette ressource : tous les individus ont alors le droit de l’utiliser.
Exemple : l'air.
La théorie des DP a souvent pour objectif de montrer la supériorité des systèmes de
propriété privée sur toutes les formes de propriété collective dans la mesure où ils créent une
incitation au travail, à la production de richesses, à la conservation et valorisation des actifs.
Par exemple, les individus ne sèmeraient pas le blé s’ils ne pouvaient pas le récolter par la
suite. De la même manière, les individus ne seraient pas incités à accroître leur productivité
s’ils ne possédaient pas les champs et ne pouvaient s’enrichir davantage.
B. La théorie de la propriété appliquée à la firme : la firme comme « nœud de
contrats »
L’application de cette théorie des DP à l’analyse de la firme repose sur l’idée que la nature
de la firme et son organisation dépendent de la définition des droits de propriété que
fixent entre eux les agents économiques (managers, actionnaires, employés…) qui la
composent. Ces droits de propriété définissent le rôle de chacun des agents économiques au
sein de la firme. Ils résultent des contrats qu’établissent entre eux les agents économiques de
la firme. C’est la raison pour laquelle on qualifie cette approche de la firme de « nœud de
contrats ».
Cette approche de la firme comme « nœud de contrats » est défendue par Armen Alchian
(1914) et Harold Demsetz dans un article de 1972 « Production, information costs, and
economic organization », in American Economic Review. Dans cet article, ils démontrent
l’efficience de la firme capitaliste. Pour eux, la firme est une « production en équipe » au
14
sens où cette production résulte de la coopération entre différents agents, autrement dit entre
différentes ressources qui ne sont pas détenues par une même personne, sans qu’il soit
possible de mesurer la contribution individuelle de chacune. Cette impossibilité à mesurer la
productivité de chaque agents de l’équipe créé une situation propice aux comportements de
passager clandestin : chacun est incité à en faire le moins possible en bénéficiant du travail
des autres sans que cela se voit.
L’efficience de la firme capitaliste réside dans sa capacité à éviter ces phénomènes de
passager clandestin. Pour ce faire, les agents qui la composent établissent entre eux des
contrats qui fixent les droits de propriété nécessaires à la prévention de ce comportement de
« tire au flanc ».
C’est en ce sens qu’apparaît le rôle d’un agent essentiel dans la lutte contre les
comportements de passager clandestin : le « moniteur ». Le « moniteur » est celui qui se
spécialise dans le contrôle des performances de l’équipe. Il reste alors à se demander
comment le comportement du moniteur lui-même sera contrôlé. S’il a le même statut que les
autres, il risque de tirer au flanc. Il faut donc lui accorder de manière contractuelle un statut
particulier avec des droits de propriété spécifique. Alchian et Demsetz lui accorde les droits
de propriété suivants :
-
être le « créancier résiduel »
le droit d’observer et de contrôler le comportement des détenteurs de ressources
membres de l’équipe ;
le droit exclusif à être dans un rapport contractuel avec tous les détenteurs de
ressources ;
le droit de changer la composition de l’équipe, c’est-à-dire renégocier le contrat de
chaque membre indépendamment des contrats passés avec les autres ;
le droit de vendre ces droits, c’est-à-dire de vendre le statut particulier qu’il détient.
L’ensemble de ces droits confère au « moniteur » le statut d’employeur et de propriétaire de la
firme capitaliste, c’est-à-dire de la firme dirigée par un propriétaire unique qui a le pouvoir
d’embaucher, de licencier et de diriger les travailleurs qui reçoivent un salaire fixé par contrat.
Le droit de « créancier résiduel » est essentiel car il incite le propriétaire à rendre la
firme la plus efficiente possible. En effet, ce droit permet au propriétaire de percevoir « le
rendement résiduel » résultant de la production, c’est-à-dire ce qui reste une fois payés les
différents fournisseurs de ressources (salaires…). Ainsi, plus la firme est efficiente, plus le
« rendement résiduel » est élevé et bénéficie au propriétaire.
La firme capitaliste apparaît comme une organisation efficiente en ce qu’elle créé un système
d’incitation et de contrôle efficace.
