Access to the PDF text

publicité
Presse Med. 2015; 44: 30–36
Mise au point
ANGIŒD EME
on line on
www.em-consulte.com/revue/lpm
www.sciencedirect.com
Dossier thématique
Angiœdème : diagnostics différentiels
David Launay 1,2,3,4
Disponible sur internet le :
18 décembre 2014
1. Université de Lille, faculté de médecine, 59045 Lille cedex, France
2. CHRU de Lille, hôpital Claude-Huriez, Centre national de référence de la
sclérodermie systémique, service de médecine interne, 59037 Lille cedex, France
3. EA2686, 59000 Lille, France
4. Centre national de référence des angiœdèmes à kinine (CREAK), 38700 La
Tronche, France
Correspondance :
David Launay, CHRU de Lille, hôpital Claude-Huriez, service de médecine interne,
rue Michel-Polonovski, 59037 Lille cedex, France.
[email protected]
Points essentiels
L'angiœdème (AE) est un syndrome clinique défini par un gonflement localisé du derme profond
ou des tissus sous-cutanés ou sous-muqueux.
Il apparaît rapidement, n'est pas prurigineux, toujours circonscrit, transitoire et disparaît sans
séquelles. Un gonflement qui ne répond pas à ces critères n'est pas un AE.
La démarche étiologique d'un AE (histaminique ou bradykinique) ne doit être commencée
qu'après vérification qu'il s'agit bien d'un AE.
Parmi les diagnostics différentiels, deux situations peuvent être particulièrement trompeuses :
les œdèmes généralisés mais évoluant par poussées ou semblant prédominer dans une zone
corporelle ; les œdèmes localisés permanents mais qui dans la phase d'installation peuvent
fluctuer dans le temps et passer pour une « poussée d'angiœdème ».
Il faut savoir remettre en cause un diagnostic d'AE lorsque l'évolution est atypique ou devant une
résistance au traitement.
L'AE héréditaire est une pathologie rare alors que l'AE histaminique est beaucoup plus fréquent
(attention au sur-diagnostic de la pathologie rare).
Même chez les patients ayant un AE connu et avéré, il faut savoir évoquer un diagnostic
différentiel devant toute manifestation compatible avec une poussée mais atypique ou répondant
mal au traitement.
Key points
Angioedema: Differential diagnosis
30
Angioedema (AO) is a clinical syndrome defined by a local swelling of the deep dermis or
subcutaneous/submucosal tissues.
AO is of rapid installation, non-pruritic, always circumscribed and transitory without any
sequellae. A swelling not fulfilling these characteristics is not an AO.
© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 19/04/2017 Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
tome 44 > n81 > janvier 2015
http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.06.016
© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Angiœdème : diagnostics différentiels
Characterization of the bradykinic or histaminic mechanism should not be started until it is firmly
established that the patient has an AO.
Among differential diagnosis of AO, two clinical situations can be particularly misleading:
generalized edema with flare and remission or with a subjective or objective localized predominance; permanent localized edema but with fluctuation during time.
Diagnosis of AO should be questioned if the evolution is unusual or if there is a resistance to the
treatment.
Hereditary AO are rare diseases whereas histaminic AO are much more frequent (beware of
overdiagnosis of a rare disease).
Even in patients with a known and real AO, a differential diagnosis should be evoked when a new
clinical manifestation is atypical or is treatment resistant.
angiœdème héréditaire dont la « crise abdominale résistante »
était en fait une péritonite appendiculaire ou une pancréatique
lithiasique. . . Mais c'est aussi exact pour des localisations a priori
hors de tout soupçon comme un œdème jugal, résistant au
traitement, mais dont l'analyse sémiologique et le suivi a permis de diagnostiquer soit une cellulite dentaire soit une parotidite chez un patient ayant pourtant un angiœdème héréditaire
avéré. . .
Le troisième élément de réflexion est que les angiœdèmes
héréditaires sont des maladies rares, contrairement à d'autres
diagnostics différentiels. Il est prudent d'évoquer d'abord les
pathologies les plus fréquents, tout en gardant à l'esprit la
possibilité d'une maladie rare. Dans cette mise au point, nous
aborderons le diagnostic positif et les diagnostics différentiels
des angiœdèmes. Nous n'aborderons pas les différents mécanismes (histaminiques versus bradykiniques) des angiœdèmes
avérés.
