Contrairement à Walras et aux autres, Marshall a le souci d

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Histoire de la pensée économique
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Introduction générale
Il existe deux façons de faire de l'histoire de la pensée économique:
 La première dite relativiste ou culturaliste consiste à étudier les théories au sein des
contextes historiques, en rapport avec les enjeux, idées, sentiments de l'époque. Elle a donc
pour but de retrouver le sens perdu de ces théories. Cette méthode est limitée: impossibilité
pour le contexte historique d'expliquer à lui seul les idées économiques. Autrement dit, si les
idées étaient uniquement déterminées par le temps, le lieu et le milieu: comment alors
expliquer que le même contexte ait pu produire des idées différentes, voire parfois
totalement contradictoires et antagonistes?
 Il existe alors une seconde façon qui est de type analytique: étude des théories par rapport
aux enjeux d'aujourd'hui. On va juger les théories en fonction de la conception que l'on a
aujourd'hui en économie. Cette seconde méthode est souvent préférée à la première car elle
permet de rester dans une certaine actualité sans se perdre dans l'Histoire. Quand on procède
de façon analytique, on ne va pas étudier les théories et les auteurs de façon chronologique
mais plutôt sous la forme de grands courants, ce qui permet de retenir des auteurs que ce que
l'on considère comme valable. Leurs erreurs, notamment théoriques, sont aussi analysées car
elles peuvent permettre une certain compréhension.
Cette seconde manière de procéder est également limitée: on est souvent obligé d'être dans
l'impossibilité de voir la cohérence d'un auteur; de plus, on peut faire dire aux auteurs ce qu'ils n'ont
pas dit, en faisant comme ci deux propos identiques au plan analytique étaient équivalents au plan
théorique et cela, dans deux contextes historiques différents. Exemple: La distinction entre valeur
d'usage (utilité)/valeur d'échange (prix) d'une marchandise se retrouve déjà chez Aristote. Il s'agit
d'une équivalence analytique avec Adam Smith qui reprendre ce concept, mais cela ne veut pas dire
qu'il y a une équivalence théorique. Le danger d'une démarche analytique est l'anachronisme. Pour
éviter ce dernier, il faut réintroduire l'histoire, donc la première façon de faire de l'histoire de la
pensée économique.
=> L'histoire de la pensée économique est un compromis entre ces deux méthodes.
Plan du cours
I – Une histoire des idées économiques au XIXème siècle
A/ L'économie politique des classiques
ADAM SMITH, DAVID RICARDO, THOMAS ROBERT MALTHUS, JEANBAPTISTE SAY, KARL MARX
B/ La révolution marginaliste et théorie néoclassique
STANLEY GEVENS, KARL MENGER, LÉON WALRAS, ALFRED MARSHALL
C/ L'école historique allemande
Histoire de la pensée économique
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II – Une histoire des idées économiques au XXème siècle
A/ L'institutionnalisme américain et le néo-institutionnalisme
THOMAS VEBLEN, COMMONS ; WILLIAMSON, NORTH
B/ La révolution keynésienne
JOHN MAYNARD KEYNES
C/ Le monétarisme et les néoclassiques
MILTON FRIEDMAN, LUCAS, BARO
D/ La nouvelle économie keynésienne
Bibliographie générale
Marc Blaug, La pensée économique: origines et développement
Joseph A. Schumpeter, Histoire de l'analyse économique
Alain Barrère, Histoire de la pensée et de l'analyse économiques
Alain Beraud & Gilbert Faccarello, Nouvelle histoire de la pensée économique
Claude Jessua, Histoire de la pensée économique
Jean Boncoeur & Hervé Thouemont, Histoire des idées économiques
Histoire de la pensée économique
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Première partie
Une histoire des idées économiques au
XIXème siècle
L'analyse économique remonte à l'Antiquité et n'a donc pas débuté au XIXème siècle. Il y a
eu de nombreuses réflexions économiques produises par les Grecs, Aristote notamment; ensuite par
les pères de l'Eglise, au début du Moyen-Âge, dont une critique du prêt à intérêt, qui est, en fait,
dans le prolongement d'Aristote. A la fin du XVème siècle, on voit la naissance de la doctrine
mercantiliste, partisan d'un excèdent de la balance commerciale. On peut également faire référence
à François Quesnay, fondateur de la physiocratie, courant de l'histoire de la pensée économique
datant du milieu du XVIIIème siècle, née en France et qui ne s'est pas développée ailleurs. Quesnay
s'est rendu célèbre par son tableau économique publié en 1758 et dont les premières épreuves ont
été tirées par son célèbre patient (il était médecin), Louis XV.
A/
L'économie politique des classiques
La pensée économique ne commence donc pas avec les classiques et le premier d'entre eux:
Adam Smith. Il n'en demeure pas moins que la pensée de ce dernier fait rupture et doit être
considérée comme l'acte fondateur de la science économique moderne. En 1776, Adam Smith
publie Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations (La richesse des nations). Si
Smith constitue une rupture, cela tient tout d'abord à ce qu'à la différence de ses prédécesseurs, le
champ de l'économie est étudié dans toute sa généralité et non pas sous un unique aspect particulier.
L'économie devient ainsi un champ autonome de connaissance, indépendant de toutes
considérations morales, religieuses ou politiques. Tout ce qui a trait au fonctionnement d'une
économie moderne de marché (le problème des prix, de la division du travail, de la monnaie, des
capitaux ou de l'accumulation du capital, de l'équilibre sur un marché, de la répartition des revenus,
…) sont présents chez Smith. Ses idées, prises une par une, ne sont pas nouvelles. Ce qui est
novateur est en fait l'assemblage de ces idées et sa vision globale de l'économie. Adam Smith
instaure d'ailleurs l'économie politique: tous les économistes qui l'ont suivi ont commencé en le
lisant. Il a transmis ses concepts et ses problématiques à tous les autres, notamment sa réflexion sur
le problème de la valeur (et de la répartition), d'autant plus que Smith avoue qu'il ne l'a pas résolu.
Jusqu'à Keynes, la science économique va être travaillée par le problème de la valeur: c'est
l'influence majeure de Smith.
Smith est considéré comme le fondateur de la science économique moderne, mais il
peut aussi être considéré comme le fondateur d'un courant particulier: les classiques, qui va
dominer l'économie politique jusqu'à la fin du XIXème siècle, c'est-à-dire jusque dans les années
1870, date à laquelle le marginalisme supplante l'économie classique.
Histoire de la pensée économique
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Le courant classique est une dénomination a posteriori. Smith n'a pas donné son nom à ce
courant car étaient absentes de sa théorie la clarté et sa simplicité. Il n'a pas vraiment eu de disciples
à proprement parler mais on note entre Smith et d'autres auteurs des caractéristiques communes de
pensées. On en compte quatre auxquelles les auteurs adhérent:
 Un ordre économique naturel assuré et engendré par la liberté individuelle et l'intérêt
particulier
Ce mécanisme permet l'autorégulation du marché par une loi d'équilibre entre l'offre et la demande
=> Les classiques sont adeptes du libéralisme économique et donc partisans d'une
intervention minimum de l'Etat, hormis Marx.
 Une représentation de l'économie ni microéconomique ni macroéconomique
Les classiques ont plutôt une représentation macroscopique et non macroéconomique (théorie
fondée par Keynes). L'unité de base n'est ni un individu (micro), ni un agrégat (macro) mais des
groupes sociaux. La représentation du fonctionnement de l'économie était, aussi, chez Quesnay, en
terme de groupes sociaux. Les classiques distinguent trois groupes sociaux: propriétaires
fonciers, les travailleurs, les capitalistes/les financiers/entrepreneurs. En cela, l'économie chez
les classiques reste politique, dans le sens où elle réfléchit au plan de la cité et pose des questions
qui intéressent l'ensemble de la société. Ces questions sont: quelles sont les conditions de la
croissance économique?, faut-il aider les pauvres?, qu'est-ce qui détermine la répartition des
revenus?, le fonctionnement de l'économie est-il équilibré?, faut-il limiter la concurrence?, faut-il
accepter ou encourager le libre-échange?. Sur ces grandes questions, les auteurs n'ont d'ailleurs pas
forcément les mêmes réponses.
 Une théorie de la valeur travail (dénominateur presque commun)
Les prix relatifs des marchandises sont plus ou moins fonction des quantités de travail
nécessaires à leur production. Jean-Baptiste Say n'y adhère pas et est partisan de la théorie de
l'utilité. Tous les autres classiques sont partisans de la théorie de la valeur travail avec certaines
restrictions, qui peuvent amener à contredire cette même théorie pour lui trouver des substituts.
Malthus a trouvé comme substitut la loi de l'offre et la demande, équilibrant ainsi les prix. On
dénote un flottement voire des contradictions sur la théorie de la valeur et des prix. De ces
contradictions va naître le marginalisme.
 Une faible place accordée au phénomène monétaire et donc un faible rôle joué par la
monnaie
La monnaie est considérée comme un voile ou une entité économiquement neutre, elle n'affecterait
pas de manière significative le fonctionnement de l'économie: elle serait économiquement neutre.
Cette faible importance de la monnaie se retrouvera également chez les néoclassiques. John
Maynard Keynes la remettra justement en cause. Dans leurs représentations de l'économie, la
monnaie n'apparaît pas: elle n'est qu'un simple intermédiaire des échanges.
1. Adam Smith: ses cinq contributions analytiques majeures
 La division du travail
C'est le thème que Smith aborde au titre I, du chapitre 1 de la Richesse des nations. La division du
travail est étudiée chez Smith dans le cadre d'une manufacture d'épingles, exemple que Smith a tiré
d'un article de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. La division du travail serait l'élément
Histoire de la pensée économique
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moteur de la productivité et de la croissance économique, avec l'accumulation du capital. Quand