En comparaison, la firme publique apparaît comme une forme d’organisation moins
efficiente à cause du relâchement des droits de propriété. Par exemple, l’absence de droit
de « créancier résiduel » n’incite pas le gestionnaire à s’assurer de l’efficience de
l’organisation. N’étant pas bénéficiaire du « rendement résiduel », il n’est plus soumis au
système incitatif qui garantit l’efficacité de la firme capitaliste.
C. La théorie de l’agence : un essai reformulation générale
15
La théorie de l’agence montre comment s’impose en toutes circonstances la
configuration contractuelle la plus efficiente, notamment pour réduire les coûts d’agence.
16
On peut illustrer cette démarche par l’article de Fama et Jensen dans leur article « Separation
of Ownership and Control », in Journal of Law and Economics (1983). Les deux économistes
soulignent comment selon le degré de complexité organisationnelle, c’est la configuration
contractuelle de la firme individuelle ou de la grande société par actions qui s’impose. Avant
d’exposer cette théorie, il faut préciser qu’il distingue quatre phases dans tout processus de
décision : l’initiative, la ratification (validation de l’initiative prise), la mise en œuvre (de
l’initiative) et la surveillance et contrôle (de l’initiative mise en œuvre). On peut regrouper ces
quatre phases en deux fonctions : la fonction de gestion qui concerne l’initiative et la mise en
œuvre ; la fonction de contrôle qui concerne la ratification, la surveillance et le contrôle. Il
faut ajouter une troisième fonction qui concerne l’assomption des risques : cette fonction
désigne qui s’approprie le profit ou absorbe les pertes. Toute firme peut se définir par le mode
de combinaison de ces trois fonctions : gestion, contrôle et assomption des risques. Or, Jensen
et Fama soulignent que selon le degré de complexité d’une organisation, ces trois fonctions se
combinent différemment de manière à assurer l’efficience organisationnelle la plus forte.
Ainsi :
-
-
L’organisation non complexe se caractérise par le fait que les informations
spécifiques utiles à la prise de décision sont détenues par un ou un petit nombre
d’agents. Dans ce cas, pour que l’organisation soit efficiente, il est préférable
d’attribuer simultanément les fonctions de gestion et de contrôle à cet (ces)
agent(s), soit les dirigeants de l’entreprise. Un problème d’agence se pose toutefois,
les créanciers résiduels (= les apporteurs de capitaux) sont confrontés à un risque de
comportement opportuniste de la part des dirigeants de l’entreprise. Les
créanciers résiduels ne disposent pas du pouvoir de contrôle puisqu’il est exercé par
les dirigeants de l’entreprise. Le meilleur moyen pour les créanciers résiduels de
réduire les coûts d’agence est de donner les droits sur les créances résiduelles aux
managers.
L’organisation complexe se caractérise par le fait que les informations spécifiques
utiles à la prise de décision sont concentrées entre les mains de différents agents. Dans
ce cas, pour que l’organisation soit efficiente, les fonctions de gestion et de contrôle
sont confiées à des agents différents spécialisés dans ces tâches. Un seul ou un petit
nombre d’agents ne peut gérer toutes les tâches de l’entreprise. Dans ces conditions,
les problèmes d’agence sont plus faibles que dans l’organisation non complexe.
Les créanciers résiduels sont donc moins confrontés à risque de comportement
opportuniste de la part des différents dirigeants de l’entreprise. De plus, les créanciers
résiduels sont souvent nombreux : les droits sur les créances résiduelles sont répartis
entre un grand nombre d’agents. Dans ces conditions, les créanciers résiduels ont
tout intérêt à déléguer les fonctions de gestion et de contrôle aux dirigeant de
l’entreprise car (i) il y a moins de risque de comportement opportuniste et (ii) qu’il
serait compliqué et coûteux pour tous ces créanciers résiduels d’assurer ces fonctions.
Ainsi, pour des questions d’efficience, qu’il s’agisse de la réduction des coûts d’agence de
l’efficacité productive, les trois fonctions de gestion, de contrôle et d’assomption des
risques sont concentrées entre les mains d’un ou d’un petit nombre de dirigeants d’une
organisation non complexe alors qu’elles sont séparées dans les organisations complexes.
Les organisations non complexes correspondent surtout aux firmes individuelles ou de
petite dimension où l’on peut effectivement constater, dans la réalité, que les fonctions de
gestion, de contrôle et d’assomption des risques sont assurées par un ou un petit nombre de
dirigeants. Les organisations complexes renvoient surtout aux grandes sociétés modernes.