Diagnostic positif
Un angiœdème est un syndrome clinique défini par un gonflement localisé du derme profond ou des tissus sous-cutanés ou
sous-muqueux, lié à une dilatation et une augmentation de la
perméabilité vasculaire locale. Ce gonflement est d'apparition
rapide, en quelques minutes ou en quelques heures [3,4]. Il
n'est pas prurigineux mais peut être douloureux. Il est souvent
blanc ou légèrement rosé, mou, déformant et toujours circonscrit. Il est toujours transitoire et dure de quelques heures
à quelques jours. Il disparaît complètement, généralement en
moins de 7 jours, sans exception, et sans aucune séquelle. Il est
le plus souvent récidivant.
Les localisations les plus fréquentes de l'angiœdème sont les
extrémités, la face, les voies aériennes supérieures et l'abdomen [5,6]. D'autres localisations sont possibles mais moins
fréquentes : appareil génital, système urinaire. . .
Diagnostic différentiel
Les caractéristiques cliniques décrites ci-dessus peuvent également se décliner en miroir : tout gonflement généralisé et/ou
tome 44 > n81 > janvier 2015
© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 19/04/2017 Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
31
L'
angiœdème ou sa suspicion est un motif fréquent de
consultation dans les services d'accueil des urgences ainsi que
dans différents services de spécialité [1]. À côté de certaines
situations relativement simples mais assez rares, telle une
nouvelle poussée d'angiœdème typique chez un patient ayant
un diagnostic connu (angiœdème héréditaire ou angiœdème
histaminique, par exemple), la plupart des situations nécessitent une démarche diagnostique précise.
La première question à se poser est : s'agit-il bien d'un angiœdème ? Pour triviale qu'elle puisse apparaître, cette question est
cependant, comme nous le verrons, fondamentale mais pas
toujours aisée. Y répondre peut éviter une errance diagnostique
ou thérapeutique ou des examens complémentaires inadaptés.
Il est également essentiel de ne se poser la question du mécanisme éventuel d'un hypothétique angiœdème qu'une fois
certain qu'il s'agisse bien d'un angiœdème ou que la présentation clinique soit effectivement compatible. Faire l'inverse, c'està-dire, par exemple, doser le C1 inhibiteur (C1 Inh) quantitatif
ou fonctionnel devant un tableau non compatible avec un
angiœdème, est s'exposer à des erreurs diagnostiques et
notamment un diagnostic par excès. Il faut cependant reconnaître que certains diagnostics différentiels de l'angiœdème
sont particulièrement trompeurs, notamment par le caractère
récidivant et évoluant par crise de leurs manifestations, et que
seul l'examen clinique attentif, l'interprétation des examens
complémentaires comprenant la recherche de pathologies se
manifestant par des angiœdèmes et parfois seule l'évolution
permettront un diagnostic correct. Il faut d'ailleurs savoir remettre en cause régulièrement un diagnostic posé d'angiœdème
lorsque cette évolution devient atypique soit cliniquement soit
par la résistance à un traitement bien conduit.
Le deuxième élément de réflexion découle de la pratique
clinique : il faut savoir évoquer un diagnostic différentiel de
l'angiœdème même si le patient a un angiœdème connu. C'est
particulièrement vrai pour les localisations viscérales de
l'angiœdème ou en cas d'atypie et notamment de résistance
à un traitement bien conduit [2]. Les médecins ayant en charge
ces patients ont de multiples exemples de patients ayant un
Mise au point
ANGIŒD EME
Mise au point
D. Launay
inflammatoire et/ou permanent et/ou durant plusieurs
semaines et/ou laissant des séquelles ne peut pas être un
angiœdème et la démarche étiologique d'un angiœdème, tel
le dosage de C1 Inh, est inutile, voire peut fausser les pistes
en mettant en évidence des petites anomalies qui seront
finalement sans rapport avec la pathologie en cause [7]. La
présence de fièvre ou de lésions cutanées en regard du
gonflement, tels des vésicules ou un placard inflammatoire,
est également en défaveur d'un diagnostic d'angiœdème. Une
mauvaise démarche diagnostique est illustrée par l'exemple
suivant : mise en évidence d'une altération modérée de la
fonction du C1 Inh, liée par exemple à la prise d'estrogènes, et
aboutissant à tort à un diagnostic d'angiœdème héréditaire de
type III, ce dosage ayant été demandé chez une patiente
ayant finalement, par exemple, une cellulite de la face ou
un syndrome de Melkersson-Rosenthal ou une tumeur orofaciale se manifestant par un gonflement permanent. D'autre
part, chaque localisation (extrémités, voies aériennes supérieures ou face, abdomen) de l'angiœdème à ses propres
diagnostics différentiels.