Smith parle de division du travail, il entend tout aussi bien ce qu'on pourrait appeler aujourd'hui la
division sociale du travail que la division technique du travail. Il ne les distingue pas et les confond.
La division technique du travail serait l'origine de l'accroissement de la productivité. Ce qui va le
permettre est l'accroissement dans l'habileté et la vitesse d'exécution ainsi que la production de gain
de temps dans le passage d'une tâche à une autre. La division du travail chez Smith a pour
conséquence l'introduction des machines.
 La théorie de la main invisible
Smith s'interroge dans son chapitre 2 sur l'origine de la division sociale du travail. Il considère que
cette division n'est pas le résultat d'une volonté intentionnelle de conduire à l'opulence, mais un
simple résultat mécanique de l'intérêt individuel. De cette mécanique de l'intérêt individuel, en
découle une première formulation au sein d'une théorie de l'échange de la notion de « main
invisible ». Cette notion n'est qu'une parabole qui apparaît dans une seule phrase dans le livre IV.
Néanmoins, l'idée de la main invisible est déjà présente dès le début. L'individu en suivant son
intérêt particulier va en même temps contribuer à l'intérêt général: théorie de la main
invisible. Le problème que pose cette théorie est son principe à savoir qu'il y a harmonie entre
intérêt particulier et intérêt général. Ceci est possible au niveau de l'échange. S'il n'y a pas
satisfaction d'autrui, il ne peut y avoir d'échange et donc de propre satisfaction.
=> Caractère autorégulateur du marché.
La notion de main invisible n'existe chez Smith qu'au niveau de l'échange. Elle n'apparaît pas
au niveau de la théorie de la répartition: dans cette théorie, ce qui domine c'est l'idée d'un
antagonisme d'intérêt entre salaires, profits et rentes.
La différence avec la théorie néoclassique est que cette dernière aura pour but de généraliser
la main invisible au fonctionnement de l'ensemble de l'économie.
 La distinction entre capital fixe et capital circulant
La différence entre capital fixe et capital circulant est une contribution majeure de Smith, qui ne se
retrouvera pas ultérieurement chez les néoclassiques qui en resteront qu'à une seule définition du
capital: celle du capital fixe.
Cette distinction ne peut être comprise qu'à la lumière de la définition du capital chez Smith,
comme l'ensemble des avances monétaires qui sont nécessaires à la mise en place d'un
processus de production et dont la raison d'être est le formation d'un revenu. A la différence de
la théorie néoclassique, le capital n'est pas pour Smith un facteur de production qui existerait
séparément du travail. Le capital est une quantité d'argent qui circule, qui se valorise en vu de créer
un profit qui sera le revenu du propriétaire. Cet argent se valorise, circule, par l'intermédiaire de
l'achat de la totalité des facteurs de production. Le capital se définit par son lien avec l'acquisition
d'un revenu et cela, en opposition à l'utilisation d'un revenu dans la sphère de la consommation. En
effet, la consommation fait disparaître le revenu qui a permis l'achat de biens de
consommation alors que le capital est l'affectation d'une partie du revenu par le biais de
l'investissement à l'affiliation d'une activité et en vue de la création d'un autre revenu. Dans
l'axe de consommation, le revenu est détruit alors que dans l'axe d'investissement, le revenu se
trouve non seulement conservé mais augmenté par un supplément qui constitue le profit. Ce qui
définit le capital est un processus, un cycle et non pas quelque chose de figé qui
s'apparenterait par exemple aux seules machines. Le capital n'est pas quelque chose de
purement et uniquement matériel. La distinction est trompeuse, le capital fixe et le capital
circulant circulent mais pas de la même façon. Smith désigne par capital circulant tout capital
qui circule en une seule fois, autrement dit qui revient au propriétaire en une seule fois, après
la vente des marchandises, ce qui correspond alors à la partie du capital qui sert à l'achat des
Histoire de la pensée économique
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matières premières, des consommations intermédiaires et à l'achat de la force de travail. Smith
désigne, au contraire, par capital fixe la partie du capital qui reste fixée (mais pas
éternellement) et qui va faire retour à l'investisseur en plusieurs fois jusqu'à l'amortissement
total de ce qui a acheté avec ce capital. Au capital fixe correspond l'achat de moyens de
production durables qui peuvent être utilisés à plusieurs cycles ou processus de production.
=> Chez Smith, le capital ne se limite pas au seul capital fixe, c'est-à-dire au moyen de
production durable, les machines; le capital inclut l'ensemble des moyens de productions. Les
salaires y sont, par exemple, inclus.
 La distinction entre travail productif et travail improductif
Cette distinction est une conséquence de la théorie smithienne du capital. Le travail est un travail
salarié, qu'il soit productif ou improductif. Tout travail est considéré comme productif s'il
servira à produire une marchandise, ensuite vendue sur un marché, et qui par conséquent
permettra l'obtention d'un revenu ou d'un profit pour l'entrepreneur ayant avancé le salaire.
Est désigné comme improductif, au contraire, tout travail qui ne permettra pas la réalisation d'une
marchandise et donc du revenu ou d'un profit. Dans ce cas là, la dépense de salaires ne sera pas
considérée par Smith comme une dépense de capital mais comme une dépense de revenus.
Exemple de travail improductif pour Smith: le travail domestique.
 La théorie du libre-échange fondée sur les avantages absolus
C'est la transposition au plan de l'économie internationale de la notion de division du travail
appliquée à la société ou à l'entreprise. Un individu sera plus efficace en terme de productivité si il
se spécialise; les nations ainsi auront tout autant intérêt à se spécialiser et cela dans le domaine où
elles sont les plus efficaces.
Une nation peut ne dégager aucun avantage absolu. Ce pays, d'après la théorie de Smith, n'aurait
donc pas intérêt à se spécialiser et donc ne pourrait pas profiter du libre-échange.
2. David Ricardo: ses trois perfectionnements apportés
Ricardo peut être considéré comme un véritable continuateur d'Adam Smith. Néanmoins, il y a des
différences fondamentales au niveau de la méthode. Smith a une méthode linéaire, historique,
concrète. Ricardo a une démarche beaucoup plus abstraite, d'ordre hypothético-déductive.
 La théorie de la rente différentielle
Ricardo n'est pas l'inventeur de la rente différentielle, l'inventeur est un obscure économiste écossais
de la fin du XVIIème siècle, James Anderson. L'originalité de Ricardo a été de substituer à la
théorie de la rente absolue qui apparaît chez Smith, une théorie de la rente différentielle ou
relative.
La théorie de la rente absolue pose la rente comme dépendante de l'existence de la propriété
foncière et de la productivité absolue de la terre. Plus la terre est productive, plus le niveau de
la rente (le revenu touché par le propriétaire foncier) sera élevé.
Ricardo va démontrer que la rente ne dépend non pas de la productivité absolue de la terre mais de
la productivité relative (Ricardo parle de rendement relatif). Il va poser trois hypothèses:
 Reprise de la théorie de la population de Malthus: il existe une pression démographique
permanente; cette pression va entraîner le fait que l'on cultive des terres de moins en moins
fertiles au cours du temps (les terres sont utilisées par ordre de fertilité décroissant).
 Supposition que le prix du blé est fixé par le prix du blé produit sur la moins bonne
terre.
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
Hypothèse de taux de profit moyen: en faisant jouer la concurrence, on doit aboutir à un
taux de profit moyen entre les différentes capitaux.
Dans le prix du blé est inclus un profit moyen pour le fermier. En conséquence, plus la population
augmente, plus il faut cultiver des terres de moins en moins fertiles et plus le prix du blé aura
tendance à augmenter. Donc les salaires vont aussi augmenter. Plus la population augmente, plus les
salaires augmentent et donc plus la rente augmente. La conséquence est l'impossibilité d'augmenter
les profits. La pression démographique doit conduire à un état stationnaire, c'est-à-dire à un
arrêt de l'accumulation du capital.
=> La théorie de la rente est une machine de guerre contre les propriétaires fonciers et pour le
libre-échange. Cette théorie a une influence fondamentale sur l'économie car elle est plus ou moins
à l'origine de la théorie des rendements décroissants.
 On suppose que les terres A,B,C (A étant la plus fertile) fournissent un blé au prix C. Les terres
A rapportent un revenu plus élevé. Hiérarchie des revenus entre les terres. Si la terre C qui fixe le
prix du blé pour toutes les terres A,B,C, on suppose alors que ce prix est fixé de manière telle qu’il
rapporte un profit moyen au fermier (inclus dans le prix du blé C). Tout ce qui est au dessus de ce
profit moyen (et donc au dessus du prix C) est considéré comme un profit pour le fermier : une
rente va apparaître sur toutes les autres terres A et B, et cette rente dépend de la productivité,
différente si la terre est 1 ou B. On parle alors de rente différentielle.
 La théorie gravitationnelle des prix de marché autour de la valeur (prix naturels)
Ricardo a apporté un perfectionnement à la théorie smithienne des prix d'équilibre et cela en partant
de la distinction entre le prix de marché qui est fonction d'un équilibre entre l'offre et la
demande et le prix qu'il qualifie de naturel qui correspond grosso modo à la valeur de la
marchandise fonction de la quantité de travail incorporée. Tout le problème est de savoir
comment va varier le prix de marché par rapport au prix naturel. Les prix de marché sont-ils
autonomes par rapport aux prix naturels? Pour Ricardo, la réponse est non: les prix de marché ne
sont pas autonomes, ils gravitent autour des prix naturels.

