La théorie des immeubles s`inscrit dans le cadre de l

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IMMEUBLES, mathématique
Guy Rousseau
Prise de vue:
La théorie des immeubles s'inscrit dans le cadre de l'interaction entre géométrie
et groupes décrite dès 1872 par Felix Klein dans son "Programme d'Erlangen": une
géométrie (affine, euclidienne, projective ...) consiste en l'étude des propriétés des
figures qui se conservent par l'action d'un groupe de transformations (groupe affine,
groupe des isométries, groupe projectif ...). On peut ajouter que l'un des meilleurs
moyens d'étudier un groupe est de le faire opérer sur un objet géométrique.
Les immeubles ont été inventés par Jacques Tits au début des années 1950, mais
la terminologie immobilière n'apparut qu'un peu plus tard sous l'impulsion de Nicolas
Bourbaki. Le but était de comprendre les groupes de Lie semi-simples exceptionnels en
les faisant opérer sur des objets géométriques, puis de construire des objets analogues
(finis) dont les groupes d'automorphismes seraient les analogues sur les corps finis des
groupes de Lie exceptionnels.
Cependant ce dernier projet a été réalisé de manière algébrique par Claude
Chevalley vers 1955. Ces immeubles ont donc surtout été utilisés pour comprendre les
groupes algébriques semi-simples sur les corps quelconques construits par cet auteur et
largement étudiés par Armand Borel et Jacques Tits. De nouvelles variétés d'immeubles
ont depuis été introduites et utilisées dans diverses théories mathématiques.
Les immeubles sont donc des objets géométriques que l'on attache en particulier
aux groupes algébriques sur les corps, ou sur les corps topologiques; ils rendent compte
de la structure de ces groupes. Ces objets sont assez abstraits, ce sont en fait des
graphes. Mais, souvent, on peut aussi leur associer des réalisations géométriques plus
concrètes (avec le même groupe d'automorphismes) qui ont leur intérêt propre, entre
autres comme exemples exotiques d'espaces hyperboliques.
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1. Géométrie projective et immeubles (exemple introductif).
Si E est un espace vectoriel de dimension finie n+1 sur un corps commutatif
K , on considère l'ensemble Sev(E) des sous-espaces vectoriels de E différents de {0}
et E . Pour un élément F de Sev(E) , son type (on dit aussi son étiquette) est sa
dimension comme K-espace vectoriel (entier compris entre 1 et n ). En particulier
l'ensemble des éléments de Sev(E) de type 1 est l'espace projectif P(E) ; ces
éléments sont les droites de E ou les points de P(E) .
Le groupe linéaire GL(E) (formé de toutes les applications K-linéaires
bijectives de E dans E ) opère sur Sev(E) en respectant les types: si u est K-linéaire
bijective de E dans E et si F est un sous-espace vectoriel de E , alors l'image u(F)
est un sous-espace vectoriel de E de même dimension (= type). Si u est une
homothétie on a toujours u(F) = F ; or le centre Z(E) de GL(E) est formé des
homothéties, c'est donc en fait le quotient PGL(E) = GL(E)/Z(E) (groupe projectif
linéaire) qui opère sur Sev(E) .
Deux éléments de Sev(E) sont dits incidents s'ils sont distincts et si l'un est
contenu dans l'autre; en particulier les éléments de P(E) qui sont incidents à un
élément F de Sev(E) de type 2 (un plan de E ) sont les droites de E contenues dans
ce plan F , on dit qu'ils forment une droite de P(E) . Cette relation d'incidence sur
Sev(E) est conservée par PGL(E) , elle se traduit par un graphe dont l'ensemble des
sommets est Sev(E) , une arête étant un couple d'éléments de Sev(E) qui sont
incidents.
Ce graphe est illustré dans la figure 1 pour n = 2 et pour le corps à 2 éléments
K = F2 : E = (F2)3 . A droite on a dessiné l'espace projectif P(E) qui compte 7 points
(numérotés de 1 à 7) et 7 droites (contenant chacune 3 points et numérotées de I à
VII); la droite VI est formée des points 2, 6 et 7 qui ne paraissent pas alignés sur le
dessin car celui-ci est fait dans le plan réel qui n'a pas de rapport avec P(E) . Le graphe
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est représenté à gauche; les sommets blancs sont de type 1 (points) et les noirs de type 2
(droites).
Un groupe diédral d'ordre 14 respecte la figure; cependant les symétries (par
exemple celle par rapport à la droite en pointillé) mélangent les types des sommets. On
cherche seulement le groupe des automorphismes étiquetés de ce graphe: ce sont les
bijections de l'ensemble des sommets qui respectent les types et les arêtes mais pas
forcément les longueurs de celles-ci. On peut montrer qu'il est de cardinal 168 , c’est-à-
dire égal à GL((F2)3) = PGL((F2)3) dont on a vu qu'il opère sur le graphe.
Ce résultat est en fait simple car tout automorphisme du corps F2 est l'identité.