Certaines situations sont cependant particulièrement difficiles
à différencier de l'angiœdème. C'est notamment le cas d'un
œdème généralisé évoluant par crise avec une rémission
complète, ou alors d'un œdème généralisé mais prédominant
objectivement ou subjectivement à un endroit passant
ainsi pour des « poussées d'angiœdème localisé ». C'est aussi
le cas d'un œdème localisé, finalement permanent, mais
initialement fluctuant avec des périodes de rémissions plus
ou moins longues, avant de devenir effectivement permanent. Cette période faite de rémissions et de récidives de
l'œdème localisé, finalement permanent, peut assez facilement passer pour des poussées d'angiœdème. La démarche
diagnostique simplifiée face à un œdème est résumée sur la
figure 1.
Œdème généralisé
Par définition, l'angiœdème n'est pas un gonflement ou œdème
généralisé et de ce fait certains diagnostics sont relativement
faciles à éliminer tels que la rétention hydrosodée d'origine
cardiaque, rénale ou hépatique, les hypoprotidémies et l'hypothyroïdie. Les causes médicamenteuses méritent également
d'être évoquées tel les inhibiteurs calciques. Cependant, la
présentation est parfois trompeuse, notamment lorsque
l'œdème diffus apparaît faussement localisé par la pesanteur
ou les contraintes mécaniques et/ou qu'il évolue par poussée.
Ainsi, le ou la patiente va se plaindre « d'œdème des mains »
alors qu'il est en fait généralisé. Parmi les œdèmes généralisés
évoluant par poussées, deux diagnostics liés à un trouble de la
perméabilité capillaire doivent être évoqués, l'un parce qu'il est
fréquent et l'autre parce qu'il est grave : l'œdème cyclique
idiopathique et les syndromes d'hyperperméabilité capillaire
paroxystiques.
Figure 1
32
Démarche diagnostique simplifiée face à un œdème généralisé ou localisé
© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 19/04/2017 Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
tome 44 > n81 > janvier 2015
Angiœdème : diagnostics différentiels
Œdème permanent ou inflammatoire des
extrémités
Certaines pathologies s'accompagnent de gonflements des
extrémités pouvant mimer un angiœdème mais s'en différencient par leur caractère permanent et/ou inflammatoire. Parmi
les œdèmes permanents et non inflammatoires, les lymphœdèmes sont les plus fréquents. En cas d'installation subaiguë, il
faudra évoquer les thromboses ou compressions veineuses. En
cas d'œdème inflammatoire aigu, les causes infectieuses sont
bien sûr à privilégier. Ainsi, les dermohypodermites infectieuses
peuvent parfois avoir un début rapide, ne se manifestant que
par un œdème isolé d'un membre ou de l'appareil génital et
pouvant mimer un angiœdème. Le terrain et l'évolution permettent de redresser le diagnostic et il faut surtout se méfier
alors d'un test par des corticoïdes dans une hypothèse allergique
qui aggraverait bien sûr cette complication infectieuse. Un
aspect de pseudo-érysipèle avec un œdème localisé aigu peut
s'observer au cours de certaines maladies auto-inflammatoires,
en particulier le syndrome TRAPS [10,11]. Enfin, les envenimations peuvent également se manifester par un œdème aigu
inflammatoire.