Par exemple, les sociétés par actions « ouvertes » : les actionnaires n’interviennent pas dans le
17
processus de prise de décision ; il y a une séparation entre « la propriété » de l’entreprise
(fonction d’assomption des risques) et le pouvoir de décision (fonctions de gestion et de
contrôle).
Le cadre théorique qu’offrent les théoriciens de l’agence leur permet de démontrer :
D. Intérêts et limites des théories contractuelles
Le principal intérêt des théories des DP et de la théorie de l’agence réside dans le fait qu’elles
approfondissent l’analyse néoclassique tout en conservant ses fondements essentiels :
-
-
Elles intègrent des hypothèses plus réalistes. C’est le cas par exemple des asymétries
d’information. Dans l’analyse néoclassique, le producteur agit en information parfaite.
Or, les relations économiques se caractérisent davantage par une information
imparfaite qui créé les conditions de comportements opportunistes (sélection adverse,
aléa moral). De ce point de vue, la théorie des DP et la théorie de l’agence montrent
comment des formes organisationnelles se constituent spontanément pour réduire la
probabilité que de tels comportement interviennent (« moniteur » dans la théorie des
DP, baisse des coûts d’agence dans la théorie de l’agence).
En intégrant ces hypothèses, elles proposent une analyse plus fine de la firme qu’il
s’agisse des différentes formes de droit de propriété (cf Alchian, Demsetz, 1972), des
différentes formes d’organisation (complexe/non complexe), de la vision plus réalise
des rapports économiques en prenant en compte les intérêts divergents des agents. Les
théories des DP et de l’agence montrent comment des configurations contractuelles se
nouent pour que des agents économiques, aux intérêts divergents, trouvent des
compromis ;
18
-
Ces théories préservent toutefois les fondements de l’analyse néoclassique. Elles
refusent toute considération autre que celle des rapports entre individus (agents
économiques) dans le cadre de rapports bilatéraux. Dans cette perspective, toute idée
de hiérarchie ou de rapport de pouvoirs entre agents est évacuée. De la même manière
que l’autorégulation du marché conduit à un équilibre général, la possibilité d’établir
des systèmes de rapports contractuels libres conduit spontanément aux formes
d’organisation les plus efficientes.
E. Un cas d’application : l’affaire Enron
19
Le 16 octobre 2001, le courtier en énergie Enron annonce des résultats en forte baisse, liés à
des pertes sur des sociétés parallèles ayant servi à lever des capitaux. Le 2 décembre, la firme
se place sous la protection de la loi sur les faillites. Suite à la faillite, l’entreprise licencie 4
500 personnes, laisse une dette de plus de 40 milliards de dollars et fait disparaître les
économies de plus de 11 000 salariés. Avant la faillite, Enron était la 7ème plus grande
entreprise des Etats-Unis.
Il est possible de comprendre cette faillite à travers les apports de la théorie de l’agence :
-
-
-
Sur les causes de cette faillite, il semble qu’il y ait eu de fortes asymétries
d’information entre les managers et les actionnaires. Enron semble avoir procédé à un
ensemble de diversifications conglomérales, dont certaines étaient destinées à masquer
les dettes du groupe. Par exemple, Enron contrôlait le marché californien et argentin
de l’électricité, le tout-à-l’égout en Europe de l’Est, etc. Enron possédait également
des special purpose entities, dont les bilans étaient séparés du bilan de la tête du
groupe. Ce système a permis à Enron de masquer 800 sociétés localisées dans des
paradis fiscaux, dont certaines baptisés « Raptors » lui ont permis de dissimuler 500
millions de dollars de pertes.
Les actionnaires semblent ne rien avoir soupçonné car le cours du titre augmentait
régulièrement (env. 15%/an). Ensuite, parce qu’Enron a fait de la rétention
d’information et que le cabinet d’audit de l’époque Arthur Andersen n’a rien révélé
des dettes masquées. L’une des raisons tient au fait que le cabinet était à la fois chargé
de l’audit et du conseil du groupe et touchait 1 millions de dollars d’honoraires par
semaine. Arthur Andersen était à la fois juge et partie d’Enron. Il y avait un conflit
d’intérêt trop fort. C’est en ce sens que le cabinet (sa branche américaine) a été
condamné et interdit d’exercer le métier d’auditeur en 2002 pour avoir détruit des
documents lors d'une enquête de la Sec. Le manque d’information dont disposaient les
actionnaires les a empêchés de revendre leurs titres avant que l’affaire Enron n’éclate.