La théorie des avantages comparatifs
3. Thomas Malthus et Jean-Baptiste Say: contributions et oppositions
Les points de vue de Malthus et Say sont opposés bien que tous les deux soient des économistes
libéraux et partisans de la propriété privée et du marché. Malthus est un pessimiste dans le devenir
de la condition humaine, notamment à cause de sa loi de population. Say est, lui, un optimisme
quant à la capacité du marché à apporter le bonheur et la prospérité à l'ensemble de la population.

[Malthus] La loi de population
Alors que la population augmente de manière exponentielle, c'est-à-dire selon une loi
d'accroissement géométrique, les ressources alimentaires sont soumises à une loi
d'accroissement arithmétique. Autrement dit, il y a une différence entre une série géométrique
Histoire de la pensée économique
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et une série arithmétique. Darwin fait de cette loi, d'ailleurs, un des éléments fondamentaux de la
sélection naturelle. La loi de population de Malthus est la seule loi économique est la seule ayant eu
une influence sur une autre discipline, qui plus dans une science supposée exacte, la biologie.
Malthus utilise sa loi de population pour expliquer le maintien de l'humanité dans un état de
misère permanent, rendant difficile tout processus de perfectionnement matériel et moral. En cela,
Malthus s'oppose à la philosophie des Lumières d'un progrès indéfini de l'humanité. Pour lui, la
pauvreté est la conséquence naturelle d'une loi objective s'imposant à toute société: changer les
institutions pour rendre la condition humaine meilleure est un projet sans espoir de réussite.
Malthus s'oppose ainsi à toute intervention de l'État, qui aiderait les pauvres ou qui assurerait une
répartition plus égalitaire des richesses. Il était donc partisan de l'abolition des lois sur les
pauvres, comme Ricardo, qui reprendra les mêmes arguments. La loi sur les pauvres a été instaurée
en 1601 en Angleterre, il s'agissait d'un impôt sur les propriétaires fonciers, sur les plus riches, dont
le prélèvement allait dans une caisse municipale, qui était finalement donnée à l'Église pour qu'elle
aide les populations les plus pauvres. L'argument de Malthus pour cette oppression est que ces lois
créeraient les pauvres qu'elles entretiennent. Cet argumentaire est toujours actuel dans la mesure
où il est repris par ceux souhaitant l'abolition des indemnités chômage: les indemnités chômage
créeraient les chômeurs, par le phénomène de trappe à pauvreté.
 [Say] La loi des débouchés
Cette loi est composée de deux propositions: l'offre crée sa propre demande et les produits
s'échangent contre des produits. Ces deux propositions peuvent trouver différents terrains
d'application qui rendent délicates ou complexes leurs interprétations. Plus précisément, la loi des
débouchés peut être interprétée comme une identité comptable dans le cadre d'une théorie d'un
équilibre statique, ou comme une relation de causalité dans le cadre d'une théorie dynamique.
Exemple: Dans le commerce extérieur, ce qui permet le pays d'exporter est que les autres et donc ce
pays aussi, importent. Un pays ne peut être que vendeur, il faut qu'il soit demandeur. La meilleure
façon d'exporter est l'importation et vice-versa, la meilleure façon d'importer est l'exportation.
Autre exemple: Si on dit que l'offre crée sa propre demande, on interdit logiquement toute
possibilité des crises de surproduction.
Say a utilisé sa loi des débouchés dans ces deux cas.
Il existe cependant une critique générale que l'on peut lui opposer, sur la légèreté avec laquelle JeanBaptiste Say fait abstraction du rôle de la monnaie. Sa conception de la monnaie (réduction de la
monnaie à un simple intermédiaire d'échange) est, en effet, tout à fait contestable. Pour Say, la
production ou l'offre n'a de sens qu'en vue d'une vente contre de l'argent, qui permettrait d'acheter
une autre marchandise. C'est d'ailleurs de cette manière qu'il faut entendre que « l'offre crée sa
propre demande »: si on offre, c'est en vue d'acheter une autre marchandise. Or à aucun moment,
Say envisage que la monnaie puisse être thésaurisée ou épargnée, même en partie. Il fait donc
abstraction du rôle de la monnaie comme réserve de valeur. En économie, la monnaie a, en
effet, trois fonctions: celui d'étalon de la valeur, celui d'intermédiaire dans les échanges
facilitant ainsi ces derniers et celui de réserve de valeur: la monnaie permet de conserver de la
richesse, de la valeur dans le temps. Ce rôle de conservation de la valeur dans le temps implique que
la monnaie puisse être thésaurisée ou épargnée. Say oublie donc cette troisième fonction, qui
contredit ainsi sa première hypothèse.
Avant que John Maynard Keynes utilise la critique de la loi des débouchés comme une base de sa
théorie macroéconomique, Malthus avait déjà mis l'accent sur le rôle négatif joué par l'épargne
dans un phénomène d'insuffisance de la demande, qui, pour lui, est à l'origine des crises de
surproduction. Pour Malthus, en effet, il existe une contradiction entre accumulation et épargne,
dans le mesure où l'épargne en réduisant la consommation, réduit du même coup les débouchés
Histoire de la pensée économique
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nécessaires à la poursuite de l'accumulation. Il faudra cependant attendre Keynes pour que la
critique malthusienne de la loi des débouchés prenne tout son sens et acquiert une crédibilité,
puisque les économistes dont Ricardo étaient d'accords avec Say. Malthus oublie dans son
raisonnement le rôle joué par l'investissement, comme composante de la demande globale, chose
que ne fera pas Keynes. A la place d'une contradiction entre accumulation et épargne qui n'est
pas acceptable si on prend en compte l'investissement comme composant de la demande,
Keynes va lui substituer le principe d'un déséquilibre entre épargne et investissement. Si
Keynes remet en cause la loi des débouchés de Say, c'est sur la base du fait que tout épargne ne sera
pas nécessairement réinvestie, car ceux qui épargnent et ceux qui investissent ne sont pas les
mêmes personnes et ne le font pas pour les mêmes mobiles. Malthus a bien influé sur Keynes, tout
en transformant la critique de ce dernier.
4. Karl Marx: le dernier des classiques?
Bien que Marx ne soit pas considéré comme un économiste classique en raison de sa contestation de
l'économie politique, de nombreux concepts et principes méthodologiques le relient cependant à
l'économie classique. Marx reproche principalement à l'économie politique classique, son
naturalisme, c'est-à-dire la croyance en l'idée qu'il existerait des lois naturelles de l'économie
qui vaudraient pour tout lieu et tout temps. Il démontre que l'histoire est une succession
différente de régimes économiques, qui ont une logique propre et à chaque fois contradictoire.
Indépendamment de cette analyse historique, lorsque Marx fait l'analyse du capitalisme, il utilise
généralement les mêmes concepts que ceux de l'économie politique classique.
Exemple: le concept de valeur; la théorie de la valeur de Marx n'est pas autre chose que la
sophistication de la théorie de la valeur de Ricardo.
Autre exemple: la notion de capital; Marx va reprendre plus ou moins la même conception du
capital en lui ajoutant des éléments nouveaux: il substitue à la définition smithienne du capital
comme ce qui doit rapporter un revenu, une définition du capital comme capital-argent qui est jeté
dans la circulation afin de réaliser un profit. A la différence de Smith, Marx insiste sur le fait que le
capital se distingue fondamentalement de l'argent: alors que la monnaie, l'argent n'est qu'un simple
intermédiaire des échanges, le capital est le fait de rapporter plus d'argent que ce qui a été
initialement investi. Pour Marx, lorsque l'argent est utilisé pour rapporter plus d'argent, il ne
joue plus un simple rôle de monnaie, il devient capital. Autrement dit, ce qui caractérise le
capital est le processus d'auto-valorisation de l'argent.
Si on compare la théorie marxienne contenue dans Le Capital aux classiques, on constate qu'il y a
peu de choses nouvelles, il y a plus d'emprunts à ces économistes que des nouveautés, même si les
emprunts ont été modifiés.
Histoire de la pensée économique
B/
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La Révolution marginaliste et théorie néoclassique
Introduction: la naissance de la théorie marginaliste
Les années 1870 ont marqué un tournant dans la pensée économique, avec l'émergence d'une
nouvelle façon d'appréhender les phénomènes économiques: c'est la révolution marginaliste qui va
influencer toute un nouvelle génération d'économistes de manière hégémonique, au moins jusqu'à
Keynes.
Le fait remarquable de cette révolution est qu'elle ne fut pas le fait d'une seule personne mais qu'elle
provient de trois auteurs ne se connaissant pas et provenant de trois pays différents: Stanley Jevons
(Anglais - 1871), Karl Menger (Autrichien – 1871) et Léon Walras (Français – 1874). Ces trois
auteurs ont pour point commun d'avoir fondé une nouvelle problématique de la valeur, fondée sur
un concept d'utilité marginale, qui, chez Walras est traduit par rareté.
Ce qui est à l'origine d'une découverte scientifique, est généralement une situation de crise d'une
théorie dominante. La découverte scientifique permet alors de dénouer la situation de crise. Dans le
cas de la révolution marginaliste, ce sont les insuffisances et les incohérences de la théorie
classique de la valeur et de la répartition qui ont constitué l'élément déclencheur de cette
révolution théorique. La première insatisfaction ressentie à propos de la théorie classique de la
valeur est le constat d'une absence totale d'unification d'une théorie qui était, en réalité, plurielle.
Exemple: Ce qui définit, en effet, l'approche classique de la valeur est le fait qu'il n'existe pas une
théorie de la valeur-travail, mais il y en avait trois. Ces trois théories existaient toutes au départ chez
Smith. La première approche smithienne de la théorie de la valeur-travail est le travail commandé,
autrement dit, ce qui définit la valeur est la quantité de travail commandée pour une marchandise:
Tc= P/W. Cette définition est incohérente et n'explique pas grand chose. La deuxième est la théorie
de la valeur par le travail incorporé, la valeur d'une marchandise est la quantité de travail
incorporée dans une marchandise; le travail incorporé inclut le travail direct des travailleurs mais
aussi indirect. Troisième définition, la valeur est vue comme la somme des revenus:
valeur=salaire+profit+rente. Il n'y a pas d'unité entre ces trois théories. Ricardo retient la valeur par
le travail incorporé, Malthus retient plutôt la théorie par le travail commandé. A l'éclatement de la
théorie de la valeur, s'ajoute en plus un certain nombre de restrictions, par rapport à l'application de
la valeur-travail. La théorie de Ricardo, par exemple, ne peut s'appliquer qu'aux biens
reproductibles, alors que les biens non-reproductibles comme les œuvres d'art, les pierres
précieuses, eux, voient leurs valeurs déterminées par l'utilité. De plus, lorsque Ricardo introduit le
capital fixe dans son raisonnement, il constate que le prix relatif des marchandises ne peut pas
strictement correspondre aux quantités relatives de travail: la théorie de la valeur-travail ne
s'applique « qu'à 95% » (formulation de Ricardo). Or pour qu'une loi soit juste, il faut qu'elle le soit
à 100%. Ces contradictions ont fini par discréditer la théorie de la valeur des classiques.
Autre exemple: la théorie de la répartition qui obéissait à trois principes différents, le salaire, le
profit ou la rente. Le salaire, chez les classiques, est un fond de subsistance supposé fixe assurant
juste un minimum vital pour la subsistance de l’ouvrier et de sa famille. Le profit est déterminé par
un taux de profit moyen qui permet de l’assimiler à un taux d’intérêt. La rente est soit la
productivité absolue, pour Smith, soit la productivité relative, pour Ricardo.
=> Cette double absence d'unification a fini par décrédibiliser l'ensemble de la théorie
classique et est donc à l'origine de l'avènement de la théorie classique.
Avec la révolution marginaliste et la naissance de la théorie néoclassique, on va assister à
Histoire de la pensée économique
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l'émergence non pas uniquement d'une nouvelle théorie de la valeur, mais aussi à un changement
de l'objet de la science économique. Alors que les économistes classiques sont principalement
préoccupés par des problèmes de croissance économique de long-terme, les économistes
néoclassiques mettront plutôt l'accent sur des problèmes de choix et d'allocations rationnelles des
ressources et cela en raisonnant dans un cadre statique, où les ressources sont données, fixées, au
départ. Ce changement d'objet est en partie le fait d'un changement du contexte économique. La
crainte des classiques d'un état stationnaire s'est en effet dissipé grâce au succès de la première et de
la seconde révolutions industrielles. La question du devenir et de la viabilité du capitalisme, à la fin
du XIXème n'a plus beaucoup de sens, d'où la réorientation du questionnement théorique sur les
problèmes de choix et d'allocations rationnelles des ressources. Ce sont les succès rencontrés par
le capitalisme au XIXème siècle qui a fourni un terreau favorable au développement de la
théorie néoclassique. Le retour en force de la théorie néoclassique se fera dans un contexte inverse
à la fin des années 1970, il s'opérera dans un contexte de crise.
Le constat d'une découverte multiple de l'utilité marginale entre 1871 et 1874 ne doit pas donner
l'illusion d'une homogénéité des théories développées par chacun des trois auteurs. Les
théories ne sont pas identiques. Léon Walras est, notamment, à l'origine d'une approche tout à fait
particulière, la théorie de l'équilibre général, qui est très différente de l'approche développée par
Alfred Marshall, théorie de l'équilibre en terme partiel, Marshall étant dans la continuité de Jevons.
La théorie néoclassique n'est pas totalement homogène.
Carl Menger (23 février 1840 - 26 février 1921) est avec Stanley Jevons et Léon Walras l'un des
trois économistes qui abandonnèrent au début des années 1870 la « valeur travail » adoptée par les
classiques anglais puis reprise par Marx et adoptèrent la « valeur utilité » (la valeur de la
marchandise provient de l'utilité subjective propre à chaque individu) fondant ainsi l'école
néoclassique
1.La révolution de la théorie marginale et la solution
de la valeur d'Adam Smith
Quand on parle de révolution marginaliste, l'accent est mis sur un nouveau raisonnement
économique: le raisonnement à la marche. Historiquement, c'est au niveau de l'utilité que le
raisonnement à la marge s'est imposé et a été à l'origine de la révolution marginaliste.