En cas d'installation plus subaiguë de l'œdème, une arthrite
ou une ténosynovite importante doivent être évoquées et
peuvent mimer un angiœdème. L'atteinte est le plus souvent
Mise au point
Figure 2
Remitting symmetrical seronegative synovitis with pitting edema
(RS3PE)
Noter l'œdème du dos de la main et la polyarthrite touchant les articulations
métacarpophalangiennes et interphalangiennes.
permanente, très localisée ou circonscrite aux articulations et
l'existence d'un syndrome inflammatoire permettra aussi d'évoquer un diagnostic différentiel. Certaines connectivites ou maladies systémiques peuvent avoir un début œdémateux au niveau
des doigts et des mains. C'est notamment le cas du RS3PE pour
remitting symmetrical seronegative synovitis with pitting
edema (figure 2). Cette pathologie touche électivement le sujet
âgé de plus de 60 ans. Son début est rapide avec un œdème
bilatéral, symétrique et distal, blanc et mou et qui a la particularité de prendre de manière évidente le godet. L'œdème
atteint préférentiellement le dos des mains. Ce qui permet
d'évoquer un diagnostic différentiel avec un angiœdème sont
la présence d'une polyarthrite associée, le godet majeur et le
syndrome inflammatoire biologique souvent considérable [12].
D'autres connectivites ou vascularites peuvent débuter par un
aspect très œdémateux des mains et des doigts comme la
sclérodermie systémique, le syndrome de Sharp ou la panartérite noueuse. Là encore, plusieurs éléments et notamment le
caractère le plus souvent permanent de l'œdème, le contexte
général et les anomalies cliniques et biologiques permettront
de redresser le diagnostic.
Atteinte de la face et des voies aériennes
supérieures
Œdème permanent
Certaines pathologies s'accompagnant d'un œdème permanent
de la face ou des voies aériennes supérieures peuvent être
difficiles à différencier d'un angiœdème, notamment si initialement elles fluctuent dans le temps.
tome 44 > n81 > janvier 2015
© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 19/04/2017 Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
33
L'œdème cyclique idiopathique se manifeste par une prise de
poids et des œdèmes lors de la période menstruelle et est lié
à une hyperperméabilité capillaire probablement d'origine
hormonale [8]. Ces œdèmes évoluent dont par poussées.
La prise de poids n'est pas toujours notée par les patientes
et le diagnostic différentiel avec un angiœdème peut être
parfois difficile. Il est très important de demander aux patientes si elles prennent du poids lors de la « poussée » (et donc
de les peser) et d'interroger précisément sur la localisation
des œdèmes qui apparaîtront finalement diffus. La recherche
d'une hyperperméabilité capillaire par un test isotopique au
sérum albumine marquée au 99mTc (test de Landis) peut alors
être utile.
Le syndrome d'hyperperméabilité capillaire systémique (ou
syndrome de Clarkson) se manifeste par des œdèmes généralisés évoluant par poussées avec prise de poids et, dans les
formes les plus graves, hypotension et choc [9]. Dans les formes
moins sévères, la problématique du diagnostic différentiel avec
les angiœdèmes est la même qu'avec les œdèmes cycliques
idiopathiques. La notion de prise de poids signe le caractère
généralisé de l'œdème et exclut de ce fait le diagnostic d'angiœdème. Là encore, le test de Landis peut aider. Enfin, la présence
d'un pic monoclonal est caractéristique de cette maladie et, lors
des poussées, il existe une hémoconcentration (augmentation
de l'hématocrite) avec une hypoalbuminémie paradoxale, là
aussi caractéristique et non retrouvée dans l'angiœdème même
sévère.
ANGIŒD EME
Syndrome cave supérieur
Il est lié à une compression ou une obstruction de la veine cave
supérieure. Il se présente sous la forme d'une cyanose localisée
du visage, d'un œdème en pèlerine plus marqué le matin en
position couchée, d'une turgescence veineuse jugulaire et d'une
circulation collatérale thoracique antérieure. De diagnostic relativement aisé lorsqu'il est avancé, le syndrome cave supérieur
peut être un diagnostic différentiel difficile de l'angiœdème
lorsqu'il est débutant et fluctuant et que la prédominance
matinale peut passer pour une « poussée ».