Dans ces conditions, la théorie de l’agence préconise plusieurs solutions pour
lutter contre ces asymétries d’information :
o La séparation des activités d’audit et de conseil pour éviter les conflits
d’intérêts et avoir une information plus transparente ;
o Harmoniser les normes comptables au niveau international pour en faciliter la
compréhension. En effet, la diversité des normes (100 000 pages de normes
comptables aux USA) et les possibilités de contourner ces normes créent des
asymétries d’information et une situation favorable à des comportements
opportunistes. Il y a aujourd’hui une tendance à l’harmonisation des normes
comptables dans le monde pour mieux contrôler l’information.
L’exemple d’Enron montre à quel point la lutte pour l’information est sans fin, notamment sur
les marchés boursiers où l’agent compose avec les structures d’incitation ou de contrôle
existantes pour se comporter de manière opportuniste, ce qui oblige le principal à modifier ces
structures pour mieux contrôler le principal.
20
IV. Les approches cognitivistes : une approche de la firme par les
compétences
A. La théorie des compétences et la croissance de la firme
1. Un précurseur : Edith Penrose
Dans un ouvrage paru en 1959 « The Theory of Growth of the Firm », Edith Penrose se
propose, comme Coase, de développer une théorie alternative à l’approche néoclassique de la
firme. Néanmoins, Penrose et Coase élaborent des théories de la firme différentes :
-
Elles ne partent de la même interrogation. Coase s’interroge sur les frontières de la
firme alors que Penrose s’interroge sur la croissance de la firme.
L’approche de Penrose est plus dynamique que celle de Coase. Penrose cherche à
savoir pourquoi la firme grandit, dans quelle direction se poursuit cette croissance et
quels sont les facteurs qui limitent son taux de croissance. L’approche de Coase est
plus statique puisqu’il s’intéresse à l’état de la firme à un moment donné lorsqu’il
cherche à connaître les frontières entre la firme et le marché, la taille optimale de la
firme. Dans la mesure où Penrose étudie la croissance de la firme, la question de la
taille optimale devient sans objet.
L’analyse de Penrose peut se résumer ainsi : après avoir défini l’entreprise, elle montre que
celle-ci se caractérise par des ressources en excès qui l’incitent à s’engager dans de
nouvelles activités, donc à diversifier sa production, et à croître. Le rythme de croissance
de l’entreprise ne se fait pas dans n’importe quelle direction ou n’importe quel sens puisqu’il
dépend de son histoire.
Reprenons les étapes de ce raisonnement les uns après les autres. Tout d’abord, Penrose
définit la firme comme une collection de ressources productives organisées dans un
cadre administré. Sa fonction est d’acquérir, d’organiser, selon des plans élaborés en son
sein des ressources matérielles, immatérielles et humaines afin de vendre de biens et services
sur le marché pour réaliser des profits. Pour bien comprendre ce que sont les ressources, il
21
faut les distinguer des services. Les ressources ne sont pas des facteurs de production ; elles
sont organisées dans l’entreprise de telle manière qu’elles fournissent des services qui servent
d’inputs. L’entreprise peut alors combiner des ressources différemment pour leur faire remplir
différents services.
L’entreprise se caractérise par des ressources en excès. Il y a deux raisons à cela :
-
-
Les ressources matérielles, immatérielles et humaines ne sont pas parfaitement
divisibles. Par exemple, certaines ressources matérielles s’achètent par lots (feuilles
pour imprimantes). De la même manière, on ne peut conclure un contrat de travail
pour n’importe quelle durée ;
A mesure qu’elle produit, l’entreprise accumule de l’expérience, améliore l’efficacité
de son processus productif, ce qui lui permet de dégager des ressources excédentaires.
Ces nouvelles ressources encouragent l’entreprise à diversifier ses activités et à croître.
L’utilisation de ces ressources dépend alors des perspectives de croissance de certains
secteurs d’activité, mais également des ressources dont elles disposent effectivement.