Le retour préalable à une théorie subjective de la valeur comme condition nécessaire
mais non suffisante de la révolution marginaliste
L'insatisfaction face aux différentes théories classiques de la valeur est le facteur déterminant de la
révolution marginaliste, mais cela n'a pas pu être le seul élément, dans la mesure où on ne réfute
jamais une théorie, uniquement en raison de ses insuffisances, mais toujours à partir du moment où
on substitue quelque chose d'autre à la place, de plus satisfaisant. Ainsi pour parvenir à la rupture de
1870, qui est la révolution marginaliste, il a fallu dans un premier temps, que l'on fasse retour à une
idée déjà ancienne, c'est-à-dire l'idée que la valeur pouvait être un phénomène subjectif et donc
pouvait constituer le résultat de la conscience, idée déjà proposée au XVIIIème siècle, chez
Condillac et Galiani. Cette idée ne pouvait être utilisée dans l'État, dans la mesure où elle se serait
immédiatement vue opposée le paradoxe de la valeur ou de l'eau et du diamant d'Adam Smith, qui
interdisait de faire de la valeur d'usage, la valeur d'échange, autrement qui interdisait de fonder la
valeur d'échange sur l'utilité. Pour s'imposer à l'encontre de l'autorité de Smith, pour
Histoire de la pensée économique
12
contourner ce paradoxe, les théoriciens néoclassiques vont proposer de fonder la valeur non
pas directement sur l'utilité totale, mais sur l'utilité marginale. Au cœur de la révolution
marginaliste, il y a donc la distinction entre utilité totale et utilité marginale.
 Utilité totale et utilité marginale
Ce n'est pas une différence de nature, c'est une différence purement quantitative, soit purement
mathématique, qui repose sur la notion de dérivé. On fait l'hypothèse que les agents économiques
peuvent mesurer par un nombre le degré de satisfaction ou le degré d'utilité ressenti à l'occasion de
la consommation d'un bien. On construit une fonction d'utilité, que l'on suppose croissante avec
l'unité consommée de bien: U = U(x), avec x quantité de biens.
Exemple:
Quantité Satisfaction U'(x) = ΔU/Δx
de biens ressentie
UTILITE
x
U(x)
MARGINALE
1
70
70
2
130
60
3
180
50
4
220
40
5
250
30
Utilité marginale: utilité de la dernière unité de bien consommée, autrement dit utilité à la marge.
Le marginalisme est basé sur l'idée que l'on ne peut classer les biens en différentes catégories,
par exemple toutes les automobiles, tous les sandwichs, etc. L’important est alors de
considérer la consommation de chaque catégorie de bien à la marge.
 La loi de Gossen, comme loi de décroissance de l'utilité marginale
D'un point de vue mathématique, l'utilité marginale est la dérivée de l'utilité totale. Elle peut être
donc croissante ou décroissante, selon la nature de la fonction. Ce qui est au cœur de la révolution
marginaliste, est l'hypothèse de la décroissance de l'utilité marginale, qui repose sur une loi
psychologique de satiété des besoins humains, formulée par Gossen. L'utilité marginale peut même
devenir nulle voire négative. Il n'y a aucune bien, en microéconomie, dont l'utilité marginale est
supposée croissante avec l'augmentation des quantités. Au mieux, elle est constante. Plus on
consomme de quantité d'un bien, plus le degré de satisfaction diminuerait. Exemple: le verre d'eau
dans le désert de Menger. Cette hypothèse de décroissance de l'utilité marginale justifie la
décroissance de la courbe de demande. Elle solutionne également le paradoxe de l'eau et du
diamant d'Adam Smith.
 L'utilité marginale et la solution apportée au paradoxe de la valeur d'Adam Smith
Paradoxe formulé par Smith:supposons un bien comme l'eau dont l'utilité est extrêmement
importante mais donc la valeur d'échange est quasiment nulle et supposons un bien comme le
diamant donc l'utilité est faible mais la valeur d'échange élevée. La conclusion qui en découle est
qu'il n'y a pas de lien entre le prix et l'utilité, entre la valeur d'échange et la valeur d'usage.
Si on raisonne non plus en terme d'utilité totale, mais en utilité marginale, le paradoxe de
Histoire de la pensée économique
13
Smith peut se résoudre: l'eau, très abondante, aura une utilité marginale très faible puisque l'utilité
marginale est d'autant plus faible que la quantité élevée; le diamant, lui aura une utilité marginale
élevée. Ainsi, en s'appuyant sur Smith et l'utilité marginale, on peut fonder le prix du bien sur
l'utilité marginale.
Cela relève de la théorie de l'équilibre du consommateur.
2. Le système de Léon Walras
Après Walras, une fracture va apparaître entre les partisans d'une démarche de l'équilibre général
(Walras) et les partisans d'une démarche en terme d'équilibre partiel (Marshall).
Le système walrassien ne se réduit, en aucune façon, à la théorie de l'équilibre général, même si
celle-ci en constitue le centre. L'économie de Walras est, en réalité, un système articulé en trois
niveaux que Walras avait proposé en 1870.
 La définition de l'économie politique chez Walras
La définition donnée par Walras de l'économie politique pure est la détermination des prix
sous un régime hypothétique de libre concurrence absolue. Cette définition est en lien immédiat
avec la théorie de l'équilibre général. Elle vise à démontrer qu'il est possible de démontrer
mathématiquement la théorie de l'offre et la demande sur tous les marchés. Les prix sont donc
définis, car le prix chez Walras est l'égalité entre l'offre et la demande.

Le découpage de l'économie chez Walras: économie politique pure, économie appliquée
et économie sociale
 Économie politique pure: étude des prix ou de la richesse sociale. Elle aboutit à la
construction d'une théorie de l'équilibre général. Pour Walras, elle fait partie de la Science.
 Économie politique appliquée: étude des conditions les plus favorables au fonctionnement
du système économique et productif au niveau de l'agriculture, de l'industrie, du commerce,
du crédit. Elle relève du domaine de l'utile. Le centre de ce niveau est la théorie du libreéchange dont il n'est pas l'auteur (D. Ricardo).
 Économie sociale: étude des conditions permettant la réalisation d'un ordre économique
moralement juste pour la répartition des richesses, des impôts et de la propriété. C'est au
nom de ces principes que Walras préconisera la nationalisation des terres agricoles.
Bien que ces trois domaines soient distincts, il existe une hiérarchie établie par Walras, qui veut que
ce qui relève de l'économie politique pure ait une incidence sur les deux autres niveaux. L'équilibre
général peut donc contribuer à apporter des solutions, au niveau de l'économie appliquée et sociale.
 La théorie de l'équilibre général
La théorie d'équilibre générale a pour ambition de démontrer la possibilité d'un équilibre de
l'offre et de la demande sur tous les marchés qui permet simultanément la détermination de
tous les prix. Ce qui rend cette théorie complexe est que tous les marchés sont interdépendants.
Néanmoins, on ne peut produire et échanger des biens qu'une fois qu'on est parvenu à l'équilibre.
On déterminerait un équilibre sur la base de biens qui n'ont pas encore été produits, les biens n'étant
produit qu'à partir du moment, où on arrive à une solution d'équilibre. Pour que le système de
Walras soit possible, il faudrait que tous les acteurs économiques soient réunis au même endroit et
au même moment. Son système rend compte assez mal du fonctionnement concret de la vie
économique. Marshall, par exemple, pour cela, refusera d'emprunter la voie de la théorie d'un
équilibre général. On peut donc chercher un équilibre partiel, en posant que toutes choses égales
par ailleurs, sur les autres marchés. Ceteris paribus permet donc un équilibre partiel, puisque ce
qui se passe sur les autres marchés interdépendants, est jugé constant. C'est ce que fera Marshall.
Histoire de la pensée économique
14
3. La naissance de la micro-économie avec Alfred Marshall
Marshall se distingue parmi les autres par la création d’un courant spécifique qui est l’approche en
terme d’équilibre partiel, approche à l’origine de la micro-économie. Sa spécificité porte
également sur la conception de l’agent économique.
 La conception de l'agent économique
Contrairement à Walras et aux autres, Marshall a le souci d’inscrire la théorie économique au sein
d’une histoire concrète de la civilisation. Cela a pour conséquence de réhabiliter l’observation et
l’expérience, et de prendre en compte une dimension fondamentale qui est la dimension éthique.
L’homme économique ou homo economicus, n’est pas un être purement rationnel, ce n’est pas
un automate calculateur de ses plaisirs et de ses peines, mais un individu du concret influencé par
son milieu social et capable d’accomplir des actions altruistes. Cette conception beaucoup plus
large est en partie le fait de l’influence de l’École historique allemande.
 La place des mathématiques
Les mathématiques occupent une place importante dans la théorie néoclassique, même s’il
existe plusieurs interprétations sur cette place. Marshall s’oppose à Walras, il veut faire de
l’économie politique une branche particulière des mathématiques. Walras parle de théorie
mathématique de la richesse sociale, soit une théorie qui serait aussi rigoureuse que la physique.
Marshall n’adhère pas du tout à ce discours, il considère les mathématiques comme un simple outil
d’illustration. Les mathématiques ne sont jamais l’élément central de la théorie.
Cependant Marshall est ambigu car il considère qu’on retrouve, en économie, un principe qui existe
dans les sciences de la nature : le principe de continuité. Il y aurait une continuité de
comportement entre l’homme de la rue et l’homme d’affaires. Ce principe de continuité justifie
alors l’utilisation du calcul différentiel. Marshall n’est donc peut-être pas si éloigné de Walras... .
 La distinction entre période courte et période longue et la réhabilitation partielle de la
théorie classique de la valeur
Marshall distingue trois périodes:
 La période de marché
L'offre est considérée comme fixe, c'est du très court terme.
 La courte période
L'offre peut varier dans certaines limites sur la base d'une capacité de production fixe.
On peut regrouper ces deux premières périodes, dans la mesure où celles-ci font jouer un même
principe de détermination du prix: les quantités offertes ne peuvent pas varier ou très peu,
c'est la demande à travers l'utilité marginale qui fixe le prix.
Histoire de la pensée économique
15
 La longue période
La production et les capacités de production sont supposées variables. En longue période, en
supposant des rendements plus ou moins constants, le prix devra être alors fixé en fonction du
coût de revient, ou du coût de production. Cela équivaut à revenir à la théorie de Ricardo.
 Sur la courte période, la détermination du prix se fait par l'utilité marginale alors que
sur la longue période, elle se fait par le prix de revient.
« Plus sera courte la période que nous examinerons et plus nous devrons tenir compte de l'influence
que la demande exerce sur la valeur. Au contraire, plus la période sera longue et plus importante
sera l'influence exercée par le coût de production sur la valeur ».
La théorie micro-économie n'est donc valable que sur la courte période.
Histoire de la pensée économique
C/
16
L'école historique allemande: une réaction anticlassique
Sur le plan économique, avant 1850, le pays allemand était sous-développé; la révolution
industrielle en Allemagne a commencé un siècle après celle de l'Angleterre. Pour la France, certains
historiens remettent en cause le terme de révolution car le progrès était continu.
Sur le plan intellectuel, l'Allemagne est baignée par l'hégélianisme et le romantisme, très influents
dans le domaine de la philosophie et des sciences. Ceci explique qu'une approche historique et
relativiste de l'économie ait pu se développer, et notamment en critique de l'héritage classique, puis
de la théorie néoclassique. Derrière l'histoire, il y a, en fait, la prise en compte des institutions. Ainsi
l'école historique allemande a débouché sur l'institutionnalisme aux États-Unis.
1. Les deux écoles historiques allemandes
Ces deux écoles se distinguent par leur rapport à l'histoire. La première affirme la nécessité
d'appliquer l'histoire au domaine de l'économie pour dépasser les insuffisances de la théorie
classique. La deuxième, elle, met concrètement en œuvre la démarche historique: elle fait de
l'histoire.