Emphysème sous-cutané
Il peut survenir entre autres après une chirurgie de la tête et du
cou, un traumatisme ou un pneumothorax. L'œdème est permanent. Une des difficultés diagnostiques est que quelques cas ont
été rapportés après des soins dentaires, ce qui est bien sûr
important à considérer, notamment chez les patients ayant un
angiœdème héréditaire connu et souffrant d'un œdème après
soins dentaires [13]. La palpation du gonflement est alors très
importante et peut révéler une crépitation neigeuse. Un examen d'imagerie (radiographie, échographie et/ou scanner) va
confirmer la présence d'air sous-cutané.
Infection des tissus mous : cellulite faciale et abcès
odontogènes
À point de départ dentaire, la cellulite faciale ou les abcès
odontogènes se caractérisent par un œdème douloureux et
localisé au niveau de la face. Initialement, ils peuvent assez
fidèlement mimer un angiœdème. Le diagnostic différentiel
sera évoqué devant le caractère inflammatoire de la peau, la
persistance du gonflement, la fièvre et le syndrome inflammatoire biologique. Là aussi, il ne faut pas être trop rapide à faire un
test aux corticoïdes devant un « angiœdème » de la face inflammatoire mais évoquer ces complications infectieuses. À noter
aussi que dans notre pratique clinique, ces infections à point de
départ dentaire sont également un diagnostic différentiel très
important des poussées d'angiœdème chez des patients porteurs d'un angiœdème héréditaire. Soit d'emblée s'il existe des
atypies soit en cas de résistance de la « poussée » après un
traitement spécifique de l'angiœdème héréditaire, il faut évoquer un diagnostic différentiel et les cellulites faciales en sont un
important.
Autres infections
Les filarioses peuvent se présenter sous la forme d'épisode de
gonflement circonscrit et transitoire. L'interrogatoire sur les
voyages en zones d'endémie, la présence d'une hyperéosinophilie et l'enquête parasitologique permettent de redresser le
diagnostic. La trichinose peut donner des œdèmes péri-orbitaux
mais ces patients ont souvent des hémorragies sous-conjonctivales et un chemosis ainsi que des signes généraux inhabituels
dans l'angiœdème. La trypanosomiase américaine peut également donner un œdème localisé avec le classique signe de
Romana (œdème d'un œil). On peut également citer les infections suivantes : herpès, zona, mononucléose infectieuse
(l'œdème des paupières prend alors le nom de signe de Hoagland [14]) érysipèle et infections d'origine ophtalmologique
(dacryocystite. . .).
Syndrome de Melkersson-Rosenthal, chéilite de Miescher et
autres granulomatoses
Le syndrome de Melkersson-Rosenthal est une granulomatose
oro-faciale rare, caractérisée par une langue plicaturée ou scrotale, des épisodes récidivants d'œdème labial qui peuvent
ensuite devenir permanent et une parésie ou paralysie faciale
unilatérale [15]. La chéilite granulomateuse de Miescher peut
être considérée comme une forme incomplète de syndrome de
Melkersson-Rosenthal, monosymptomatique, touchant la
lèvre supérieure le plus souvent et évoluant par poussées
œdémateuses, indolores, aboutissant à une infiltration permanente [16]. La phase pendant laquelle l'atteinte des lèvres
évolue par poussées est alors clairement un diagnostic différentiel parfois difficile avec l'angiœdème. Cependant, les poussées durent quelquefois plus d'une semaine, ce qui est
incompatible avec un angiœdème et l'évolution vers un gonflement permanent permet de redresser un éventuel diagnostic erroné d'angiœdème. La biopsie de la lèvre permet de
confirmer le diagnostic lorsqu'elle montre une infiltration
granulomateuse.
D'autres granulomatoses à possible localisation oro-faciale peuvent poser le même genre de problème diagnostique avec un
angiœdème, tels la sarcoïdose ou la maladie de Crohn. Le syndrome du Morbihan associe des œdèmes palpébraux à répétition,
corticorésistants, évoluant par poussées, de façon chronique, dans
un contexte de rosacée. L'examen anatomopathologique montre
une inflammation aspécifique avec parfois des granulomes [17].