L’entreprise se diversifiera de manière privilégiée dans des secteurs à forte croissance qui
mobilisent les ressources qu’elle possède en interne. Penrose précise que l’entreprise perçoit
les opportunités externes de croissance et les ressources qu’elle possède en interne à travers
les « images » que s’en font les managers. Ces « images » correspondent aux représentations
des managers qu’ils ont construites dans le temps et avec l’expérience de l’entreprise.
L’entreprise ne choisit donc pas ses opportunités de diversification dans un ensemble qui
existerait en dehors d’elle. C’est d’abord son histoire qui contraint ses choix et rend cohérente
sa diversification.
Dès lors, il est important de bien comprendre l’histoire d’une entreprise, les « images »
qu’ont les managers pour interpréter les choix de diversification. Des activités sans lien
apparent vu de l’extérieur de l’entreprise peuvent s’expliquer logiquement vu de l’intérieur
qu’il s’agisse des « images » qu’ont les managers des ressources que possède l’entreprise ou
des « images » des opportunités externes que les managers perçoivent. Les choix de
diversification ont donc un sens vu de l’intérieur de l’entreprise. C’est la raison pour laquelle
Penrose parle de « diversification cohérente ».
22
Tableau n°2. Les différents types de relations interentreprises
Source : Olivier Bouba-Olga, économie de l’entreprise, 2003.
2. L’organisation de l’industrie selon Richardson
23
Schéma n°3. Les modes de coordination selon Richardson
Similaires
Complémentaires
Non similaires
Activités
Non
Complémentaires
Similaires
Intégration
verticale (firme)
Besoins de
coordination étroits
Coopération
Besoins de
coordination non
étroits
Marché
Diversification
cohérente
Lorsque les activités sont complémentaires et similaires, cela signifie que l’entreprise est
engagée dans une industrie et que les différentes étapes du processus du processus productif
réclament des compétences semblables. Dans ce cas, elle a intérêt à procéder à une
intégration verticale.
24
Lorsque les activités sont non complémentaires et similaires, cela signifie que l’entreprise
possède des compétences transposables à un autre secteur d’activités. Dans ce cas, il est
préférable qu’elle procède à une diversification cohérente au sens de Penrose ; la cohérence
relevant alors des compétences sous-jacentes de l’entreprise.
Lorsque les activités sont complémentaires et non similaires, cela signifie que l’entreprise
est amenée à se concentrer sur les étapes du processus productif qui mobilisent les
compétences qu’elle possède et, à travers une division du travail, à se coordonner avec les
autres entreprises qui disposent de compétences complémentaires pour assurer les autres
étapes du processus productif. Cette division peut alors prendre deux formes selon le besoin
de coordination : lorsque le besoin de coordination est étroit, l’entreprise a intérêt à
choisir la coopération ; lorsque le besoin de coordination est non étroit, l’entreprise doit
privilégier le marché. Les besoins de coordination sont d’autant plus étroits que :
-
-
-
les relations inter-entreprises sont qualitatives. Par exemple, si le partenaire potentiel
ne doit connaître que le nombre d’unités de biens à produire pour un client, les
besoins sont non étroits, l’entreprise choisit alors le marché. A l’inverse, les freins de
voiture sont spécifiques à chaque modèle : à chaque fois, il faut préciser finement les
caractéristiques du système de freinage, réaliser des essais à différentes étapes du
processus productif. Dans ce cas, l’entreprise privilégiera la coopération ;
les besoins sont non-anticipables. En effet, dans ce cas, les parties prenantes devront
réviser régulièrement leurs comportements pour s’ajuster aux évolutions, sans que cela
puisse être décidé. Par exemple, si un fournisseur ne sait pas à l’avance de combien de
marchandises son client a besoin, les deux entreprises devront coopérer par la création
d’un système informatique d’échange de données ;
les innovations introduites par les entreprises sont systémiques. Une innovation est
systémique lorsqu’elle est introduite à une étape du processus productif et qu’elle
implique une adaptation de l’ensemble des autres étapes. Dans ce cas, le besoin de
coordination est étroit et les entreprises ont intérêt à privilégier la coopération. A
l’inverse, lorsqu’une innovation est autonome, elle n’appelle pas d’adaptation aux
autres étapes. Dans ce cas, le besoin de coordination n’est pas étroit et le choix du
marché est préférable.