La première école historique allemande: Roscher, Hildebrand, Knies
Roscher publie en 1843, Précis d'un cours d'économie politique d'après la méthode historique. Dans
cet ouvrage, Roscher considère l'économie comme un organisme susceptible de se transformer sans
changer ses caractères fondamentaux. A la différence, cependant d'un schéma biologique, ce
développement ne suit pas une loi linéaire. C'est la raison pour laquelle, selon Roscher, qu'il y aurait
plus d'analogie entre l'économie moderne et l'économie antique qu'entre l'économie moderne et
l'économie médiévale. Roscher assigne à la l'économie politique l'objectif d'étudier les
particularités des organismes économiques dans leur dimension historique, en énonçant des
lois et des propositions générales mais sans leur donner une valeur absolue. Cette prise en
compte de la dimension historique ne se fait pas en opposition totale avec l'économie classique,
dont Roscher reste un partisan. Il ne veut qu'enrichir la théorie classique de Smith et Ricardo
par l'histoire. Les auteurs que Roscher va inspirer, vont pourtant se détacher radicalement de la
théorie classique, et notamment en contestant l'idée de loi économique naturelle.
Bruno Hildebrand publie en 1848, L'économie politique du présent et du futur. Son projet est plus
radical. Il s'agit, pour lui, à partir de l'histoire, d'apporter un renouveau complet de la science
économique et de dénoncer les erreurs de l'école classique. La première erreur, pour lui, est la
croyance en des lois économiques universelles. Tout en niant l'universalisme de l'économie
classique, il se contredit ensuite en prétendant définir l'économie politique comme la science
des lois historiques du développement des nations. Il propose donc lui aussi un schéma général,
même s'il est historique. Ce schéma de développement historique se fait en trois phases:
 l'économie naturelle,
 le passage de l'économie naturelle en économie monétaire,
 le passage de l'économie monétaire à l'économie du crédit.
Histoire de la pensée économique
17
Knies publie en 1853, L'économie politique envisagée au point de vue historique. A la différence
d'Hildebrand, Knies remet en cause toute loi qu'elle soit d'ordre universelle ou historique, en
économie. Il fait part d'un relativisme intégral qui est par ailleurs, fondé sur une distinction
épistémologique fondamentale entre les phénomènes qui relèveraient des sciences de la nature et
ceux qui relèveraient des sciences sociales. Les premiers seraient répétitifs et constants, alors que
les seconds seraient non reproductibles et irréversibles. C'est pourquoi Knies rejette l'existence de
lois universelles. Néanmoins, il ne refuse pas l'intérêt de recourir à l'histoire. Il la limite cependant à
lui fournir des analogies et des comparaisons mais ne s'en sert en aucune façon pour en déduire des
lois générales
Knies est souvent présenté comme l'auteur le plus cohérent de l'école historique allemande, bien que
son influence ait été faible à son époque. On doit principalement à Schmoller le fait de l'avoir tiré de
l'oubli.

La nouvelle école historique allemande: Schmoller
Gustave Schmoller publie en 1872, Le manifeste d'Eisenach, manifeste de la nouvelle école
historique allemande. Il constitue également un manifeste politique, dans la mesure où cet ouvrage
préconise un réformisme d'État par la mise en place d'un État providence, une économie
mixte (économie de marche + planifiée, privée + public) ainsi qu'un protectionnisme
éducateur inspiré de Friedrich List, économiste allemand. Parmi les signataires de ce manifeste, on
trouve Roscher, auteur qu'on considère comme le précurseur de la première école historique
allemande. Il y a un vrai chevauchement des deux écoles. Les idées défendues par Schmoller et
son groupe ont anticipé et préparé les réformes sociales de Bismarck. En 1883, Bismarck crée un
système de sécurité sociale, d'assurance maladie et un système de retraites. C'est le premier pays à
s'être doté d'un système aussi conséquent en terme de sécurité sociale. La nouvelle école historique
allemand avait préparé le terrain de ce réformisme social.
Cette école est en opposition, d'un point de vue politique, au libéralisme économique et au
socialisme marxisme. Les partisans de la nouvelle école historique allemande ont été désignés par le
terme de « socialistes de la chaire », car la plupart était professeurs d'universités.
Indépendamment de ces considération politiques, la deuxième école historique allemande
accentue l'abandon de toutes prétentions à dégager des lois de l'histoire. Elle est donc dans le
prolongement de Knies. Schmoller résume ainsi: « Nous avouons ne pas connaître de lois
historiques ». Il n'y a pas de lois historiques. Cependant, en abandonnant l'idée de toute loi
historique, elle met en œuvre la méthode historique. Son domaine de prédilection est
l'historiographie. Cette école développe donc principalement de l'histoire économique.
 Si la distinction entre la première et la seconde école historique allemande est pratique, elle
ne doit pas être poussée trop loin. Si le rapport à l'histoire diffère entre ces deux écoles, ceci
n'exclue pas pour autant de nombreuses convergences et une dénonciation commune des
insuffisances des théories économiques classiques et néoclassiques.
Histoire de la pensée économique
18
2. Les trois critiques fondamentales

Le rejet de la croyance de lois économiques naturelles ou universelles
Bien que Smith fasse souvent référence à l'histoire, la tendance dominante chez les classiques et les
néoclassiques consiste à ne pas prendre véritablement au sérieux l'histoire et à développer au
contraire une vision absolutiste des lois économiques, supposées valables en tout lieu et en tout
temps. L'école historique allemande développe, au contraire, une vision des lois économiques
par nature provisoires et conditionnelles. En effet, pour eux, le propre de l'histoire est de faire
surgir du nouveau et donc de modifier les conditions dans lesquelles se réalisent les phénomènes
économiques. Au caractère provisoire et conditionnel des lois économiques se rajoute également
le phénomène de la complexité, en opposition à ce qui peut se passer dans le monde naturel ou
dans le monde physique. La physique, bien que complexe, ne fait jouer que quelques paramètres (le
temps, la vitesse, la masse, …). L'économie, elle, est composée d'une multiplicité de paramètres et
de variables, de sorte que la complexité peut devenir infinie et peut même s'opposer à toute
formalisation. Pour formaliser, il faut réduire la complexité (d'où le raisonnement dans un circuit
fermé).
 Le rejet de loi économique naturelle et l'insistance sur le caractère provisoire,
conditionnel et complexe des lois économiques aboutissent au refus d'une
interprétation mécanique du fonctionnement de l'économie, ou plus exactement cela va
aboutir à délaisser l'étude des phénomènes économiques qui pourraient faire l'objet d'une
interprétation mécanique.
Malgré l'intérêt de leur nouvelle approche historique, elle n'est pas parvenue à ébranler le discours
d'économie politique, car si on va au bout des critiques émises par l'école historique allemande,
on est contraint d'abandonner la théorisation et l'abstraction en économie et donc à se
réfugier dans l'empirisme.

Le rejet de l'étude des comportements économiques fondés sur l'égoïsme: le rejet de
l'utilitarisme et d'une psychologie rudimentaire
L'école historique allemande critique l'étroitesse et l'insuffisance des mobiles que la théorie
classique assigne aux agents économiques, qui seraient supposer de se comporter uniquement par
intérêt. Pour l'école historique allemande, les individus agissent pour des motifs et des mobiles
extrêmement variés, parmi lesquelles on peut citer les coutumes, l'habitude, l'altruisme, la
recherche de la gloire, … .
Malgré l'intérêt et le caractère évident de cette critique, on peut lui exposer un certain nombre
d'objections. La principale est que le propre d'une économie d'échange monétaire est d'être soumis
à la concurrence et par conséquent de contraindre les agents économiques à un minimum de
calculs. En raison de ce calcul, la notion d'intérêt en vient à jouer un rôle important.
Histoire de la pensée économique
19
Cependant, l'importance jouée par l'intérêt ou l'égoïsme dans le comportement des individus
n'implique pas pour autant de réduire les individus à cela.

La dénonciation de l'abus de la méthode déductiviste
Cette critique vise particulièrement la théorie néoclassique, qui s'évertue de tout déduire de
l'hypothèse de rationalité des agents. Si on tient compte, au contraire, de la multiplicité des
mobiles en jeu dans le monde économique, l'insuffisance de ce procédé saute aux yeux. A la
déduction, l'école historique allemande va préférer l'induction, fondée sur l'observation des
comportements concrets des agents économiques. Le principe de l'induction est l'extrapolation de
quelques cas particuliers à une généralité. L'opposition entre déduction et induction a été au cœur de
ce qu'on appelle la querelle des méthodes, entre Gustave Schmoller et Karl Menger.
Certes, on peut mettre en avant l'insuffisance de la déduction, mais faire le procès de celle-ci, c'est
aussi faire le procès de toute démarche d'abstraction et donc de toute démarche théorique. Le
risque, en refusant cette méthode, est de tomber dans l'empirisme où ce qu'on trouve est souvent le
fruit du hasard et de la contingence.
L'économie politique n'est pas impressionnée par l'école historique allemande. Elle ne prend pas en
compte ces critiques. On constate même au XXème siècle la fuite en avant de l'économie
politique. Cette école a tout de même permis un élargissement des théories économiques avec les
institutions.
3. Les tentatives d'élargissement de la problématique
économique

La prise en compte des institutions par le passage d'un raisonnement mécanique à un
raisonnement organique
En dénonçant les facilités de l'abstraction et la simplification qui finissent par vider la substance des
phénomènes économiques, l'école historique allemande insiste sur le caractère concret et particulier
des phénomènes économiques. Elle refuse en même temps toute vision mécanique fondée sur des
relations de causalité, au profit d'une vision organique, à la fois beaucoup plus riche, concrète et
interactive. Cette richesse du concret met en jeu le rôle déterminant joué par une quantité
innombrable d'institutions, qu'elles soient d'ordre privées ou publiques, formelles ou informelles,
nationales ou régionales. Derrière la prise en compte de l'histoire, il y a fondamentalement la
prise en compte des institutions. La prise en compte des institutions peut s'avérer déterminante
pour la compréhension d'un certain nombre de phénomènes économiques. L'école historique
allemande insiste également sur l'histoire des institutions, leurs évolutions pouvant expliquer parfois
l'évolution des systèmes économiques.
Histoire de la pensée économique
20
Il est donc nécessaire de connaître toute l'histoire détaillée de chaque institution, ce qui peut
constituer une difficulté. De plus, l'école historique allemande donne parfois l'impression d'être dans
une démarche descriptive. Un manque de schémas généraux peut être ressenti.
C'est faute d'avoir pu aboutir à des généralités économiques significatives et valables dans la
durée, que s'explique le déclin de l'école historique allemande. Ce déclin n'est que partiel
puisque cette école renaît dans l'institutionnalisme américain.

L'apport de l'histoire comme facteur explicatif de la vie économique d'une nation
L'économie politique est incapable de rendre compte de phénomènes concrets. Le recours à
l'histoire permet des descriptions de faits économiques concrets, en partant avec le postulat
que l'état présent est en partie influencé par le passé. L'histoire aurait des vertus explicatives,
notamment pour les aspects les plus concrets des phénomènes économiques. Le recours à l'histoire
serait nécessaire dans ce cas et indispensable pour comprendre la vie économique d'une nation.
Le recours à l'histoire comme facteur explicatif ne va cependant, pas totalement, de soi. Le fait d'en
rester au caractère concret des phénomènes économiques ne constitue pas le plus haut degré de
la science, si on considère comme Aristote que « il n'y a de science que du général ».
Les vertus explicatives de l'histoire ne vont pas non plus de soi. Si, en effet, on peut s'accorder sur
l'idée que n'importe quel phénomène économique s'inscrit dans une histoire, rien ne dit cependant
que l'histoire constitue le meilleur instrument pour expliquer le dit phénomène. L'histoire ne
fournit aucun schéma d'intelligibilité du réel et elle n'est pas non plus capable d'établir des
relations de causalité. Alfred Marshall faisait remarquer à ce sujet que si l'histoire, elle ne nous dit
pas si le premier est la cause du second. L'histoire nécessite une interprétation et le recours à
d'autres disciplines. De ce point de vue, l'histoire ne serait remplacée l'économie politique.