La biopsie est indispensable, notamment pour ne pas méconnaître une localisation lymphomateuse ou une maladie de Kaposi.
Scléredème de Buschke
Il s'agit d'une maladie rare caractérisée par une infiltration
œdémateuse de la peau et associée à une infection, au diabète
et aux dysglobulinémies monoclonales. Dans sa forme diffuse,
elle ne pose pas de problème de diagnostic différentiel avec un
angiœdème. En revanche, des formes plus localisées, par exemple aux paupières [18], peuvent initialement mimer un angiœdème mais le caractère permanent permet de redresser le
diagnostic.
Dermatomyosite et lupus
La dermatomyosite peut s'accompagner d'œdème des paupières, parfois intermittent. Cet œdème est plutôt inflammatoire et
s'inscrit dans un contexte général permettant d'évoquer le
diagnostic. Dans le lupus, des œdèmes palpébraux sont parfois
inauguraux.
Gonflements ou œdèmes pouvant être transitoires
Plusieurs pathologies peuvent se manifester sous la forme
d'œdème localisé, transitoire et récidivant, au niveau facial
ou des voies aériennes supérieures. Les parotidites, quelle
34
Mise au point
D. Launay
© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 19/04/2017 Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
tome 44 > n81 > janvier 2015
Angiœdème : diagnostics différentiels
Atteinte abdominale
La problématique est double : tout d'abord, il faut penser à un
angiœdème devant des douleurs abdominales récidivantes
mais au même titre que les autres causes de douleurs abdominales récidivantes. Ensuite, chez un patient ayant un angiœdème connu, il ne faut pas passer à côté d'un diagnostic
différentiel en cas de douleur abdominale mimant une poussée
de la maladie.
Chez les patients ayant un angiœdème connu, par exemple
héréditaire, la survenue d'une douleur abdominale pose la
question de sa relation avec l'angiœdème. Au cours de l'angiœdème héréditaire, plus de la moitié des crises concernent
l'abdomen avec des douleurs parfois intenses, pseudo-chirurgicales, des nausées et vomissements voire un véritable syndrome occlusif [6]. Si un patient ayant un angiœdème
héréditaire connu et des crises douloureuses abdominales
habituelles a une douleur abdominale similaire à ces crises
antérieures, sans atypie comme par exemple de la fièvre,
un test thérapeutique et diagnostique par un traitement
Mise au point
spécifique de l'angiœdème héréditaire est licite. L'effet positif
doit se faire ressentir dans les 30 à 45 minutes après le traitement. En l'absence d'amélioration, il faudra se poser la question
d'un diagnostic différentiel ou d'une crise douloureuse abdominale rebelle, tous deux justifiant une hospitalisation en
urgence pour des examens complémentaires, y compris un
scanner abdominal si nécessaire. S'il s'agit d'une première crise
abdominale, une attitude de prudence consiste à éliminer un
diagnostic différentiel et à faire un test thérapeutique. La fièvre
et un syndrome inflammatoire, notamment une hyperleucocytose, sont inhabituelles au cours des poussées d'angiœdème.
Les endoscopies digestives ne sont pas recommandées. Mais si
elles sont réalisées, elles montrent un œdème muqueux diffus.
Les biopsies montrent un infiltrat inflammatoire minime non
spécifique et un œdème de la lamina propria [21–23]. Il peut
exister une ascite liée à l'extravasation de fluide dans la cavité
péritonéale.
Chez un patient n'ayant pas d'angiœdème connu, la survenue de
douleurs abdominales à répétition doit amener à un bilan
étiologique. L'existence d'épisode d'angiœdème extra-abdominal facilite grandement l'hypothèse diagnostique mais certains
angiœdèmes ne se manifestent que par des crises abdominales.
D'autres pathologies peuvent se manifester par des crises douloureuses abdominales à répétition. On peut citer notamment
l'intestin irritable, la porphyrie aiguë intermittente, la maladie
périodique ou d'autres maladies auto-inflammatoires, ainsi que
le saturnisme.