3. Un cas de diversification cohérente : Bic
25
B. La théorie évolutionniste et l’innovation
1. La trajectoire technologique des entreprises
26
L’importance qu’accorde la théorie évolutionniste aux compétences et aux routines de
l’entreprise montre à quel point elle estime, comme dans l’analyse de Penrose, que l’histoire
de la firme est essentielle pour comprendre son évolution. La stratégie, les choix qu’opère une
entreprise à un instant t sont fortement influencés par la position qu’elle occupe l’instant
d’avant. Les économistes parlent de « dépendance de sentier » pour qualifier cette influence.
Cette dépendance de sentier inscrit alors progressivement l’entreprise dans une trajectoire
technologique spécifique distincte de celle des autres entreprises.
Un exemple de dépendance de sentier : le clavier QWERTY
De nombreuses études montrent que le clavier Qwerty n’est pas le plus efficace pour écrire
rapidement. Pourtant, dans de nombreux pays, il est très largement répandu. Pourquoi ? En raison
d’une dépendance de sentier ! Tout commence dans les années 1870 lorsque plusieurs entreprises
vendirent ce clavier. Plusieurs contraintes incitèrent les vendeurs à utiliser cet ordre des touches :
il fallait pas que les tiges se chevauchent et, pour des raisons commerciales, les vendeurs devaient
pourvoir taper rapidement « Type Writer ». Depuis cette époque, les progrès de l’électronique
auraient permis de se passer de ce clavier et de proposer des claviers plus rapides. Or, ce
changement n’a pas eu lieu car le coût de transfert de cette technologie à une technologie plus
performante serait trop élevé (il faut le trouver le bon clavier, acheter de nouveaux claviers,
attendre que les salariés adoptent ce nouveau clavier…). La domination des claviers Qwerty qui
continue aujourd’hui est conditionnée par la situation passée. Le chemin pris hier détermine celui
pris aujourd’hui. C’est une dépendance de sentier.
Ainsi, pour résumer, la firme évolutionniste est définie par l’ensemble des compétences
individuelles et organisationnelles qu’elle possède. Ces compétences, dont une large partie est
tacite, sont mémorisées dans des routines par le biais d’un apprentissage. De ce fait,
l’entreprise est progressivement inscrite dans une trajectoire technologique spécifique.
27
2. Le régime technologique des entreprises
Plus large qu’une théorie de la firme, l’approche de Nelson et Winter vise à comprendre
l’évolution de l’industrie dans un contexte où l’innovation est déterminante. Pour ce faire,
Winter développe la notion de « régime technologique » dans un article de 1984
« Schumpetarian Competition in Alternative Technological Regimes » dans la revue Journal
of Economic Behavior and Organization. Le régime technologique, qui varie d’une industrie
à l’autre, concerne la nature des connaissances et la façon dont elles émergent dans
l’industrie. Winter distingue alors deux cas polaires entre lesquelles se trouve un continuum
de situations intermédiaires :
-
-
Les industries fonctionnant en régime routinier : dans ce cas, les connaissances et
compétences nouvelles sont le produit de l’expérience sur le marché car elles intègrent
une large composante tacite. Autrement dit, les entreprises ne peuvent acquérir des
compétences nouvelles que si elles ont déjà acquis de l’expérience sur le marché et
qu’elles sont en mesure d’approfondir les connaissances, essentiellement tacites,
qu’elles maitrisent déjà. Ce régime routinier favorise alors les firmes déjà en place
dans l’industrie qui sont capables d’innover parce qu’elles disposent des
connaissances passées déjà accumulées sous la forme de routines. Les innovations que
produisent ces firmes sont donc plutôt de nature incrémentale au sens où elles
améliorent les produits fabriqués mais sans radicalement en changer la nature. Comme
les innovations sont incrémentales, l’incertitude sur la valeur économique attendue de
l’exploitation est relativement faible ;
Les industries en régime entrepreneurial : à l’inverse du régime routinier, les
connaissances nouvelles sont très différentes des connaissances passées. Il n’est pas
nécessaire d’être en place sur le marché depuis longtemps pour innover. La
composante tacite des nouvelles connaissances est faible. Ce système favorise alors les
entreprises extérieures à cette industrie car, à la différence des firmes déjà en place,
elles ne sont pas piégées par l’inertie de leurs routines et, de ce fait, une dépendance
de sentier. Elles sont donc capables d’innover plus facilement. Leurs innovations sont
plutôt de nature radicale car elles rompent avec les produits précédemment fabriqués.