La tentative d'élaborer des lois historiques de l'économie: la loi de Wagner
Parallèlement à la valorisation de l'histoire comme facteur explicatif, il a existé au sein de l'école
historique allemande quelques tentatives plus radicales de proposer des grandes lois historiques de
l'économie. Il y a eu d'abord la tentative d'Hildebrand, en proposant un schéma de développement
historique. Ensuite, la deuxième tentative a été la loi d'Adolf Wagner, loi toujours utilisée en
économie publique et que celui-ci a développé dans son œuvre Les fondements de l'économie
politique. Cette loi est la loi de l'extension croissante de l'intervention de l'État. Selon cet auteur,
il existerait un lien de causalité entre l'intervention économique de l'État et le niveau de
développement: « plus la société se civilise, plus l'État est dispendieux ». Cette loi n'est pas le
résultat d'une spéculation mais un constat historique qui se vérifie quelque soit la nature des régimes
politiques. Cette loi d'expansion croissante de l'État est le produit de deux phénomènes
interdépendants: une intervention croissante de l'État dans ses domaines d'intervention traditionnels
comme le droit ou l'exercice du pouvoir et une intervention dans des domaines nouveaux liée à
l'apparition de besoins sociaux issus du développement économique. Dans les deux cas, l'extension
croissante de l'État est la conséquence directe du progrès économique.
 Une intervention croissante dans les domaines traditionnels
C'est l'extension de la division sociale du travail qui nécessite de la part de l'État, la production de
nouvelles règles de droit, visant notamment à encadrer le marché et à réguler la concurrence. Dans
ce cas, le progrès rend plus complexe le fonctionnement de la société et contraint l'État à un
Histoire de la pensée économique
21
processus d'innovations juridiques permanent, destiné à réadapter les anciennes législations à
un contexte nouveau.
 Une intervention dans des domaines nouveaux
Exemples: construction de nouvelles infrastructures, comme dans le cas de l'automobile, quelques
dizaines d'années plus tard; aujourd'hui, on pourrait ajouter Internet comme exemple.
L'augmentation du niveau de vie pousse également à la consommation de biens supérieurs, comme
les loisirs, la santé, la culture, l'éducation, domaines de production socialisée, c'est-à-dire domaines
où l'État intervient. L'intervention de l'État dans ces nouveaux domaines s'expliquent par
l'incapacité du secteur privé à produire ces types de biens à des prix raisonnables et
accessibles à tous.
Déduite de l'observation historique, la loi de Wagner a continué de se vérifier au cours du XXème
siècle, on constate en effet, que le poids de l'État a été croissant. Aujourd'hui, l'ensemble des
prélèvements dans un pays comme la France représente 42% des richesses produites.
On peut aussi vérifier la loi de Wagner à propos des anciens pays socialistes d'Europe de l'Est
lorsqu'ils ont adhéré à l'Union Européenne. En effet, pour y adhérer, ils ont été contraints à un
effort extrêmement lourd d'ajustements législatifs et juridiques dans quasiment tous les domaines de
la vie économique et sociale. Le paradoxe pour ces pays est que bien qu'ils aient été de type
socialistes où l'État intervenait dans tous les domaines, ces pays n'en étaient pas moins sousdéveloppés d'un point de vue législatif et juridique. Ce qui explique ce paradoxe, c'est la loi de
Wagner. Bien que l'interventionnisme de l'État était en apparence sans limites, ces pays étaient aussi
bien plus faiblement développés que les pays occidentaux. C'est la raison pour laquelle leurs
systèmes juridiques et législatifs étaient moins développés que ceux des pays occidentaux. Les pays
d'Europe de l'Est ont mis 15 ans pour adhérer à l'U€, temps nécessaire pour intégrer des législations
qu'ils ne possédaient pas du fait de leur faiblesse économique.
Exemple: ils n'avaient pas de législation concernant l'environnement dans la mesure où les
planificateurs ne tenaient pas compte des externalités environnementales.
Conclusion: les limites de l'école historique allemande et son déclin
L'école historique allemande qui a dominé la théorie économique allemande pendant 60 ans n'a pas
survécu à la Première Guerre Mondiale. Les années 1920 ont marqué son déclin et elle a disparu
dans les années 1930. Elle a souffert de ses propres faiblesses théoriques internes. Elle n'a pas
non plus su construire un modèle théorique alternatif à la théorie économique classique et
néo-classique. En effet, une théorie ne disparaît jamais sous l'effet des critiques, il faut lui trouver
une alternative,ce que n'a pas su faire l'école historique allemande. Comme cette école refusait
toute loi économique universelle, elle n'a eu une approche que purement descriptive. Malgré ce
déclin et cette disparition, elle n'a pas non plus été sans influence. L'école historique allemande a
inspiré l'institutionnalisme américain.
Histoire de la pensée économique
22
Deuxième partie
Une histoire des idées économiques du XXème
siècle
A/
L'institutionnalisme et le néo-institutionnalisme
L'institutionnalisme comme le néo-institutionnalisme ont pour point commun de prendre en
compte l'importance des institutions au sein du fonctionnement général de l'économie. Ce qui
distingue ces deux courants est leur rapport à la théorie néo-classique dominante. Alors que
l'institutionnalisme de Veblen et Commons maintient une distance critique, dans la lignée de
l'école historique allemande; le néo-institutionnalisme, lui, s'attache, au contraire, à compléter la
théorie dominante, avec la prise en compte des institutions.
1/ L'institutionnalisme de Commons et Veblen
A l'origine de l'économie institutionnaliste, il y a sans aucun doute les transformations sans
précédentes de la société et de l'économie américaine du début du XXème siècle. Comme
transformations majeures, on peut citer la naissance de la grande industrie mécanisée avec sa
production de masse standardisée et son organisation scientifique du travail, ou l'avènement de la
consommation de masse avec l'apparition de la publicité, du marketing, de la communication, le
développement de formes modernes de distribution (magasins en libre-service à rayons), ou enfin
les transformations de la propriété économique avec le passage d'un capitalisme de type familial,
de petites entreprises à un capitalisme de la grande entreprise gérée par des managers non
propriétaires ou actionnaires. Toutes ces transformations qui ont eu lieu au début du XXème siècle
ont fait que l'économie américaine ne ressemblait à aucune autre ni à l'idée que pouvait se
faire la théorie économique dominante. Du fait de toutes ces transformations, il apparaît que
l'économie ne peut être pensée comme un fait de nature, mais qu'elle est, au contraire, un fait
historique, une construction sociale contingente et en évolution. Ces transformations expliquent
également que l'institutionnalisme américain a partagé de nombreuses idées communes avec
l'école historique allemande, comme entre autres: le refus de l'universalisme et la nécessité de
comprendre les phénomènes économiques à partir des institutions et des comportements
individuels, dans un cadre évolutif.
Histoire de la pensée économique

23
Définition et rôles des institutions chez Commons et Veblen
Pour Veblen, une institution est une habitude mentale, au sens d'une habitude de pensée et
d'action dominante et stable, issue de l'histoire et d'un processus évolutif qui découle au départ des
instincts pour ensuite s'imposer à l'ensemble de la société.
Pour Commons, une institution est une action collective qui peut prendre différentes formes,
selon son degré de complexité. Dans la forme la plus simple, une institution est un ensemble de
règle de fonctionnement de l'action collective; dans sa forme plus complexe, une institution peut
prendre la forme d'une véritable organisation, à l'image des syndicats ou des partis politiques ou de
l'État.
Une fois les institutions définies, les institutionnalistes essayent de mettre en évidence leurs
influences sur le système économique.
Il y aurait une inertie propre aux institutions, (sa propriété à évoluer en mouvement rectiligne
uniforme ou à rester immobile lorsqu'aucune force externe ne s'y applique, ou que les forces qui s'y
appliquent s'équilibrent) qui définissent des règles sociales et juridiques stables, qui interagissent
entre elles et se renforcent réciproquement. C'est la raison pour laquelle les institutions exercent une
influence durable et massive sur les comportements individuels, à travers les habitudes, les
routines qu'elles génèrent, dont l'influence sera d'autant plus grande qu'elles deviennent
inconscientes et pleinement intériorisées.
A la différence de l'économie libérale qui voit dans les institutions des obstacles au libre
fonctionnement du marché, les institutionnalistes les considèrent comme nécessaire au
fonctionnement du système économique.
Exemples:
 La loi de l'autorégulation du marché par l'équilibre entre l'offre et la demande
Elle détermine les prix et requiert pour fonctionner trois institutions: l'institution de la propriété
privée, l'institution du contrat et l'institution de la division sociale du travail.
 La consommation
Développée par Veblen dans La société des loisirs, il y analyse ce qu'on appelle aujourd'hui l'effet
Veblen ou effet snobisme: c'est le fait que la demande augmente avec l'augmentation du prix.
Tous les biens relevant de l'effet Veblen doivent être analysés en rapport avec l'institution de la
propriété privée que Veblen considère comme inséparable d'un processus de lutte pour
l'accaparement du surplus social.
 Le fonctionnement du marché du travail
Pour qu'il y ait un bon fonctionnement du marché du travail, il faut toutes les institutions déjà citées
dans l'exemple 1, c'est-à-dire, celles au bon fonctionnement d'un marché -à savoir: l'institution de la
propriété privée, du contrat et de la division sociale du travail-, ainsi que toute une législation
protectrice des travailleurs destinée à ne pas raréfier l'offre de travail.
En raison de l'accent mis sur les institutions, notamment, celles protectrices des travailleurs, on peut
comprendre le rôle déterminant des institutionnalistes dans la création sous Roosevelt des
institutions de l'État-Providence américain. Contrairement à un préjugé, ce n'est pas la théorie
keynésienne qui a inspiré fondamentalement le New Deal mais c'est l'institutionnalisme américain
de Veblen et Commons. Ce n'est qu'après 1936 que les idées de Keynes sont reconnues et mises en
pratique par l'administration de Roosevelt. Keynes sera, d'ailleurs, tellement important qu'il fera
oublier l'influence de l'institutionnalisme.

Le rôle des comportements individuels au sein des activités économiques
Histoire de la pensée économique
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Les institutionnalistes ne délaissent pas le rôle des comportements et des stratégies individuels au
sein de l'action économique. Néanmoins, à la différence de la théorie néo-classique,
l'institutionnalisme ne considère pas ces comportements comme rationnels et lorsqu'ils le sont,
ils jugent que c'est en partie la conséquence d'une situation institutionnelle. Du point de vue
des comportements individuels, l'institutionnalisme américain se situe à mi-chemin entre
l'individualisme méthodologique qui considère qu'on peut expliquer la société à partir des
comportements individuels, et une démarche de type holiste qui pense que le comportement des
individus est dicté par la société, l'individu est donc soumis à une loi de la totalité et il joue un rôle
pré-établi. La démarche de l'institutionnalisme est interactionniste: pour l'institutionnalisme, il
y a en permanence interaction entre l'individu et l'institution. L'individu n'est pas totalement
soumis à l'institution mais l'institution définit des règles auxquelles est contraint l'individu, dans
lesquelles il peut pourtant écrire sa propre stratégie.
On trouve également dans l'institutionnalisme des proximités avec ce qui sera développé plus
tard par Herbert Simon sur la théorie de la rationalité limitée. La rationalité limitée est l'idée
qu'un individu ne va pas toujours rechercher la solution optimale, il n'est pas forcément
maximisateur car il n'en est pas capable, ne disposant d'une information parfaite et n'étant pas dans
la capacité d'étudier toutes les solutions alternatives. L'individu ne cherchera pas la meilleure
solution dans l'absolu mais la solution la plus acceptable pour lui. Cette théorie est déjà
implicitement présente chez Veblen et Commons.