Conclusion
Tout gonflement ne remplissant pas clairement les caractéristiques d'un angiœdème n'est pas un angiœdème et il faut
résister à la tentation de faire un bilan à la recherche du
mécanisme de cet hypothétique angiœdème. Certaines situations cliniques et notamment les œdèmes généralisés et/ou
permanents mais évoluant par poussées et/ou fluctuants et/
ou prédominant ou semblant prédominer sur une zone corporelle sont parmi les diagnostics différentiels les plus
complexes de l'angiœdème. Il faut donc savoir réévaluer et
remettre en cause un diagnostic d'angiœdème lorsque l'évolution devient atypique (caractère finalement permanent) ou
devant une résistance au traitement. Enfin, les angiœdèmes
héréditaires sont des pathologies rares et si, bien sûr, il ne
faut pas les sous-diagnostiquer, il faut aussi avoir la prudence
de ne pas les sur-diagnostiquer en s'assurant d'abord de
la réalité de l'angiœdème par l'absence de diagnostics
différentiels.
Déclaration d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts
en relation avec cet article.
tome 44 > n81 > janvier 2015
© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 19/04/2017 Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
35
que soit leur étiologie (syndrome de Sjögren, par exemple),
peuvent mimer un angiœdème. Une pathologie sinusienne peut
également se manifester par un œdème de la face, évoluant au
gré des poussées de cette pathologie. Les eczémas de contact
peuvent être également de diagnostic difficile, notamment
dans leur forme initiale, le contact avec l'antigène pouvant
remonter à 24–48 h. L'examen attentif recherchera des vésicules en pourtour de l'œdème et l'évolution (aspect de suintement
et desquamation) permettra de trancher. L'ophtalmopathie
basedowienne peut également se présenter par des œdèmes
palpébraux pouvant évoluer par poussée au départ avant de
devenir permanents. Les œdèmes d'origine lymphatique,
notamment les malformations lymphatiques kystiques, sont
normalement d'évolution progressive mais peuvent donner
des poussées inflammatoires ou infectieuses pouvant mimer
une poussée d'angiœdème et sont un diagnostic différentiel
difficile lorsqu'ils se situent au niveau du cou, de la face, de la
langue ou des voies aériennes supérieures [19]. Une imagerie
dédiée est alors d'une grande aide pour dépister et confirmer
cette malformation.
Certains patients ont des œdèmes récidivants de la luette. Si cela
peut correspondre à un authentique angiœdème (se méfier
notamment d'une urticaire physique), le reflux gastro-œsophagien, le syndrome d'apnée du sommeil et l'utilisation de certaines drogues (cannabis, cocaïne. . .) peuvent également
donner un œdème intermittent de la luette. Enfin, une dysfonction des cordes vocales (paradoxical vocal cord movement)
d'origine fonctionnelle, de présentation bruyante, peut parfois
passer pour un angiœdème laryngé [20].
ANGIŒD EME
Mise au point
D. Launay
Références
[1]
[2]
[3]
[4]
[5]
[6]
[7]
[9]
[10]
[11]
[12]
[13]
[14]
[15]
[16]
Lambert M, Launay D, Hachulla E, MorellDubois S, Soland V, Queyrel V, et al. Highdose intravenous immunoglobulins dramatically reverse systemic capillary leak syndrome. Crit Care Med 2008;36:2184–7.
Schmaltz R, Vogt T, Reichrath J. Skin manifestations in tumor necrosis factor receptorassociated periodic syndrome (TRAPS). Dermatoendocrinol 2010;2:26–9.
Cattalini M, Meini A, Monari P, Gualdi G, Arisi
M, Pelucchi F, et al. Recurrent migratory
angioedema as cutaneous manifestation in a
familiar case of TRAPS: dramatic response to
Anakinra. Dermatol Online J 2013;19:20405.
McCarty DJ, O'Duffy JD, Pearson L, Hunter JB.
Remitting seronegative symmetrical synovitis
with pitting edema. RS3PE syndrome. JAMA
1985;254:2763–7.