Comme les innovations sont radicales, la valeur économique attendue de l’exploitation
est plutôt élevée.
Ainsi, le régime routinier favorise les firmes déjà en place dans l’industrie, qui possèdent
les routines nécessaires à l’innovation à la différence des firmes nouvelles. A l’inverse, le
régime entrepreneurial privilégie les firmes nouvelles dans l’industrie contrairement aux
anciennes qui peuvent moins facilement à cause de leurs routines déjà bien établies qui
limitent leur marge de manœuvre.
28
Tableau n°3. Les régimes technologiques des entreprises
Régime
Entrepreneurial
Routinier
Innovations
Radicales
Incrémentales
Logique d’accroissement des
compétences
Elargissement
Approfondissement
Nature des connaissances
nouvelles
Codifiables
Tacites
Valeur économique attendue
Fortement incertaine
Faiblement incertaine
Lieu d’exploitation
Nouvelles entreprises
Entreprises en place
V. Une approche historique des formes d’entreprise : de la firme
traditionnelle à la firme-réseau
A. De l’entreprise traditionnelle à la firme managériale
Plusieurs économistes ont mis en évidence l’émergence de la firme managériale autour
des années 1920-1930 où le pouvoir des managers s’impose.
La première étude à mettre en évidence ce phénomène a été menée par Adolph Berle et
Gardiner Means en 1932 dans « The Mondern Corporation and Private Property ». Ils
proposent une étude des grandes sociétés de capitaux gérées et en partie contrôlées par les
managers. Il apparaît qu’en 1929 sur les 200 premières entreprises américaines (selon les
actifs nets), 44% sont sous le contrôle des managers car aucun actionnaire ne possède plus de
5% du capital. Menant la même étude en 1963 avec les mêmes critères, les auteurs soulignent
qu’elles sont 75% à être sous le contrôle des managers.
29
30
Schéma n°4. Les firmes U et M
B. De la firme A à la firme J
31
C. La firme-réseau : une architecture pyramidale
Dans le chapitre précédent, nous avons constaté que les entreprises avaient tendance à se
recentrer sur leur cœur de métier depuis les années 1980. Il s’agit à la fois d’en recentrage sur
les compétences clés de la firme pour affronter les nouvelles conditions concurrentielles, mais
également d’un recentrage financier sur les objectifs de rentabilité des investissements et les
intérêts de l'actionnaire (dividendes, cours de l’action).
Il résulte de ce recentrage l’émergence d’une nouvelle organisation des firmes : la firmeréseau. On peut alors se demander comment théoriser l’organisation de cette firme-réseau ?
Dans son ouvrage « L’économie des relations interentreprises » (2005), Bernard Baudry
identifie quatre critères pour caractériser une firme-réseau :
-
-
« elle regroupe contractuellement un ensemble de firmes (1) juridiquement
indépendantes (2) reliées verticalement (3), au sein duquel une firme principale,
qualifiée de firme-pivot, coordonne de manière récurrente des opérations
d’approvisionnement, de production ou de distribution. Ces opérations ne relèvent ni
du marché au sens strict, ni de la hiérarchie au sens strict, relèvent de relations
qualifiées de quasi-intégration ;
Les échanges intraréseau, donc entre les firmes qui composent le réseau, sont en
partie « hors marché », puisque les produits ne préexistent pas l’échange. Dès lors,
soit le produit existe sous forme de « plan » conçu par la firme-pivot et le fournisseur
se chargera de la fabrication, soit il n’existe que sous forme de besoin exprimé par le
client et c’est en commun que le client et le fournisseur effectueront la conception, le
fournisseur se chargeant ensuite de la fabrication. Le problème central de la firme32
-
-
pivot est dans ces conditions un problème d’organisation de la production ; elle doit :
1) rechercher des compétences dont elle ne dispose pas (ou plus si elle a externalisé
l’activité), et 2) corrélativement, il existe un impératif de coordination important ;
La conjonction des deux premières caractéristiques implique – en partie - la
troisième : au sein du réseau, la coordination interentreprise porte sur des activités
complémentaires non similaires, telles que Richardson les définit dans son article de
1972 ;
Enfin - et il s’agit du résultat de la répartition des tâches entre les firmes composant le
réseau – la firme-réseau, du point de vue de son architecture organisationnelle, est
fréquemment organisée sous une forme pyramidale composée de deux voire trois
niveaux ».