L'influence de l'école historique allemande sur l'institutionnalisme américain
Il y a un double lien. Il est d'abord d'ordre universitaire: beaucoup d'économistes allemands sont
venus aux États-Unis à la fin du XIXème siècle. Ces économistes en 1885 ont fondé l'American
Economic Association (AEA). Les professeurs de Veblen et de Commons ont été formés en
Allemagne. Le second lien est d'ordre plus théorique: l'institutionnalisme américain insiste
beaucoup plus sur le rôle de l'individu que l'école historique allemande, qu'elle avait pourtant
évoqué.
2/ Le néo-institutionnalisme de Coase, Williamson et North
La nouvelle économie institutionnelle développée aux débuts des années 1970 trouve ses
racines dans la théorie de Ronald Coase des coûts de transaction. C'est autour de cette notion
que la nouvelle économie institutionnelle conçoit les institutions, en lien direct avec la rationalité
des comportements individuels. Alors que l'institutionnalisme de Commons et Veblen avait une
vision large des institutions, le néo-institutionnalisme réduit les institutions au marché et à la firme,
elle privilégie une optique micro-économique de la minimisation des coûts de transaction. C'est le
concept de coût de transaction qui fait l'unité du néo-institutionnalisme dans la mesure où il
existe à l'intérieur de ce courant des orientations divergentes, notamment chez Douglas North qui
met plutôt l'accent sur une réflexion d'ordre macro-historique.
Histoire de la pensée économique

25
Définition du concept de coût de transaction chez Ronald Coase
C'est Oliver Williamson que l'on peut considérer comme le fondateur de la nouvelle école
institutionnelle dans la mesure où c'est lui qui popularise le concept de coût de transaction
développé par Coase.
Le concept de coût de transaction a pour origine un constat du fait qu'il existe deux mécanismes de
coordination au sein du système économique aussi importants l'un que l'autre:
 l'échange à travers la formation d'un prix,
 l'organisation interne de la firme.
Coase se demande quelles sont les raisons qui fait préférer le choix d'une coordination par les
prix ou par l'organisation. La réponse que donne Coase est l'existence de coûts de transaction:
parce qu'il existe des coûts de transaction, des coûts de recours au marché, qu'il est préférable
pour une entreprise de produire elle-même plutôt que de faire appel au marché. Les coûts de
transaction sont des coûts de recherche d'informations sur les prix, la qualité des produits, des coûts
de négociation ainsi que des coûts de surveillance et d'exécution des closes du contrat. C'est la
raison pour laquelle une entreprise peut recourir à une coordination par l'organisation interne. Le
choix entre le marché (ou la sous-traitance) ou l'organisation interne est un arbitrage qui se
fait sur la base d'une comparaison entre les coûts de transaction et les coûts d'organisation.
Chez Coase, il n'y a rien qui relève des institutions. Pourtant le concept de coûts de
transaction sert de lien avec la nouvelle économie institutionnelle. La première problématique
vient en réalité, avec Williamson.

Prolongements apportés par Williamson
On doit à Williamson la transformation de la théorie des coûts de transaction en nouvelle économie
institutionnelle par sa sophistication et sa prise de distance critique vis-à-vis de la théorie néoclassique, sans non plus aller jusqu'à une rupture.
Pour Williamson, les institutions sont l'ensemble des règles qui encadres les coûts de
transaction, en donnant en même temps un sens très large à la notion de coûts de transaction, qui
peut alors signifier les coûts de transaction internes et aussi externes.
Il ajoute trois éléments à la théorie des coûts de transaction:
 la notion d'incomplitude des contrats
Lorsqu'on fait un contrat, on ne peut jamais prévoir à l'avance tous les cas de figure possibles, de
sorte qu'on ne peut déterminer exactement les coûts de transaction.
 la notion d'opportunisme des agents
C'est le fait de profiter d'une information imparfaite pour tirer un avantage indu. De ce fait, les
coûts de transaction peuvent, dans ce cas là aussi, être plus élevés que ceux prévus au départ.
 la notion d'actifs spécifiques
Tous les actifs ne doivent pas être mis au même niveau. Un actif spécifique sera difficilement
réutilisable.
Exemple: la comptabilité est un actif non spécifique car les règles comptables sont les mêmes pour
tous; ainsi, de premier abord, il apparaît qu'il vaut mieux sous-traiter la comptabilité. Or la
comptabilité peut donner des informations confidentielles, donc plus l'entreprise est concurrencée,
plus elle aura peut-être intérêt à avoir son propre service pour la confidentialité des informations.
Histoire de la pensée économique

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Le néo-institutionnalisme macro-économique de Douglas North
La nouveauté de North est d'insister sur l'impact des coûts de transaction dans le développement
économique alors que Williamson insiste au contraire sur le rôle des coûts de transaction comme
variable principale dans les choix d'organisation et cela dans une optique de minimisation. Pour
Douglas North, les institutions peuvent modifier les coûts de transaction, ce qui rend les
échanges plus faciles et les performances économiques meilleures. Le constat de Douglas North
dans les pays développés est celui d'une hausse tendancielle des coûts de transaction avec une
conception large de coût de transaction: on passe de 15% au début du XXème siècle à 45% en 1995
du PIB consacré à la gestion de ces coûts.
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B/
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La révolution keynésienne
John Maynard Keynes est l'économiste dont les intuitions ont eu les répercussions les plus
importantes tant d'un point de vue théorique que pratique. La révolution keynésienne ne s'identifie
pas uniquement par une rupture théorique mais associe au nom de Keynes l'existence de l'État
Providence appelé État keynésien, de stabilisateur économique au niveau de la demande appelé
stabilisateur keynésien.
Le contexte dans lequel Keynes apparaît est celui d'une grave crise du capitalisme, grande
dépression des années 1930 débutée par le crack boursier du jeudi noir du 24 octobre 1929. Le PIB
a diminué d'environ 35% entre 1929 et 1933. Il y a une domination écrasante de la théorie microéconomique caractérisée par un intérêt exclusif porté aux problèmes d'allocations des ressources et
une confiance aveugle dans le caractère régulateur des marchés. La théorie néoclassique
affirme aussi que si on fait jouer la concurrence sur le marché du travail et avec la flexibilité
des salaires, il est impossible qu'il y ait du chômage non-volontaire.
Keynes est parti de l'évidence que le chômage n'est pas volontaire mais involontaire, que le
marché n'est donc pas auto-régulateur. Le marché est capable de déséquilibres cumulatifs et
durables. Keynes a donc proposé une théorie alternative au modèle néo-classique.
Sa théorie alternative est fondée sur le rejet de quatre hypothèses:
 la flexibilité des prix comme seul processus d'ajustement des déséquilibres
 la neutralité de la monnaie
La monnaie peut avoir un effet de stimulation et n'est pas nécessairement inflationniste.
 un unique niveau d'équilibre, qui serait un optimum
 le prima de l'offre sur la demande ou de l'épargne sur l'investissement
Sur la base du rejet de ces quatre postulats, Keynes a élaboré un modèle qui rend possible voire
nécessaire l'intervention de l'État.
Le modèle alternatif proposé par Keynes repose également sur un changement dans la nature du
raisonnement économique. En substituant à un raisonnement statique d'équilibre de marché de type
équilibre partiel à la Marshall, un raisonnement en terme de circuit économique caractérisé par
une vision dynamique et interactive des phénomènes économiques. Au fondement de ce
raisonnement en terme de circuit, il y a le principe du multiplicateur, qui est à la base de toute
théorique économique keynésienne.

Les hypothèses keynésiennes sur le comportement des agents
Pour Keynes, si les individus sont rationnels, ils agissent néanmoins en situation d'information
imparfaite. Ils sont en permanence plongés dans l'incertitude, ce qui limite la rationalité
maximisatrice des individus prévue pourtant chez les classiques. Il y a donc anticipation car il
y a incertitude. Qui dit anticipation, dit également risque d'erreur. Ces erreurs d'anticipation liées à
la situation d'incertitude ont pour conséquence l'adoption pour les individus de comportement
protecteur dont l'agrégation au niveau global ne donnera pas lieu nécessairement à un résultat
optimum.
Le comportement de protection peut constituer un danger pour les agents économiques. Exemple:
excès d'épargne → baisse de la consommation → baisse de la demande → baisse de
l'offre → baisse de la production → baisse des revenus
Histoire de la pensée économique
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Chez Keynes, il existe des effets de composition où la somme des comportements individuels ne
donne pas lieu à un résultat optimum et peut même conduire à l'inverse de l'effet recherché. Le tout
n'est pas la somme des parties. Le tout est supérieur de la somme des parties. La norme ne se situe
donc pas dans l'équilibre mais dans le déséquilibre, ce dernier appelant à une action
correctrice de l'État.

Les hypothèses keynésiennes sur le niveau d'analyse
Keynes fait une représentation en circuits économiques, ce qui le force à rompre avec l'unicité
de l'équilibre, supposé constituer une situation optimale dans la théorie néo-classique. L'équilibre
chez Keynes n'est jamais unique et s'il y a équilibre, il n'est pas considéré comme optimum. Il peut
y avoir une situation d'équilibre caractérisée par une situation de chômage: c'est l'équilibre de sousemploi. Il y a une différence fondamentale dans l'analyse de l'origine du chômage: chez les néoclassiques, le chômage ne peut résulter que dans un mauvais fonctionnement du marché du travail,
le chômage ne peut être dû qu'à des rigidités, qui empêche la flexibilité du salaire à la baisse.
Dans la théorie néo-classique, si il y a du chômage, c'est à cause d'un salaire trop élevé. Les salariés
refusent le salaire réel proposé: c'est un chômage volontaire.
Pour Keynes, le chômage ne résulte pas d'un mauvais fonctionnement du marché, cela résulte d'une
insuffisance du niveau de la production et donc d'une insuffisance de la demande globale.