Fruhauf J, Weinke R, Pilger U, Kerl H, Mullegger RR. Soft tissue cervicofacial emphysema after dental treatment: report of
2 cases with emphasis on the differential diagnosis of angioedema. Arch Dermatol 2005;141:
1437–40.
Inokuchi R, Iida H, Ohta F, Nakajima S, Yahagi
N. Hoagland sign. Emerg Med J 2013. http://
dx.doi.org/10.1136/emermed2013-203197.
Liu R, Yu S. Melkersson-Rosenthal syndrome:
a review of seven patients. J Clin Neurosci
2013;20:993–5.
Rachisan AL, Hrusca A, Gheban D, Cainap S,
Pop TL, Baican A, et al. Granulomatous
36
[8]
Kaplan AP, Greaves MW. Angioedema. J Am
Acad Dermatol 2005;53:373–88.
Bouillet L, Boccon-Gibod I, Massot C. Les
angiœdèmes bradykiniques héréditaires et
acquis. Rev Med Interne 2011;32:225–31.
Cicardi M, Bork K, Caballero T, Craig T, Li HH,
Longhurst H, et al. Evidence-based recommendations for the therapeutic management of
angioedema owing to hereditary C1 inhibitor
deficiency: consensus report of an International
Working Group. Allergy 2012;67:147–57.
Cicardi M, Bellis P, Bertazzoni G, Cancian M,
Chiesa M, Cremonesi P, et al. Guidance for
diagnosis and treatment of acute angioedema in the emergency department: consensus statement by a panel of Italian experts.
Intern Emerg Med 2014;9:85–92.
Madsen F, Attermann J, Linneberg A. Epidemiology of non-hereditary angioedema.
Acta Derm Venereol 2012;92:475–9.
Bouillet L, Launay D, Fain O, Boccon-Gibod I,
Laurent J, Martin L, et al. Hereditary angioedema with C1 inhibitor deficiency: clinical presentation and quality of life of 193 French
patients. Ann Allergy Asthma Immunol 2013;
111:290–4.
Van Dellen RG, Maddox DE, Dutta EJ. Masqueraders of angioedema and urticaria. Ann
Allergy Asthma Immunol 2002;88:10–4 [quiz
15, 41].
Sabatini S. Hormonal insights into the pathogenesis of cyclic idiopathic edema. Semin
Nephrol 2001;21:244–50.
© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 19/04/2017 Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
[17]
[18]
[19]
[20]
[21]
[22]
[23]
cheilitis of Miescher: the diagnostic proof
for a Melkersson-Rosenthal syndrome. Rom
J Morphol Embryol 2012;53:851–3.
Nagasaka T, Koyama T, Matsumura K, Chen
KR. Persistent lymphoedema in Morbihan
disease: formation of perilymphatic epithelioid cell granulomas as a possible pathogenesis. Clin Exp Dermatol 2008;33:764–7.
Ioannidou DI, Krasagakis K, Stefanidou MP,
Karampekios S, Panayiotidis J, Tosca AD.
Scleredema adultorum of Buschke presenting
as periorbital edema: a diagnostic challenge. J
Am Acad Dermatol 2005;52:41–4.
Wierzbicka E, Herbreteau D, Robert M, Lorette
G. Malformations lymphatiques kystiques. Ann
Dermatol Venereol 2006;133:597–601.
Nordness ME, Zacharisen MC. Functional airway obstruction mimicking tongue angioedema. Ann Allergy Asthma Immunol 1999;
83:540–2.
Frigas E, Nzeako UC. Angioedema. Pathogenesis, differential diagnosis, and treatment.
Clin Rev Allergy Immunol 2002;23:217–31.
Hara T, Shiotani A, Matsunaka H, Yamanishi T,
Oka H, Ishiguchi T, et al. Hereditary angioedema with gastrointestinal involvement:
endoscopic appearance. Endoscopy 1999;31:
322–4.
Shinzato T, Nakamura H, Kuniyoshi T, Higashionna A, Uehara T, Oshiro J, et al. Hereditary angioedema: a case with ascites yet
no symptoms in the family. Intern Med
1992;31:633–5.
tome 44 > n81 > janvier 2015
Téléchargement