La firme-réseau se caractérise donc pour Baudry par une « architecture pyramidale » à
deux voire trois niveaux :
-
-
-
Le premier vendeur est appelé « sous-traitant/ concepteur » ou « soustraitant/fournisseur » ou sous-traitant de premier rang. Il bénéficie d’une grande
latitude vis-à-vis de la firme-pivot : celle-ci ne peut lui imposer un cahier des charges
fonctionnel, des contraintes dimensionnelles, une spécification des résultats, mais le
sous-traitant/concepteur dispose d’une grande autonomie dans la conception du
produit, qu’il peut élaborer conjointement avec la firme-pivot. Le soustraitant/concepteur est donneur d’ordres vis-à-vis des sous-traitants du second segment.
On peut donner l’exemple du secteur automobile : pour pouvoir être fournisseur direct
(équipementier), la firme doit être responsable de la qualité des produits livrés, livrer
en JAT (juste-à-temps), être capable de concevoir des produits nouveaux et de
travailler en collaboration avec les équipes de constructeurs ;
Le sous-traitant du second segment bénéficie d’une faible liberté par rapport au soustraitant/concepteur. Ce dernier lui confie un cahier des charges très détaillé. Le soustraitant de second rang n’est pas maître de la conception du produit. Il s’agit souvent
de PMI spécialistes dans une technologie qui propose un produit fini (une pièce…) ;
Un troisième niveau peut éventuellement compléter les deux premiers. Ce sont
principalement des petits sous-traitants travaillant à la commande sur des activités
banalisées.
La durée du lien et l’objet de la coordination change selon le niveau du segment :
-
-
La firme-pivot et le sous-traitant/concepteur nouent souvent une relation de longue
durée avec des contrats pluriannuels et l’objet de la coordination est
multidimensionnel : il ne s’agit pas de livrer une simple marchandise, mais d’échanger
de nombreuses informations sur le produits, d’être capable d’innover, de livrer JAT
dans une forte autonomie ;
Le sous-traitant du second segment noue avec le sous-traitant/concepteur une relation
de court terme qui peut prendre la forme d’un contrat mensuel ou annuel. L’objet de la
coordination se rapproche d’une simple marchandise puisque le cahier des charges est
souvent très précis.
La stratégie d’externalisation de la firme-réseau présente plusieurs avantages. Pour
Bernard Baudry, dans « L’économie de la firme » (2003) :
-
En externalisant, le client transfère au fournisseur les deux risques inhérents aux
investissements : le risque de surcoût lié au surinvestissement et le risque de souscapacité lié au sous-investissement ;
33
-
-
L’externalisation permet de réduire les coûts pour le client (la firme). Il y a deux
raisons à cela : les économies d’échelle que réalisent le fournisseur en travaillant pour
plusieurs entreprises ; les fournisseurs offrent souvent des salaires et avantages plus
faibles que la firme qui externalise (rôle de la concurrence entre les fournisseurs,
structures plus petites…)
La division du travail interfirme : chaque firme se spécialise dans un domaine de
production, acquière de l’expérience et peut accroître sa productivité.
La firme-réseau pourrait se heurter à des coûts de coordination élevés car l’organisation en
réseau nécessite une circulation de l’information importante. Ces coûts seraient plus élevés
que dans une firme intégrée qui, elle, a la capacité de centraliser l’information et de la diffuser
par la mise en place de canaux spécifiques à la firme. Cependant, les firmes-réseaux ont
recours à des « échanges électroniques de données » (EDI) qui facilitent la circulation de
l’information. Par exemple, la division avion d’Aérospatiale a mis au point à la fin des
années 1990 un logiciel nommé SPIDER dont l’objet est de rationaliser et d’ordonner la
production en traitant des pièces différentes par famille, depuis leur conception jusqu’à la
production. Ainsi, les réseaux entre clients et fournisseurs sont connectés. Cela permet
d’organiser la fabrication et la livraison des pièces dans les délais prévus.
Conclusion :
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