Les hypothèses keynésiennes sur les analyses d'ajustement et de régulation
Le mécanisme central d'ajustement est la flexibilité des prix. L'ajustement au sein de la théorie
néoclassique s'effectue par les prix et par les quantités. Chez Keynes, l'ajustement se fait
uniquement par les quantités en supposant sur court terme des prix stables ou des prix
rigides. Cet ajustement par les quantités et non par la flexibilité des prix peut très bien donné lieu à
des phénomènes de dépression cumulative qui peuvent s'auto-entretenir. C'est la raison pour
laquelle l'intervention de l'État est nécessaire pour soutenir la demande globale et donc
empêcher la dépression cumulative. L'ajustement par les quantités fait que le marché n'est pas
Histoire de la pensée économique
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pour Keynes spontanément auto-régulateur. Cela ne veut pas dire non plus qu'il faut supprimer
l'initiative privée et qu'il ne faut pas s'en remettre à une socialisation de la production ou de
l'investissement par l'État. De ce point de vue, l'État keynésien apparaît comme une institution
différente d'un État socialiste. Le rôle de l'État pour Keynes est un rôle de stabilisation et de
stimulation de la conjoncture. Le marché, aussi imparfait soit-il, reste nécessaire pour y faire une
allocation des ressources et y garantir un certain flux des progrès techniques.
Le circuit économique keynésien de base
A la différence d'un raisonnement économique de type équilibre partiel, la représentation de
l'économie par Keynes fait jouer cinq caractéristiques
 prise en compte du temps
 existence de flux
 succession logique et temporelle de la production vers le revenu, du revenu à la dépense et
de la dépense à la production
 possibilité d'un déséquilibre
 rôle fondamental des anticipations des entrepreneurs, ce qui correspond à la notion de
demande effective.
Si on raisonne de manière ex post (flèches grises),c'est-à-dire après la
Démonstration:
réalisation des marchandises sur le marché, il y a nécessairement
Offre globale = Y = C + S
égalité entre l'offre et la demande. Et si l'offre et la demande sont
Demande globale = C + I
égales, l'épargne et l'investissement sont égaux.
Donc si O = D, S=I.
Il existe chez Keynes un deuxième équilibre, ce n'est pas une conception comptable. Si on raisonne
en ex ante (flèche beige), il y a aucune nécessité à ce qui est égalité entre I et S. Ce ne sont pas les
mêmes personnes qui épargnent que celles qui investissent. D'autre part, les actes d'épargne
et d'investissement ne reposent pas sur les mêmes motivations, car l'investissement n'est que l'un
des mobiles de l'épargne. Il existe pour Keynes, quatre mobiles pour l'épargne: motif de
transaction (on épargne en vue d'effectuer plus tard une transaction), épargne de précaution,
épargne pour spéculer, épargne pour investir. Rien n'assure, aucun mécanisme oblige qu'il y ait
ex ante, une égalité entre épargne et investissement.
Si la théorie de Keynes comporte deux conceptions différentes de l'équilibre (une dans équilibre
comptable ou ex post et un équilibre économique ou ex ante qui rend possible un déséquilibre
économique), il existe entre ces deux conceptions une relation et un processus d'ajustement. Ce
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mécanisme d'ajustement est un ajustement par les quantités qui fait jouer le multiplicateur. En cas
de déséquilibre ex ante entre l'épargne et l'investissement, un ajustement par les quantités
s'effectuera, qui permettra ex post de rétablir l'équilibre entre l'épargne et l'investissement.
 En résumé, chez Keynes on passe d'un déséquilibre ex ante à un équilibre ex post, à
travers un processus d'ajustement par les quantités qui est le multiplicateur.
Le multiplicateur d'investissement
On suppose que l'État peut déséquilibrer l'économie ex ante pour stimuler la croissance avec une
augmentation de l'investissement. Avec le multiplicateur, il y a retour à un équilibre ex post: le
multiplicateur d'investissement est un processus d'ajustement.
Le multiplicateur d'investissement est le premier et le plus simple d'une série nombreuses de
multiplicateurs qui correspondent à des modèles de fonctionnement de l'économie. Il n'y a donc
pas que l'investissement qui a un effet multiplicateur. Plus globalement, chez Keynes, ce qui a
un effet multiplicateur est la variation d'une composante exogène, autonome de la demande. Il
ne faut pas non plus croire que c'est l'investissement dans son côté offre qui a un effet
multiplicateur. On entend par un investissement dans son côté offre, l'investissement en tant
qu'augmentation des capacités de production. Ce qui joue un rôle est l'investissement dans son
côté demande, c'est-à-dire c'est l'investissement en tant que création d'un revenu.
n
ΔI
ΔY
ΔC
ΔS
0
1000
investissement public
1
1000
800
200
2
800
640
160
3
640
512
128
4
512
409,6
102,4
Σ
5000
4000
1000
Propension moyenne à consommer: c= C/Y
Supposée constante et égale à 0,8.
Σ ΔY = ΔI +c.ΔI + c².ΔI +...+ c^(n-1).ΔI
Σ ΔY = ΔI .(1 – c^n) / (1-c) n étant grand et c petit,
c^n est proche de 0
Σ ΔY = ΔI x 1/1-c
→ k = 1 / (1 – c)
N.B: 1 – c = s avec s propension à épargner
A l'issu du tableau et des calculs, on constate que l'épargne est égale au montant de
l'investissement initial. Le multiplicateur permet de rétablir l'inégalité entre épargne et
investissement: on passe d'un déséquilibre ex ante à un équilibre ex post.
Plus la propension moyenne à consommer, plus le multiplicateur sera lui-même élevé. Keynes
conclue alors qu'il faut encourager la consommation. Il ne faut pas hésiter à adopter des politiques
de soutien aux revenus pour les populations les plus pauvres, par le biais de la protection sociale.
Histoire de la pensée économique
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Quelque soit la valeur de la propension moyenne à consommer, tout processus multiplicateur
dégage une épargne strictement égale au montant de l'investissement.
S'il n'y avait pas d'épargne, le multiplicateur serait infini: l'épargne rend le multiplicateur fini en
jouant le rôle de fuite du système économique.
Chez les économistes classiques et néoclassiques, c'est l'épargne qui est toujours à l'origine de
l'investissement. Or ici, chez Keynes, on voit bien que l'investissement peut être à l'origine de
l'épargne.
Pour que le multiplicateur marche, il faut que l'économie soit en crise ou est subie une crise
importante, de sorte que le système économique dispose de capacités productives inutilisées. Si
ces conditions sont remplies, l'offre peut dans ce cas répondre aux injonctions de la demande.
Par contre, si ces conditions ne sont pas remplies, toute politique de relance keynésienne se
traduirait par une inflation. Le modèle keynésien n'est donc pas un modèle de croissance
économique mais un modèle de relance de la production sur court terme.
On peut trouver le multiplicateur k d'une autre manière.
Ressources = Offre globale = Y = C + S
Emplois = Demande globale = C + I
En cas d'équilibre entre l'offre et la demande, on a Y = C + I.
Variable endogène: variable dont la valeur dépend du résultat de l'équation
Variable exogène: variable indépendante, dont la valeur peut être fixée arbitrairement
Cette différenciation n'a de sens que dans une modélisation.
On suppose C endogène, dépendante de Y. Cette dépendance est appelée fonction de consommation,
que l'on peut écrire sous la forme C=c.Y.
Y=c.Y + I
(1-c)Y = I
Y = I / (1-c)
On dérive Y par rapport I:
ΔY / ΔI = 1 / (1-c) = k
La théorie du multiplicateur est au centre de la théorie keynésienne et de la révolution keynésienne.
Les multiplicateurs keynésiens permettent de construire les politiques économiques. Pour
l'économie française, si on tient compte de toutes les complications, les multiplicateurs keynésiens
sont égaux à 1.
Histoire de la pensée économique
C/
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Le monétarisme et les néoclassiques
Ce sont deux doctrines relativement récentes et proches, fondées sur le rejet de la théorie
keynésienne et des politiques économiques keynésiennes. Le monétarisme remet surtout en cause
la crédibilité et la pertinence des politiques keynésiennes à travers une discussion sur l'origine et la
nature de l'inflation et donc sur la base d'une certaine conception de la monnaie, d'où leur
dénomination. La nouvelle économie classique se constitue en radicalisant certaines des thèses
monétaristes en apportant cependant des arguments nouveaux critiques à l'égard des théories
keynésiennes.
Le principal fondateur du monétarisme est Milton Friedman, prix Nobel d'économie en 1976,
conseiller de Nixon et Reagan.
La théorie néoclassique a deux représentants: Robert Lucas et Robert Barro, également eux aussi,
prix Nobel.
1/ Le monétarisme et la réhabilitation de la
théorie quantitative de la monnaie
Le monétarisme n'est pas une doctrine conférant à la monnaie un rôle déterminant dans le
fonctionnement du système économique. C'est en réalité exactement l'inverse: le monétariste
s'évertue à montrer que la monnaie n'est pas la solution en matière économie politique, mais c'est
justement le problème des difficultés économiques.
Le principe de base du monétarisme est l'idée que l'inflation est par définition, toujours d'origine
monétaire, au sens où l'inflation est toujours le résultat d'une émission excessive de quantité de
monnaie. Cette émission peut être à la conséquence d'une politique de relance keynésienne, par
déficit budgétaire et financement monétaire. Autrement dit, pour le monétarisme, la monnaie est
neutre. La monnaie n'a pas d'incidence, d'influence sur le fonctionnement de l'économie réelle. Elle
n'a d'influence que sur les quantités nominales et non sur les quantités réelles. La monnaie n'agit
que sur les prix nominaux et non sur les prix relatifs. Pour justifier cette neutralité, le
monétarisme s'appuie sur la théorie quantitative de la monnaie, exprimée ainsi par Irvin Fisher:
Mv = p.T
avec M, masse monétaire; v, vitesse de circulation de la monnaie; p, niveau général des prix;
T, volume de transactions
Cette formule est une pure identité comptable. Le monétarisme transforme cette relation comptable
en une relation de causalité. La causalité est de déduire la variation de p à partir de la variation de
M. Pour cela, le monétarisme doit poser quatre postulats:
 il faut que la quantité de monnaie soit facilement calculable;
 la variation de la quantité de monnaie est supposée exogène;
 la vitesse de circulation de la monnaie est supposée constante;
 la monnaie est supposée totalement neutre et sans influence sur T.
Ainsi si ces postulats sont réunis, on peut déduire: Δp = ε.ΔM.
Le monétarisme préconise un strict encadrement de la politique monétaire en considérant que la
norme d'accroissement de la masse monétaire doit correspondre au taux de croissance naturel de
l'économie. Pour qu'il y ait cet encadrement, il faut que les banques centrales soient indépendantes
des politiques.
Histoire de la pensée économique
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Si les critiques du monétarisme n'ont pas été suffisantes pour « terrasser » la théorie keynésienne, le
monétarisme a eu une influence décisive sur les politiques monétaires, notamment sur la
Banque centrale Européenne.
2/ La nouvelle économie classique et la remise en cause
de l'efficacité des politiques keynésiennes
Le monétarisme a rencontré un succès important dans les années 1970 qui ont été des périodes de
forte inflation pour les pays développés. Dans ces mêmes années, est apparue l'inefficacité des
politiques keynésiennes ainsi que l'idée qu'elles auraient généré de l'inflation. C'est dans ce
contexte de stagflation que le monétarisme a rencontré un succès important. La théorie quantitative
de la monnaie n'est pas une invention de Fisher, l'idée date des Romains. D'un cas particulier
d'échec des politiques de relance keynésiennes, le monétarisme a voulu en faire un cas général et a
décrété que toute politique keynésienne est inflationniste. On peut donc remettre en cause le
monétarisme dans cette approche de généralisation. Faire une critique au keynesianisme sous cet
angle, c'est remettre en cause la théorie keynésienne d'un cas particulier. Ce n'est pas une critique
générale.
De ce point de vue, la nouvelle économie classique apporte des arguments beaucoup plus généraux
et pas forcément en lien avec l'inflation, à l'encontre de toutes politiques keynésiennes. Cette
dernière n'est donc pas focalisée sur l'inflation. Son concept fondamental est celui d'anticipation
rationnelle, qui lui s'oppose au concept d'anticipation adaptative. L'anticipation rationnelle est
le fait que les agents tirent partie de toute information disponible pour établir des prévisions
parfaites. Les agents ne se trompent pas, à la différence des anticipations adaptatives où l'erreur
permet d'anticiper différemment. On suppose donc que les agents économiques connaissent le
vrai modèle économique. C'est à partir de cette anticipation rationnelle que Robert Barro remet
en cause le principe de l'efficacité des politiques keynésiennes. Son raisonnement est le suivant:
lorsque l'État augmente les dépenses et s'endette, les agents économiques anticipent une
augmentation des impôts future; pour financer cette augmentation future anticipée, les agents
économiques augmentent alors leur épargne. Une politique de relance keynésienne est donc nulle
avec cette anticipation.
On peut faire cependant deux objections à la réfutation de Barro. Premièrement, peu d'individus
ont des anticipations rationnelles. De plus, ce n'est pas parce que l'État s'endette, que les impôts
augmentent. C'est d'ailleurs une question actuelle en Europe. Le capitalisme a toujours fonctionné
sur la dette.
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