C'est un cas particulier du théorème fondamental de la géométrie projective [1]:
Soient K un corps commutatif, n un entier 2 et E l'espace vectoriel Kn+1 .
Toute bijection de P(E) sur lui-même qui respecte l'alignement (elle envoie une droite
de P(E) dans une autre droite) est le composé d'un élément de PGL(E) et d'une
bijection de P(Kn+1) déduite d'un automorphisme du corps K (opérant composante
par composante sur Kn+1).
On peut reformuler le théorème en disant que, pour n 2 , l'espace projectif
P(E) muni de sa relation d'alignement (ou a fortiori Sev(E) muni de son type et de sa
relation d'incidence) détermine entièrement le groupe PGL(E) et le corps K .
Sur le graphe de la figure 1 il faut encore observer les chemins fermés,
n'empruntant pas 2 fois la même arête et de longueur minimale. Cette longueur
minimale est 6 et un exemple est fourni par : 1 , I , 4 , III , 3 , VII , 1 . Les 6 sommets
d'un tel chemin constituent un sous-ensemble de Sev(E) appelé appartement. On
constate qu'un appartement est constitué de 3 points non alignés de P(E) et des 3
droites qui les joignent 2 à 2; les appartements sont donc permutés transitivement par
PGL(E) . Deux arêtes quelconques du graphe sont contenues dans un même
appartement. Étant donnés deux appartements, il existe un isomorphisme de l'un sur
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l'autre qui fixe les sommets en commun; de plus cet isomorphisme est induit par un
élément de PGL(E) .
Ces résultats s'étendent au cas général de Sev(E) . Un appartement de Sev(E)
est défini par une base B de E , il est constitué de tous les sous-espaces vectoriels de
E de base une partie de B .
On définit les facettes de Sev(E) : ce sont les sous-ensembles de Sev(E) formés
d'éléments 2 à 2 incidents. La relation d'incidence sur Sev(E) équivaut donc à la
donnée des facettes. De manière concrète une facette de Sev(E) est une collection de
sous-espaces vectoriels distincts inclus les uns dans les autres: F1 Ã F2 ÃÃ Fk , on
dit que c'est un drapeau de E . Si le cardinal k de la facette est maximal (= n) on dit
que la facette est une chambre; son fixateur est alors un sous-groupe de Borel de
PGL(E) (voir GÉOMÉTRIE ALGÉBRIQUE, 8.).
2. Définition des immeubles:
a) Un complexe simplicial est un ensemble S de sommets muni d'un ensemble F
de facettes qui sont des sous-ensembles finis de S et tels que tout sous-ensemble
formé d'au plus un sommet est une facette et tout sous-ensemble d'une facette est aussi
une facette.
Un complexe simplicial S est un complexe de chambres s'il vérifie (C1) et
(C2) ci-après :
(C1) Toute facette est contenue dans une facette maximale appelée chambre .
Deux chambres ont le même cardinal: le rang r de S.
(On appelle alors cloison une facette de cardinal r-1 et galerie une suite C0 , C1 , ... ,
Cn de chambres telle que, pour tout i n-1 , Ci«Ci+1 contient une cloison ; on dit
qu'elle est de longueur n et qu'elle joint C0 à Cn ).
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(C2) Deux chambres quelconques peuvent être jointes par une galerie.
Le complexe est dit étiqueté s'il existe une application "type" de S sur un
ensemble de cardinal r qui est injective sur chaque facette.
Un immeuble est un complexe simplicial I dans lequel il existe un système A
d'appartements tel que les conditions (I1) à (I4) ci-après soient vérifiées:
(I1) Les appartements sont des sous ensembles non vides de I que l'on munit de
la structure simpliciale induite; pour cette structure ce sont des complexes de chambres
minces (i.e. toute cloison est contenue dans exactement 2 chambres).
(I2) Deux facettes sont contenues dans un même appartement.
(I3) Si 2 appartements A et A' contiennent les 2 facettes F et F' , alors il
existe un isomorphisme (simplicial) de A sur A' qui fixe (point par point) F et F' .
(I4) I est épais : toute cloison est contenue dans au moins 3 chambres.
Il résulte de ces axiomes que tous les appartements sont isomorphes et que I est
un complexe de chambres étiqueté.
Un immeuble de rang 1 est un ensemble d'au moins trois éléments avec pour
facettes l'ensemble vide et les sous-ensembles à un élément et pour appartements les
sous-ensembles à 2 éléments. La notion d'immeuble n'est intéressante qu'à partir du rang
2 .
Si les appartements sont des ensembles finis, on dit que l'immeuble est
sphérique; dans ce cas on peut montrer que le système A d'appartements est
uniquement déterminé par I et F . En général il existe un système d'appartements
maximal que l'on dit complet.
Comme on l'a vu en 1. l'ensemble Sev(E) muni de ses facettes et de ses
appartements est un immeuble sphérique.
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